Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Jean Salmon, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), et M. Philippe Poussin, secrétaire général du CNEAP.
Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de participer à nos travaux. Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Il représente un atout indispensable pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture et permettre à l'agriculture française de répondre aux défis de demain. Nous n'oublions pas que l'animation et le développement des territoires est l'une des missions de l'enseignement agricole.
M. le Président Salmon, vous avez présidé la chambre d'agriculture de Bretagne. Vous avez été à la fois vice-président de la FNSEA et de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et vous avez alors mené une réflexion particulière sur le rapport entre agriculture et environnement. Avant de prendre la tête du CNEAP en décembre 2020, vous avez également présidé la Fédération familiale nationale pour l'enseignement agricole privé. Cette expérience est certainement très précieuse pour analyser les enjeux auxquels l'enseignement agricole est aujourd'hui confronté et pour lui permettre d'innover.
Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Pas uniquement pour produire, mais aussi pour transformer et pour vendre. Nous souhaitons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission aujourd'hui, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui.
La première des contraintes, c'est probablement la contrainte budgétaire. Pour pouvoir pleinement remplir son rôle, l'enseignement agricole, dans sa diversité, doit avoir les moyens de fonctionner correctement. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait tiré la sonnette d'alarme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.
Je propose donc que vous puissiez nous présenter votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure, pendant 10 à 15 minutes. Je passerai ensuite la parole à Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
Je vous remercie pour l'initiative de cette mission d'information. L'enseignement agricole a besoin d'être accompagné. Je vous propose de répondre rapidement aux questions que vous nous avez adressées. Je vous remettrai en outre un document plus complet avant le 15 avril.
L'enseignement agricole est important et votre analyse de ses enjeux nous intéresse fortement. Nous parlons d'un enseignement professionnel qui se trouve au coeur des préoccupations de la société. Nous formons des jeunes qui seront demain chargés d'assurer la sécurité et l'autonomie alimentaires du pays, y compris dans son volet de transformation. Nous formons, dans les filières services, des jeunes qui auront en charge les personnes vulnérables. Nous formons des jeunes qui auront en charge la gestion du milieu naturel.
L'enseignement agricole est au coeur de nos préoccupations alimentaires mais aussi de nos préoccupations à caractère transversal. Tout le monde parle du climat. Comment les agriculteurs pourront-ils prendre cet aspect-là en compte ? Comment pourront-ils assurer la gestion des sols, la gestion de l'eau, tenir compte des problèmes de pollution ? L'environnement ne doit pas nier le développement économique, il doit au contraire en être une composante. Il est important de l'inculquer aux jeunes tout en sachant qu'ils feront ensuite leurs propres choix. Nous préparons les agriculteurs à des approches systémiques. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur les cinq missions de l'enseignement agricole, déterminées par la loi de 1984 dont je salue le caractère prophétique.
L'enseignement agricole représente 160 000 élèves, dont à peu près un tiers pour le CNEAP. Les situations varient selon les régions. Le CNEAP totalise 180 établissements et 50 000 apprenants, dont 35 % internes. L'internat est un atout pour la formation car il représente souvent la première expérimentation du vivre ensemble.
Nous souffrons cependant de fragilités importantes. D'abord, nous sommes petits : nous accueillons 160 000 élèves tandis que chaque rectorat en totalise environ un million. Nous sommes néanmoins pertinents dans nos missions. Nous sommes dispersés au niveau des familles d'enseignement agricole et au niveau des territoires, ceux-ci n'ayant pas tous les mêmes finalités. Nous avons besoin que le monde politique nous accompagne d'autant plus que nous avons du mal à nous faire entendre. En tant que représentants du CNEAP, nous n'avons jamais été reçus par le ministre de l'agriculture, Monsieur Denormandie. Je trouve cela désolant, alors que nous sommes chargés de former des acteurs fondamentaux de la société de demain.
Notre recrutement est un peu difficile mais il se déroule plutôt bien, malgré une légère baisse. Un travail important doit être accompli pour mieux faire connaître l'enseignement agricole. Près de 40 % de nos élèves arrivent par le bouche à oreille, un certain nombre par Internet ou par les lycées. Notre challenge consiste à renouveler les 40 % d'agriculteurs qui vont quitter le secteur dans les années qui viennent. En Bretagne, nous avons aujourd'hui 600 emplois non satisfaits.
Comment combler cet écart entre la forte demande en termes d'emplois et les difficultés de recrutement de l'enseignement agricole ? Nous avons lancé un projet pour le CNEAP visant à progresser et à relever ce défi. Nous avons la volonté d'être acteurs et d'initier de nouvelles dynamiques dans nos établissements. Le CNEAP s'est donc donné pour objectif d'essayer de combiner des activités de formation sous contrat avec l'État à des activités au service du territoire. Nous pourrions initier des activités qui seraient des supports pédagogiques à la formation dispensée. Nous le faisons déjà en matière de production avec les plateaux techniques que sont les exploitations agricoles. Dans le même esprit, nous pouvons imaginer des ateliers et des activités de commerce ou de services au territoire, en partenariat avec les collectivités territoriales, qui seraient parallèlement des outils pour les activités de formation.
Cela se traduit par cinq axes de progrès que vous pourrez découvrir dans un document que nous vous transmettrons. Avant tout, il faut rénover l'activité de formation, entamer une révolution au niveau de l'enseignement agricole. Les modèles économiques standards changent. La formation initiale sous contrat avec l'État doit être complétée par la formation en apprentissage et la formation continue. Cette évolution entraîne une autre approche en matière de relations avec les acteurs de la formation et du territoire. L'initiative « The Land » en Bretagne et le lycée Les Buissonnets à Avrillé, que vous évoquez dans votre questionnaire, mettent en oeuvre ce projet du CNEAP, de manière adaptée aux territoires. Parmi les autres axes, j'insiste sur la volonté d'une gouvernance associative redynamisée. Nos conseils d'administration accueillent des administrateurs qui sont souvent des anciens du monde agricole ou d'autres métiers auxquels nos établissements forment des jeunes, ce qui me semble essentiel. La coopération internationale constitue aussi un moyen d'ouverture pour les jeunes.
Ce projet a été lancé quelques mois avant la loi Pénicaud qui a conforté nos orientations. Un point d'étape était prévu à l'automne dernier, mais il n'a pas pu avoir lieu. Cependant, la situation évolue. Dans la région Nouvelle-Aquitaine, trois lycées du CNEAP proposaient de l'apprentissage deux ans auparavant. Nous en comptons 9 ou 10 aujourd'hui. En Bretagne, nous sommes passés de 8 établissements à 19. Le mouvement est analogue partout en France.
Jusqu'à récemment, les relations privilégiées avec le ministère de l'agriculture faisaient que la dimension concurrentielle entre les différentes familles de l'enseignement agricole était contenue. Demain, avec la multiplication de ces différentes voies de formation, cela sera plus compliqué, ce qui nous a amenés à remettre en cause notre convention collective. Jusqu'à présent, nous avons constaté davantage de coopération que de concurrence, bien que celle-ci existe. Concernant les relations avec l'Éducation nationale, nous sommes tout petits et nous avons parfois des difficultés à nous faire entendre dans les territoires.
L'enseignement agricole dépend surtout de la volonté des hommes qui le portent. Il représente une chance formidable à condition que la collectivité y investisse les moyens suffisants. Je salue à ce propos la prise de position de Nathalie Delattre lors de l'examen du projet de loi de finances. Lorsque nous voyons la différence de coût unitaire de formation par élève pour l'État (CUFE) entre le public et le privé ainsi que la part de l'éducation professionnelle dans le budget de l'Éducation nationale, nous avons le sentiment que nous sommes les parents pauvres, alors que notre mission est fondamentale. L'enseignement agricole est moderne car il appréhende les questions actuelles de société : l'alimentation, la gestion des ressources, la transition écologique, la recherche d'équilibre entre les territoires et les défis d'allongement de la durée de vie.
Je vous remercie de vos mots mais je précise que je n'ai fait que porter la voix de l'unanimité des sénateurs et sénatrices et qu'un collectif très fort nous a poussés à mettre en place cette mission.
J'aimerais que vous fassiez un bilan de l'impact de la crise de la covid-19 sur l'état de vos finances. Sur les 10 millions d'euros d'enveloppe d'urgence, combien avez-vous touché ?
Je prends acte de ce que vous avez dit sur la complémentarité et la concurrence de l'Éducation nationale. Je note surtout que le ministre de l'agriculture ne vous a pas encore reçus et qu'il n'a visité aucun de vos établissements. Pensez-vous que c'est parce que vous êtes un organisme privé ? Pensez-vous que cette question pose un problème dans le futur de l'enseignement agricole ? Existe-t-il d'après vous une volonté de diminuer la part du privé dans cet enseignement, au profit du public ?
Comment travaillez-vous sur la carte scolaire en partenariat avec les filières et avec les acteurs locaux ? Pouvez-vous nous parler des initiatives « The land » en Bretagne et du lycée du futur Les Buissonnets à Avrillé ?
Enfin, qu'évoque pour vous le projet Hectar, lancé par Xavier Niel avec Audrey Bourolleau ?
Dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons touché 1,2 million d'euros, ciblés sur les établissements les plus en difficulté pour éviter le phénomène saupoudrage qui se serait révélé inefficace. Nous nous sommes efforcés de flécher l'argent qui nous a été alloué vers ceux qui en avaient le plus besoin. Nous avons donc reçu 10 % de l'enveloppe de 10 millions d'euros, alors que nous représentons 30 % des effectifs.
En additionnant le 1,2 million d'euros pour le CNEAP au 1,7 million pour les MFR, cela signifie qu'environ 7 millions d'euros ont été attribués au public et 3 millions d'euros au privé.
Avec les MFR, nous représentons 60 % de l'activité de l'enseignement agricole.
Je précise qu'en termes de mouvements de l'emploi, il nous est demandé des rendus de postes qui dépassent notre quote-part. Je laisse Philippe Poussin l'expliciter, mais nous avons le sentiment de ne pas être les mieux traités.
En ce qui concerne la position du ministre, je ne veux pas croire qu'elle soit due au fait que nous soyons des établissements privés. Je ne veux pas le croire mais je comprends votre question.
Nous avons été étonnés de constater que sur l'enveloppe de 10,2 millions d'euros, le ministère ne nous ait affecté que 1,2 million d'euros. Il s'agit d'un phénomène d'inversion des pourcentages. Nous représentons, avec les MFR, 30 % de la dotation d'aide pour 60 % du nombre d'élèves accueillis. Nous savons qu'une deuxième enveloppe est en cours de négociation. Nous espérons qu'elle sera au moins égale, voire plus importante. Nous souhaiterions donc que les établissements de notre secteur qui rencontrent des difficultés soient aidés à la hauteur de ce que nous représentons.
Pour la première enveloppe, nous avons rencontré une difficulté technique. Au départ, l'aide était octroyée pour combler les pertes d'activité liées à la crise sanitaire du printemps dernier. Cependant, l'aide a finalement été accordée dans l'hypothèse d'investissements futurs sur l'année 2021, et non plus sur la base des pertes occasionnées par la crise. Les deux critères sont recevables mais ont changé en cours de route. C'est pourquoi nous souhaitons savoir le plus rapidement possible sur quoi porte la nouvelle enveloppe, car les critères d'éligibilité des établissements ne sont pas les mêmes.
Il nous avait été demandé de distinguer une vingtaine d'établissements particulièrement touchés par la crise en nous basant sur trois ratios financiers. Mais les critères ayant changé, les établissements sélectionnés n'étaient plus nécessairement éligibles. La DGER était étonnée que nous n'ayons sélectionné que 20 établissements alors que la totalité des établissements publics s'étaient reconnus en difficulté. C'est peut-être la raison pour laquelle les établissements publics ont reçu davantage. La règle du jeu n'a pas été clairement définie. Dans l'hypothèse d'une deuxième enveloppe, nous avons signifié à la DGER qu'il fallait que la règle soit connue avant.
Concernant le rendu d'emplois et le schéma d'emplois négatif, les emplois financés par l'État concernent uniquement des enseignants. Dans la mesure où nous représentons environ 30 % du nombre d'enseignants, la DGER considère que nous devons représenter 30 % du rendu d'emplois, en y intégrant, comme dans le secteur public, des emplois administratifs ou techniques. Cela crée un déséquilibre. On peut d'ailleurs remarquer que lorsque des créations d'emploi sont décidées, seuls les enseignants sont concernés.
En ce qui concerne Hectar, nous nous contentons pour l'instant d'observer le projet. Il s'agirait d'une école gratuite mais je rappelle que la gratuité n'existe pas. Nous devons surtout être vigilants à ce que ce projet ne soit pas un véhicule destiné à diffuser des idéologies, portant des messages de manière déséquilibrée en faveur du végétalisme, du naturalisme ou du véganisme, qui desservent une grande partie de l'agriculture.
Je souhaiterais connaître la différence entre l'enseignement privé et l'enseignement public agricole. Pourquoi un élève s'oriente-t-il vers l'un ou l'autre ?
Par ailleurs, dans votre enseignement, faites-vous la différence entre l'agriculture conventionnelle, l'agriculture biologique et l'agriculture de conservation ? Et si vous enseignez cela, enseignez-vous aussi le calcul de rentabilité pour que le jeune puisse faire ses choix et fixer ses orientations ?
J'ai compris que l'État finance les enseignants mais comment financez-vous le reste ? Avez-vous reçu d'autres aides du fait de la covid ?
Par ailleurs, est-ce que les formations ont changé avec les nouveaux enjeux écologiques, l'alimentation, la gestion des ressources ? Avez-vous constaté de nouvelles demandes chez les jeunes ?
Enfin, je ne connais pas d'équivalent des MFR dans le public. Avez-vous connaissance d'autres types d'enseignements qui n'existent que dans le privé ?
Je voudrais savoir à quoi vous attribuez les difficultés de recrutement et comment les corriger. Pouvez-vous nous donner les taux de réussite aux examens en comparaison avec les autres formations, ainsi que le taux d'insertion professionnelle ?
En ce qui concerne le renouvellement générationnel, j'ai été étonnée de constater que beaucoup de jeunes voulaient s'occuper d'animaux et aucun ne voulait être chef d'exploitation. Cela conduit à s'interroger sur la direction des exploitations dans l'avenir. Dressez-vous le même constat ? Il semble de plus en plus difficile d'atteindre la rentabilité des exploitations, ce qui ne donne pas envie aux agriculteurs de poursuivre leur activité et conduit à des exploitations de plus en plus grandes.
Enfin, qui vous accompagne sur vos investissements ?
Nous tentons de donner aux jeunes le maximum d'éléments pour qu'ils puissent choisir leur avenir. Il ne nous appartient pas de décider à leur place. Je suis un agriculteur de la génération des années 1970 où un seul modèle dominant prévalait. Nous nous sommes tous inscrits dans cette démarche car le discours de la collectivité à l'époque insistait sur les nécessités de production. Nous sommes passés d'un modèle agricole unique à des modèles éclatés, avec notamment l'agriculture bio ou les circuits courts. Or comment fonctionnent les circuits courts quand on se trouve au centre de Paris ? Nous sommes en relation avec le monde agricole et les jeunes sont aujourd'hui formés pour raisonner et gérer. Nous leur apprenons les différentes facettes des métiers d'agriculture. Ce sont eux qui choisiront le modèle qui leur convient, en fonction de leur marché ou de leur situation géographique.
Concernant le financement des enseignants, j'aimerais demander à un directeur d'établissement comment il procède.
Je confirme que nous soutenons l'agriculture plurielle, avec la dynamique des transitions que les politiques publiques nous appellent à conduire aujourd'hui. Au ministère de l'agriculture, le programme « Enseigner à produire autrement », lancé il y a 5 ans, est désormais dans sa deuxième phase qui se veut plus ambitieuse et plus transversale. En effet, nous parlons bien des transitions agro-écologiques mais aussi énergétiques, à travers les sujets relatifs à la mobilité. Notre fédération travaille à ce que tous les établissements y prennent leur part, en fonction de leur champ professionnel. Nous sommes ouverts à toutes ces agricultures et il nous incombe d'outiller nos élèves pour leur offrir la capacité de discernement nécessaire pour opérer des choix éclairés.
Les référentiels de gestion, de rénovation en rénovation, sont renforcés en particulier au niveau des BTS, où ils deviennent la partie la majeure de l'enseignement avec l'économie, les politiques agricoles, la gestion des outils et la stratégie.
En ce qui concerne les difficultés de recrutement, les raisons en sont multifactorielles et variables selon les territoires. La question géographique est effectivement une cause de difficulté de recrutement dans certaines zones, mais le point commun, c'est le problème de l'attractivité des métiers.
L'enseignement agricole couvre une diversité de champs professionnels. Dans les filières de production agricole, il faut avant tout que les agriculteurs vivent bien leur métier car ils en sont les premiers ambassadeurs. Nous devons trouver les solutions pour que notre population agricole vive mieux sa situation.
Ce déficit d'attractivité touche aussi la transformation alimentaire qui souffre de la représentation de l'industrie dans l'imaginaire collectif. On fait d'ailleurs parfois le procès de certaines formes d'agro-industrie. Nous touchons à une dimension culturelle sur laquelle nous devons travailler. Nous avons des filières de formation qui préparent des jeunes pour travailler dans cet univers de la transformation et la valorisation des produits agricoles vers l'alimentaire. C'est une force incroyable, mais il est difficile de motiver un collégien pour s'orienter vers ces métiers. Il serait nécessaire d'y associer tous les partenaires des entreprises car nous avons besoin de relais pour faire entendre ces messages.
Le troisième champ professionnel qui souffre est celui des services aux personnes. Nous avons entendu pendant la crise beaucoup d'expressions de souffrance au travail, ce qui agit comme un épouvantail auprès des jeunes qui essaient de se projeter dans leur avenir.
L'addition de ces éléments explique en partie les difficultés de recrutement de nos établissements. Si la démographie elle-même est une donnée incontournable dans les difficultés de recrutement, je souligne aussi le manque de visibilité de l'enseignement agricole au moment de l'orientation des jeunes. Nous ne sommes pas assez identifiés. Dans l'immensité des propositions de l'Éducation nationale, notre îlot d'enseignement agricole n'est pas suffisamment visible, connu et promu en comparaison avec l'intérêt qu'il représente en tant que projet pour les jeunes.
Je signale que l'enseignement agricole est très peu visible dans les salons organisés par l'Éducation nationale. Nous portons bien entendu notre part de responsabilité dans ce constat. L'enseignement est présent dans les évènements agricoles, mais très peu dans les évènements concernant l'éducation, alors que 100 % de nos élèves viennent de l'Éducation nationale.
La France compte 163 diplômes ou formations dans l'enseignement agricole. Combien en représentez-vous ? Les syndicats agricoles ont mis en exergue l'intérêt de définir un tronc commun éventuel pour développer ensuite des spécialisations. Qu'en pensez-vous ?
Le réseau CNEAP propose aux jeunes l'ensemble du spectre des formations proposées par le ministère de l'agriculture. De légères différences peuvent être constatées entre le public et le privé. Par exemple, on constate davantage de formations qui relèvent de la production agricole dans le public alors que celles qui concernent les services à la personne ou la commercialisation sont plus importantes dans le privé. Mais globalement, nous proposons toutes les formations.
En matière de financement, vous indiquez dans votre rapport que le CUFE s'élève à 9 970 euros pour l'enseignement public et 7 600 euros pour le privé, soit un taux de couverture de 70 % dans le privé. Partant du principe que les coûts sont identiques pour couvrir les besoins de fonctionnement, les familles dans le privé sont amenées à contribuer à l'équilibre de nos besoins à hauteur de 30 %. C'est la raison pour laquelle nous sommes payants. Comme le précise la loi Rocard, la gratuité de la scolarité ne peut être assurée que si le niveau de subventions est identique pour les secteurs public et privé.
En matière d'investissement, la contribution des familles finance le différentiel des charges entre l'aide publique et nos dépenses de fonctionnement mais aussi nos investissements. En effet, la loi Rocard ne prévoit pas la participation de l'État à ces investissements. En revanche, les régions peuvent aider à la construction et à l'entretien des lycées, mais elles accompagnent de façon très inégale l'investissement. Nos établissements sont des structures associatives et, pour investir, nous avons recours aux banques. L'État finance l'ensemble du coût des enseignants et nous verse une subvention de fonctionnement calculée en rapport avec le coût d'un élève dans le public. D'où l'intérêt du rapport de Madame Delattre qui souligne l'écart entre le CUFE d'une part, qui calcule le coût dans le public, et ce que nous percevons dans nos structures d'autre part.
- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, vice-présidente -
Nous ne demandons que son application.
La cherté de l'enseignement agricole est souvent évoquée. Cependant, en observant le calcul de l'équivalent d'un CUFE par grand régime (premier degré, collège, lycée, enseignement général, etc.) sur le site du ministère de l'Éducation nationale, le coût d'un élève dans un lycée professionnel agricole représente 9 970 euros dans le secteur public et 7 600 euros dans le secteur privé, tandis que le ministère de l'Éducation nationale affiche pour l'enseignement professionnel un coût de 12 730 euros. Qu'on démontre la cherté de l'enseignement agricole. Les plateaux techniques sont utilisés comme argument, mais une exploitation agricole coûte cher, de même que le machinisme agricole et la transformation alimentaire. Nous pouvons dire que ces équipements sont comparables à ceux de l'enseignement professionnel industriel. Nous constatons un véritable problème de visibilité de l'enseignement agricole. La cherté évoquée sans cesse ne nous concerne pas. Il faudrait faire une expertise sur le coût de l'enseignement professionnel dans l'Éducation nationale.
Je rappelle que le taux d'insertion dans l'enseignement agricole est au-delà de 90 %, il ne génère pas de chômage. Quant aux réussites aux examens, nous sommes à peu près deux points au-dessus de la moyenne nationale, au-delà de 90 %.
Vos établissements sont peu représentés dans l'ouest de la France. Dans les Deux-Sèvres, nous avons un lien avec les diocèses pour les collèges dans l'enseignement catholique. Or vous êtes considérés comme étant des établissements catholiques. Avez-vous une organisation qui s'occupe du lien avec les diocèses et du soutien des collectivités ?
Le CNEAP représente la partie agricole de l'enseignement catholique. Le type de relations que vous connaissez dans votre département avec les diocèses et l'enseignement catholique nous concerne également. Cependant, il existe une différence interne à l'enseignement catholique liée au fait que notre ministère de tutelle est le ministère de l'agriculture. De ce fait, l'enseignement catholique s'occupe plutôt de la relation avec les rectorats et le ministère de l'Éducation nationale. En interne, le CNEAP, en tant que fédération professionnelle et organisme d'enseignement catholique, a reçu pour mission de s'occuper de l'interface avec le ministère de l'agriculture, avec les conseils régionaux et les élus. C'est pourquoi, aujourd'hui, ce n'est pas le secrétaire général de l'enseignement catholique qui vient vous exposer notre situation, mais bien le président du CNEAP. Nous sommes une composante de l'enseignement catholique mais avec une large délégation pour représenter les intérêts que nous représentons. Tous les établissements du CNEAP sont sous contrat d'association avec l'État et nos enseignants sont pris en charge par l'État. Il n'existe pas de différence entre la loi Rocard et la loi Debré de 1959. La seule différence réside dans la tutelle du ministère de l'Agriculture.
Nous sommes dans une situation hybride. Concernant la relation avec l'État, c'est le président de l'association qui signe le contrat avec lui. Cependant, nous vivons au rythme de l'enseignement catholique et nous référons aux tutelles diocésaines ou congrégationnistes. Il n'est d'ailleurs pas toujours évident d'être à la croisée de ces deux mondes.
Nous avons écouté les représentants des MFR, pour lesquelles chaque association traite directement avec l'État. Pour les collèges d'enseignement catholique, le représentant diocésain est en lien avec les départements et gère la contractualisation et les aides. Avez-vous une organisation similaire ? Les MFR souffrent apparemment d'un déficit de représentation globale pour la mise en place des financements. Comment cela se passe-t-il pour vous ?
La contractualisation passe par deux niveaux. Un contrat est signé par chaque association, mais c'est une organisation interne à l'enseignement catholique, de structure départementale (le diocèse) ou régionale, qui représente l'interface avec les parties prenantes du département ou de la région. Concernant le CNEAP, nous sommes organisés en régions, avec huit délégués régionaux de l'enseignement agricole privé (DREAP) qui servent d'intermédiaires, d'interfaces et d'instruction des dossiers avec les élus des régions de nos établissements. Les discussions se déroulent essentiellement avec le Conseil régional puisque les départements ne sont pas concernés par le financement des établissements agricoles.
Selon la manière dont les régions envisagent le travail avec l'enseignement privé, elles peuvent dédier une ligne budgétaire distincte pour l'enseignement agricole. Nous nous trouvons alors associés avec les MFR et l'enseignement qui relève de l'Éducation nationale. Elles peuvent aussi opter pour une ligne budgétaire commune et nous nous trouvons alors associés avec les démarches faites entreprises par l'enseignement catholique, l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Par exemple, la Nouvelle Aquitaine fonctionne avec deux lignes distinctes et deux interlocuteurs : l'enseignement catholique Éducation nationale et le CNEAP. Dans d'autres régions, nous avons un seul interlocuteur. Nous nous adaptons aux besoins des collectivités territoriales.
Je vous remercie pour vos interventions, pour votre franc-parler et vos explications qui nous permettent d'approfondir la question et de disposer d'arguments pour mieux vous aider. N'hésitez pas à nous adresser des précisions par écrit.
Un rapport se déroule en deux temps. Il dresse d'abord un état des lieux puis tente de formuler des propositions, ce qui implique de bien appréhender les enjeux et les problématiques.
Avant le 15 avril, nous vous donnerons des réponses écrites plus détaillées et quelques pistes de propositions.
Je vous remercie, ainsi que l'ensemble de nos collègues.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 5.