Je vous remercie pour l'initiative de cette mission d'information. L'enseignement agricole a besoin d'être accompagné. Je vous propose de répondre rapidement aux questions que vous nous avez adressées. Je vous remettrai en outre un document plus complet avant le 15 avril.
L'enseignement agricole est important et votre analyse de ses enjeux nous intéresse fortement. Nous parlons d'un enseignement professionnel qui se trouve au coeur des préoccupations de la société. Nous formons des jeunes qui seront demain chargés d'assurer la sécurité et l'autonomie alimentaires du pays, y compris dans son volet de transformation. Nous formons, dans les filières services, des jeunes qui auront en charge les personnes vulnérables. Nous formons des jeunes qui auront en charge la gestion du milieu naturel.
L'enseignement agricole est au coeur de nos préoccupations alimentaires mais aussi de nos préoccupations à caractère transversal. Tout le monde parle du climat. Comment les agriculteurs pourront-ils prendre cet aspect-là en compte ? Comment pourront-ils assurer la gestion des sols, la gestion de l'eau, tenir compte des problèmes de pollution ? L'environnement ne doit pas nier le développement économique, il doit au contraire en être une composante. Il est important de l'inculquer aux jeunes tout en sachant qu'ils feront ensuite leurs propres choix. Nous préparons les agriculteurs à des approches systémiques. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur les cinq missions de l'enseignement agricole, déterminées par la loi de 1984 dont je salue le caractère prophétique.
L'enseignement agricole représente 160 000 élèves, dont à peu près un tiers pour le CNEAP. Les situations varient selon les régions. Le CNEAP totalise 180 établissements et 50 000 apprenants, dont 35 % internes. L'internat est un atout pour la formation car il représente souvent la première expérimentation du vivre ensemble.
Nous souffrons cependant de fragilités importantes. D'abord, nous sommes petits : nous accueillons 160 000 élèves tandis que chaque rectorat en totalise environ un million. Nous sommes néanmoins pertinents dans nos missions. Nous sommes dispersés au niveau des familles d'enseignement agricole et au niveau des territoires, ceux-ci n'ayant pas tous les mêmes finalités. Nous avons besoin que le monde politique nous accompagne d'autant plus que nous avons du mal à nous faire entendre. En tant que représentants du CNEAP, nous n'avons jamais été reçus par le ministre de l'agriculture, Monsieur Denormandie. Je trouve cela désolant, alors que nous sommes chargés de former des acteurs fondamentaux de la société de demain.
Notre recrutement est un peu difficile mais il se déroule plutôt bien, malgré une légère baisse. Un travail important doit être accompli pour mieux faire connaître l'enseignement agricole. Près de 40 % de nos élèves arrivent par le bouche à oreille, un certain nombre par Internet ou par les lycées. Notre challenge consiste à renouveler les 40 % d'agriculteurs qui vont quitter le secteur dans les années qui viennent. En Bretagne, nous avons aujourd'hui 600 emplois non satisfaits.
Comment combler cet écart entre la forte demande en termes d'emplois et les difficultés de recrutement de l'enseignement agricole ? Nous avons lancé un projet pour le CNEAP visant à progresser et à relever ce défi. Nous avons la volonté d'être acteurs et d'initier de nouvelles dynamiques dans nos établissements. Le CNEAP s'est donc donné pour objectif d'essayer de combiner des activités de formation sous contrat avec l'État à des activités au service du territoire. Nous pourrions initier des activités qui seraient des supports pédagogiques à la formation dispensée. Nous le faisons déjà en matière de production avec les plateaux techniques que sont les exploitations agricoles. Dans le même esprit, nous pouvons imaginer des ateliers et des activités de commerce ou de services au territoire, en partenariat avec les collectivités territoriales, qui seraient parallèlement des outils pour les activités de formation.
Cela se traduit par cinq axes de progrès que vous pourrez découvrir dans un document que nous vous transmettrons. Avant tout, il faut rénover l'activité de formation, entamer une révolution au niveau de l'enseignement agricole. Les modèles économiques standards changent. La formation initiale sous contrat avec l'État doit être complétée par la formation en apprentissage et la formation continue. Cette évolution entraîne une autre approche en matière de relations avec les acteurs de la formation et du territoire. L'initiative « The Land » en Bretagne et le lycée Les Buissonnets à Avrillé, que vous évoquez dans votre questionnaire, mettent en oeuvre ce projet du CNEAP, de manière adaptée aux territoires. Parmi les autres axes, j'insiste sur la volonté d'une gouvernance associative redynamisée. Nos conseils d'administration accueillent des administrateurs qui sont souvent des anciens du monde agricole ou d'autres métiers auxquels nos établissements forment des jeunes, ce qui me semble essentiel. La coopération internationale constitue aussi un moyen d'ouverture pour les jeunes.
Ce projet a été lancé quelques mois avant la loi Pénicaud qui a conforté nos orientations. Un point d'étape était prévu à l'automne dernier, mais il n'a pas pu avoir lieu. Cependant, la situation évolue. Dans la région Nouvelle-Aquitaine, trois lycées du CNEAP proposaient de l'apprentissage deux ans auparavant. Nous en comptons 9 ou 10 aujourd'hui. En Bretagne, nous sommes passés de 8 établissements à 19. Le mouvement est analogue partout en France.
Jusqu'à récemment, les relations privilégiées avec le ministère de l'agriculture faisaient que la dimension concurrentielle entre les différentes familles de l'enseignement agricole était contenue. Demain, avec la multiplication de ces différentes voies de formation, cela sera plus compliqué, ce qui nous a amenés à remettre en cause notre convention collective. Jusqu'à présent, nous avons constaté davantage de coopération que de concurrence, bien que celle-ci existe. Concernant les relations avec l'Éducation nationale, nous sommes tout petits et nous avons parfois des difficultés à nous faire entendre dans les territoires.
L'enseignement agricole dépend surtout de la volonté des hommes qui le portent. Il représente une chance formidable à condition que la collectivité y investisse les moyens suffisants. Je salue à ce propos la prise de position de Nathalie Delattre lors de l'examen du projet de loi de finances. Lorsque nous voyons la différence de coût unitaire de formation par élève pour l'État (CUFE) entre le public et le privé ainsi que la part de l'éducation professionnelle dans le budget de l'Éducation nationale, nous avons le sentiment que nous sommes les parents pauvres, alors que notre mission est fondamentale. L'enseignement agricole est moderne car il appréhende les questions actuelles de société : l'alimentation, la gestion des ressources, la transition écologique, la recherche d'équilibre entre les territoires et les défis d'allongement de la durée de vie.