Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 2 juillet 2020 à 11h05
Institutions européennes — Table ronde franco-allemande sur le thème : « quel projet allemand pour l'europe ? » autour de m. nicolas baverez économiste avocat contributeur à l'institut montaigne mme claire demesmay directrice du programme relations franco-allemandes du dgap deutsche gesellschaft für auswärtige politik institut allemand de politique étrangère mm. jean-dominique giuliani président de la fondation robert schuman et hans stark conseiller pour les relations franco-allemandes à l'institut français des relations internationales professeur de civilisation allemande à l'université de la sorbonne

Photo de Jean BizetJean Bizet, président de la commission des affaires européennes :

Bonjour à tous. Je remercie pour leur présence, Nicolas Baverez ainsi que Claire Demesmay, Jean-Dominique Giuliani et Hans Stark.

Je salue également mes collègues sénateurs, qui sont présents au Sénat ou en visioconférence. La présidence du Conseil de l'Union européenne est confiée à l'Allemagne depuis le 1er juillet dernier, au moment où l'Union européenne doit sortir de la crise la plus profonde de son histoire. L'Union européenne est désormais présidée par son État membre le plus puissant. La Commission européenne est également présidée par une ressortissante allemande. Cette coïncidence doit permettre une relance forte, au moment où l'Allemagne ressort renforcée de la crise sanitaire et a fait preuve de son engagement européen en proposant, avec la France, un plan de relance inédit. Celui-ci repose sur la création d'un fonds de relance ambitieux, temporaire et ciblé, adossé au prochain cadre financier pluriannuel.

Compte tenu du caractère exceptionnel des difficultés liées à la pandémie de Covid-19, la France et l'Allemagne proposent que la Commission Européenne soit habilitée à emprunter sur les marchés au nom de l'Union, afin que 500 milliards d'euros de subventions soient octroyés aux secteurs et régions les plus touchés. Cette proposition constitue un tournant majeur de la politique européenne. Il intervient alors que l'Union européenne fait face à un défi existentiel, le Brexit la privant d'un membre éminent et le virus lui ayant fait courir un risque d'éclatement.

Au printemps, la pandémie a servi de révélateur de la fragilité de la construction européenne. L'incapacité de l'Europe à agir face au virus a réveillé les réflexes nationalistes. De fait, comme la crise migratoire l'avait déjà montré, la solidarité européenne n'est pas une évidence. La pandémie a également mis en exergue la dépendance de l'Europe envers l'extérieur, notamment envers l'Asie.

Aujourd'hui, l'Allemagne semble prête à tout pour sauver la construction européenne et intitule le programme de sa présidence « Tous ensemble pour relancer l'Europe ». Même en insistant sur le caractère exceptionnel et temporaire de sa démarche, l'Allemagne innove en soutenant le principe d'une dette contractée par l'Europe pour soutenir les pays les plus touchés par la pandémie. Elle rompt ainsi avec le modèle de l'orthodoxie budgétaire qui justifiait son intransigeance envers la Grèce il y a cinq ans. Elle affiche son ambition de donner à l'Europe une capacité d'agir. Jusqu'alors partisane du libre-échange, elle promeut désormais l'autonomie technologique et sanitaire de l'Europe. Comme la France, elle envisage une révision de la politique de concurrence pour soutenir les entreprises européennes sur les marchés mondiaux.

L'Allemagne serait-elle devenue plus européenne que multilatéraliste ? Néanmoins, son tribunal constitutionnel a rendu début mai une décision marquante, qui remet en cause la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne (BCE) et refuse de reconnaître la primauté de l'ordre juridique européen.

En matière de défense, l'Allemagne ne semble pas prête à échanger l'alliance américaine, même défaillante, contre une hypothétique défense européenne s'appuyant sur la France.

Nous pouvons donc nous demander si nous assistons vraiment à une mutation du projet allemand pour l'Europe. Existe-t-il d'ailleurs un projet allemand pour l'Europe ? L'Allemagne a toujours eu des réticences à concevoir un dessein pour l'Europe et à assurer un leadership. Quelle est la place de la France et des autres États membres dans la vision allemande de l'Europe ? Enfin, cette vision survivra-t-elle au départ d'Angela Merkel ?

Toutes ces questions nous préoccupent. C'est la raison pour laquelle nous avons fait appel à des experts, que je remercie pour leur présence aujourd'hui. Nous aborderons successivement deux thématiques. La première thématique est d'ordre institutionnel, voire géopolitique : Comment l'Allemagne entend-elle articuler sa souveraineté nationale avec la souveraineté européenne, qu'elle reconnaît désormais comme un objectif de moyen terme ? Derrière cette question se profile un questionnement sur la notion de puissance : comment l'Allemagne appréhende-t-elle cette notion, à quelle échelle et avec quelles déclinaisons politiques ?

La seconde thématique est d'ordre économique. La zone euro est menacée par les « incartades » de la cour de Karlsruhe et par les trajectoires divergentes de ses membres. L'Euro a-t-il un avenir ? Comment l'Allemagne l'envisage-t-il ?

Je salue Nicolas Baverez, qui compte parmi les économistes les plus écoutés aujourd'hui. Vous contribuez aux travaux de l'Institut Montaigne qui a souligné, dans une note remarquée de mai dernier, la nécessité de faire converger les économies européennes, notamment en favorisant une augmentation du temps de travail en France. Un tel propos est provocateur, mais frappé au coin du bon sens.

Nous accueillons également Claire Demesmay, spécialiste des relations franco-allemandes, qui vient de publier une note intéressante sur les défis et enjeux de la présidence allemande.

Je souhaite également la bienvenue à Hans Stark, professeur de civilisation allemande à la Sorbonne. Merci de nous faire bénéficier de votre expertise de longue date sur le couple franco-allemand.

Je salue enfin le président de la fondation Robert Schuman, qui connaît aussi bien l'Europe que le Sénat.

Je vous propose d'aborder en premier la question de la souveraineté vue d'Allemagne.

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