Intervention de Hans Starck

Commission des affaires européennes — Réunion du 2 juillet 2020 à 11h05
Institutions européennes — Table ronde franco-allemande sur le thème : « quel projet allemand pour l'europe ? » autour de m. nicolas baverez économiste avocat contributeur à l'institut montaigne mme claire demesmay directrice du programme relations franco-allemandes du dgap deutsche gesellschaft für auswärtige politik institut allemand de politique étrangère mm. jean-dominique giuliani président de la fondation robert schuman et hans stark conseiller pour les relations franco-allemandes à l'institut français des relations internationales professeur de civilisation allemande à l'université de la sorbonne

Hans Starck :

Je vous prie de m'excuser pour ce contretemps. J'insistais sur le fait que le plan franco-allemand du 18 mai constitue un changement de paradigme par rapport à la position allemande vis-à-vis de la gouvernance budgétaire et financière de l'Union européenne.

En mars dernier, l'Allemagne affichait encore une forme de fermeté. Cette position a suscité des critiques, y compris en Allemagne. Certains ont en effet considéré qu'il n'était pas possible de traiter la crise sanitaire de 2020 comme la crise de la dette de 2010-2012, dans la mesure où la crise sanitaire est un événement extérieur qui se rattache davantage à l'article 122 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'à des conditions de mauvaise gouvernance budgétaire au sein des États membres.

La France ne partageait pas la position allemande. A la fin du mois de mars, la France et huit autres États ont signé une lettre en faveur de la mise en place des « Coronabonds ». À trois mois de sa présidence, il était impératif pour l'Allemagne de se rapprocher de la France, cette présidence ne pouvant réussir qu'à la condition d'une convergence franco-allemande.

La prise en compte du contexte économique s'ajoute à ces éléments. En effet, l'Union européenne et l'Eurozone subissent le décrochage économique entre ses États membres. Le taux de chômage, la balance commerciale et la balance des paiements sont des paramètres qui différencient notamment de plus en plus la France de l'Allemagne depuis 2010-2012. Ce processus de décrochage risquait de s'accroître avec la crise sanitaire de 2020.

L'Allemagne dispose d'une force de frappe à l'échelle nationale équivalente à celle des 26 autres États membres. Ainsi, sans ce plan de relance du 18 mai, elle se sortirait beaucoup mieux de la crise que les 26 autres États membres, ce qui aurait accentué le décrochage entre États membres et donc menacé le marché unique. Or le marché unique est au coeur du projet européen.

L'Allemagne n'ayant pas de réelle alternative aujourd'hui, elle fait un pari différent de celui de 2010. À l'époque, elle s'est tournée vers les pays émergents pour y orienter son excédent commercial (250 milliards d'euros chaque année). Or ces pays émergents (Chine, Brésil, Russie), auxquels s'ajoutent les États-Unis, sont de moins en moins des partenaires. Les États-Unis restent un partenaire, mais un partenaire difficile, qui a sanctionné l'Allemagne, y compris sur le plan militaire avec l'annonce du retrait d'un tiers des soldats américains. La politique de la Chine et celle du Brésil montrent que ces pays ne peuvent plus être considérés comme des partenaires par l'Allemagne. L'Union européenne reste donc le principal foyer de stabilité et d'architecture multilatérale pour l'Allemagne. Il est ainsi impératif pour l'Allemagne de stabiliser le marché unique.

Aujourd'hui, nous rentrons donc dans une logique de politique économique keynésienne à laquelle l'Allemagne est favorable. Une forte coopération franco-allemande est aujourd'hui possible. Toutefois, le keynésianisme allemand est plutôt contra-cyclique, alors que le keynésianisme français est pro-cyclique. L'Allemagne a certes donné son accord à un plan de relance de 500 milliards d'euros, mais elle ne renoncera pas à une politique marquée par des équilibres budgétaires.

La cour constitutionnelle de Karlsruhe n'est pas un acteur politique comme le gouvernement fédéral. Cette précision étant apportée, il est vrai que la cour s'interroge sur la proportionnalité de la politique de la BCE (quantitative easing). En effet, cette politique n'est pas évoquée dans les traités européens et constitue en fait une politique de soutien aux États. Une clarification est donc nécessaire. La cour constitutionnelle a également soulevé la problématique des taux d'intérêt très bas, qui est dissuasive pour l'épargne alors que les Allemands épargnent beaucoup. L'argent se détourne alors des voies classiques et se retrouve dans l'immobilier. Les taux d'intérêt très bas ont conduit à une hausse des prix immobiliers en Allemagne : de nombreuses familles des classes moyennes ont dû quitter les centres-ville, notamment à Berlin.

En conclusion, les intérêts suprêmes de l'Allemagne sont une Europe stable et dont la cohésion économique est assurée.

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