Je ne reviendrai pas sur la présentation du Sirti, mais je souhaite rappeler sa mission. Il s'agit de veiller à maintenir un modèle économique viable pour les radios indépendantes, de contribuer à faire évoluer le cadre législatif et de régulation du média radio - il est parfois inadapté aux évolutions de notre environnement et de la société - et, surtout, d'oeuvrer pour une concurrence juste et saine qui permette l'existence et le développement d'une offre radiophonique diversifiée et pluraliste.
Nos radios sont le fruit de l'exception culturelle française et leur paysage très divers n'a pas d'équivalent dans le monde. Cela a été rendu possible grâce non seulement à l'engagement du Sirti, mais aussi au soutien régulier de votre assemblée, en particulier sur les limites imposées à la concentration opérée par les groupes nationaux au cours des vingt dernières années.
Les radios que le Sirti représente contribuent, grâce à leur succès d'audience, à entretenir la diversité de l'offre d'information, de l'offre musicale et de l'offre de divertissement, dans toutes les villes et les villages de France. Depuis quarante ans, nous portons la responsabilité d'informer au quotidien nos auditeurs en les faisant bénéficier d'une information locale, produite localement.
Le Sirti représente 14 % des entreprises salariant des journalistes en France. En effet, l'audiovisuel local occupe une place à part dans notre pays, comme l'ont encore montré, en novembre dernier, les assises de l'audiovisuel local.
L'audiovisuel local est le média de confiance préféré des Français, incontournable pour s'informer sur l'actualité locale ou nationale, y compris sur les enjeux électoraux locaux ou nationaux. Ainsi, pendant la crise, malgré leur situation financière délicate, les médias audiovisuels locaux privés ont tout mis en oeuvre pour maintenir, quoi qu'il en coûte, leurs émissions et leur présence locale. Ils ont continué d'assurer leur mission d'information et de maintien du lien social au coeur des territoires. Ils ont été, et sont encore, le relais de l'État grâce à la diffusion gratuite de milliers de messages destinés à informer la population sur l'évolution des mesures de la situation sanitaire. Le coût de cette mission représente plusieurs dizaines de millions d'euros sur les douze derniers mois.
En raison de ce rôle essentiel des radios indépendantes, tant culturel, démocratique, économique que citoyen, quatre grands enjeux nous semblent primordiaux à prendre en compte si l'on veut éviter que la concentration des médias n'agisse de manière négative et malheureusement irréversible sur la radio et l'audiovisuel local.
En premier lieu, il ne faut pas modifier le dispositif anti-concentration français en radio, ajusté très récemment à une couverture n'excédant pas 160 millions d'habitants pour un même groupe, dans le cadre de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique. Ce plafond de concentration, en permettant une répartition juste de la ressource hertzienne FM, protège les radios indépendantes des projets capitalistiques des réseaux nationaux. Il évite également que ces réseaux ne se rapprochent entre eux, ce qui déséquilibrerait le marché publicitaire. Il est donc le garant indispensable au maintien d'un paysage radiophonique pluraliste.
En deuxième lieu, il convient de préserver la réglementation publicitaire applicable à ce jour. Depuis vingt mois, les télévisions nationales peuvent accéder, via la publicité segmentée, à des offres ciblées géographiquement, mais sans adressage local. Nous souhaitons que la publicité segmentée reste encadrée pour respecter le principe simple « à programme local, publicité locale ». Autrement dit, un éditeur qui ne produit pas de programme local ne doit pas pouvoir accéder à la publicité locale.
Le marché de la publicité locale représente 50 % en moyenne du chiffre d'affaires des radios indépendantes qui touchent 9 millions d'auditeurs quotidiens.
Par ailleurs, les offres commerciales de la grande distribution sont interdites à la télévision, ce qui permet aux autres médias de se financer. Pour le média radio, il s'agit du secteur publicitaire le plus important, avec pas moins de 50 % des investissements publicitaires. Comme l'ont montré les études réalisées en 2018 et 2019, dont l'une à la demande du ministère de la culture, toute ouverture de la publicité de la grande distribution à la télévision entraînerait une bascule des recettes de la presse, de la radio et de l'affichage vers la télévision, sans aucune création de valeur et surtout sans pénaliser les acteurs de l'internet.
Le Sirti rappelle donc sa ferme opposition à une éventuelle remise en cause des secteurs interdits de la publicité à la télévision, ainsi que du dispositif encadrant à ce jour la publicité segmentée adressée. La concentration en télévision ne doit absolument pas se faire aux dépens de la source principale de financement des autres médias, dont la radio.
De plus, si nous soutenons avec ferveur un audiovisuel public fort, doté de tous les moyens financiers qu'exige sa mission, nous réaffirmons toutefois notre très ferme opposition à une ouverture plus large du marché publicitaire aux éditeurs de télévision ou de radios dites « de service public », alors que cela pourrait être une conséquence prochaine de la création d'un nouveau groupe privé de télévision en France.
En 2021, le Sirti, associé à l'ensemble des radios privées, a dû se battre pour obtenir le maintien du plafond des recettes publicitaires de Radio France, dans un contexte économique plus que catastrophique pour notre média. Le retrait de ces sources de financement dévasterait le paysage radiophonique, en particulier localement, où il est irremplaçable.
En troisième lieu, nous souhaitons que les médias audiovisuels locaux puissent rester compétitifs et conservent leur place face aux médias nationaux, aux groupes de médias et, bien évidemment, aux Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
Malheureusement, la radio est la grande oubliée des dernières réformes législatives et réglementaires. Au cours du quinquennat qui s'achève, le Sirti n'a eu de cesse de demander une ouverture des modes de financement du média radiophonique, en portant diverses propositions auprès du Gouvernement et des parlementaires.
En effet, les radios commerciales privées dépendent entièrement de la publicité pour vivre, s'adapter et investir dans l'innovation. La crise actuelle montre que ce modèle de financement doit évoluer, d'autant que la publicité est au coeur de multiples enjeux, désormais incompatibles avec sa fonction rémunératrice pour les radios. La loi Climat et résilience interdit l'accès à la publicité à de nouveaux secteurs, venant réduire encore davantage le financement des radios privées. Le temps de publicité, déjà limité conventionnellement, se voit amputer régulièrement par la lecture de nombreuses mentions légales, lesquelles viennent encore de se multiplier sous l'effet des décrets d'application de la loi d'orientation des mobilités. Ce temps d'énumération détourne de nombreux annonceurs de la radio vers d'autres supports et, une fois de plus, le numérique est le grand gagnant.
C'est pourquoi le Sirti a porté des propositions afin d'amorcer la diversification nécessaire et vertueuse du financement du média radio, notamment la rémunération des éditeurs de radios lorsque celles-ci sont diffusées dans les lieux publics, ou encore l'accès à la rémunération pour copie privée. Quoi de mieux que de reconnaître, protéger et rémunérer la création, particulièrement lorsqu'elle est radiophonique ?
En quatrième et dernier lieu, il est nécessaire de labelliser les médias audiovisuels locaux, ce qui satisfera la principale demande issue des récentes assises de l'audiovisuel local. Il s'agit, en effet, de reconnaître la spécificité des apports de ces médias, de manière objective et quantifiée.
Cette labellisation pourrait donner accès à un ensemble de mesures adaptées et spécifiques autour des trois piliers qui garantissent le modèle éditorial économique de l'audiovisuel local privé : la création d'un fonds de soutien à la diffusion hertzienne, afin de garantir un modèle de diffusion sans intermédiation, le soutien à l'innovation et la mise en place d'une fiscalité incitative.
En conclusion, sans les radios indépendantes, des régions entières deviendraient des déserts médiatiques. À l'aune des bouleversements annoncés par les mouvements dans les grands groupes audiovisuels nationaux, n'oublions pas les acteurs plus petits par la taille, mais dont le rôle est tout aussi essentiel pour nos concitoyens, dans ce qu'ils apportent d'unique.