Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures en entendant la société A'liénor, qui est la société concessionnaire de l'autoroute A65, un des quatre projets que nous analysons en particulier. A'liénor a sous-traité à la société CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts, la mission d'élaborer, de mettre en oeuvre et de suivre le programme de compensation écologique de l'autoroute.
Un communiqué de presse commun à ces sociétés du 22 mai 2013 indiquait que l'objectif de sécurisation de l'ensemble du foncier au 7 juillet 2012 avait été tenu. L'audition de ce jour doit donc nous permettre d'apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant aujourd'hui, et d'identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application, ni un bon suivi, de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.
Nous entendons donc M. Olivier de Guinaumont, président d'A'liénor, M. Philippe Thievent, directeur de CDC Biodiversité, que nous avons déjà entendu en décembre et M. Guillaume Benoit, gérant associé de la société RBC PROJET, assistant maîtrise d'ouvrage - environnement d'A'liénor.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible de peines prévues par le code pénal.
Olivier de Guinaumont, M. Philippe Thievent et M. Guillaume Benoit prêtent successivement serment.
Pouvez-vous nous indiquer, à titre liminaire, les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête, qui sont je vous le rappelle, outre l'A65, la LGV Tours Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau ?
Je vous remercie pour l'intérêt que cette commission porte au projet de l'autoroute A65. Je suis président exécutif de la société par actions simplifiée (SAS) A'liénor. Je suis également directeur des concessions d'Eiffage depuis le début du projet, en charge de la maîtrise d'ouvrage et de l'exploitation. Je ne pense pas avoir de conflit d'intérêt sur les autres sujets étudiés par votre commission.
Mes liens d'intérêt n'ont pas varié depuis ma visite de décembre dernier devant votre commission. La CDC Biodiversité est maître d'ouvrage du site naturel de compensation de la plaine de la Crau et conserve, en tant que prestataire ponctuel, les liens que nous vous avions décrits avec les projets de la ligne à grande vitesse (LGV) entre Tours et Bordeaux et le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Je reprécise que l'A65 et le site naturel de compensation de la plaine de la Crau sont les deux projets dans lesquels la CDC Biodiversité est le plus largement impliquée.
Je n'ai pas d'implication directe, si ce n'est, comme pour Philippe Thievent, des missions ponctuelles pour la LGV dans le cadre d'un contrôle extérieur de dossier administratif très en amont du projet.
Des documents ont été remis à la commission d'enquête. Ils comprennent, entre autres, un recueil de la stratégie d'Eiffage en matière de développement durable et certains documents à destination du Conseil national de protection de la nature (CNPN) qui illustrent assez bien notre démarche. D'autres documents sont relatifs au comité de suivi qui, sous l'égide du préfet de région, suit la mise en oeuvre des mesures de compensation de l'A65. Les arrêtés ministériels et préfectoraux liés au projet ont également été joints, ainsi qu'un document de synthèse.
La première des questions que vous m'avez envoyées avait trait aux grandes lignes du projet depuis sa genèse jusqu'à sa réalisation, ainsi qu'aux différents acteurs publics et privés intervenus, l'ordre et les modalités de leurs interventions.
Le linéaire de l'autoroute A 65 est important. Il s'agit d'un des plus gros projets d'autoroute réalisé d'un seul tenant. Son tracé de 150 kilomètres relie Langon, à 50 kilomètres au sud de Bordeaux, à Pau. Cette autoroute traverse à la fois des coteaux, des massifs forestiers exploités, dont la forêt des Landes, ainsi qu'une surface importante de cultures. Les objectifs du projet sont liés à la sécurité et au confort. Il s'agissait de repolariser la ville de Pau sur Bordeaux qui est la capitale de sa région puisque les infrastructures existantes orientaient plus naturellement Pau vers Toulouse. Le but était aussi de désenclaver les Landes, dont son chef-lieu Mont-de-Marsan. Dix diffuseurs ont, à terme, été prévus pour atteindre cet objectif.
En ce qui concerne l'historique de l'autoroute, ce projet est assez ancien. Il est apparu dans un schéma directeur aux alentours de 1995. Un certain nombre de décisions ont été prise par l'État à partir de cette date jusqu'en 2006. Un premier fuseau de 1 000 mètres a permis de définir une bande d'étude par arrêté ministériel. Cette bande a ensuite était ramenée à 300 mètres, qui est le standard en matière d'autoroute. Elle a fait l'objet d'une vaste consultation interministérielle. Une enquête publique de l'État a ensuite abouti à une déclaration d'utilité publique (DUP) en Conseil d'État, ainsi qu'à un dossier des engagements de l'État, partie intégrante de notre contrat de concession. Ce dossier précise un certain nombre de règles auxquelles qui s'appliquent au concessionnaire pour la réalisation et l'exploitation de l'infrastructure.
Le décret de concession a été publié fin 2006. Il mentionne que nous sommes à la fois concessionnaire, maître d'ouvrage et aménageur. Tenu par les stipulations de notre contrat de concession, nous avons progressivement développé un projet en concertation avec les 52 communes et les 3 départements (Gironde, Landes et Pyrénées-Atlantiques) traversés. La conception de ce projet a été relativement itérative et s'est basée sur un certain nombre de critères, dont des critères environnementaux. Ce processus a abouti à un tracé à l'intérieur de la bande de 300 mètres qui nous était imposée.
Ont ensuite été déposés les dossiers administratifs loi sur l'eau et dérogations pour la destruction d'espèces protégées. L'État ayant mis en oeuvre beaucoup d'études préalables à la mise en concession de l'infrastructure, nous avons pu bénéficier d'un diagnostic environnemental préexistant. Nous l'avons ensuite complété sur la base d'inventaires assez fouillés, réalisés sur 4 saisons. Ils ont permis de définir un certain nombre de mesures d'évitement dans le cadre du calage du tracé. Lorsque l'évitement n'était pas possible, nous avons mis en place des stratégies d'atténuation qui ont aussi bien concerné la phase de travaux que la phase d'exploitation. Enfin, des mesures de compensation ont été dessinées pour effacer l'impact résiduel du projet sur l'environnement.
Dans le cadre des normes d'archéologie préventive, des fouilles ont été diligentées par l'Institut national d'archéologie préventive (INRAP) et par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) sur les 1 500 hectares d'acquisition foncière du projet, rapporteur spécial. Bien que financé par A'liénor, le projet d'aménagement foncier a été sous maîtrise d'ouvrage des départements concernés qui ont pris le relai de l'État à partir de 2007, rapporteur spécial.
S'en est suivi la construction de l'infrastructure à proprement parler. Un volet social a été développé avec la région autour de l'insertion et de la formation. Avec 3 500 personnes qui y ont pris part, le chantier de l'autoroute a été un important pourvoyeur d'emplois. Deux dossiers ont permis d'évaluer les impacts dans le cadre de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI). L'un est plus économique, l'autre porte majoritairement sur les aspects environnementaux. Ils ont été remis l'année dernière et sont en cours d'analyse par les services de l'État.
À partir de 2007 et de la publication des arrêtés de dérogation à la protection d'espèces protégées ou de leur habitat, le programme de mesures compensatoires a été arrêté avec la CDC Biodiversité.
Eiffage et SANEF sont respectivement actionnaires d'A'linéor à hauteur de 65% et 35%. A'liénor est une société dédiée à l'infrastructure sur laquelle porte la concession. Le projet a mobilisé des fonds à hauteur de 1,25 milliard d'euros dont 900 millions d'euros ont été empruntés auprès de 25 banques. Ce point est important car les financeurs sont particulièrement attachés au suivi de nos engagements, et notamment celui des mesures compensatoires. Nous nous sommes appuyés sur une association de sociétés d'Eiffage comme concepteur-constructeur. Une directive européenne nous a contraint à traiter 30 % des travaux avec des sociétés tiers, c'est-à-dire non liées ou non groupées avec les membres et les actionnaires de notre société de projet. Nous avons, au final, atteint 40 ou 45 %.
Nous avons fait appel à des entreprises spécialisées en matière d'environnement, comme Egis environnement, le Groupe de recherche et d'étude pour la gestion de l'environnement (GREGE), les sociétés Biotopes et Ingérop qui nous ont accompagnés. A l'inverse, un certain nombre d'acteurs, dont des associations qui avaient déposés un recours devant le Conseil d'État, ont, dans un premier temps, refusé catégoriquement toute coopération. Elles n'ont pas souhaité participer aux études environnementales qui nous ont permis de définir les meilleures solutions pour la réalisation et l'exploitation du projet, ainsi que les mesures compensatoires. Depuis que les recours ont été tranchés en notre faveur, certaines travaillent désormais avec nous. Nous l'avons accepté car certaines d'entre elles ont une connaissance reconnue sur les espèces concernées par le projet. L'exploitation est confiée à SANEF Aquitaine, filiale de l'un de nos actionnaires et notre opérateur environnement est la CDC Biodiversité. Notre assistant-maîtrise d'ouvrage RBC Projet nous aide également sur les aspects relatifs à la loi sur l'eau.
Sur les 1,25 milliard d'euros qui ont été mobilisés, y a-t-il eu une part supportée par l'État ?
Le projet s'est monté sans subvention publique, du moins, sans subvention publique versée en numéraire. L'apport en nature de la déviation d'Aire-sur-l'Adour a été réalisé sur des crédits budgétaires par l'Etat, la région et les 3 départements concernés.
Ma question était motivée par le fait qu'un avenant au contrat de concession motivé pour des raisons environnementales mentionne une participation de l'État.
Exactement. À l'issue de « l'avenant Grenelle », cette participation s'est élevée à 90 millions d'euros, assortie d'une extension de 5 ans de la durée d'exploitation. Sans émettre d'avis négatif, le CNPN a longtemps déclaré ne pas être en mesure de se prononcer sur nos arrêtés de dérogation. Cela a eu pour conséquence de bloquer le démarrage des travaux et les financements pendant à peu près 6 mois. L'État a décidé de prendre les mesures que je vous ai décrites pour solde de tout compte en réponse aux perturbations engendrées par le retard.
À quoi est dû ce retard ? L'environnement n'avait-il pas été assez pris en compte dans le contrat initial de concession et dans le premier projet ? Les exigences supplémentaires introduites a posteriori vous ont-elles conduits à demander de nouvelles recettes en contrepartie ?
Le premier projet, collégialement bâti par le ministère des transports et de l'écologie, était de qualité. Fruit d'une coordination interministérielle exemplaire, il comprenait, en outre, beaucoup d'engagements forts de l'État sur le plan environnemental, humain et économique. Sous réserve des études complémentaires à la charge du concessionnaire, les mesures de compensation inhérentes au projet étaient estimées à 65 hectares. Nous étions donc loin des 1372 hectares de compensation qui ont finalement dû être mis en oeuvre au terme des arrêtés. Cette différence s'explique par le fait qu'en 2005, la compensation ne prenait en compte que les seuls impacts directs sur la biodiversité. Or, les obligations de compensation ont ensuite dû intégrer les nouvelles déclinaisons en droit français issues des directives européennes en la matière, et le nouveau niveau d'exigence de la doctrine administrative. Le contexte du Grenelle intervenu un an ou un an et demi après la signature du contrat avait clairement changé les choses.
Nous n'avons donc pas uniquement pris en compte les impacts directs. Notre lecture de la réglementation et des attentes de la société civile nous a également poussés à prendre en compte des territoires qui, bien que vierges, étaient des habitats privilégiés d'espèces protégées. Les 65 hectares initialement prévus étaient le résultat d'une étude fine et poussée de l'État, mais qui prenait place dans un autre contexte réglementaire. Les 1 372 hectares sont la conséquence d'études réalisées dans un cadre différent. On ne nous a pas forcés à atteindre ce chiffre.
Les exigences de l'État dans le contrat de concession portaient, entre autres, sur des longueurs de viaducs qui étaient bien supérieures aux exigences techniques et hydrauliques. Les longueurs retenues témoignaient d'une volonté de maintien de la transparence écologique.
La somme de 90 millions d'euros se justifiait donc par le changement de la demande de l'État depuis la signature du contrat de concession ?
Suspendre le cours des choses est extrêmement onéreux pour ce type d'opérations. Si les travaux n'avaient pas encore été engagés au moment de la suspension du projet, beaucoup de personnes avaient été mobilisées, et d'études engagées. C'est en grande partie cet arrêt des opérations qui a motivé l'action de l'État. Le passage de 65 hectares à gérer sur une dizaine d'années à 1 372 hectares sur 55 ans a également pesé. Il en va de même pour les mesures de compensation portant sur les travaux puisque le nouveau niveau d'exigence avait lui aussi bien changé depuis le projet initial.
Est-ce-que les services de l'Etat ont été particulièrement présents quant à leur niveau d'exigence et leur accompagnement technique lorsqu'ont été définies les mesures d'évitement attachées au projet ?
Du fait de votre rôle de « pionnier », quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la mise en oeuvre des mesures de compensation du projet ?
L'État a été présent tout au long du projet La délégation de service public et de maîtrise d'ouvrage dont le projet a fait l'objet nous a, néanmoins, laissé une grande liberté d'action encadrée par les stipulations qui nous liaient et par la réglementation. Si notre dossier n'est pas suffisamment solide, notre sanction est directe car nous ne recevons pas les autorisations administratives qui nous sont nécessaires.
Le dossier des engagements de l'État nous donne la liberté de caler le tracé de l'autoroute dans la bande des 300 mètres arrêtée par décision ministérielle. Cette liberté a toutefois été réduite à des endroits sensibles pour la biodiversité où le dossier a déterminé des points de passage obligatoires. Au droit des cours d'eau, des contraintes très claires avaient été données sur l'ouverture des viaducs, mais également sur la perpendicularité de l'ouvrage pour limiter les impacts. Il nous a également été demandé, dans certains cas, de ne pas intervenir en phase de travaux dans les lits mineurs et majeurs de ces cours d'eau afin de limiter les perturbations des milieux sensibles.
Nous étions effectivement dans le domaine de l'expérimentation puisque personne n'avait auparavant mis ce type de mesures en oeuvre dans ce délai et à cette échelle. Nous avons donc réuni un maximum d'acteurs actifs dans ce domaine et précurseurs en matière de compensation. Cela nous a poussés à choisir CDC Biodiversité comme partenaire. Car il s'agit d'un volet d'une conception itérative dans laquelle sont intégrés d'autres éléments comme l'humain ou l'économie. La nouvelle définition de la compensation donnée par la loi a conduit à ce que nous compensions des hectares de champs de maïs qui peuvent être un territoire de chasse pour certains rapaces comme l'élanion blanc. Les environnementalistes ont fini par réduire les incompréhensions que ce mécanisme générait pour les ingénieurs que nous sommes.
Certains des choix que nous avons opérés pour fixer le tracé de l'autoroute n'ont pas toujours été bien compris. Il nous est par exemple arrivé de rapprocher le tracé des habitations, engendrant des levées de boucliers de la part des élus et des riverains lors des concertations publiques sur le choix de l'itinéraire. Il a fallu être pédagogue pour leur expliquer que leur lieu de vie n'était pas le seul enjeu concerné, que la biodiversité entrait également en ligne de compte dans le choix du tracé et qu'un compromis devait être trouvé.
La DUP nous donne le droit de procéder à des expropriations pour acquérir le foncier nécessaire au projet, mais pas pour mettre en oeuvre la compensation environnementale. Quand bien même nous aurions pu y avoir recours, le niveau de maturité de la population sur les enjeux environnementaux n'était pas suffisant. Les propriétaires expropriés n'auraient pas compris qu'on les mette dehors de chez eux pour des considérations environnementales.
La CDC Biodiversité nous a aidés à trouver des partenariats avec des acteurs locaux pas forcément très convaincus au départ, qu'ils soient issus du monde de l'agriculture, du monde de la sylviculture ou qu'il s'agisse de propriétaires privés n'exploitant pas particulièrement leur terre.
Les considérations environnementales, les considérations des riverains mais également les considérations techniques devaient donc s'imbriquer pour définir le projet car nous devions maîtriser le coût global de l'infrastructure.
Comment s'est passé le dialogue avec les élus locaux, les propriétaires et les riverains sur le choix du tracé ? À quel moment êtes-vous intervenus sur le choix du tracé ? Avant ou après la détermination de la bande des 300 mètres ?
Lors de la signature des actes afin de disposer du foncier pour mettre en oeuvre les mesures de compensation environnementale, avez-vous bien établi les règles de mise en oeuvre avec les propriétaires ? Un dialogue a-t-il été nécessaire ? Une association a-t-elle servi d'intermédiaire ou avez-vous pris contact avec les riverains et propriétaires un par un ?
Est-ce que le « 1 % paysagé » inclut des mesures compensatoires de biodiversité ?
Sur les 1,25 milliard d'euros de coût global, combien représente le surcoût induit par le passage du contexte de l'avant-Grenelle à celui de l'après-Grenelle ? Quel est l'impact final pour les contribuables ?
Les mesures de compensation tiennent-elles compte de la différente capacité des sols à stocker le carbone en fonction de leur nature ?
Tous les sols n'ont pas la même teneur en matière organique. La baisse de cette teneur engendre une perte de biodiversité. Le changement d'usage du sol entraîne pendant quelques décennies la baisse du stock de carbone et une diminution de la biodiversité. Les mesures de compensation en tiennent-elles également compte ?
Nous avons hérité de la bande de 300 mètres à laquelle ont été ajoutées quelques restrictions que j'ai déjà évoquées afin de tracer l'axe de l'autoroute. Cette bande est présentée par l'État dans l'enquête publique avec un projet illustratif et fait l'objet de la DUP. Cette DUP a été concomitante avec le contrat de concession mais elle intervient habituellement bien avant et relève de la seule responsabilité de l'État.
Nous avons assez rapidement repris les études de l'État afin d'affiner un peu le projet sur la base de critères techniques, économiques et environnementaux. Nous avons, pour cela, réalisé des réunions publiques au sein des communes concernées, en les regroupant dans le cas fréquent où elles étaient de faible taille. Ce nombre important de petites communes nous a fait beaucoup nous appuyer sur les conseillers départementaux pour fédérer les demandes et encadrer le processus.
Ces réunions publiques sont un processus collaboratif ressemblant à une enquête publique mais du point de vue d'une structure privée. Nous avions pris le parti, comme c'est le plus souvent le cas, d'y décrire le projet tel que nous l'envisagions et d'en discuter. Après avoir discuté avec les élus et les associations représentatives, on revient dans un second temps présenter un nouveau projet dans lequel nous avons essayé de tenir compte des attentes qui nous avaient été exprimées. Il s'agit le plus souvent d'attentes de proximité telles que des nuisances visuelles ou des besoins de fonctionnalité touchant, par exemple, le placement des bretelles.
Les intermédiaires que constituent les élus et les associations sont obligatoires car un tel projet touche des dizaines de milliers de personnes avec qui il n'est pas possible de dialoguer individuellement.
En ce qui concerne les actes notariés par lesquels nous avons acquis les terrains, nous avons très tôt superposé le tracé avec le parcellaire afin de définir les terrains qui devaient être acquis. Une première démarche amiable a été entreprise auprès des propriétaires. Elle a permis assez rapidement de repérer les propriétaires avec lesquels un dialogue a été possible et les dossiers qui ont été plus compliqués à traiter. Vus les fonds mobilisés, l'absence de subvention publique et le fait que les recettes ne seront perçues qu'à partir de la mise en service de l'autoroute, il nous fallait aller le plus vite possible. C'est d'ailleurs l'avantage des partenariats publics privés et des contrats de concession : ils permettent de faire émerger des projets très rapidement. Dès que les dossiers qui posaient problème ont été identifiés, une procédure d'expropriation a été lancée sur la base d'études parcellaires. Beaucoup de dossiers d'expropriations ont été abandonnés en cours au profit d'une solution à l'amiable. Les autres dossiers ont été transmis au juge des expropriations sur la base de la DUP.
Sur les 150 kilomètres de tracé, nous comptons aujourd'hui moins d'une dizaine de dossiers d'expropriation ayant donné lieu à contentieux. Ils ont été motivés par le sentiment que les biens avaient été sous-évalués ou que les nuisances étaient disproportionnées par rapport à l'intérêt général du projet matérialisé par la DUP.
Le « 1% paysage » représente 6 millions d'euros investis par le concessionnaire pour cofinancer des projets dans la zone de covisibilité. Cette zone comprend notamment les 52 communes impactées, mais pas seulement. Cela ne vient pas forcément compléter les mesures compensatoires et en aucun cas s'y substituer. Ces projets regroupent, par exemple, des projets d'aménagement pour des entrées de villes ou des projets de valorisation du patrimoine encadrés par la directive « 1% paysage et développement ».
En ce qui concerne le surcoût, l'épisode qui a conduit à la signature d'un avenant avec l'État marque pour nous une période difficile. Le surcoût était, sur le papier de 250 millions d'euros. Il comprenait, certes, les nouvelles contraintes environnementales mais sa part prépondérante était liée à la suspension et à l'allongement des travaux ainsi qu'au retard induit pour la mise en service de l'autoroute, même si une grande partie de ce retard a ensuite été rattrapée. Notre société s'est finalement mise d'accord avec l'État pour une enveloppe supplémentaire de 90 millions d'euros et une extension de la période d'exploitation de 5 ans. C'était l'effet « Grenelle ».
Le coût global de la prise en compte de l'environnement au sens large sur un projet de cette envergure est de 250 millions d'euros. Je ne peux cependant pas vous dire avec précision quelle part de cette somme est directement liée à l'effet « Grenelle » puisque les contraintes initialement posées par l'État étaient prises en compte dans notre projet. Il s'agit par exemple des murs anti-bruit et autres dispositions particulières.
Vous confirmez donc que le principal surcoût environnemental, pour un aménageur, est aujourd'hui le possible blocage des travaux ?
Une suspension coûte très cher. Les grands projets sont faits pour aller très vite car les enjeux financiers sont majeurs. Sur les 1,25 milliard d'euros que coûte le projet, la réalisation des travaux, la conception et l'acquisition foncière reviennent à un milliard et le reste correspond à la charge financière. Les 900 millions d'euros empruntés produisent des intérêts pendant toute la période de construction, qui nécessitent de sur-emprunter pour pouvoir les régler. Avec une dette à 5%, une année d'intérêt revient à 45 millions d'euros. Le modèle de la concession permet, certes, d'aller vite, mais c'est surtout une nécessité, sans quoi des surcoûts intrinsèques au système peuvent être générés.
Pensez-vous que, dans la culture d'Eiffage, il a été acté que plus vite les questions environnementales étaient réglées en amont et plus faibles étaient les risques de surcoût lié à de possibles contentieux ?
C'est la principale caractéristique des concessions et des partenariats public - privé. Des études ont été lancées dès que nous avons été pressentis par l'État pour l'attribution du contrat, sans pourtant être parfaitement sûrs que nous serions in fine signataires. Il était impératif de commencer le plus tôt possible car le calendrier était particulièrement contraint et les risques devraient être levés le plus tôt possible afin de faciliter la phase d'exécution. Cela permet également au public de se projeter. Car, dans le cas de l'A65, le public habite dans une région privilégiée et s'était fait une image catastrophique du projet. Il a fallu beaucoup de temps pour expliquer, à l'aide d'illustrations et d'infographies, comment allait être traitées leurs préoccupations. Cette étape est nécessaire à l'établissement d'une relation de confiance, afin de prévenir des conflits qui pourraient retarder le projet. Nous subissons des contraintes économiques, mais il n'existe aucune volonté de mal faire de notre part.
Les conflits que nous avons rencontrés s'expliquaient par des incompréhensions ou des oppositions idéologiques. Certaines associations cherchent, par nature, la contestation. À aucun moment nous avons pu travailler ensemble, malgré des discussions parfois constructives en aparté.
Sur les sujets relatifs au carbone, il n'existait pas, à l'époque de la création de l'A65, de nécessité de compenser sur ce point. Cette autoroute possède, en outre, une faible circulation qui est d'ailleurs majoritairement issue d'un report de trafic.
Je souhaitais savoir si les mesures de compensation prenaient en compte la capacité de sols à stocker le carbone. Il peut, en la matière, exister des différences allant du simple au triple.
Il n'existait pas de contraintes ou de prescriptions particulières en la matière. Ce sont des paramètres qui n'ont pas été pris en compte au moment de l'évaluation et de l'estimation des mesures de compensation. Les mesures sont, dans le cadre de notre législation comprise « habitat pour habitat ». Elles vont donc s'orienter vers la même nature de milieu que celui dont les dégradations doivent être compensées. On peut imaginer qu'à partir du moment où on traite, par exemple, de la zone humide pour de la zone humide ou de la forêt pour de la forêt, ce paramètre ne varie plus beaucoup passé un certain délai.
Nous avons interrogé l'ADEME sur la possibilité d'intégrer un volet carbone dans la définition des mesures de compensation.
Pour reprendre le fil du questionnaire transmis, je précise que nous avons travaillé en étroite collaboration avec les services de l'État dans l'élaboration des arrêtés et la préparation des dossiers de compensation, y compris avec certains services qui ont pour mission habituelle de sanctionner et pas forcément d'accompagner. Les arrêtés de dérogation ministériels et préfectoraux prévoient que le suivi des mesures de compensation est de la responsabilité du préfet de région et donc de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Ils prévoient également la constitution d'un comité de suivi dont les réunions sont assez fréquentes en phase de mise en oeuvre durant les trois premières années, puis un peu plus espacées par la suite. Ces trois années nous ont été nécessaires pour disposer du foncier nécessaire aux mesures de compensation.
Nous en avons apporté la preuve et nous nous sommes ensuite penchés sur les plans de gestion, afin de garantir ces mesures dans la durée. Après cette phase, les rendez-vous se sont espacés pour devenir annuels alors que leur fréquence initiale était mensuelle. Elle a parfois été légèrement inférieure, mais les réunions du comité de suivi ont toujours été organisées en bonne intelligence avec la DREAL, les institutions et les associations de protection de l'environnement qui en étaient membres, comme la société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest (SEPANSO), par exemple.
Du fait du caractère expérimental de la démarche, ces réunions du comité de suivi ont, à chaque fois, été l'opportunité de faire état de l'avancement du projet et de valider un certain nombre de principes. Des visites sur place ont également été organisées par la DREAL et l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA) a pris l'initiative d'un certain nombre de formations en lien avec les mesures de compensation mises en oeuvre. Je ne doute pas que cet organisme aurait fait remonter les éventuels problèmes rencontrés et aurait exercé sa mission de contrôle si l'occasion lui en avait été donnée.
Les associations locales présentes dans le comité de suivi ont également un intérêt à ce que nous respections les engagements que nous avons pris et auraient également été les témoins privilégiés d'éventuels dysfonctionnements de notre part. Je déplore néanmoins que ces associations ne soient plus aussi présentes qu'auparavant aux réunions de suivi. Peut-être considèrent-elles que les mesures sont suffisamment avancées et sécurisées ?
L'auditeur technique des banques qui nous ont financés vérifie également l'effectivité des mesures et des arrêtés sur une base trimestrielle en ce qui concerne le contrôle sur pièces et annuelle pour le contrôle sur place. Un rapport est ensuite envoyé aux prêteurs pour l'assurer que notre société ne sera pas mise en défaut de ses obligations et ne tombera pas sous le coup d'une éventuelle sanction.
Nos sources de contrôle sont donc multiples puisque tout le monde s'intéresse finalement au sujet. L'arrêt qu'a connu notre chantier a, en effet, sensibilisé les acteurs sur les conséquences possibles liées à des enjeux environnementaux.
Existe-t-il des contrôles inopinés de l'État ou vos relations demeurent participatives ?
Nos relations avec l'État ont, sur ce projet, toujours été bonnes, au niveau local comme au niveau central. Nous avons fait l'objet d'une procédure pénale pour une atteinte liée au déversement accidentel de polluants dans un cours d'eau à enjeu. Mais cette procédure a fait suite à un signalement volontaire et spontané de notre part auprès de l'ONEMA. Les enjeux étaient suffisamment importants pour justifier une parfaite transparence de notre part et un travail collaboratif.
Je souligne l'importance des réunions de chantier sur de tels projets. Les services de l'État et les collectivités locales y sont présents et chacun doit jouer son rôle. Car le contenu des comptes-rendus et les réserves qui y sont indiquées font foi.
En ce qui concerne le bilan des mesures compensatoires mises en oeuvre sur le projet, je pense qu'il est globalement bon puisque les engagements pris ont été respectés. La démarche scientifique et intellectuelle a été plutôt remarquable. Je salue à ce titre tous les spécialistes qui nous ont entourés car il ne s'agit pas là de notre métier.
La version initiale de la séquence énonçait « éviter, réduire et si possible compenser ». Je pense que ce projet a montré que la compensation était possible et à grande échelle. On n'a jamais fait autant en aussi peu de temps : près de 1400 hectares de compensation pour 590 hectares touchés par l'impact dont 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, rapporté à 1500 hectares d'emprise.
Ces 1500 hectares d'emprise ont été confisqués à leurs propriétaires, on ne pouvait pas imaginer leur confisquer également les 1400 hectares nécessaires à la compensation. On ne peut pas, in fine, opposer le tissu industriel et l'ensemble des enjeux locaux à des sortes de zones de réserves. Il faut qu'ils fonctionnent ensemble et de manière intelligente. Là est la principale qualité du travail réalisé par la CDC Biodiversité.
Trois ans nous ont été nécessaires pour sécuriser les mesures de compensation alors que la loi prévoit que l'on doit théoriquement compenser avant de détruire. En l'espèce, c'était complètement impossible.
La mise en oeuvre de la compensation a nécessité douze personnes à plein temps chez CDC Biodiversité, sans compter les ingénieurs mobilisés chez nous et chez le constructeur. Le projet de l'A65 a une autre singularité : nous avons proposé une contribution volontaire de 1,5 million d'euros pour aller au-delà de l'obligation de ne pas dégrader les milieux, en les redynamisant. Il s'agit, selon moi, d'un échec relatif même si les fonds ont été en grande partie engagés.
L'acceptabilité du projet par les territoires est centrale car nous avons besoin des élus pour dérouler une telle infrastructure dans des délais aussi courts. L'assentiment du département, de la région, de l'État, du monde agricole et des chambres de l'agriculture, du milieu de la sylviculture et des propriétaires fonciers a été nécessaire pour accomplir les mesures de compensation liées au projet. Nous avons pu surmonter ce problème de l'acceptabilité sans outil équivalent à la DUP en matière de compensation, même s'il reste, de notre point de vue, du chemin à faire.
Notre engagement est aujourd'hui pérenne et reconnu comme effectif. Nous avons, avec la CDC Biodiversité, prévu d'en faire un peu plus que prévu afin de bénéficier d'une certaine flexibilité. Car les conventions passées avec les propriétaires des terrains utilisés ne portent pas sur une durée de 55 ans mais sur 5, 10 ou 15 ans.
Vous nous interrogiez sur les améliorations pratiques ou réglementaires que l'expérience de l'A65 pourrait nous amener à formuler. Même si l'aspect environnemental est pris en compte plus tôt, je pense qu'il faudrait les intégrer encore plus tôt dans la genèse des projets. Ça a été le cas sur la ligne à grande vitesse qu'Eiffage réalise entre Le Mans et Rennes puisque Réseau ferré de France (RFF) avait déjà commencé à constituer des mesures de compensation. Si des études et un constat avait été posés en amont, il nous a fallu les vérifier et les compléter pour l'A65. Rien de concret n'avait été fait lorsque nous avons récupéré la concession du projet, à part des réserves foncières constituées par chaque département. Nous disposions de la durée très courte de 4 ans entre la signature du contrat et la date de mise en service, qui correspondait globalement à un an et demi de travaux et deux ans et demi de travaux.
Si une prise en compte en amont devait être retenue, nous suggèrerions un mécanisme de réévaluation de l'impact de façon à inciter le maître d'ouvrage à améliorer l'évitement et la réduction. Car si la compensation est déterminée à l'avance, elle correspond à une sorte de droit à détruire pour le concessionnaire alors que si elle doit être réévaluée, le concessionnaire aura tout intérêt à favoriser l'évitement et la réduction pour que soient réévaluées à la baisse les mesures de compensation. Les mesures pourraient, ainsi, être également réévaluées à la hausse dans l'hypothèse inverse.
Un bémol toutefois existe puisque les lignes à grande vitesse n'induisent pas les mêmes souplesses dans les tracés que les autoroutes, du fait, notamment, de pentes et de rayons de courbures plus contraints.
Je vais peut-être un peu loin dans mon raisonnement, mais on pourrait également imaginer que l'État conserve la maîtrise d'ouvrage sur les mesures compensatoires, comme dans le cas de l'aménagement foncier que nous finançons, mais dont la maîtrise d'ouvrage revient aux collectivités territoriales.
À défaut de revenir sur le principe de compensation avant destruction, le processus itératif développé par les maîtres d'ouvrage doit pouvoir continuer à prospérer sans contraintes excessives. Une application stricte de la loi qui impose de compenser avant de détruire impose que tout le processus soit prévu en amont du contrat de concession, avec toutes les questions soulevées, ou que du temps soit laissé au concessionnaire pour qu'il mette les mesures en oeuvre.
Afin de pouvoir anticiper, des bases de données sur les espèces sont nécessaires. Dans le cadre de l'A65, les inventaires faits par l'État ont dû être largement complétés sur une période de quatre saisons, soit un an de travail. Toutes nos études techniques et nos concertations avançant en parallèle, certains résultats disponibles au bout d'un an nous obligent à remettre en cause certaines hypothèses initiales. C'est une perte de temps et d'énergie considérable.
Il faut standardiser et baisser les ratios de compensation. Avec 1 400 hectares de mesures compensatoires pour 250 hectares d'impact sur des espèces patrimoniales, l'A65 est l'exemple de ces ratios importants. Cette disproportion est utilisée comme garantie de bien retrouver sur la surface de compensation la même biodiversité qui était présente sur la surface initiale. Certaines espèces font l'objet d'un coefficient de 10 ! On pourrait toutefois imaginer de baisser ces ratios une fois que la présence de l'espèce en cause est acquise à l'endroit de la compensation. Le même raisonnement peut être tenu pour la durée de ces mesures. 55 années de gestion conservatoire, c'est très long, a fortiori pour remplacer des territoires qui ne bénéficiaient d'aucune protection particulière. Si la compensation est, en ce sens, une opportunité de protéger les nouveaux territoires concernés, je pense néanmoins que cette durée est trop longue.
Se pose également la question du périmètre géographique des mesures de compensation. En ce qui concerne l'A65, il nous a été demandé de compenser au plus près de l'infrastructure. Toutes nos compensations ont lieu en Aquitaine car nous nous sommes interdits d'aller ailleurs. Or, cette nécessité de proximité immédiate n'est pas compatible avec une lecture cohérente et raisonnée des territoires concernés, même si la CDC biodiversité a fait tout son possible pour rendre nos actions cohérentes avec celles des départements, par exemple. Cette lecture géographique stricte relève d'une logique de mitage qui n'est pas la plus efficace en matière de redéploiement et de restauration de la biodiversité.
Se pose aussi la question de la stratégie globale de restauration. Il existe des plans par espèce, mais qui ne sont pas vraiment entrés en ligne de compte dans les débats que nous avons eus avec nos différents interlocuteurs, qu'il s'agisse de l'État ou des associations.
Une instance nationale pour piloter les compensations et garantir un maillage cohérent du territoire semble donc nécessaire. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas verser les territoires dédiés à la compensation à un gestionnaire qui possèderait cette vision globale, ou à défaut que l'État s'empare de la maîtrise d'ouvrage des mesures de compensation ?
Dans le cadre de l'A65, 200 hectares de compensation touchent spécifiquement le vison d'Europe alors que, selon les experts, il a virtuellement disparu de la région. Dans le cadre du million et demi d'euros mobilisé pour des actions volontaires, 500 000 euros ont été dédiés à la redynamisation de cette espèce. Nous avons proposé de participer au plan de reproduction en captivité mais il nous a été expliqué que ce n'était pas nécessaire. Nous avons proposé de faire de la réintroduction mais il s'avère que l'action en faveur du vison est plutôt localisée vers la Charente. Je me demande donc à quoi vont servir les 200 hectares que nous avons mobilisés si ce n'est à répondre aux dispositions des arrêtés. Même si nos engagements sont formellement caducs au regard de ces arrêtés puisque nous avons pris du retard, nous conservons l'intention d'utiliser ces 1,5 million d'euros pour aller au-delà de la simple compensation et réellement redynamiser certaines espèces. Or, je me rends compte que le million d'euros déjà dépensé n'a servi qu'à réaliser des études. J'ai donc demandé à la DREAL que le reste de la somme qui doit être débloqué le soit au profit d'actions concrètes. En ce qui concerne le vison, je souhaite qu'à défaut de réintroduction, un traitement des routes départementales soit opéré. Car il ne sert à rien de restaurer de beaux espaces si les espèces qui y vivent se font écraser sur les routes alentours.
Vous nous indiquez qu'il manque une autorité pour faire la synthèse de la vision globale des opérateurs ou une autorité scientifique. Il manque donc une stratégie avec un certain nombre d'acteurs dont un opérateur possédant une vision nationale de trames régionales cohérentes ?
Une stratégie et un schéma directeur sont effectivement nécessaires. Un grand pas a été fait avec l'A65 mais la réflexion n'est pas tout à fait aboutie et ces éléments nous ont manqué. Ces mesures coûtent très cher et il ne faudrait pas qu'elles restent lettre morte.
En ce qui concerne la règlementation, je pense qu'il est aujourd'hui nécessaire de rassurer les propriétaires. L'hypothèse que des mesures de compensation soient assises sur des servitudes qui grèveraient définitivement les propriétés rendrait très difficile l'accès à ces terrains sur les bases d'un partenariat entre les propriétaires et le concessionnaire ou ses opérateurs. La perspective possible de perte de valeur du terrain entrainerait des résistances et minerait tout le travail de pédagogie que nous avons effectué avec les services de l'État.
L'autoroute A65 est un exemple pour travailler autour de cette dimension. Le territoire concerné est important et hétérogène et les 1400 hectares de mesures de compensation sont à la fois beaucoup, mais représentent in fine, une faible surface. Pour que les mesures soient efficaces, il est donc nécessaire qu'elles soient conçues en synergie avec les autres actions mises en oeuvre dans les territoires. Nous avons, à ce titre, veillé à la complémentarité des mesures de compensation avec les attentes des collectivités territoriales en matière d'espaces naturels sensibles ou de réserves naturelles. On débouche donc sur la question de ce que l'on appelait dans le temps les corridors écologiques, qui sont devenus les trames vertes et bleues à l'issue du Grenelle. Il faut donc évoluer vers la prise en compte de la fonction écologique des milieux car la réglementation actuelle traite des espèces protégées, mais pas de leur fonction écologique et du rôle de la nature. Sous le prisme des actions de l'homme en faveur de la nature, il faut se rendre compte que 90% des services écologiques sont fournis par la nature ordinaire. Si leur rôle d'indicateur n'est pas remis en cause, il faut néanmoins noter que les espèces emblématiques ne sont qu'une « cerise sur le gâteau ».
Un projet, même important, n'aura qu'une portée limitée s'il agit seul, malgré les montants et les efforts significatifs qui pourront être engagés.
La période actuelle est propice aux réflexions sur la manière de restaurer la nature et les mesures compensatoires ne sont qu'un levier parmi d'autres. Il est nécessaire d'avoir une vision globale du problème et que la notion d'équivalence écologique évolue progressivement. Les services de l'État, les experts, les scientifiques devraient, en ce sens, réfléchir aux priorités biogéographiques à une échelle régionale. Ces objectifs devraient, dans un second temps, donner lieu à des actions ad hoc, qu'il s'agisse de mesures de compensation, d'actions volontaires ou de l'utilisation des prérogatives des pouvoirs publics.
L'A65 a été une véritable expérimentation car elle permet de réfléchir de manière très concrète à toutes ces questions-là.
Ma question peut paraître provocatrice, mais un aménageur n'aurait-il pas plus intérêt à raisonner en unités d'équivalence écologique auxquelles serait attaché un prix, même élevé auprès d'un opérateur ? Le paiement du prix pour solde de tout compte serait une garantie juridique et économique pour l'aménageur et la sous-traitance des mesures de compensation auprès d'un spécialiste en garantirait l'efficacité en faveur de la biodiversité.
Le mécanisme que vous décrivez est exactement celui de l'archéologie préventive. Une cotisation est payée par le maître d'ouvrage à l'INRAP qui effectue un diagnostic et décide avec la DRAC d'un certain nombre de fouilles. Je pense toutefois qu'en matière de biodiversité il ne faut pas déconnecter un opérateur du maître d'ouvrage car ce dernier a la possibilité de faire des choix techniques qui peuvent être déterminants en matière de biodiversité. Il faut à la fois qu'un organisme apporte de la cohérence aux actions, au sein d'une stratégie planifiée, afin de créer de la valeur écologique et que les acteurs s'investissent dans cette démarche-là.
L'idée d'une possible réévaluation à la baisse des mesures de compensation va en ce sens puisqu'elle pourrait inciter l'aménageur qui dispose des choix techniques relatifs au projet à favoriser des solutions permettant d'éviter ou de réduire les atteintes à la biodiversité. Si ces mesures sont élaborées sans lui et en amont, le système deviendra obligatoirement répressif puisqu'il poussera à vérifier que le maître d'ouvrage les a bien mises en place alors qu'il n'y a pas forcément intérêt. Or je ne crois pas tellement à la contrainte.
Une solution pourrait être de traduire en valeur vénale les atteintes potentielle d'un projet, que le maître d'ouvrage arbitre entre les atteintes et des mesures d'évitement ou de réduction et que le montant correspondant aux atteintes effectives soit finalement versé à un opérateur spécialisé, le cas échéant public, qui mettrait en oeuvre les mesures de compensation de manière efficace. Il ne s'agit pas là exactement d'une taxe puisque l'existence d'une équivalence entre les atteintes et le coût inciterait le maître d'ouvrage à l'évitement. Seriez-vous favorable à un tel système ?
Il faut servir l'objectif final et mettre chacun à sa place. Autant l'aménageur a la main sur les choix techniques qui impacteront plus ou moins l'environnement autant il n'est pas forcément le mieux placé pour mettre en place et gérer les mesures de compensation sur la durée.
Il est nécessaire d'anticiper les mesures de compensation mais confier totalement la mise en oeuvre des mesures de compensation à un organisme financé par les aménageurs donnerait une place centrale à l'État, dans une logique « pollueur - payeur » ou, en l'occurrence « destructeur - payeur ». Comme je vous le dis, je ne suis pas un partisan de la sanction. Je pense qu'il faut un effort commun de tous les acteurs et que cette tâche ne doit pas revenir uniquement à l'État ou uniquement à l'aménageur.
Je pense que le modèle que M. de Guinaumont nous expose diffère de celui qu'entend notre rapporteur. Il souhaite appuyer la nécessité de régler un maximum de problèmes en aval et concerter largement l'ensemble des acteurs concernés. Cette conception remet, à juste titre, en cause le fait de juxtaposer en silos des spécialistes en fonction de leur coeur de métier puisqu'elle associe une large concertation à des projets lourds et globaux qui influencent la vie des populations à de multiples endroits.
Monsieur le rapporteur fait référence à l'intervention d'un opérateur spécialisé. Il conviendra d'en préciser les modalités.
Cette audition a pour but de poser des questions à nos interlocuteurs. Vous ne connaissez pas encore ma position de rapporteur ! Les débats internes à notre commission interviendront après. Mes questions ont pour but d'éclaircir les pistes posées par M. Olivier de Guinaumont. Lorsqu'il nous expose le fait que la compensation ne relève finalement pas de son métier, se pose la question de l'efficacité des mesures de compensation mises en oeuvre par un maître d'ouvrage. Se pose donc la question de la nécessité d'une autorité publique ad hoc garante de la cohérence globale des mesures de compensation mises en oeuvre sur un territoire et d'un opérateur spécialisé chargé de les mettre efficacement en oeuvre. Cet opérateur pourrait d'ailleurs répondre de l'obligation de résultat prévue par la loi et qui pèse actuellement sur le maître d'ouvrage. L'autorité publique pourrait également avoir pour rôle de calculer le transfert financier du maître d'ouvrage vers l'opérateur spécialisé en fonction des atteintes du projet sur la biodiversité. Le maître d'ouvrage serait donc en mesure de faire des arbitrages sur ses choix techniques en fonction de ce nouveau coût induit.
En ce qui concerne l'obligation de résultat, nous avons pour obligation de remettre en place certaines surfaces. L'objectif est rempli quand les services de l'État, accompagnés d'un certain nombre d'experts, conviennent qu'un habitat a été restauré à hauteur d'une fraction de notre « dette » environnementale. Nous n'avons pas d'obligation de résultat sur la restauration des espèces.
L'objectif de résultat repose sur la qualité des milieux restaurés à l'aune de la physionomie des habitats. Au-delà de l'obligation surfacique, une typologie de milieux doit être atteinte, qu'il s'agisse de milieux propices à telle ou telle espèce de mammifères ou de pelouses sèches, par exemple. Il n'est, en revanche, pas possible d'avoir un engagement de résultat sur le retour des espèces elles-mêmes car certains facteurs nous échappent. L'exemple des visons et des routes départementales cité par Olivier de Guinaumont en est un exemple.
L'objectif de votre commission d'enquête est d'initier des changements afin de pouvoir agir concrètement, efficacement et dans la durée. J'ai toutefois l'impression que la solution esquissée par le rapporteur pour amender le système actuel ferait glisser d'un étalon écologique vers un étalon financier. Il est, en ce sens, difficile d'attribuer un prix à la dégradation d'une zone humide car toutes les zones humides ne sont pas équivalentes puisqu'elles peuvent occuper différentes fonctions écologiques. L'aspect économique est important, c'est le sens du rapport Chevassus-au-Louis, qui préconisait de faire correspondre, dans le cadre de choix amonts, un prix avec l'impact du projet, afin d'opérer des choix.
En revanche, lorsque l'on passe à l'étape de la compensation afin d'opérer des réparations opérationnelles sur le terrain, il convient de trouver des moyens de distinguer entre deux milieux de même nature mais qui n'ont pas forcément les mêmes fonctions écologiques, afin d'opérer des choix. J'entends par fonction écologique, pour une zone humide par exemple, les aspects hydrauliques ou liés à la protection des populations.
Il existe une vraie demande des aménageurs pour préciser les règles de la compensation, notamment en matière de coefficients. Il existe également la volonté de s'appuyer sur des professionnels reconnus. L'argent est donc au coeur de la question. Plusieurs hypothèses sont possibles. La première, proche de l'état actuel du droit, est de considérer que l'obligation de restauration des milieux est une obligation de résultat et qu'en conséquence, l'opérateur doit financer à hauteur de ce qui est nécessaire, pendant le nombre d'années nécessaire, pour atteindre ce résultat tant qu'il n'y sera pas arrivé. La deuxième hypothèse est que les atteintes soient pécuniairement évaluées une fois pour toute par une autorité publique et que la somme correspondante soit versée à un opérateur spécialisé en compensation.
La troisième hypothèse correspond au système mis en place pour l'archéologie préventive. Un taux fixe serait appliqué aux sommes mises en oeuvre pour les projets d'aménagement et les fonds ainsi collectés serviraient une stratégie nationale de reconquête.
Une vraie filière est en train de se créer. Elle est animée par l'État, ainsi que par une multitude d'associations. L'amélioration des travers constatés en matière de compensation ne peut se résumer à la création d'une structure publique, mais doit également prendre en compte cette filière. Sur la base de l'expérience de l'A65 et de la contribution volontaire que nous avons mise en oeuvre, j'ai bien peur que la création d'une structure auprès de laquelle serait centralisés les fonds perçus conduirait à la création de beaucoup de papier, mais à peu d'actions concrètes.
Je suis par ailleurs d'accord avec vous. Notre unité de mesure commune est l'argent. Il représente la manière la plus simple de comparer deux choses qui ne sont pas comparables. Je comprends parfaitement le souci de Philippe Thievent de ne pas décorréler les prix des valeurs environnementales, mais il s'agira in fine d'une affaire d'argent.
Est-ce-que la fourchette de 10-15 % qui correspond, pour un projet, au coût des mesures environnementales, commence à être acceptée par les aménageurs, ou espèrent-ils encore pouvoir faire baisser cette somme ? Quel a, par exemple, été le coût des mesures de compensation mises en oeuvre pour l'A65 ?
Ces informations relèvent du secret des affaires et vous seront communiquées par écrit. Je peux seulement vous dire que cela représente moins de 10% du coût global.
Le parallèle est intéressant à propos de l'exemple de l'INRAP. Il s'avère toutefois que des différences existent puisque la mission de l'INRAP relève du diagnostic et du sauvetage en matière d'archéologie. Il ne s'agit pas tout à fait de la même logique que la discipline de la réparation écologique.