Je commencerai par vous expliquer ce que peuvent ou ne peuvent pas dire les herboristes sur leurs produits dès lors que ceux-ci sont positionnés comme des denrées alimentaires (y compris les compléments alimentaires).
Avant cela, il faut rappeler qu'avant 2007, tout opérateur souhaitant communiquer sur les caractéristiques nutritionnelles de l'aliment (par exemple : riche en calcium) qu'il commercialise ou sur ses bénéfices pour la santé (par exemple : le calcium contribue au développement osseux), était soumis à l'obligation de publicité non trompeuse. Il devait ainsi présenter un dossier permettant d'alléguer sa communication. Il appartenait à la DGCCRF de recueillir ses justificatifs et de démontrer, le cas échéant, en quoi cette communication pouvait être trompeuse pour le consommateur. Il s'agissait d'un travail particulièrement fastidieux, d'autant plus que le marché était en pleine expansion. Face à la prolifération de ces allégations, l'Union européenne s'est dotée d'une réglementation ambitieuse, par le biais du règlement 1924/2006, qui a opéré un changement drastique de paradigme : tout opérateur souhaitant mettre en avant les bénéfices de son produit doit au préalable obtenir une autorisation de la commission européenne après évaluation par l'autorité européenne de sécurité des aliments (AESA).
Je vous ai représenté une version schématisée du processus d'autorisation qui peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années. Comme vous pouvez le constater, ce processus se déroule en trois temps : un examen de la recevabilité par l'autorité compétente de l'État membre dans lequel la demande est introduite (la DGCCRF pour la France), une évaluation scientifique par l'AESA à Rome, une décision par comitologie (pour laquelle la DGCCRF représente la France).
A ce stade, il faut souligner que dès le départ et conformément aux termes du règlement 1924/2006, l'AESA a exigé le plus haut niveau de preuves scientifiques, en l'occurrence des études en double aveugle contre placebo (minimum 50 000 euros l'étude). Ainsi, pour les plantes, elle a refusé de valider des allégations reposant uniquement sur la tradition, répertoriée dans des ouvrages de référence et des monographies. Pour l'anecdote, nous en sommes arrivés à une situation cocasse où un député européen mettait au défit M. Barroso, alors président de la commission européenne, de participer à un concours de pruneaux, pour prouver les effets sur le transit de ces derniers.
Or, plusieurs États membres, dont la France, ont fait valoir que la tradition était déjà un élément reconnu pour établir l'efficacité des médicaments traditionnels à base de plantes. Ainsi, le niveau d'exigence est plus élevé pour les produits d'alimentation que pour les médicaments traditionnels. Ces États ont souligné l'existence d'une disproportion importante entre les niveaux d'exigence, disproportion non justifiée et de surcroit susceptible de générer des contentieux. La commission européenne a alors mis le dossier en attente, le temps de procéder à diverses consultations. C'était en 2009. Aucune évolution significative n'a été apportée depuis lors.
Très concrètement, la mise en attente de l'évaluation des allégations de santé « plantes » a conduit l'Union européenne à admettre, à titre transitoire, l'utilisation des allégations « en attente ». Cette liste apporte une marge de manoeuvre non négligeable aux herboristes mais la situation n'est guère satisfaisante car aucune autre allégation ne peut être employée (à moins de déposer une demande fondée sur des études cliniques particulièrement coûteuses). Sans compter que cette liste s'avère très imparfaite.
Il faut enfin souligner qu'il est strictement interdit pour une denrée alimentaire de faire état de propriétés de prévention, de traitement ou de guérison de maladies humaines, sous peine d'encourir de multiples peines.
Venons-en maintenant aux compléments alimentaires. Tout opérateur souhaitant commercialiser en France un complément alimentaire à base de plantes doit effectuer une déclaration auprès de la DGCCRF au moyen de la téléprocédure dédiée. La DGCCRF dispose de deux mois pour réagir. Afin de faire autoriser son produit, l'opérateur doit apporter la preuve d'une commercialisation légale au sein d'un autre État membre de l'Union européenne. C'est l'application du principe de reconnaissance mutuelle.
La DGCCRF doit ensuite introduire les plantes contenues dans les compléments alimentaires qu'elle a autorisés sur la liste nationale des plantes autorisées dans les compléments alimentaires en France. C'est l'objet de l'arrêté du 24 juin 2014. A ce stade, il faut bien comprendre que la réglementation française en matière de plantes pouvant être utilisées dans les compléments alimentaires se construit un peu « passivement », par mimétisme de ce que font les autres États membres, même si la France a des choses à dire.
Enfin, la DGCCRF applique des programmes de contrôle afin de vérifier la conformité des produits mis sur le marché. Avant d'évoquer les conditions d'emploi permettant de garantir la sécurité des compléments alimentaires à base de plantes, je tenais à vous apporter quelques données chiffrées. En 2017, la DGCCRF a reçu environ 1 100 déclarations par mois, pour un total de près de 13 000 déclarations dans l'année. Ce rythme de déclaration est constant d'année en année ; il témoigne de la bonne santé économique de ce secteur (+ 5,8 % en 2017) et du renouvellement important des produits.
On peut d'ailleurs noter la prépondérance des ingrédients « plantes » par rapport aux autres types d'ingrédients actifs.
Tout à l'heure, j'évoquais la construction passive de la réglementation française. En réalité, elle n'est pas si passive que cela puisque, d'une part, la DGCCRF peut s'opposer à la commercialisation d'un complément alimentaire en France sous réserve d'être en mesure d'en démontrer la dangerosité dans les conditions d'emploi proposées et, d'autre part, la DGCCRF a contribué à un rapprochement des réglementations belge, française et italienne : le projet BELFRIT.
L'objectif était, en l'absence d'harmonisation européenne, de définir une liste commune de plantes et de conditions d'emploi afin de faciliter les échanges entre ces trois pays. Pour ce faire, nous avons mis en commun les différentes listes nationales, corrigé les dénominations et mis à contribution trois pharmacognostes réputés (experts dans les agences nationales et européennes) qui ont soigneusement épluché toute la littérature disponible pour chaque plante figurant dans la liste commune. Des restrictions ont notamment été proposées.
Le fruit de ce travail est une liste d'environ 1 000 plantes assorties de conditions d'emploi quantitatives ou qualitatives (avertissements à destination de populations fragiles). 500 plantes font ainsi l'objet de restrictions d'emploi. Ce travail, déjà intégré dans les réglementations belge et italienne, nous sert de doctrine lors de l'examen des déclarations de compléments alimentaires. C'est le cas du millepertuis notamment.
Toujours dans un objectif de sécurité, la DGCCRF a introduit dans l'arrêté du 24 juin 2014 l'obligation pour les opérateurs de tenir à la disposition des autorités de contrôle des informations essentielles pour garantir la qualité des préparations de plantes. Ces informations concernent l'identification de la plante, le process de transformation et les spécifications de la préparation de plantes.
Cette exigence impose des obligations de moyens, au-delà des obligations de résultat, et vise à élever le niveau de maîtrise de la qualité de tous les acteurs de la chaîne de fabrication du complément alimentaire. Le but est que l'opérateur final ne soit pas passif. L'annexe I de ce décret dresse la liste des plantes et l'annexe II impose aux opérateurs de disposer d'un dossier de contrôle reprenant les caractéristiques des préparations de plantes.
Un syndicat français des compléments alimentaires, le Synadiet, a développé un formulaire pour ses adhérents afin qu'ils remplissent au mieux cette obligation franco-française. Il faut souligner que les deux syndicats européens de fabricants de compléments alimentaires, FSE et EHPM, se sont dotés eux aussi de formulaires similaires sur la qualité des préparations à base de plantes, reprenant les items de l'annexe II de l'arrêté français qui a ainsi contribué à sa manière à l'harmonisation européenne.
La DGCCRF est en train de mettre à jour la liste des plantes autorisées et de rédiger un document plus complet recensant les restrictions, quantitatives et/ou qualitatives, qu'elle impose pour chaque plante. Ce document reprend les restrictions mais surtout en explique les raisons en citant notamment des sources bibliographiques. Doivent notamment être expliqués les contenus chimiques et les risques potentiels. Ce document permet de mieux comprendre l'origine de la doctrine administrative et conduira probablement à mieux la faire évoluer en fonction de l'évolution des connaissances scientifiques.
Pour conclure, je tiens à rappeler ce qu'a souligné ma sous-directrice tout, à savoir les trois principaux obstacles réglementaires auxquels se heurtent les herboristes dans leurs démarches de commercialisation et qui peuvent selon les cas s'avérer rédhibitoires. La réglementation européenne s'intéresse aux produits. Elle est drastique. Enfin, elle prend en compte la communication et la publicité faites non seulement par écrit mais aussi par oral. Si une personne, y compris un praticien, présente un effet sur la santé non autorisé par le règlement, il est en infraction.