Intervention de Olivier de Guinaumont

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 19 janvier 2017 à 14h05
Audition de M. Olivier de Guinaumont président d'a'liénor M. Philippe Thiévent directeur de cdc biodiversité et de M. Guillaume Benoit gérant associé de la société rbc projet assistant maîtrise d'ouvrage environnement d'a'liénor

Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor :

En ce qui concerne le bilan des mesures compensatoires mises en oeuvre sur le projet, je pense qu'il est globalement bon puisque les engagements pris ont été respectés. La démarche scientifique et intellectuelle a été plutôt remarquable. Je salue à ce titre tous les spécialistes qui nous ont entourés car il ne s'agit pas là de notre métier.

La version initiale de la séquence énonçait « éviter, réduire et si possible compenser ». Je pense que ce projet a montré que la compensation était possible et à grande échelle. On n'a jamais fait autant en aussi peu de temps : près de 1400 hectares de compensation pour 590 hectares touchés par l'impact dont 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, rapporté à 1500 hectares d'emprise.

Ces 1500 hectares d'emprise ont été confisqués à leurs propriétaires, on ne pouvait pas imaginer leur confisquer également les 1400 hectares nécessaires à la compensation. On ne peut pas, in fine, opposer le tissu industriel et l'ensemble des enjeux locaux à des sortes de zones de réserves. Il faut qu'ils fonctionnent ensemble et de manière intelligente. Là est la principale qualité du travail réalisé par la CDC Biodiversité.

Trois ans nous ont été nécessaires pour sécuriser les mesures de compensation alors que la loi prévoit que l'on doit théoriquement compenser avant de détruire. En l'espèce, c'était complètement impossible.

La mise en oeuvre de la compensation a nécessité douze personnes à plein temps chez CDC Biodiversité, sans compter les ingénieurs mobilisés chez nous et chez le constructeur. Le projet de l'A65 a une autre singularité : nous avons proposé une contribution volontaire de 1,5 million d'euros pour aller au-delà de l'obligation de ne pas dégrader les milieux, en les redynamisant. Il s'agit, selon moi, d'un échec relatif même si les fonds ont été en grande partie engagés.

L'acceptabilité du projet par les territoires est centrale car nous avons besoin des élus pour dérouler une telle infrastructure dans des délais aussi courts. L'assentiment du département, de la région, de l'État, du monde agricole et des chambres de l'agriculture, du milieu de la sylviculture et des propriétaires fonciers a été nécessaire pour accomplir les mesures de compensation liées au projet. Nous avons pu surmonter ce problème de l'acceptabilité sans outil équivalent à la DUP en matière de compensation, même s'il reste, de notre point de vue, du chemin à faire.

Notre engagement est aujourd'hui pérenne et reconnu comme effectif. Nous avons, avec la CDC Biodiversité, prévu d'en faire un peu plus que prévu afin de bénéficier d'une certaine flexibilité. Car les conventions passées avec les propriétaires des terrains utilisés ne portent pas sur une durée de 55 ans mais sur 5, 10 ou 15 ans.

Vous nous interrogiez sur les améliorations pratiques ou réglementaires que l'expérience de l'A65 pourrait nous amener à formuler. Même si l'aspect environnemental est pris en compte plus tôt, je pense qu'il faudrait les intégrer encore plus tôt dans la genèse des projets. Ça a été le cas sur la ligne à grande vitesse qu'Eiffage réalise entre Le Mans et Rennes puisque Réseau ferré de France (RFF) avait déjà commencé à constituer des mesures de compensation. Si des études et un constat avait été posés en amont, il nous a fallu les vérifier et les compléter pour l'A65. Rien de concret n'avait été fait lorsque nous avons récupéré la concession du projet, à part des réserves foncières constituées par chaque département. Nous disposions de la durée très courte de 4 ans entre la signature du contrat et la date de mise en service, qui correspondait globalement à un an et demi de travaux et deux ans et demi de travaux.

Si une prise en compte en amont devait être retenue, nous suggèrerions un mécanisme de réévaluation de l'impact de façon à inciter le maître d'ouvrage à améliorer l'évitement et la réduction. Car si la compensation est déterminée à l'avance, elle correspond à une sorte de droit à détruire pour le concessionnaire alors que si elle doit être réévaluée, le concessionnaire aura tout intérêt à favoriser l'évitement et la réduction pour que soient réévaluées à la baisse les mesures de compensation. Les mesures pourraient, ainsi, être également réévaluées à la hausse dans l'hypothèse inverse.

Un bémol toutefois existe puisque les lignes à grande vitesse n'induisent pas les mêmes souplesses dans les tracés que les autoroutes, du fait, notamment, de pentes et de rayons de courbures plus contraints.

Je vais peut-être un peu loin dans mon raisonnement, mais on pourrait également imaginer que l'État conserve la maîtrise d'ouvrage sur les mesures compensatoires, comme dans le cas de l'aménagement foncier que nous finançons, mais dont la maîtrise d'ouvrage revient aux collectivités territoriales.

À défaut de revenir sur le principe de compensation avant destruction, le processus itératif développé par les maîtres d'ouvrage doit pouvoir continuer à prospérer sans contraintes excessives. Une application stricte de la loi qui impose de compenser avant de détruire impose que tout le processus soit prévu en amont du contrat de concession, avec toutes les questions soulevées, ou que du temps soit laissé au concessionnaire pour qu'il mette les mesures en oeuvre.

Afin de pouvoir anticiper, des bases de données sur les espèces sont nécessaires. Dans le cadre de l'A65, les inventaires faits par l'État ont dû être largement complétés sur une période de quatre saisons, soit un an de travail. Toutes nos études techniques et nos concertations avançant en parallèle, certains résultats disponibles au bout d'un an nous obligent à remettre en cause certaines hypothèses initiales. C'est une perte de temps et d'énergie considérable.

Il faut standardiser et baisser les ratios de compensation. Avec 1 400 hectares de mesures compensatoires pour 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, l'A65 est l'exemple de ces ratios importants. Cette disproportion est utilisée comme garantie de bien retrouver sur la surface de compensation la même biodiversité qui était présente sur la surface initiale. Certaines espèces font l'objet d'un coefficient de 10 ! On pourrait toutefois imaginer de baisser ces ratios une fois que la présence de l'espèce en cause est acquise à l'endroit de la compensation. Le même raisonnement peut être tenu pour la durée de ces mesures. 55 années de gestion conservatoire, c'est très long, a fortiori pour remplacer des territoires qui ne bénéficiaient d'aucune protection particulière. Si la compensation est, en ce sens, une opportunité de protéger les nouveaux territoires concernés, je pense néanmoins que cette durée est trop longue.

Se pose également la question du périmètre géographique des mesures de compensation. En ce qui concerne l'A65, il nous a été demandé de compenser au plus près de l'infrastructure. Toutes nos compensations ont lieu en Aquitaine car nous nous sommes interdits d'aller ailleurs. Or, cette nécessité de proximité immédiate n'est pas compatible avec une lecture cohérente et raisonnée des territoires concernés, même si la CDC biodiversité a fait tout son possible pour rendre nos actions cohérentes avec celles des départements, par exemple. Cette lecture géographique stricte relève d'une logique de mitage qui n'est pas la plus efficace en matière de redéploiement et de restauration de la biodiversité.

Se pose aussi la question de la stratégie globale de restauration. Il existe des plans par espèce, mais qui ne sont pas vraiment entrés en ligne de compte dans les débats que nous avons eus avec nos différents interlocuteurs, qu'il s'agisse de l'État ou des associations.

Une instance nationale pour piloter les compensations et garantir un maillage cohérent du territoire semble donc nécessaire. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas verser les territoires dédiés à la compensation à un gestionnaire qui possèderait cette vision globale, ou à défaut que l'État s'empare de la maîtrise d'ouvrage des mesures de compensation ?

Dans le cadre de l'A65, 200 hectares de compensation touchent spécifiquement le vison d'Europe alors que, selon les experts, il a virtuellement disparu de la région. Dans le cadre du million et demi d'euros mobilisé pour des actions volontaires, 500 000 euros ont été dédiés à la redynamisation de cette espèce. Nous avons proposé de participer au plan de reproduction en captivité mais il nous a été expliqué que ce n'était pas nécessaire. Nous avons proposé de faire de la réintroduction mais il s'avère que l'action en faveur du vison est plutôt localisée vers la Charente. Je me demande donc à quoi vont servir les 200 hectares que nous avons mobilisés si ce n'est à répondre aux dispositions des arrêtés. Même si nos engagements sont formellement caducs au regard de ces arrêtés puisque nous avons pris du retard, nous conservons l'intention d'utiliser ces 1,5 million d'euros pour aller au-delà de la simple compensation et réellement redynamiser certaines espèces. Or, je me rends compte que le million d'euros déjà dépensé n'a servi qu'à réaliser des études. J'ai donc demandé à la DREAL que le reste de la somme qui doit être débloqué le soit au profit d'actions concrètes. En ce qui concerne le vison, je souhaite qu'à défaut de réintroduction, un traitement des routes départementales soit opéré. Car il ne sert à rien de restaurer de beaux espaces si les espèces qui y vivent se font écraser sur les routes alentours.

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