Avant de démarrer, je souhaite vous remercier, au nom de la FNSEA. En effet, votre mission d'information sur l'enseignement agricole nous touche. Nous aurions pu l'appeler « David contre Goliath ». Je vous remercie également pour vos propos d'introduction, Monsieur le Sénateur. Comme vous, nous pensons que l'enseignement agricole est un outil indispensable, inscrit au coeur des enjeux de nos filières agricoles et agroalimentaires, mais aussi au coeur de nos territoires.
Vous savez que nous avons récemment publié un rapport d'orientation sur le changement climatique. Nous y affirmons que l'agriculture est une solution au changement climatique et à l'ensemble des défis qui se posent, en termes économiques, en termes d'emplois salariés ou non-salariés et en termes de renouvellement des générations. Se posent également les défis de la compétitivité, de la résilience, de l'environnement, de la neutralité carbone. Il s'agit enfin de répondre aux attentes objectives des consommateurs et des citoyens, dans le contexte de la notion de souveraineté alimentaire.
Nous ne pourrons relever l'ensemble de ces défis que par des mutations dans nos métiers. Ces mutations supposent des qualifications nouvelles, des qualifications rénovées et des compétences plus grandes en termes de gestion de nos entreprises et en termes d'employabilité de nos salariés. L'agriculture installe en effet encore un grand nombre de jeunes agriculteurs. De son côté, le salariat monte en puissance. L'appel à des emplois salariés étrangers, que nous avons connu il y a quelques mois, résulte du fait que, souvent, nous ne trouvons dans nos territoires ni des personnes motivées, ni des personnes compétentes. Les actions rapides de formation que nous avons mises en place ont certes permis d'employer un certain nombre de personnes ; l'enjeu n'en demeure pas moins majeur.
L'enseignement agricole constitue ainsi un maillon fort et indispensable pour relever les défis précédents. Je souhaite insister sur les points forts au quotidien et sur le risque que ce maillon devienne un maillon faible. Vous avez notamment soulevé l'accompagnement financier de l'enseignement agricole. J'y reviendrai.
Pour la FNSEA, l'histoire et les valeurs de l'enseignement agricole en font un maillon fort. Derrière cette histoire, se trouve la déclinaison de ses cinq missions. Les lois de 1960 à 1962 ont permis la montée en puissance de l'enseignement agricole. Il était alors déjà question d'autosuffisance alimentaire, de compétitivité, d'efficacité économique de nos entreprises et des conditions de vie des agriculteurs. Il est heureux que l'enseignement agricole ait été mis en place. Je ne suis pas certaine en effet que, dans le cas contraire, nous pourrions aujourd'hui parler de souveraineté alimentaire. Nous n'aurions certainement pas pu répondre aux attentes des consommateurs durant le confinement.
Je souhaite rappeler rapidement les cinq missions dont il est question, qui sont respectées. Nous formons en formation initiale et en formation continue. Nous formons autour des huit grandes filières de la production agricole, tant dans des lycées privés que dans des lycées publics, ainsi que par l'apprentissage, l'alternance et dans des lycées professionnels et techniques. Nous sommes exemplaires en termes d'insertion scolaire, d'insertion professionnelle et du point de vue du nombre de diplômes acquis. Nous devons l'affirmer. Nous sommes également exemplaires en termes d'innovation et d'expérimentation, notamment au sein des lycées qui possèdent des fermes, où les jeunes apprennent et où les professionnels s'impliquent pour adapter rapidement les formations et les propositions de formation. L'enseignement agricole constitue, par ailleurs, un enjeu de territoires. Il est situé en milieu rural, parfois très rural. Il représente souvent un lien de vie dans nos territoires ruraux. Il est également situé en secteur périurbain, ce qui permet à un certain nombre de jeunes en provenance de la ville de mieux appréhender nos différents métiers, en se rendant compte de leur diversité et de leur variété. Un des points forts de nos missions réside enfin dans la coopération internationale, tant au niveau des professeurs que pour les apprenants. J'insiste sur le fait que nous ne soulignons pas nécessairement de manière suffisante ces différents points forts.
Je reviens sur la présence de fermes dans certains lycées. Cette présence résume le lien entre la recherche, la formation et le développement agricole. La force de l'enseignement agricole résulte également du lien avec nos organisations professionnelles agricoles, notamment avec les chambres d'agriculture, qui assument la mission de développement agricole.
Un autre point essentiel concerne le fait que l'enseignement agricole permet une diversité des apprentissages et des modèles, qui correspondent majoritairement à la problématique du territoire. La formation ne peut en effet pas être identique pour faire pousser du blé dans le Gers ou dans l'Aube, le climat et l'agronomie des sols étant différents. Cette diversité permet au jeune qui souhaite s'installer ou au futur salarié de disposer d'une formation transversale et pluridisciplinaire susceptible de s'adapter au lieu d'exercice de l'activité.
L'autre point fort, y compris pour le ministère de l'agriculture, concerne la proximité avec la profession. La réforme des commissions professionnelles consultatives (CPC) oblige notamment à une proximité plus forte avec les employeurs. Le lien avec la profession, à la fois au niveau national, au niveau régional et au niveau des lycées agricoles, permet une adaptation rapide des formations, des diplômes et de la pédagogie. Dans un lycée agricole, l'expérience d'agriculteur permet de réagir rapidement lorsque des enseignements ne sont pas logiques ou pragmatiques. Il est possible d'en discuter en conseil d'administration extrêmement rapidement. J'y vois également notre force quant à la fluidité de l'évolution de nos diplômes. J'en veux notamment pour preuve, pour avoir participé à la CPC et au Conseil national de l'enseignement agricole (CNEA), le fait qu'en une année, nous avons revu l'ensemble des diplômes agricoles pour mettre en place la notion de multi-performance et d'agroécologie. La profession avait demandé à intégrer les notions d'agroécologie et de bien-être animal.
Certes, les jeunes agriculteurs et les employeurs affirment que les évolutions ne sont pas suffisamment rapides. Ils soulignent que les acquis des jeunes diplômés sont en décalage avec les pratiques des entreprises. N'oublions jamais cependant que le jeune s'installe ou est embauché 10 ans après le lycée. La formation continue est ainsi très complémentaire et constitue le moyen le mieux adapté pour accompagner les jeunes dans la modernité.
Mon propos est ainsi de vous faire part de notre attachement à l'enseignement agricole. Nous y tenons réellement. Le renouvellement des générations en dépend. L'employabilité et le lien avec l'emploi sont essentiels.
Parmi les risques pesant sur l'enseignement agricole, figure la problématique, que vous avez soulevée, des moyens. C'est pourquoi j'ai insisté sur le respect des missions de l'enseignement agricole. Si les parlementaires ne connaissent pas l'ensemble des actions menées par l'enseignement agricole pour accompagner les jeunes dans leur insertion scolaire, ils ne peuvent pas avoir le souhait de le soutenir. Or chaque année, les différentes familles de l'enseignement agricole, public ou privé, nous alertent sur des baisses de budget dans le projet de loi de finances.
Les décisions ne s'improvisent pas. Dans le cadre de la « loi Climat », vous prendrez des décisions qui demanderont à l'agriculture de nouvelles mutations. Nous devrons de nouveau améliorer notre enseignement agricole. Nous aurons par conséquent besoin de moyens et de temps. La modélisation de l'agriculture telle que les parlementaires la souhaitent nous oblige à nous réunir, à revoir nos référentiels professionnels et de formation. Nous avons besoin de compétences spécifiques et d'un accompagnement individualisé du jeune qui entre dans le lycée agricole pour être certains qu'il en sorte avec les compétences nécessaires. L'approche doit être systémique, comme vous l'avez souhaité avec l'agroécologie. Or, avec des jeunes de 15 ou 16 ans, l'approche systémique est compliquée à mettre en oeuvre pour les enseignants du monde agricole. Il n'est pas facile d'enseigner la gestion économique et la résilience. Cet enseignement demande des compétences. Il demande par conséquent des moyens humains. Nous devrons disposer de vraies compétences pour mettre en place des parcours de formation correspondant à l'emploi. La force de l'enseignement agricole est le lien entre l'enseignement et l'emploi.
Joris Miachon, président de la section Jeunes de la Coordination rurale. - Je vous remercie d'avoir rendu possible cette table ronde en visioconférence, sachant que les conditions météorologiques m'empêchent de m'éloigner de mon exploitation. J'aurais été navré de ne pas y participer, la Coordination rurale étant particulièrement attachée à l'enseignement agricole. Je suis de surcroît ancien stagiaire et actuel maître de stage et d'apprentissage de l'enseignement agricole.
Je reprends les questions que vous nous avez adressées pour y répondre au plus juste. Concernant les trajectoires de formation les plus suivies par les jeunes agriculteurs avant leur installation, je pense qu'il convient de distinguer jeunes agriculteurs et jeunes installés. Les jeunes installés ne sont pas nécessairement jeunes par leur âge. La solution la plus accessible qui s'offre à eux reste le brevet professionnel responsable d'exploitation agricole (BPREA). Concernant les jeunes qui s'installent rapidement après l'enseignement agricole, les trajectoires sont évidemment variables. Une difficulté tient au fait que les trajectoires ne sont pas nécessairement choisies, mais parfois contraintes. Je prends l'exemple du baccalauréat horticole. Lorsque je l'ai passé, il avait pour ambition de former des exploitants, des chefs d'entreprise. Aujourd'hui, la filière forme des ouvriers spécialisés, obligeant quelquefois les jeunes à poursuivre leurs études ou à se réorienter.
Nous constatons en outre que la durée des études s'allonge. L'explication tient à l'augmentation de la technicité. Un jeune, pour s'installer, doit engranger davantage de connaissances et de savoirs. Ma collègue a notamment parlé précédemment de l'agroécologie. L'étudiant doit prendre en compte l'accroissement des exigences sociales, par exemple concernant le bien-être animal. S'y ajoute l'augmentation des contenus, résultant d'une volonté politique, tandis que la durée pour passer le baccalauréat est passée de son côté de 4 à 3 ans. L'étudiant doit ainsi acquérir davantage d'informations dans un délai plus court. C'est pourquoi les jeunes, pour être performants, doivent allonger leurs études. Pour utiliser une analogie, comme il n'est pas possible de faire entrer 2 litres dans un contenant de 1,5 litre, la solution consiste à multiplier les contenants. Pour notre part, nous jugeons cette évolution dangereuse, en particulier concernant l'attractivité des formations. L'allongement des formations nécessaires peut en effet se révéler dissuasif.
Pour répondre à une autre question, l'enseignement agricole présente évidemment des points forts et des points faibles. Pour la Coordination rurale, il est important de faciliter l'apprentissage. L'essentiel est d'être proche du terrain et du métier. L'enseignement agricole a pour objectif de former à des métiers. Nous avons pu remarquer avec les évolutions récentes, par exemple en matière d'agroécologie, que l'enseignement agricole est assez réactif en la matière. Il nous appartient de le rendre également attractif et de le placer au plus près des difficultés et des contraintes des exploitations agricoles.
Nous avons conscience du fait que la sécurité des apprenants doit rester une priorité. La difficulté que nous rencontrons, en respectant la loi d'une manière excessive, c'est que nous éloignons le jeune de la réalité. À cause de cet éloignement, nous perdons en attractivité et en motivation. Il est difficile de motiver un jeune par les tâches les moins attractives et les tâches où nous cherchons à nous couvrir des risques, en sachant que le risque zéro n'existe pas. Je maintiens que la sécurité de l'élève est une priorité. Je travaille par exemple en arboriculture fruitière, où nous utilisons du matériel dangereux, en particulier pour la taille des vergers. Le réflexe est aujourd'hui d'interdire l'utilisation de ce matériel. Du point de vue pédagogique, il est pourtant plus important d'insister sur la dangerosité du matériel que de l'interdire. Ce constat est d'autant plus vrai que les jeunes acquièrent ensuite, du jour au lendemain, davantage de liberté et de droits pour employer du matériel dont l'utilisation leur était auparavant interdite. Nous pouvons douter qu'alors, l'utilisation du matériel s'opère en toute sécurité.
Sur le contenu pédagogique des formations et les besoins des exploitations, nous sommes tous d'accord quant à la nécessité d'accentuer les savoirs en matière d'agroécologie et au niveau des attentes sociétales de la population. Il s'agit d'une évidence. Les attentes des exploitants et des exploitations portent quant à elles sur la possibilité d'apporter au stagiaire le geste et le savoir-faire. Il s'agit également d'une évidence.
La question suivante est de savoir si le maillage territorial de l'enseignement agricole est adapté. Il existe des disparités entre les départements. L'enseignement agricole a néanmoins su adapter ses formations à sa localisation. Dans la société actuelle, en outre, les jeunes sont mobiles. Je ne crois pas qu'il s'agisse par conséquent de la difficulté principale que l'enseignement agricole ait à affronter.