Intervention de Nicolas Baverez

Commission des affaires européennes — Réunion du 2 juillet 2020 à 11h05
Institutions européennes — Table ronde franco-allemande sur le thème : « quel projet allemand pour l'europe ? » autour de m. nicolas baverez économiste avocat contributeur à l'institut montaigne mme claire demesmay directrice du programme relations franco-allemandes du dgap deutsche gesellschaft für auswärtige politik institut allemand de politique étrangère mm. jean-dominique giuliani président de la fondation robert schuman et hans stark conseiller pour les relations franco-allemandes à l'institut français des relations internationales professeur de civilisation allemande à l'université de la sorbonne

Nicolas Baverez, avocat, contributeur à l'Institut Montaigne :

S'agissant de la question du Brexit, l'Allemagne a perdu toute illusion sur le Royaume-Uni. Elle a tout fait pour donner plus de délais aux Britanniques pour qu'ils reviennent éventuellement sur le référendum. L'Allemagne n'a ensuite pas ménagé ses efforts pour trouver un accord. Au final, le Brexit sera dominé par la stratégie de Boris Johnson, qui semble consister à masquer la gestion de crise désastreuse de la Covid-19 par une sortie de l'Union européenne sans accord. L'Allemagne risque de se retrouver en position de greffier actant la sortie du Royaume-Uni sans accord.

En matière de relance économique, il importe qu'une dimension écologique soit présente, mais celle-ci ne doit pas être la seule. Trois volets permettent de fonder cette relance : intégrer le green deal, prendre en compte le numérique et s'intéresser à la résilience et à la sécurité (santé, défense). Compte tenu des délais de décision et de mise en place, les fonds européens arriveront dans le meilleur des cas en 2022 ou en 2023. Il faut donc articuler ce soutien européen à terme avec des plans de relance nationaux immédiats. Le principal impact de la crise économique est enregistré dès aujourd'hui, avec les faillites et le chômage. Les plans de relance nationaux doivent donc être accélérés et « faire le pont » entre le confinement et l'arrivée de l'argent européen.

Concernant l'euro, la ligne générale est la même. La monnaie n'a pas le même rôle pour les Allemands que pour les autres européens. L'Allemagne s'est faite par trois fois autour de sa monnaie (en 1871, 1949 et 1991). La monnaie est donc extrêmement importante pour elle et se situe au coeur de la culture de stabilité allemande. Cependant, les principes de Maastricht ont été posés par l'Allemagne en dehors des crises. Et la gestion de la double crise du krach de 2008 et de l'euro de 2010 a été largement ratée. La restructuration grecque a ainsi été peu glorieuse. Il a fallu attendre 2015 pour que l'activité reparte en Europe, alors qu'elle a redémarré dès 2009 aux États-Unis et au Royaume-Uni.

La cour de Karlsruhe a rendu service à tout le monde. Les États européens ont délégué la gestion de la politique économique à la BCE, à la limite des traités, ce qui leur a en outre permis de se désengager et de ne pas opérer d'accompagnement budgétaire. La cour de Karlsruhe a eu raison de poser ce problème. Ce signal d'alarme doit conduire à un rééquilibrage, qui est sain.

Ce changement de paradigme dont parlait Hans Stark vaut également pour l'euro. En 2020, la réactivité a ainsi été beaucoup plus forte qu'en 2008, et la solidarité a été une réalité. La place de l'Allemagne sera centrale. L'Allemagne est ainsi un point d'équilibre entre les pays du sud et les pays « frugaux ». Elle a bien compris que l'éclatement de l'euro entraînerait l'éclatement du marché unique ; il en va de son intérêt vital de l'éviter. L'Allemagne doit s'engager beaucoup plus dans l'union bancaire et dans l'union des marchés de capitaux. Le processus doit néanmoins s'inscrire dans le respect de l'État de droit à l'allemande (respect des traités, respect du parlement allemand et respect du parlement européen).

Le dialogue franco-allemand sera crucial : si la France arrive à se redresser et à éviter que la dette passe de 120 à 160 % du PIB, l'Allemagne pourra continuer à réassurer la zone euro tout en étant solidaire. Si la France doit diverger, la fin de la monnaie unique sera inévitable.

Je m'excuse auprès de tous de devoir vous quitter.

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