Intervention de Luc Frimat

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 1er mars 2023 à 13h35
Audition du professeur pierre albaladejo président de la société française d'anesthésie et de réanimation de mmes sophie beaupère déléguée générale d'unicancer yvanie caillé fondatrice et vice-présidente de renaloo M. Pierre Chirac de la revue prescrire et du professeur luc frimat président de la société francophone de néphrologie dialyse et transplantation

Luc Frimat :

Vous avez parlé de criticité : cela peut se poser lorsqu'on est face à un patient, au bloc opératoire ou en consultation, mais il ne faut pas oublier la problématique des maladies chroniques, qui vont imposer un traitement aux patients durant dix, vingt, trente ans. C'est ce témoignage que je souhaite apporter aujourd'hui.

Vous avez évoqué la problématique du Bélatacept, médicament immunosuppresseur utilisé dans le cadre des transplantations rénales. La transplantation rénale représente 45 000 patients en France et 55 000 patients dialysés. Ces 90 000 patients représentent le stade le plus avancé de la maladie rénale chronique, lorsque les reins sont détruits et ne fonctionnent plus. On estime par ailleurs que 8 % de la population française est concernée par la maladie rénale chronique, ce qui représente environ 5 millions de patients.

Le Bélatacept est un médicament qui existe depuis une quinzaine d'années. Il est utilisé en France chez environ 2 500 patients. La France est le pays d'Europe qui l'utilise le plus, ce qui témoigne des différences dans son utilisation et son indication, comme c'est souvent le cas dans notre spécialité, où la personnalisation du traitement, l'adaptation aux besoins du patient, à l'équilibre entre l'efficacité et la sécurité sont omniprésentes.

Ce médicament est en rupture annoncée depuis plusieurs mois et en rupture aiguë depuis deux ou trois mois. Je dois souligner la place de l'ANSM pour gérer cette crise.

La SFNDT a été invitée à proposer le nom de trois professionnels pour faire partie d'un comité d'experts, qui a mis sur pied une fiche à la disposition des soignants pour poser l'indication du médicament et, par le biais du laboratoire, savoir si l'indication peut être retenue ou non.

Ce comité s'est réuni depuis début janvier. Je participe aux réunions d'information en tant que président de la société savante, avec l'ANSM. On peut souligner qu'il reste des médicaments disponibles, et nous allons probablement réussir à passer le cap d'ici quelques mois avec une organisation efficace.

Le Bactrim, quant à lui, est un antibiotique historique en solution buvable fabriqué en France. Son taux de remboursement est bien inférieur au coût de production. Ce médicament est la propriété d'un laboratoire belge, Eumedica, qui a racheté le produit aux laboratoires Roche. La France rembourse le médicament moitié moins que la totalité des autres pays européens.

Ce médicament, qui peut se substituer aux comprimés, est particulièrement nécessaire aux enfants dans sa forme buvable.

La demande de remboursement adapté a déjà suivi tout le process CEPS et a reçu une fin de non-recevoir. On nous dit qu'il n'est pas possible de rembourser ce médicament plus qu'il ne l'est actuellement. On a donc un risque de rupture artificiel, puisque le médicament produit en France est exporté vers les pays qui le remboursent davantage. Il est probablement assez simple de résoudre cette difficulté.

Enfin, j'insiste sur le fait que la gestion de la pénurie pour les maladies chroniques concerne plusieurs millions de patients. Il faut avoir une action de prévention. Notre pays est à la traîne dans ce domaine. On essaie de résoudre un problème aigu lorsque la maladie est à son stade le plus avancé, mais il faut parallèlement faire un effort en matière de prévention, par exemple pour le dépistage de la maladie rénale chronique.

En France, ce dépistage s'élève à 25 %, contre 66 % au Royaume-Uni. Pourquoi ne réussissons-nous pas à diagnostiquer précocement la maladie pour mettre en oeuvre des mesures de néphro-protection efficaces afin de diminuer le recours au traitement par dialyse et greffe ? Faisons cet effort à l'échelle de notre pays. Nous le demandons depuis plusieurs mois.

Je tiens également à souligner que notre spécialité est en très grande tension du point de vue du dispositif médical. L'hémodialyse se fait par une fistule artérioveineuse créée chirurgicalement. Cependant, il n'est pas possible de créer cet apport vasculaire dans 30 % à 40 % des cas. On doit dès lors avoir recours à des cathéters. Que fait-on quand il y a plus de cathéters ou de médicaments pour déboucher les cathéters bouchés ? Que fait-on en cas de pression internationale sur le prix du blé et du maïs, qui servent à fabriquer les concentrés de dialyse ?

La néphrologie est un puzzle qui compte beaucoup de pièces. Je vous remercie donc de nous donner la parole aujourd'hui pour le souligner.

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