Intervention de Éric Bocquet

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 12 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de Mme Valérie Pécresse ministre du budget des comptes publics et de la réforme de l'etat

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet, rapporteur de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales :

Madame la ministre, votre audition de ce matin vient, si je puis dire, « à point nommé ».

En effet, notre commission en est en quelque sorte parvenue à mi-chemin de ses travaux, qui se tiennent depuis le début du mois de mars 2012 à un rythme soutenu. Après avoir auditionné pas moins de onze services de l'administration chargés de lutter contre toutes sortes de fraudes - évasion, blanchiment et autres pratiques répréhensibles -, il était intéressant que nous puissions à ce stade entendre le ministre en charge de cette administration et de cette compétence.

Puisque l'audition d'aujourd'hui est ouverte à la presse, je me permets d'énumérer les onze services que nous avons auditionnés, non pas dans un souci d'autoglorification, mais bien pour montrer à nos concitoyens le travail que la commission d'enquête a réalisé, et afin que chacun comprenne précisément de quoi nous parlons quand nous utilisons des sigles, ce que nous faisons en général très souvent.

Notre commission d'enquête a donc entendu les services suivants : la direction de la législation fiscale (DLF) ; la direction générale des douanes et droits indirects ; la sous-direction des affaires juridiques, du contentieux, du contrôle et de la lutte contre la fraude ; le directeur général des finances publiques (DGFiP) ; le contrôleur général de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière - je souligne l'intérêt de l'expression ; TRACFIN, que vous avez cité ; la direction nationale des vérifications de situations fiscales ; l'Autorité de contrôle prudentiel ; le Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, lequel est aussi une dimension du sujet ; la direction nationale d'enquêtes fiscales ; enfin, la direction des vérifications nationales et internationales.

En outre, vous l'avez évoqué, de par le calendrier, nous sommes à l'heure des bilans : une séquence politique est en passe de s'achever.

Alors que la crise financière et économique frappe la planète, la fraude fiscale marque fortement l'actualité depuis quelques années. Nous avons donc décidé d'inscrire à l'ordre du jour de nos travaux la question de l'évasion fiscale, évasion qui indigne, choque, surprend. Dès lors, il importait que nous en comprenions les mécanismes et les ressorts, et que nous en déterminions l'ampleur.

À l'issue de nos travaux, nous remettrons un rapport assorti de propositions aux personnalités et services chargés de ces affaires après les élections.

Madame la ministre, j'entends bien votre enthousiasme. « Indéniable succès », « florilège », « redoutable efficacité » : je retrouve dans cette terminologie la marque du volontarisme affiché par le Président de la République en son temps, et par vous-même ce matin. Le 24 novembre 2011, vous disiez déjà : « certains préfèrent la voie de l'amnistie, ce n'est pas la nôtre. Notre méthode, c'est la peur du gendarme ». La « peur du gendarme » : vous venez à nouveau d'employer l'expression.

Permettez-moi toutefois de citer un chiffre qui atténuera l'enthousiasme général : sur les 230 requêtes d'informations adressées à 18 États, seules un tiers ont reçu une réponse. Il y a là un constat d'échec sur lequel nous devons nous interroger.

Si vous le voulez bien, je vous soumettrai mes questions en trois temps. Je laisserai ensuite à mes collègues le soin d'intervenir, de manière à rendre notre débat moins monotone et plus interactif, ce qui est toujours préférable.

Madame la ministre, vous avez présenté l'action des gouvernements auxquels vous avez appartenu comme témoignant d'une volonté résolue de lutter contre l'évasion fiscale internationale.

Or la politique fiscale que vous avez mise en oeuvre a été essentiellement marquée par la réduction de la fiscalité sur les hauts revenus, que ce soit ceux des particuliers ou ceux des entreprises. La semaine dernière, la presse, dressant un bilan de l'évolution de la fiscalité des dix dernières années - entre 2002 et 2012 - s'en faisait l'écho, et il apparaissait clairement que les hauts revenus et les gros patrimoines avaient principalement bénéficié des dispositions que vous avez mises en place.

Je ne mentionnerai que le bouclier fiscal et la formidable explosion des niches fiscales destinées aux entreprises, parmi lesquelles la palme revient sans doute à la « niche Copé ».

Madame la ministre, vous avez inlassablement expliqué, dans vos déclarations, que ces mesures répondaient à un double objectif : améliorer la compétitivité et l'attractivité économique du pays, prévenir l'exil fiscal des personnes à très hauts revenus et élever la rentabilité du capital.

Ce dernier objectif, partagé de par le monde par tous les gouvernements libéraux et se traduisant par une concurrence fiscale destructrice et sans fin, vous a d'ailleurs rendue aveugle à la manipulation de la finance par l'utilisation de l'effet de levier, élément essentiel du déclenchement de la crise actuelle, avec l'expansion sans précédent des revenus financiers versés aux actionnaires. Sur ce dernier point, les chiffres n'ont pas été démentis : entre 2008 et 2011, bon an mal an, le niveau des dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 s'est élevé, à quelques variantes près, à environ 40 milliards d'euros annuels, indépendamment de l'état de crise, qui s'aggrave et qui, chaque mois davantage, plonge les pays dans l'austérité. De ce point de vue, la régularité a donc été remarquable.

De son côté, l'investissement stagnait, sans que n'ait lieu la réaction qu'aurait dû avoir un gouvernement soucieux de la justice sociale et de la croissance économique, à savoir la conduite d'une politique économique adaptée.

Politique fiscale, politique des revenus, politique financière, tout est allé dans le même sens : celui du triomphe de la rente sur l'investissement et sur le travail. D'une certaine manière, cette politique a été couronnée de succès...

J'en viens précisément aux grandes entreprises du CAC 40, évoquées à l'occasion de plusieurs auditions auxquelles a procédé notre commission. On le sait, le Conseil des prélèvements obligatoires l'a montré voilà quelques années, ces entreprises sont imposées au taux moyen de 8 %, contre un impôt théorique de 33 %.

Pour leur part, les très hauts revenus se voient appliquer un taux moyen d'imposition de 15 %, fort éloigné du taux marginal supérieur défini par le barème. Encore ce taux ne s'applique-t-il qu'à des revenus déclarés, dont nos premiers travaux nous laissent penser qu'ils sont probablement assez loin de rendre compte de la véritable situation de revenus des personnes en question.

Pour le reste, les objectifs affichés pour justifier cette politique n'ont selon nous pas été atteints.

Le déficit extérieur a explosé, la position financière nette de la France s'est considérablement dégradée et l'attractivité de notre territoire est moins bonne d'année en année.

Les exilés fiscaux sont-ils revenus ? Selon nos informations, et d'après les récents échos dont nous disposons, rien n'est moins sûr. Au contraire, certains avocats conseils fiscalistes estiment qu'il existe, pour l'heure, une certaine recrudescence de l'activité dans ce domaine.

Madame la ministre, n'avez-vous donc pas le sentiment que votre politique a échoué ? Compte tenu de la remise en cause partielle du bouclier fiscal et des annonces bien tardives et improvisées faites par le Président de la République, il me semble que l'on ne peut répondre que de manière positive à cette question.

Par ailleurs, je souhaite vous interroger sur des points précis de l'action prétendument conduite pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales internationales.

Pouvez-vous tout d'abord nous indiquer à combien vous chiffrez cette évasion et quels en sont les enjeux fiscaux pour notre pays ?

En ce qui concerne la lutte contre la fraude fiscale internationale et contre l'évasion fiscale abusive, je voudrais connaître le montant et la répartition des redressements ainsi que des pénalités auxquels elles ont pu donner lieu au cours des dix dernières années. Quel est le bilan du volet pénal de cette action du Gouvernement ?

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