Intervention de Pierre Chirac

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 1er mars 2023 à 13h35
Audition du professeur pierre albaladejo président de la société française d'anesthésie et de réanimation de mmes sophie beaupère déléguée générale d'unicancer yvanie caillé fondatrice et vice-présidente de renaloo M. Pierre Chirac de la revue prescrire et du professeur luc frimat président de la société francophone de néphrologie dialyse et transplantation

Pierre Chirac, rédacteur de Prescrire :

Les pénuries datent d'une bonne vingtaine d'années. Entretemps, les firmes pharmaceutiques ont beaucoup changé, et on a connu des phénomènes de mondialisation et une sous-traitance accélérée. Les matières premières sont notamment produites en Inde et en Chine, et les tensions structurelles sont parfaitement prévisibles.

Les firmes ont fait cela pour améliorer leurs marges financières. Ce qui est certain, c'est qu'en vingt ans, les marges sont devenues de plus en plus des outils de financiarisation. La recherche d'attractivité sur les marchés financiers fait que ce n'est clairement pas dans leur modèle d'affaires de vendre des médicaments peu chers.

Les firmes dépendent essentiellement de médicaments qui ne sont pas forcément vendus en très grandes quantités, mais à des prix très élevés. On n'est plus du tout dans une logique de production de masse à des prix bas. Ce sont en fait des usines de produits de luxe. Les autorités de santé n'y peuvent pas grand-chose, c'est un fait.

Il est clair que les titulaires d'autorisation de mise sur le marché ont obligation d'approvisionner le marché selon l'article 81 de la directive 2020/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, mais elles y satisfont de moins en moins. Il existe beaucoup de moyens pour essayer de leur faire respecter cette obligation.

Pour les médicaments qui sont encore commercialisés par ces firmes, comme le Bélatacept, les autorités françaises ont prévu que les firmes sont tenues d'informer à l'avance des pénuries ou des tensions, de mettre en place des plans de gestion des pénuries et de constituer des stocks de plus en plus importants. Des sanctions sont prévues à cet effet. Ce serait une très bonne chose de pouvoir aller vers cette obligation au niveau européen. Il faut peser en ce sens dans le cadre de la stratégie pharmaceutique qui va être publiée fin mars. Il est indispensable de forcer les firmes à respecter ce point.

Cela étant, il n'existe aujourd'hui aucun moyen de les empêcher d'arrêter la commercialisation du jour où lendemain, comme Astellas avec la Josacine, qui n'existera plus à partir du mois de mars. Que peuvent faire les autorités françaises ? Rien ! On l'a bien vu avec la pénurie d'Amoxicilline ; c'est un château de cartes.

Si la firme se révèle incapable de produire des médicaments essentiels au bout de sept ans, soit on l'oblige à le faire en trouvant des moyens, soit on envisage des productions publiques, comme cela a été proposé par un organe du Parlement européen qui a réalisé un travail très intéressant mentionnant l'intérêt d'un établissement public pour la recherche.

La financiarisation des firmes pharmaceutiques fait qu'un certain nombre de médicaments ne les intéressent pas. Hier encore, Pfizer a annoncé qu'il arrêtait de travailler sur les maladies rares. Pfizer a gagné des dizaines de milliards de dollars avec le vaccin contre la covid. Comment peut-il être intéressé par 10 millions de dollars ? Cela n'a aucun sens.

Il faut donc trouver des solutions alternatives. Ce sera forcément à l'échelon européen, parce qu'il faut entrer dans des logiques d'économies d'échelle pour que produire ces médicaments ait un sens économique. Il faut probablement envisager des prix plus élevés pour les médicaments essentiels. Il est vrai que rembourser les médicaments moins que ce que coûte leur production n'a pas de sens, mais le problème vient du fait que cela dure depuis des années. Il existe donc un problème structurel.

Il faut avoir tout un panel de solutions et, si l'on imagine un établissement public chargé de produire des médicaments essentiels qui n'intéressent pas les firmes pharmaceutiques, veiller que ces médicaments soient diffusés dans le système. On l'a vu lors de la pandémie avec les usines de masques qui se mettent en route pour approvisionner le marché français et qui ferment quelques mois après parce que plus personne n'en achète en France.

Beaucoup de médicaments anciens, qui sont essentiels, ont été cités. Or on a l'impression que les politiques pharmaceutiques sont uniquement centrées sur les médicaments de demain. C'est une erreur. Il existe, en 2023, énormément de médicaments intéressants très anciens dont on a toujours besoin.

On a aujourd'hui un déséquilibre total qui se ressent dans les comptes de la sécurité sociale : on a tellement besoin d'argent pour les nouveaux médicaments qu'il n'y en a plus assez pour des médicaments plus anciens.

Il faut revoir ces aspects si l'on veut trouver des solutions et faire en sorte que les patients aient accès aux médicaments dont ils ont besoin, qu'ils soient chers, peu chers, anciens, récents ou si ceux-ci correspondent à des besoins sanitaires.

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