L'éclatement de l'euro n'est pas inéluctable. Avant d'expliquer ce point de vue, je souhaite revenir sur l'arrêt de la cour de Karlsruhe. Comme l'indique Hans Stark, la cour de Karlsruhe n'affirme pas qu'il existe une primauté du droit allemand sur le droit européen ; elle s'est uniquement prononcée sur la participation allemande à la politique européenne. Dans les faits, si la Bundesbank ne participait plus aux programmes de la BCE, ces programmes seraient remis en question et la BCE aurait les mains liées en raison du poids qu'y représente l'Allemagne.
Il faut distinguer Karlsruhe et Berlin. L'arrêt de Karlsruhe pourrait fragiliser la zone euro, mais il ne faut pas sur-interpréter cette décision sur le plan politique. Le gouvernement fédéral allemand a été silencieux durant les jours qui ont suivi cet arrêt, ce qui a généré de la nervosité chez les partenaires européens. Aujourd'hui, la chancelière Merkel considère que les gouvernements nationaux doivent s'engager davantage en faveur d'une politique économique commune. Le plan franco-allemand du 18 mai dernier répond complètement à cette logique. De même, le ministre des finances allemand estime que la BCE respecte les exigences formulées dans l'arrêt du 5 mai.
Cette position ne vaut pas seulement pour le gouvernement allemand, mais pour la quasi-totalité des partis représentés au Bundestag (CDU-CSU, FDP, SPD et les Verts). Ainsi, ce consensus est large et dépasse les clivages partisans.
La logique de l'apaisement prévaut aujourd'hui. Un changement de paradigme est à l'oeuvre, caractérisé par l'initiative franco-allemande et par le soutien au fonds de relance. Cela ne signifie pas pour autant que l'Allemagne est prête à ouvrir les robinets financiers. La position allemande s'explique par une crise exceptionnelle. La crise que nous vivons aujourd'hui n'est pas liée à une mauvaise gestion budgétaire, mais à un virus. L'approche moralisatrice et punitive de l'Allemagne adoptée en 2010 ne peut donc s'appliquer.
L'Allemagne n'appartient plus au groupe des pays « frugaux », mais elle a posé ses conditions. Ainsi, le fonds de relance est plafonné à 500 milliards d'euros alors que la France avait proposé 1 500 milliards d'euros. Surtout, le fonds est limité dans le temps. Il constitue ainsi un mécanisme exceptionnel qui n'a pas vocation à être pérennisé, ce qui répond à une logique politique et constitutionnelle en Allemagne. Sur le plan politique, l'opinion publique allemande accepte mieux ce genre de mécanisme. Il ne faut pas exclure une plus grande souplesse à l'avenir, tout en restant prudent à ce stade.
Enfin, la question du contrôle et de la conditionnalité reste centrale. L'Allemagne n'est pas prête à s'engager dans une Union de transferts dans laquelle les États les plus riches verseraient durablement des subsides aux États les plus pauvres si la question du contrôle n'est pas réglée.