Le sujet est complexe en ce qu'il est à la fois multiacteurs et multicauses.
Les industriels du médicament doivent se conformer aux réglementations européenne et française. Nos sites de fabrication et d'exploitation sont soumis à des autorisations d'ouvertures, à des procédures de certification de fabrication et de distribution, à la qualification des fournisseurs, à la vente à des clients habilités et à des inspections. Depuis 2012 s'ajoute l'obligation de fournir en continu le marché pharmaceutique. Les fabricants de substances actives font l'objet d'obligations différentes. Le milieu de la répartition s'est beaucoup diversifié et fragmenté ces dernières années : les grossistes, les dépositaires, les groupements, les centrales d'achats. Les acteurs de la répartition doivent ainsi doivent avoir quinze jours de stocks et couvrir 90 % des références de médicaments sur le territoire national. Les habitudes de prise en charge thérapeutique des professionnels de santé peuvent également varier d'un pays à l'autre. Les autorités sont très présentes. Les avis de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et de la Haute Autorité de santé (HAS) peuvent diverger sur le caractère essentiel ou important de telle ou telle spécialité pharmaceutique. Viennent enfin les dispensateurs que sont les pharmacies hospitalières ou les officines. En tant qu'industriels du médicament, nous jouons un rôle, mais c'est toute la chaîne pharmaceutique qu'il faut considérer dans son ensemble.
Les causes de ruptures sont elles-mêmes multifactorielles. Une enquête du syndicat Les entreprises du médicament (Leem) de 2013 en relève trois : l'augmentation des besoins et les capacités associées, les techniques de production et les substances actives.
Les besoins mondiaux croissent de 6 % par an et les capacités de production peinent à s'ajuster. La chimie des substances actives s'est largement délocalisée voilà une quinzaine d'années vers l'Inde ou la Chine pour des raisons de coût et d'environnement. Elle se raréfie et nous souffrons parfois d'un manque cruel de certaines molécules. Nous pourrions l'illustrer avec l'affaire des héparines contaminées qui remonte à plus de dix ans : la falsification des produits avait entraîné un certain nombre d'inspections dans les pays incriminés et d'arrêt de la production chez plusieurs fournisseurs de substances actives. On assiste désormais à un phénomène inverse, avec le développement de normes environnementales dans les pays asiatiques qui se conjugue à la raréfaction des fournisseurs de substances actives. À cela s'ajoute la fragmentation des chaînes de production et de distribution, avec des augmentations de temps de cycle qui obligent à prévoir des stocks à chaque étape, ce qui complexifie l'enchaînement. L'accès aux soins se développe et la prévisibilité des marchés est difficile à anticiper ; or il faut garantir une équité de traitement pour tous les patients. Je prends pour exemple l'expression d'un vrai besoin sur la classe des antituberculeux dans le contexte des mouvements migratoires que nous observons aujourd'hui. Des problèmes sur un produit peuvent provoquer un effet domino sur l'ensemble d'une classe concernée. C'est ce qui s'est produit avec les antibiotiques, à la suite de la fermeture d'usines chinoises. Les aléas sont beaucoup plus importants que par le passé.
Dans le cadre de l'affaire du Lévothyrox®, Sanofi a été sollicité pour pallier cette difficulté temporaire qui nous a amenés avec une mobilisation maximale et rapide à importer de la L-thyroxine allemande avant de l'enregistrer en France.
L'industrie pharmaceutique est en outre une industrie de pointe très réglementée pour la sécurité du patient. Les lots rejetés lors des contrôles sont jetés, ce qui peut avoir des conséquences. Tout changement dans la chaîne de production fait l'objet d'une approbation par les autorités de santé, suivant de longs processus différents d'un pays à l'autre. Il faut deux à trois ans pour changer un site de production. La fabrication de produits stériles faisant intervenir des actifs délicats à manipuler demande des ateliers dédiés et des usines très spécialisées. Les temps de cycles sont parfois très longs : un an pour le Lovenox®, deux ans pour un corticoïde injectable, parfois plus pour les vaccins. L'industrie du médicament favorise un dialogue étroit avec les autorités de santé pour conserver une certaine souplesse d'adaptation aux contraintes réglementaires en fonction de situations critiques.
Pour finir, le contexte économique peut aussi alimenter des situations de rupture, avec des prix des médicaments qui sont en France, en règle générale, inférieurs à ceux pratiqués dans d'autres pays européens.