Intervention de Agnès Buzyn

Commission d'enquête Incendie de l'usine Lubrizol — Réunion du 12 novembre 2019 à 14h30
Audition de Mme Agnès Buzyn ministre des solidarités et de la santé

Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l'incendie de l'usine Lubrizol, survenu dans la nuit du jeudi 26 septembre, a suscité une profonde inquiétude dans l'ensemble de la population rouennaise et, plus largement, chez nos concitoyens concernés par les conséquences du panache de fumée. De nombreuses interrogations légitimes sur les effets sur la santé de cet accident industriel grave ont circulé.

Je souhaite vous expliquer de manière détaillée les actions qui ont été engagées par mon ministère. J'aborderai d'abord les mesures de gestion de crise dès l'origine de l'accident, la surveillance et le bilan de l'impact sanitaire, le contrôle de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine et, enfin, l'impact à moyen et long terme pour les populations.

Tout d'abord, concernant les mesures de gestion de crise et la diffusion des premières recommandations sanitaires, je tiens à vous indiquer que l'ensemble de mes services, c'est-à-dire le Centre opérationnel du ministère de la santé, l'Agence régionale de santé (ARS) de Normandie, les agences sanitaires nationales - Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et Santé publique France - l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) ont été mobilisés dès la nuit de l'incendie pour appuyer les services de la préfecture de région dans la gestion de cette crise.

Les priorités ont porté sur la prise en charge d'éventuelles victimes, ainsi que sur l'évaluation des effets sanitaires immédiats du panache de fumée, compte tenu de la présence de très nombreux produits toxiques stockés en masse sur le site.

Les recherches de toxiques dans l'air, réalisées en urgence par les pompiers du SDIS 76, ont permis de rassurer les services de santé et la population concernant les risques sanitaires immédiats. En effet, la présence de substances toxiques dans le panache à des concentrations qui pourraient induire un risque sanitaire aigu majeur n'a pas été détectée.

Toutefois, pour prévenir l'impact de ces fumées pour des populations sous le panache, notamment les personnes les plus fragiles, et assurer une prise en charge adaptée, mes services ont, dès le matin du 26 septembre, recensé en Normandie et dans les régions limitrophes les capacités d'hospitalisation en réanimation en cas de détresse respiratoire. Les capacités de renforcement du SAMU de Seine-Maritime en équipe médicale et en matériel ont également été identifiées en urgence. Ces dispositions n'ont heureusement pas eu à être mises en oeuvre, car il n'y a pas eu de victimes.

Les indicateurs d'activité remontés par le SAMU et les établissements de santé du secteur, les SAU, ont également été surveillés attentivement. Ces informations ont permis de constater l'absence de cas graves en lien avec l'incendie et un recours modéré auprès des services d'urgence hospitaliers. Cinquante-et-un passages aux urgences sans critère de gravité et en lien avec cet événement ont été enregistrés le 26 septembre.

Mes services se sont, dès les premières heures, attachés à définir les recommandations sanitaires permettant de limiter l'exposition des populations aux particules émises par l'incendie, puis aux retombées. Nous avons immédiatement donné des conseils à la population pour éviter les contacts avec les suies, notamment de nettoyer son environnement à l'humide en se protégeant, éviter toute consommation d'aliments souillés, notamment ceux des potagers.

De nouvelles recommandations plus spécifiques ont été diffusées par la suite par mes services : gestion des déchets verts, conduite à tenir pour les sports en extérieur, etc.

Je suis venue à Rouen, sur le site même de Lubrizol, dès le lendemain de l'incendie, pour soutenir les secours et les professionnels de santé, mieux comprendre la situation sanitaire, dire ce que nous savions à ce moment et ce que nous ne savions pas, et m'assurer en particulier de la mesure en temps réel de l'impact sanitaire immédiat.

Concernant la surveillance et le bilan de l'impact sanitaire immédiat, afin d'assurer une surveillance de la population dans les jours qui ont suivi l'incendie, j'ai saisi Santé publique France pour obtenir en urgence une synthèse concernant l'impact sanitaire observé.

L'analyse des données de surveillance épidémiologique a montré un impact sanitaire réel, mais modéré : 259 passages aux urgences, surtout les premiers jours, deux à cinq passages par jour dans les jours qui ont suivi. Il s'agissait essentiellement de pathologies asthmatiformes, de nausées, de vomissements ou de céphalées. Dix personnes ont été hospitalisées et sont sorties après un court séjour. Comme je l'indiquais, aucun cas grave n'a été rapporté durant la phase aiguë.

Le bilan sanitaire de la phase aiguë a été confirmé depuis par l'Anses. En effet, les cas rapportés par les différents centres antipoison n'ont pas présenté de caractère clinique de gravité qui pourrait constituer la signature d'une substance provoquant des risques sanitaires élevés à court terme.

La cellule d'appui psychologique a été mise en place à Rouen du 2 au 11 octobre pour accompagner la population, et assurer le soutien et l'écoute des habitants. Elle a reçu au total 47 personnes, surtout les premiers jours.

Troisièmement, s'agissant du contrôle de la qualité des eaux destinées à la consommation humaine qui est, rappelons-le, une prérogative de mes services, une surveillance renforcée a été mise en oeuvre par l'ARS de Normandie, avec la réalisation d'analyses immédiatement après l'incendie, en complément des analyses régulières habituelles.

Il convient de rappeler que le risque immédiat de contamination des eaux de consommation en Seine-Maritime était limité, l'alimentation en eau de ce territoire étant assurée par des ressources souterraines ne provenant ni de la Seine ni d'autres rivières.

La surveillance renforcée a également été mise en place par les ARS dans les régions Hauts-de-France et Grand-Est concernées par le panache. Ces analyses, largement poursuivies depuis avec la définition d'un vaste plan de surveillance des captages pour un grand nombre de substances, ont permis de confirmer l'absence de contamination des ressources en eau destinées à la consommation humaine. L'eau du robinet a donc pu continuer à être consommée sans inquiétude et mes services, en lien avec les préfectures concernées, ont communiqué en ce sens auprès des populations.

Mon ministère a suivi avec attention les résultats des analyses réalisées par les différents services de l'État pour caractériser la contamination dans les autres milieux, notamment pour plusieurs substances préoccupantes - je pense à l'amiante, aux dioxines, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, et au plomb - pour adapter, le cas échéant, des recommandations sanitaires diffusées aux populations.

En fait, cela n'a pas été nécessaire car l'ensemble des résultats d'analyses transmis à ce jour n'a pas mis en évidence de résultats non conformes aux valeurs seuils.

J'en viens maintenant à un point crucial d'inquiétude légitime des populations touchées, l'impact à moyen et long terme pour leur santé et celle de leurs enfants. Nous ne pourrons pleinement rassurer les habitants de ces territoires que dans le cadre d'une démarche rigoureuse d'évaluation quantitative des risques sanitaires et de surveillance épidémiologique adaptée des populations.

Le 2 octobre, nous avons ainsi saisi l'Ineris et l'Anses pour procéder à l'évaluation précise des conséquences de l'incendie à moyen et long terme sur l'environnement et sur la santé. Ce travail rigoureux et complexe est fondamental. Il se structure autour de trois étapes principales.

Première étape : identifier les contaminants susceptibles de s'être formés à l'occasion de l'incendie et qui représenteraient un enjeu sanitaire. Les agences ont répondu sur ce point le 9 octobre, ce qui a permis de lever les mesures de gestion mises en place à titre préventif - je pense notamment au séquestre du lait.

Deuxième étape : mener une campagne ciblée de prélèvements, notamment dans les sols et dans les végétaux, pour rechercher des contaminants dans ces milieux. C'est ce qu'on appelle la surveillance de pollution environnementale. Celle-ci est en cours d'élaboration depuis l'arrêté préfectoral du 14 octobre dernier, et les résultats sont attendus pour le 15 janvier.

Troisième étape : réaliser, sur la base de l'ensemble des résultats disponibles, après que tous les prélèvements ont été réalisés, une étude quantitative des risques sanitaires. Il s'agit d'une analyse de l'impact sanitaire potentiel, principalement pour une exposition chronique.

Un projet d'arrêté préfectoral, prochainement soumis à validation du Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), prescrit la réalisation de l'évaluation quantitative des risques sanitaires par les deux exploitants, Lubrizol et Normandie logistique. Cette évaluation quantitative des risques sanitaires, dont les résultats sont attendus au premier trimestre 2020, sera expertisée par les agences sanitaires nationales.

En complément, j'ai saisi Santé publique France, le 8 octobre, afin de disposer d'un avis sur les actions de surveillance sanitaire à mettre en oeuvre pour assurer le suivi à long terme des effets de l'incendie sur la santé des populations. La méthodologie qui a été mise en oeuvre par cette agence vous a été expliquée, je pense, la semaine dernière par le professeur Geneviève Chêne, sa nouvelle directrice générale.

Pour conclure mon propos introductif, je souhaiterais vous livrer un premier retour d'expérience, qui répond partiellement à votre question, monsieur le président.

Vous pouvez le constater, je me suis engagée dès le premier jour pour comprendre et expliquer la situation avec rigueur, et en toute transparence. Je reste engagée pour tirer toutes les leçons de cette crise. Je pense qu'il convient de souligner le caractère singulier de cet accident industriel, qui a heureusement engendré peu de blessés, mais qui a impliqué un nombre très important de personnes, à la grande différence de l'accident d'AZF.

La gestion de crise liée à ce type d'événement est de facto intersectorielle. Elle implique plusieurs ministères et plusieurs services de l'État au niveau territorial.

Malgré cette complexité, on peut observer une action coordonnée et cohérente des services de l'État pour protéger les populations. À ce titre, je souligne la qualité et la diligence des expertises mobilisées dès les premières heures, notamment pour lever les incertitudes sur les fumées, puis sur les suies.

De même, l'engagement de tous les professionnels de santé est à chaque fois à la mesure des enjeux. Je voudrais remercier encore une fois tous les professionnels de santé du territoire qui ont répondu à la population.

Je tiens également à souligner le rôle important de mes services dans cette gestion de crise. À la demande du Premier ministre, et en appui à la cellule post-accident activée à la préfecture de Seine-Maritime, la Direction générale de la Santé (DGS) a accueilli et animé dès le 1er octobre et jusqu'au 18 octobre, une cellule nationale d'appui afin d'assurer un soutien aux autorités locales et à la cellule post-accident, et de coordonner les actions interministérielles, notamment la mobilisation des expertises.

Cependant, malgré toute cette mobilisation et notre volonté de faire toute la transparence, nous n'avons pas su répondre aux inquiétudes légitimes de la population, notamment concernant les risques sanitaires et environnementaux liés à d'éventuelles contaminations. Je pense qu'il conviendra de réfléchir collectivement à de nouveaux modes d'information et à de nouveaux modes de communication auprès de la population.

Plus largement, il nous faudra mener dans les prochains mois, une réflexion sur les modes de réponse au niveau national face à ce type de crise. Je pense que les conclusions de votre commission d'enquête vont largement y contribuer.

Je suis prête à répondre plus précisément à vos questions mais, d'ores et déjà, je tenais à vous faire l'historique des actions du ministère des solidarités et de la santé.

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