Intervention de Laurence Boone

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 octobre 2022 à 8h30
Institutions européennes — Audition de Mme Laurence Boone secrétaire d'état auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée de l'europe à la suite du conseil européen des 20 et 21 octobre 2022

Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe :

Je ferai d'abord un point de calendrier : la présidence tchèque a réuni deux fois en 15 jours les chefs d'État ou de gouvernement pour discuter de ces trois chocs majeurs que sont l'agression de l'Ukraine par la Russie, la crise énergétique et la crise alimentaire. L'actualité la plus récente confirme la nécessité d'échanges répétés au plus haut niveau.

La guerre lancée par la Russie contre l'Ukraine continue de faire rage. Le Conseil européen a continué à affirmer son soutien à l'Ukraine, y compris - et c'est nouveau - en prenant en compte l'intervention d'autres acteurs comme l'Iran. Les problématiques de la sécurité alimentaire et de la lutte contre l'impunité ont été évoquées. Se sont ajoutés de nouveaux sujets comme la protection de nos infrastructures critiques après les attaques contre les gazoducs, l'évolution de la relation avec la Chine et la préparation d'échéances internationales comme la COP27 et le sommet entre l'Union européenne et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean).

Le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté les récentes attaques de missiles et de drones qui ont été perpétrées sans discrimination contre des civils, des biens et des infrastructures civiles à Kiev et dans toute l'Ukraine. Comme l'a dit le Président de la République pendant la conférence de presse, la stratégie russe vise à détruire méthodiquement les capacités de résistance et les infrastructures civiles essentielles de ce pays.

Dans ce contexte, les chefs d'État ou de gouvernement de l'Union européenne maintiendront la pression sur le régime russe pour continuer à l'affaiblir durablement, avec un objectif clair : asphyxier l'effort de guerre russe. La nouveauté, c'est que les mesures restrictives s'étendent maintenant aux alliés du Kremlin dans cette guerre. Des sanctions ont par exemple été prises en réaction au transfert de drones iraniens à la Russie. Le Conseil européen s'est dit prêt à adopter de nouvelles mesures à l'encontre de la Biélorussie, qui a considérablement renforcé son soutien militaire à la Russie.

Le soutien à l'Ukraine se manifeste sur trois plans.

Sur le plan humanitaire, l'Union européenne se tiendra aux côtés de l'Ukraine, en particulier en vue de la préparation à l'hiver.

Sur le plan militaire, ces dernières semaines, a été lancée une mission européenne de formation de soldats ukrainiens à laquelle la France prend une large part. Nous avons également décidé de renforcer les mesures d'assistance au titre de la facilité européenne pour la paix, afin de soutenir les forces armées ukrainiennes.

Sur le plan financier, les dirigeants européens continuent de soutenir leurs efforts avec la poursuite du décaissement rapide de la deuxième tranche de l'aide macrofinancière à l'Ukraine, soit 5 milliards d'euros, et travaillent à la mise à disposition des 3 milliards restants.

J'en viens à deux autres points, politique et juridique.

Le premier sommet de la Communauté politique européenne (CPE), qui s'est tenu à Prague, a été un succès. Le deuxième aura lieu en Moldavie au printemps 2023. Nous passerons alors d'une coopération politique à des coopérations plus concrètes.

Sur le plan juridique, la question des poursuites qui auraient lieu à la suite de la guerre a été évoquée. L'Union européenne a rappelé son engagement dans la lutte contre l'impunité pour les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Les violations évidentes du droit international doivent être sanctionnées, et les outils doivent permettre de sanctionner tous les dirigeants, quel que soit leur niveau, qui ont pris part à cette guerre.

Ensuite, s'est tenue mardi dernier la Conférence pour la reconstruction de l'Ukraine à laquelle l'Union européenne a rappelé son plein soutien, en lien avec les institutions financières mondiales qui seront mobilisées.

Un volant de discussion a porté sur la lutte contre la désinformation, dans la perspective d'un soutien à la défense de la souveraineté de l'Ukraine et aux règles fondant l'ordre international. Il s'agit bien évidemment de rappeler que la Russie est responsable des crises énergétique et économique qui nous touchent.

Le Conseil européen a aussi discuté de l'insécurité alimentaire mondiale, causée par la guerre, en rappelant la responsabilité russe. Il a souligné la nécessité du renforcement des corridors de solidarité, qui ont permis de faire sortir plus de 10 millions de tonnes de céréales d'Ukraine. Ce fut aussi l'occasion de rappeler l'initiative internationale Food & Agriculture Resilience Mission (Farm) portée par le Président de la République.

Vous m'avez interrogée sur les réponses apportées à la crise énergétique. Les chefs d'État ou de gouvernement sont revenus sur les propositions de la Commission européenne communiquées le 18 octobre dernier qui complètent les règlements déjà adoptés pour les mesures d'urgence. Ces règlements concernent la réduction de la consommation d'énergie, la contribution des entreprises énergétiques, le renforcement de notre stockage de gaz ou encore la diversification de nos approvisionnements.

La Commission, sur la demande des États membres, a fait de nouvelles propositions notamment pour permettre la mise en place d'une plateforme d'achats conjoints à l'échelle de l'Union européenne. Nous disposerions ainsi d'un véritable pouvoir lors des négociations avec les fournisseurs d'énergie, avec l'objectif de remplir nos stocks de gaz à des prix plus raisonnables l'hiver prochain. Des propositions ont également été faites pour faciliter la conclusion d'accords de solidarité entre États membres.

Les chefs d'État ou de gouvernement ont chargé la Commission d'explorer le mécanisme ibérique. Même si les mix énergétiques sont différents selon les pays et que les choses prennent du temps, les chefs d'État ou de gouvernement ont un objectif : réduire les prix de l'énergie payés par les ménages et les entreprises dès cet hiver. Ils ont souhaité fixer un cap et définir un calendrier clair, en demandant à la Commission de présenter des propositions concrètes. Différents canaux peuvent être utilisés : une évolution de l'indice reflétant les prix du gaz - il est basé seulement sur le gaz qui transite par gazoduc, alors que la part du gaz liquéfié va en augmentant -, un corridor de prix ou le plafonnement des prix du gaz utilisé pour produire de l'électricité.

Les 27 pays de l'Union européenne ne sont pas tous affectés de la même façon. Le Conseil Énergie du 25 octobre a permis aux États membres d'évoquer ce sujet. La Commission a fait des propositions sur la mise en place de la plateforme et sur l'évolution de l'indice des prix du gaz. La présidence tchèque a déjà annoncé qu'elle visait une adoption de certaines de ces mesures dès le 24 novembre prochain, au cours d'un nouveau Conseil Énergie. Vous estimez certainement que les choses prennent du temps, mais beaucoup a déjà été réalisé en peu de temps sur des sujets très techniques.

Nous attendons de la Commission qu'elle fasse de nouvelles propositions, notamment sur le découplage des prix de l'électricité et du gaz.

La Russie poursuit l'instrumentalisation de l'approvisionnement énergétique de l'Union en réduisant continuellement les livraisons de gaz. Elle n'est ni un partenaire ni un fournisseur fiable. Et la situation ne risque pas de changer à court terme. Nous poursuivons deux projets complémentaires : réduire notre dépendance à l'égard, à la fois, de la Russie et des énergies fossiles. Nous essayons de garder une cohérence entre les mesures prises en urgence au niveau européen et la trajectoire énergétique et climatique de l'Union européenne.

Des mesures pourraient être prises prochainement pour accélérer la construction de capacités de production d'énergies renouvelables, notamment en réduisant les délais des procédures.

Dernier point sur l'énergie, le Conseil européen a rappelé sa volonté d'une réforme structurelle des marchés de l'énergie pour parvenir à un marché plus cohérent et moins volatil. Les chefs d'État ou de gouvernement attendent des propositions de la Commission d'ici à la fin de l'année pour avancer sur ce sujet dès le début de 2023.

J'en viens ensuite aux questions économiques. Vous m'avez interrogée sur la fragmentation du marché intérieur, un sujet qui a été soulevé lors du Conseil européen. Grâce aux mesures nationales qu'elle a adoptées, la France a l'inflation la plus basse de tous les États de la zone euro. Comment adopter des mesures de protection nationales sans introduire de distorsions de concurrence entre États membres dans le marché intérieur ? Les États ont réaffirmé la nécessité d'un cadre commun.

La Commission a présenté une révision de l'encadrement temporaire des aides d'État en temps de crise, afin que les pays puissent soutenir leurs entreprises sans distorsion de concurrence. Les chefs d'État ou de gouvernement se sont penchés sur la possibilité d'une nouvelle action économique commune au niveau européen. C'est le sens de la proposition REPowerEU. Les Vingt-Sept ont donné mandat à la Commission et aux ministres des finances de réfléchir à des mécanismes européens de solidarité financière. Ils sont également convenus de la nécessité de réviser le modèle de gouvernance économique - un serpent de mer !

La Commission européenne devrait présenter le 9 novembre prochain ses recommandations en ce sens, notamment concernant le pacte de stabilité et de croissance.

Dernière point à l'ordre du jour du Conseil européen: les relations extérieures, notamment avec la Chine.

L'Union européenne avait défini son approche des relations avec la Chine en 2019 autour du triptyque partenariat-coopération-rivalité systémique. Le Conseil européen a réaffirmé la persistance du triptyque, tout en tenant compte de l'évolution du comportement de la Chine ces deux dernières années, qui donne davantage de poids dans ce triptyque à la notion de rivalité systémique, y compris sur le plan des valeurs.

La réponse européenne s'adaptera aux changements structurels qui se manifestent dans les relations entre l'Union européenne et la Chine - je pense à la position chinoise sur la guerre en Ukraine ou à la montée des tensions dans le détroit de Taïwan. En pratique, l'Union maintiendra ses efforts pour rééquilibrer la relation économique, mettra en oeuvre davantage de réciprocité, renforcera ses outils de défense commerciaux et poursuivra la diversification des chaînes d'approvisionnement. Il s'agit de tout faire pour limiter nos vulnérabilités vis-à-vis de la Chine. Un consensus s'est dégagé en faveur d'une autonomie stratégique européenne, ce qui valide les positions françaises sur la question. Nous allons poursuivre la mise en oeuvre de l'agenda de Versailles.

Cette position est plus mesurée que celle des États-Unis. Dans certains domaines, nous ne pourrons pas faire sans la Chine, par exemple en matière de lutte contre le changement climatique, de protection de la biodiversité, de sécurité alimentaire et de santé mondiale.

L'Europe a également réaffirmé sa position très ferme sur la défense des valeurs et des droits de l'Homme. La proposition de règlement de la Commission relative à l'interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l'Union a été publiée.

Enfin, le Conseil européen est revenu sur les grandes échéances internationales.

Il s'agit, d'abord, de la préparation de la COP27 qui aura lieu du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheikh. Les ministres de l'environnement ont adopté à l'unanimité lors du Conseil Environnement du 24 octobre un mandat de négociation plus ambitieux qui reflète bien la priorité française pour une action climatique forte.

La préparation du sommet entre l'Union européenne et l'Asean qui aura lieu en décembre prochain a également été évoquée. L'Asean occupe une place centrale dans notre stratégie indo-pacifique. Ce sommet sera l'occasion de mettre en valeur des réalisations concrètes à ce sujet.

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