Renaloo est une association de patients atteints de maladie rénale, insuffisants rénaux, dialysés et greffés.
Le sujet qui nous préoccupe depuis un certain temps est la pénurie de Bélatacept, qui est un antirejet. Il en existe d'autres heureusement, ce qui permet de le remplacer par d'autres traitements.
Le standard of care, en matière de transplantation, est assez ancien. Il remonte à une trentaine d'années. Une de ses particularités, par rapport aux médicaments majoritairement néphrotoxiques pour le greffon rénal, est de pas être toxique pour le rein, d'améliorer la fonction des reins transplantés, mais aussi de diminue la survenue de certaines complications, comme l'hypertension artérielle et le diabète, très fréquentes avec les autres traitements anti-rejets, ainsi que de prévenir la formation d'anticorps contre le greffon, à l'origine des rejets chroniques des greffes.
Ces particularités font que ce médicament a un intérêt important pour une partie des patients. Cela fait trente ans que les patients attendaient une avancée thérapeutique de ce type.
Le Bélatacept connaît une situation de pénurie depuis cinq ans. Cela a commencé par des tensions d'approvisionnement et, depuis deux ans, cette pénurie a des conséquences sur l'accès des patients au médicament, qui s'est encore criticisé depuis l'été dernier.
Un dispositif a été mis en place pour réguler l'attribution des quelques doses disponibles pour les patients les plus graves, qui sont en petit nombre, mais ces indications laissent de côté un certain nombre d'autres d'indications du Bélatacept, pour lesquelles les patients sont en attente de solution. Cela concerne notamment ceux qui ont reçu un rein de mauvaise qualité. Comme vous le savez, en raison de la pénurie, une partie importante des patients sont greffés avec des reins qu'on dit « à critères élargis », c'est-à-dire de qualité un peu suboptimale.
Ces patients subissent beaucoup la néphrotoxicité des traitements habituels. Le Bélatacept a donc pour eux un intérêt majeur.
Cela concerne aussi les patients qui ont reçu un rein de bonne qualité, mais qui se retrouve au bout d'un certain temps altéré par la néphrotoxicité des autres traitements.
Les patients qui auraient besoin du Bélatacept ne parviennent pas aujourd'hui à y accéder. Ceci a des conséquences très concrètes : une dégradation plus rapide du rein greffé, proportionnelle à la durée de non-recours et directement corrélée à la pénurie, avec des pertes de chance associées majeure, pour des greffons rénaux qui auraient dû être sauvés ou améliorés et qui continuent de se dégrader et risquent d'être perdus au bout de quelques mois, alors que la durée de vie de ces greffons aurait pu être prolongée.
Perdre son greffon, pour un patient transplanté, signifie un retour à la dialyse. Les conséquences humaines et médicales sont considérables pour les patients, mais aussi pour le système de santé, puisque la dialyse présente pour la société un coût bien plus élevé que la greffe. Schématiquement, une année de dialyse coûte 80 000 euros au système de santé, contre 20 000 euros pour une année de post-greffe. Les conséquences de cette pénurie sont donc très mesurables pour les patients et pour la société.
Aujourd'hui, toutes les équipes françaises n'utilisent pas le Bélatacept de manière équivalente. Ceci est assez indépendant de la pénurie. Certaines ne l'utilisent pratiquement pas quand d'autres l'utilisent beaucoup et sont devenues très expertes dans son maniement. Il existe de ce fait aujourd'hui des listes d'attente pour l'accès au Bélatacept. Nous travaillons notamment avec l'équipe du CHU de Grenoble, où on compte actuellement 150 greffés rénaux sur liste d'attente pour le Bélatacept. Cela se retrouve de façon assez générale sur le territoire. Ces patients qui devraient bénéficier de ce médicament attendent de pouvoir le recevoir.
Face à cette situation, nous avons été impliqués dans les démarches de gestion de la pénurie. Un système de gestion a été mis en place pour les indications les plus graves, mais elles laissent de côté beaucoup de patients. Notre association réclame la transparence sur les raisons de cette pénurie qui dure depuis six ans. On a du mal à comprendre comment un industriel peut laisser cette situation perdurer aussi longtemps, compte tenu des conséquences pour les malades.
À l'origine, la pénurie a suivi un changement d'usine de ce bio-médicament dont la chaîne de production est un peu complexe. Ce changement aurait dû permettre d'améliorer la production et produire davantage. On ne comprend pas pourquoi ce n'est toujours pas le cas au bout de six ans.
Tous les ans, le laboratoire nous dit que cela ira mieux dans un an, ce qui n'est pas le cas. Nous sommes très sceptiques quant aux capacités d'améliorer la situation d'ici la fin de l'année 2023, comme on nous l'a à nouveau promis.
Nous souhaiterions également que l'ensemble des pertes de chance soient clairement documentées, ce qui est faisable. Nous demandons aussi que les autorités sanitaires françaises et européennes jouent pleinement leur rôle et fassent en sorte que les industriels soient tenus de produire leurs médicaments en quantités adaptées à la demande des patients.
Des choses très concrètes pourraient être mises en place sur le terrain pour réduire la pénurie. Récemment, l'Agence européenne du médicament (EMA), suite au changement de chaîne de production pour des questions de bioéquivalence, a recommandé une augmentation de la posologie de Bélatacept de 20 %.
Cela amplifie la pénurie, puisqu'il faut plus de doses pour un même patient. Or les autorités de santé américaines, confrontées aux mêmes données, n'ont pas pris cette décision. Nous nous interrogeons sur les raisons de cette divergence entre autorités européennes et américaines. Gagner 20 % de posologie, s'il s'avère que les autorités américaines ont pris cette décision pour des raisons valables, semblerait un progrès important permettant de disposer de doses supplémentaires.
Nous souhaiterions aussi une réelle gestion de la pénurie, afin d'optimiser les doses disponibles. Aujourd'hui, un patient de 50 kilos doit recevoir 300 milligrammes de Bélatacept tous les mois. Or le médicament est conditionné en flacon de 250 milligrammes. Il faut donc deux flacons pour obtenir 300 milligrammes, les 200 milligrammes restants étant jetés, alors que nous sommes en situation de pénurie.
Nous avons dialogué avec l'ANSM pour que les doses soient préconditionnées et qu'on utilise le dosage exact dont un patient a besoin afin de ne pas jeter les reliquats et que ceux-ci soient collectivisés pour tous les patients qui en ont besoin. Tout le monde semble trouver que c'est une bonne idée mais, malgré cela, on n'avance pas.
Un autre élément pourrait être étudié de près. Il s'agit de l'espacement des doses. Un certain nombre d'équipes s'intéressent depuis plusieurs années à ce qui se passe si, au lieu de procéder à une injection toutes les quatre semaines, on la fait toutes les six semaines. Certaines études et données montrent que cela se passe bien si l'on sélectionne bien les patients. Cet espacement des doses n'est aujourd'hui absolument pas prévu ni encouragé. Cela permettrait pourtant de disposer de plus de doses et peut-être aussi d'éviter la surexposition au produit pour certains patients.
Nous discutons régulièrement de tous ces éléments avec l'ANSM. Nous trouvons que les choses pourraient avancer plus vite pour trouver des solutions concrètes et rapides.
J'ajoute que les équipes qui s'engagent dans le préconditionnement, l'espacement des doses ou les mesures de gestion n'y sont pas incitées. On pourrait croire que cela pourrait permettre de récupérer des médicaments pour leurs propres patients mais, depuis la mise en place des mesures de gestion de la pénurie, toute dose récupérée est nationalisée et mise au pot commun. Les équipes ne les récupèrent pas pour leurs propres patients ce qui, dans les faits, ne les incite guère à mieux gérer la pénurie localement.
Je voulais vous faire part de cette vision de notre association de patients, de l'expérience des malades qui sont aujourd'hui en attente de Bélatacept et qui souhaiteraient que des solutions soient trouvées pour leur permettre un accès plus rapide à ce médicament, dans l'intérêt de leur santé.