Je suis ravie d'être présente parmi vous. La crise sanitaire présente au moins l'avantage de me permettre d'être à Berlin tout en participant en direct à cette réunion.
Je suis d'accord avec Nicolas Baverez lorsqu'il affirme que le concept de souveraineté s'applique à la nation. Traditionnellement, l'Allemagne est très prudente quant à l'emploi du terme de « souveraineté européenne ». En effet, en Allemagne, l'approche de la politique européenne est très juridique. Le Bundestag est le seul représentant souverain, ce qui rend difficile l'usage de la notion de souveraineté européenne. S'agissant de ces questions de souveraineté nationale et européenne, la cour constitutionnelle de Karlsruhe est très vigilante sur l'utilisation du terme de souveraineté.
De plus, les réticences de l'Allemagne à employer le terme de souveraineté européenne se traduisent aussi dans sa politique industrielle. L'Allemagne est loin d'appliquer une logique colbertiste. Elle ne revendique pas d'intervention de l'État directement dans les questions économiques et industrielles.
Pour autant, les discours changent aujourd'hui. La crise sanitaire a fait émerger une conscience, et a accéléré une prise de conscience des dépendances européennes vis-à-vis de grandes puissances étrangères et de la nécessité de les limiter. Le déclencheur a été le constat qu'il est aujourd'hui en Europe difficile d'accéder à des produits pharmaceutiques fabriqués en Asie (Chine et Inde). La dépendance vis-à-vis de la Chine se situe au centre de cette problématique, dans un contexte de violation des droits de l'Homme dans ce pays.
La chancelière fédérale a parlé de souveraineté européenne le 18 mai. Elle en a reparlé il y a quelques jours lors de la rencontre franco-allemande de Meseberg. Elle n'est pas la seule : les ministres allemands de l'économie, de la santé et des affaires étrangères en ont également parlé.
Ces évolutions signifient que les efforts visant à rendre l'Union européenne plus indépendante se concentrent sur les grandes questions stratégiques que sont la santé et la technologie. L'Allemagne soutient une politique pharmaceutique et de santé européenne, notamment à travers la constitution de stocks de médicaments et de matériels, ainsi qu'à travers la relocalisation d'une partie de la production. Néanmoins, la prudence reste de mise sur ces questions, car la politique reste distante des dossiers industriels et la santé est un sujet nouveau à l'échelon européen.
Sur les questions technologiques, la logique est similaire. La crise sanitaire a souligné le caractère stratégique des questions digitales. Les questions de cloud européen et d'intelligence artificielle mobilisent l'Allemagne et la France sur le plan bilatéral.
L'indépendance européenne présente aussi des limites. Ainsi, tous les sujets ne sont pas concernés. La défense européenne est loin d'être une réalité. De même, l'Allemagne ne souhaite pas se replier sur le marché européen ; la relocalisation totale de la production industrielle en Europe n'est pas d'actualité pour l'Allemagne. L'objectif est surtout de diversifier les partenariats, pour réduire la dépendance à la Chine. Il importe aussi de parler d'une seule voix face aux grandes puissances mondiales et d'éviter les divisions européennes.
De même, les règles du libre-échange international ne changent pas. L'Allemagne reste attachée au commerce international. Les exportations continueront de rester essentielles pour son économie. L'Allemagne souhaite notamment qu'un accord commercial soit rapidement conclu avec les pays du Mercosur.
Aujourd'hui, il existe une prise de conscience profonde, qui ne se traduit pas encore en termes d'agenda politique, mais a permis d'engager un débat. Les conditions sont favorables pour avancer sur ces questions, tant à l'échelle européenne que sur le plan bilatéral franco-allemand.