Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant M. Patrick Eveno.
Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.
Monsieur Eveno, vous êtes ici à plus d'un titre. Tout d'abord, nous vous recevons en tant que spécialiste de l'histoire et de la sociologie des médias. Vous avez été professeur d'histoire à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, où vous avez enseigné l'histoire des médias. Vous avez également travaillé à l'école supérieure du journaliste de Lille et à l'Institut pratique du journalisme à Paris. Vous avez publié en 2012 un ouvrage intitulé Histoire de la presse française, de Théophraste Renaudot à la révolution numérique, qui fait toujours référence. Et vous êtes également un acteur engagé, puisque vous avez dirigé la rédaction de la revue Le Temps des médias et participé à de très nombreux travaux relatifs à la presse. Enfin, entre 2019 et 2021, vous avez présidé le Conseil de déontologie journalistique et de médiation.
Votre commission d'enquête vise à étudier les processus ayant permis d'aboutir ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et à évaluer l'impact sur la démocratie. Ayant étudié pendant quarante ans l'histoire des médias, je pense qu'il n'y a pas de lien entre concentration et pluralisme. Je vous ai envoyé un document qui développe ma position. L'enjeu est de savoir comment concilier la nécessaire recomposition du marché des médias avec la non moins nécessaire préservation du pluralisme qui fait vivre la démocratie. La concentration n'est pas une question démocratique, c'est un problème économique. Les rédactions sont prises en étau entre la nécessaire gestion par les actionnaires et le nécessaire respect du pluralisme. Le pluralisme est un enjeu démocratique, pas un problème économique. Je plaide donc pour la création d'un « Observatoire européen du pluralisme et de la transparence dans les médias » et d'une « Fondation européenne pour la liberté de la presse ».
Deux concentrations se déroulent en même temps, mais relèvent de problématiques différentes. La concentration entre TF1 et M6 est classique, défensive, pour faire face aux Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - et endiguer l'érosion des revenus publicitaires. Comme dans tout secteur vieillissant, des concentrations et des recompositions ont lieu dans les médias. C'est inévitable, à l'image de ce qui s'est passé par exemple dans la sidérurgie et l'automobile.
L'autre concentration entre les groupes Bolloré et Lagardère est, elle, offensive et politique. Je précise à cet égard un conflit d'intérêts, puisque j'ai été membre du comité d'éthique d'I-Télé ; j'ai démissionné lorsque M. Bolloré, après avoir racheté la chaîne, a voulu imposer son ordre d'une manière extrêmement brutale.
Les deux opérations sont donc très différentes, mais les enjeux ne sont pas nouveaux. Un dessin de Faizant - il n'est pourtant pas un caricaturiste d'extrême gauche ! -, publié dans Le Figaro le 16 mars 1972, montrait déjà qu'une concentration dans les médias était perçue comme un moyen de réunifier les rédactions, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus qu'une...
Le nombre de titres de presse écrite s'est réduit fortement en quarante ans. Pourtant, depuis 1980, les supports de diffusion de l'information se sont multipliés : si l'on note un déclin de la presse écrite, une multitude de chaînes de radio et de télévision sont apparues, sans parler, plus récemment de la profusion de sites internet - certaines chaînes YouTube ont d'ailleurs plus d'audience que les chaînes classiques !
La concentration entre TF1 et M6 se comprend à l'aune de la baisse des revenus publicitaires, qui ont chuté, depuis 2011, de 14 % pour la télévision, de 55 % pour la presse, de 17 % pour la radio, tandis qu'ils ont été multipliés par quatre pour internet. En vingt ans, la part de la presse dans les investissements publicitaires est passée de 53 % à 12 %, celle de la radio de 9 % à 5 %, celle de la télévision de 37 % à 25 %, et la part des médias internet s'élève désormais à 57 % du total ! Les Gafam concentrent donc près de 60 % du marché publicitaire français, ce qui les place dans une situation de quasi-monopole, phénomène qui a été encore accru par la décision de Nicolas Sarkozy, en 2009, d'amputer les recettes publicitaires du service public.
Dans le même temps, les audiences des chaînes classiques ont fortement baissé, à tel point que l'audience cumulée de TF1 et M6 et de leurs chaînes TNT associées était de 40 % en 2020, contre 47 % en 2002. Il suffirait au groupe fusionné de vendre quelques petites chaînes pour passer en dessous du seuil maximal d'audience de 37,5 % préconisé par le rapport Lancelot de 2005.
On parle beaucoup de concentration, mais sans parler de chiffres. À cet égard, je vous fais observer que les quarante premiers groupes de presse dans notre pays sont tout petits : Le Figaro, premier groupe français, a un chiffre d'affaires de 550 millions d'euros seulement !
Le terme de « concentration » est apparu pour qualifier les projets de Robert Hersant dans les années 1970. Avant la Libération, on parlait des trusts, qu'il fallait combattre. Il fallait, par exemple, lutter contre l'influence du groupe Hachette, surnommé « la pieuvre verte ».
Considérer que les concentrations sont néfastes relève donc d'une vision archaïque, anti-libérale, qui s'inscrit dans un vieux débat. Pourquoi est-ce mal ? On ne sait pas ! Est-ce en raison de l'aspect monopolistique ? Mais il suffit d'appliquer le droit de la concurrence, comme ce sera le cas pour une éventuelle fusion entre Editis et Hachette...
Vos propos étant riches, ils ne manqueront pas de soulever des questions !
Je connais votre combat en faveur d'une auto-régulation de la presse, en ce qui concerne l'information, et pour la création d'un observatoire de la déontologie journalistique.
Vous considérez que les concentrations sont avant tout une affaire économique, et qu'elles relèvent donc de la compétence de l'Autorité de la concurrence. Mais la culture et l'information ne sont pas des marchandises comme l'automobile ou l'acier ! Les libéraux qui ont rédigé la loi de 1986 considéraient d'ailleurs eux-mêmes qu'une régulation démocratique était nécessaire pour éviter la concentration des moyens d'information dans un petit nombre de mains. Tous les républicains, de gauche comme de droite, qui se sont succédé au pouvoir depuis quarante ans partagent cette vision.
Pourriez-vous nous préciser les circonstances qui vous ont conduit à démissionner du groupe Canal+, avec Julie Joly, au moment où M. Bolloré a transformé I-Télé en CNews ?
J'ai vu comment réagissait la rédaction. Céline Pigalle, qui dirigeait la rédaction d'I-Télé, a été licenciée, mais j'ai démissionné un peu avant. L'important est la liberté de la rédaction. On parle souvent d'indépendance des rédactions, mais je ne sais pas ce que cela signifie, car un journaliste est un salarié ; il a, par définition, un lien de dépendance. Je ne sais donc pas ce qu'est un journaliste indépendant ; en revanche, je sais ce qu'est un journaliste libre. L'important est la liberté d'expression et d'opinion. La loi de 1986 concerne uniquement l'audiovisuel. Dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881, les législateurs ont prévu que la presse était libre, et c'est tout ! Ils n'ont jamais voulu créer un statut de l'entreprise de presse...
J'ai démissionné parce que les journalistes n'avaient d'autre choix que d'accepter de faire une télévision qu'ils ne voulaient pas faire ou de prendre la porte. Avec Julie Joly, j'ai pris le parti de la rédaction, contre l'actionnaire qui, s'inspirant de Rupert Murdoch, voulait créer une Fox News à la française. Sa brutalité vis-à-vis de la rédaction m'a convaincu de démissionner du comité d'éthique.
Avez-vous des faits d'intervention de l'actionnaire ou de la direction à nous relater ?
L'actionnaire imposait sa ligne à la rédaction. Un actionnaire peut-il imposer ses décisions à une rédaction contre sa volonté ? La question est à la fois économique, juridique et démocratique.
J'ai été profondément choqué et j'ai démissionné. On m'a rapporté des faits, mais je n'ai pas été témoin d'interventions directes de M. Bolloré auprès de journalistes leur indiquant ce qu'ils devaient dire. Je ne sais d'ailleurs pas s'il le fait. Il lui suffit en fait de placer les bonnes personnes aux bons postes ! Il lui est inutile d'appeler Pascal Praud ou Cyril Hanouna chaque jour pour leur dire quoi faire. Ils le font très bien sans cela ! Il est donc difficile de parler de pression de l'actionnaire.
La question est celle de l'alternative entre pluralisme externe et pluralisme interne. Je précise que mon avis n'est pas partagé par tous les journalistes, et c'est pour retrouver ma liberté de parole que j'ai démissionné du Conseil de déontologie journalistique et de médiation. Pour le législateur de 1881, l'essentiel était la liberté de la presse. L'existence de journaux d'opinion n'était pas un problème. Le pluralisme externe ne pose pas de difficulté pour la presse. L'audiovisuel, qui a été nationalisé en 1944, est longtemps resté sous la tutelle de l'État, au moins jusqu'en 1982 ou 1984. Si TF1 appartient à Bouygues, c'est parce que Jacques Chirac l'a voulu... Le politique est toujours intervenu dans le secteur.
Selon vous, l'essentiel dans la loi de 1881 est l'affirmation de la liberté de la presse, qui autorise la création d'une presse d'opinion, assortie de protections individuelles pour les journalistes, comme la clause de conscience par exemple.
Mais il ne peut en être de même pour l'audiovisuel, pour une raison simple, c'est que les fréquences hertziennes sont un bien public et que leur nombre est limité. Cela réduit l'offre. Les conventions prévoient d'ailleurs que l'attributaire d'une fréquence doit veiller au pluralisme. On n'a pas voulu créer des chaînes d'opinion. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) y veille. Comment faire respecter cette différence fondamentale entre la presse écrite et l'audiovisuel ?
Je sais bien que les fréquences sont un bien public rare, mais je note qu'il existe des radios d'opinion : Sud Radio, Radio Courtoisie, Radio Libertaire, etc.
S'agissant de la télévision, la loi de 1986 s'explique par son contexte. Mais la distinction entre le pluralisme externe et le pluralisme interne est maintenant dépassée. Le pluralisme externe existe sur internet, sur YouTube, qui abrite de nombreuses chaînes, dont certaines ont plus d'audience que les chaînes classiques et qui se moquent du pluralisme interne et de la diversité d'opinion. Il suffit de consulter les sites egaliteetreconciliation.fr ou fdesouche.com, par exemple, pour s'en convaincre.
Dès lors, pourquoi n'assisterions-nous pas à l'émergence, parmi les chaînes de télévision, d'un bloc de la « réaco-sphère » bolloréenne ? Les chaînes concernées n'ont qu'une faible audience : moins de 4 % pour Europe 1, 2 % pour CNews, 2 % pour C8, etc. Si l'on veut bloquer cette fusion, il faudrait donc prévoir un seuil très bas, mais cela aurait pour effet de dissuader tout nouvel investisseur de s'engager dans la télévision.
Nous sommes à l'heure des Gafam et des réseaux sociaux. C'est pourquoi je propose plutôt de créer, dans le cadre du Media Freedom Act en cours de discussion au niveau européen, un Observatoire européen du pluralisme et de la transparence dans les médias, qui serait adossé à une Fondation européenne pour la liberté des médias. Un observatoire de la déontologie ne suffit pas. Il faut concilier la liberté de la presse et l'économie des médias. Il faut que les actionnaires puissent jouer leur rôle d'actionnaire, comme l'a fait Xavier Niel lorsqu'il a demandé à la rédaction du Monde, contre son avis, mais sans influer sur la ligne éditoriale, de diffuser une matinale par le biais d'une application sur les smartphones - et cela a marché, avec plus de 500 000 abonnés.
Merci pour les éléments que vous nous avez fait parvenir en amont. Vous montrez bien que la télévision est un secteur déclinant, et que le débat, tel que nous l'envisageons, peut apparaître comme un débat d'arrière-garde. Vous insistez sur la liberté et proposez d'apprécier le pluralisme sous cet angle. Vous plaidez pour une régulation européenne. Pourriez-vous développer ?
Face à la puissance des Gafam américains, nous devons réfléchir à l'échelle européenne. Notre continent doit consolider les bases de sa société démocratique. La liberté de la presse et des médias est consubstantielle à la démocratie. Mais il faut respecter la liberté de marché. Réguler ? Oui, mais intelligemment. Il serait facile de voter une loi anti-Bolloré, mais les lois ad hominem ou de circonstance ne fonctionnent pas. La loi anti-Hersant de 1984 a été un échec. C'est pourquoi il faut agir au niveau européen. Je crois beaucoup au faire-savoir, à l'information des citoyens, à la transparence. D'où ma proposition de créer un observatoire européen, qui pourrait travailler avec les régulateurs nationaux ou avec le Groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA) - European Regulators' Group for Audiovisual Media Services. Il regrouperait des données sur les médias et informerait les citoyens.
Je me réjouis que la commissaire européenne chargée des valeurs et de la transparence, Mme Vìra Jourová, souhaite créer, à l'instar des États-Unis ou du Royaume-Uni, un European Media Freedom Act : cela nous permettrait de lutter plus efficacement contre les forces illibérales, dont M. Orban est l'un des représentants.
Je vous remercie pour vos propos et votre enthousiasme. Toutefois, je suis moins optimiste que vous : la lenteur et les divisions constatées au sein des instances de l'Union européenne sur le sujet des droits voisins en témoignent.
Les concentrations ne sont pas nouvelles - on parle désormais du groupe TF1 ou du groupe M6. Les choses se déroulent-elles toujours aussi mal que l'expérience que vous avez décrite à propos d'I-Télé ?
Pensez-vous que les concentrations du secteur public de l'audiovisuel offrent toutes les garanties pour assurer la liberté et le pluralisme des journalistes ?
Les chiffres d'affaires des groupes audiovisuels français sont similaires : 3,4 milliards d'euros pour TF1, M6 et RTL, contre 3,6 milliards d'euros pour France Télévisions et Radio France.
La mission de l'ex-CSA n'était pas de contrôler la ligne éditoriale des chaînes et de s'ériger en juge du beau et du bien.
Le conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a été saisi des propos de M. Éric Zemmour ayant fait l'objet d'un jugement ce matin. M. Zemmour n'est plus un journaliste, mais une personnalité politique : cette affaire relève non pas de la commission de déontologie, mais bien de la justice et de la loi de 1881.
En revanche, le conseil a accepté la saisine concernant Mme Christine Kelly, qui, en tant que journaliste, aurait dû réagir aux paroles de M. Zemmour : nous avons considéré qu'elle a fait preuve d'un manque de déontologie.
Je pense que la liberté d'expression, qui est au coeur de notre démocratie, doit recouvrir un spectre le plus large possible. On vote non pas pour des faits, mais pour des opinions.
Certes, l'Union européenne a ses lenteurs, mais il en va de même pour voter une loi en France !
Depuis sa création, le CDJM se présente comme un tiers de confiance et un médiateur.
Un baromètre de l'institut Ipsos, publié au mois d'octobre dernier, a indiqué que seulement 16 % des Français font confiance aux journalistes. Cela peut s'expliquer par deux raisons principales : l'appartenance des journalistes à des médias détenus par des industriels ou l'utilisation par certains journalistes de leur position pour faire passer des messages politiques sous couvert d'information.
Cette défiance, qui concerne également les personnalités politiques, est-elle plus importante aujourd'hui ou existe-t-elle depuis toujours ? Doit-on considérer que les médias traditionnels n'ont plus le même poids qu'autrefois ?
Avant le lancement du CDJM, une étude menée par l'Alliance des conseils de presse indépendants d'Europe (AIPCE) avait montré que la confiance du public envers les journalistes était plus importante quand il existait un conseil de déontologie.
En France, la presse est née du rapport au politique ; ce phénomène trouve son aboutissement dans la Révolution. Elle est très polarisée, notamment durant le XIXe siècle, jusqu'à l'adoption de la loi de 1881. Nous pensions que la création d'un conseil de déontologie participerait de l'amélioration de l'image des journalistes, mais le processus est très long.
Toutefois, beaucoup de personnes se trompent sur le rôle du conseil : celui-ci ne se place pas sur le terrain politique ; ses réponses portent sur le processus de fabrication, la collecte et la diffusion d'une information.
La déontologie et la concentration entretiennent peu de rapports. C'est non pas la taille du poulailler qui fait la qualité du poulet fermier, mais le respect du cahier des charges de l'élevage. La déontologie consiste à respecter le cahier des charges du journaliste.
En tout état de cause, depuis le milieu du XIXe siècle, les Français ne sont jamais contents de leur presse.
Vous avez présidé le pôle concentration, pluralisme et développement des états généraux de la presse et participé à l'instance consultative des aides à la presse lorsque Aurélie Filippetti était ministre de la culture.
Quelles réformes doivent-elles être apportées aux aides à la presse ?
Faut-il conditionner l'octroi de ces aides à une forme juridique garantissant l'indépendance des rédactions ?
Je ne crois pas à l'indépendance des rédactions, dont le budget est pris en charge par des investisseurs : c'est le cas - entre autres - du journal Le Monde. Toutefois, la société des rédacteurs du Monde, fondée en 1951, est très puissante : elle se prononce notamment par un vote sur le directeur de la rédaction du journal.
Il sera difficile de trouver une formule juridique acceptable par le Conseil constitutionnel pour définir un statut juridique garantissant l'indépendance des rédactions. Plusieurs syndicats plaident en ce sens, mais je doute de l'intérêt de la démarche : souhaite-t-on figer les rédactions ? Quel est l'intérêt de créer un tel statut, sinon la possibilité d'ester en justice ? Mais les syndicats peuvent déjà le faire !
On pourrait lutter contre l'action de M. Bolloré en utilisant d'autres ressources législatives n'ayant aucun rapport avec les médias, notamment l'abus de bien social.
Lorsque M. Bolloré intente des procédures-bâillons contre plusieurs médias, comme Basta Mag, les frais de justice sont payés par l'entreprise Bolloré ou par Vivendi. On pourrait alors l'accuser de détournement de l'objectif social de l'entreprise : on fait payer par l'entreprise un procès qui, en fait, ne concerne que M. Bolloré lui-même.
Les aides de l'État à la presse sont en régression - hormis le maintien du taux de TVA à 2,1 % et la poursuite de l'apurement des comptes de Presstalis. L'aide au transport postal et l'aide à la distribution de la presse sont en voie de disparition, car le nombre d'impressions diminue. Comment conditionner les aides de l'État face à de telles mutations ?
Vous avez évoqué deux types de concentration.
D'une part, une concentration économique, à l'instar du groupe réunissant TF1, M6 et RTL, qui s'inscrit dans une démarche défensive : cela a-t-il du sens face aux Gafam ? D'autre part, une concentration plus offensive qui présente un caractère politique.
Ces phénomènes ne sont pas nouveaux, mais ils sont de nature différente. Toutefois, ceux-ci ne seraient-ils pas justement de nature politique ? Les investisseurs sont non pas des professionnels de l'information, mais des industriels.
Si l'on considère que la concentration économique est dépourvue de sens face à la puissance des Gafam, les concentrations sont donc avant tout politiques.
Je ne suis pas d'accord avec cette analyse. L'union entre TF1, M6 et RTL est une concentration défensive pour conserver leur public. Soyez rassurée : le groupe ne concurrencera pas Netflix !
Néanmoins, l'association de ces chaînes présente un sens économique pour l'entreprise. Bertelsmann veut vendre RTL et M6 en France et se replier sur le marché domestique allemand. Ce n'est en aucun cas une concentration politique, car les rédactions ne seront pas fusionnées.
Ce n'est pas la question que je vous ai posée. Les concentrations que vous avez évoquées ont-elles une logique économique ?
Oui !
Ces phénomènes ne sont-ils pas davantage le fruit d'une logique politique offensive ?
Non ! Il est pertinent sur le plan économique que ces entreprises françaises regroupent leurs forces. Mais, bien sûr, ils ne remplaceront pas demain Amazon ou Netflix. Il existe une logique française et une autre mondiale.
Vos propos nous invitent à la simplicité en matière législative.
Vous soutenez que le principal problème consiste non pas dans la concentration des médias, mais dans la défense du pluralisme. Toutefois, vous avez évoqué votre expérience difficile à I-Télé.
Votre proposition d'observatoire n'est-elle pas un instrument à la portée faible ? Sans être trop coercitif, ne faudrait-il pas inscrire quelques principes essentiels dans la loi ?
Peut-être, mais encore faut-il que les parlementaires s'en saisissent, ce qui n'avait pas été le cas lors de la création du CDJM, malgré nos demandes.
Il est important de conforter sur le long terme notre modèle de société démocratique, attaqué en Europe par les Gafam et les trolls - entre autres -, en offrant aux citoyens le droit de savoir. Certes, cela ne constitue pas une solution miracle, mais l'inscription dans la loi pose aussi des problèmes.
Je ne vois pas comment il est possible d'y inscrire l'indépendance des rédactions par rapport aux actionnaires. Cela figure déjà dans la loi de 1986 (M. David Assouline proteste).
Il est inutile de créer un nouvel organisme et de donner des pouvoirs plus importants à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que ces concentrations résultaient d'une logique économique et démocratique. Nous avons eu le sentiment que vous les opposiez avec, d'une part, une logique économique s'agissant du regroupement de TF1 et M6, et, d'autre part, une logique démocratique avec le groupe Vivendi. La volonté de Vivendi de construire un grand groupe s'inscrit elle aussi dans une logique économique.
Quels sont les critères juridiquement opposables pour faire la différence entre ces deux logiques ? L'esprit démocratique doit prévaloir : qui doit juger du franchissement des limites acceptables ?
Cette tâche ne revient pas à la loi ou aux organismes de régulation.
Certes, la logique de M. Bolloré peut aussi revêtir un aspect économique, mais je n'y crois pas. Dans l'entre-deux-guerres, François Coty a fascisé les journaux qu'il avait rachetés : cela s'est traduit par une baisse de 90 % des ventes du Figaro en douze ans.
Il en va de même pour M. Bolloré, qui n'est pas éternel. Est-il utile de voter une loi pour lutter contre son action, dont je considère par ailleurs qu'elle ne pose pas de problème démocratique ? Certes, se pose la question de la liberté des rédactions, mais il importe que l'éventail démocratique s'élargisse de l'extrême droite à l'extrême gauche. À cet égard, je trouve regrettable que Les Insoumis ne soient pas parvenus à pérenniser leur chaîne de télévision Le Média, certes caricaturale, mais plus diversifiée que les invités de CNews.
Nos débats visent à apprécier les enjeux du problème : je suis très étonné que le consensus républicain, dans lequel se retrouvait l'ensemble de l'échiquier politique, soit aujourd'hui si relativisé. Depuis Vichy, l'extrême droite n'est pas une opinion : c'est du racisme.
Un tel comportement est sanctionné par la loi !
Vous avez mentionné la liberté d'opinion. Il n'est pas possible de dire tout ce que l'on pense ! Les conventions des chaînes de télévision le mentionnent explicitement.
Vous estimez que le statut doit avant tout garantir la liberté des rédactions, plus que leur indépendance. Le droit de cession et la clause de conscience sont les deux droits individuels destinés à protéger les journalistes. Toutefois, il n'existe pour l'instant aucun droit collectif, à part celui reconnu aux syndicats, mais ces derniers ne sauraient être les représentants exclusifs d'une rédaction.
Que pensez-vous d'un statut juridique assurant la liberté des rédactions ?
La loi Brachard de 1935, qui a créé le statut du journaliste professionnel, est imparfaite. La clause de cession se déclenche automatiquement dès que l'actionnaire change, même si la ligne éditoriale du journal ne subit pas de modification. La clause de conscience n'a quasiment jamais été utilisée ; elle ne fonctionne pas.
Je suis favorable à la transformation de ces deux clauses en une clause de conscience collective en cas de changement de ligne éditoriale.
Oui, bien sûr. Une clause collective serait bien plus efficace ; ma proposition pourrait être soutenue par les syndicats. Il est très difficile pour un journaliste seul de prouver un changement de ligne éditoriale.
Je vous remercie de vos explications et de votre franchise.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de M. Alain Liberty, président du syndicat des radios indépendantes (Sirti).
Monsieur Liberty, vous représentez 170 radios indépendantes, qui rassemblent 9 millions d'auditeurs chaque jour, et diffusent leurs programmes sur plus de 1 200 fréquences sur les quatre-vingt-seize départements des treize régions de France métropolitaine et sur trois départements d'outre-mer. Ces radios comptent 2 500 salariés, dont 500 journalistes, et leur mode de financement est assuré exclusivement par les recettes publicitaires générées par leur audience. Les radios font donc vivre au quotidien la démocratie locale, même si elles ont été lourdement touchées par la crise de la covid, comme ont pu nous le rapporter les sénateurs David Assouline et Michel Laugier dans le cadre d'une réunion de la commission de la culture.
Il résulte de ce mode de fonctionnement que toute modification des règles relatives à la concentration et au marché publicitaire pourrait avoir un impact massif sur le modèle économique des radios indépendantes, et nous souhaitons vous entendre sur ce sujet.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Alain Liberty prête serment.
Je ne reviendrai pas sur la présentation du Sirti, mais je souhaite rappeler sa mission. Il s'agit de veiller à maintenir un modèle économique viable pour les radios indépendantes, de contribuer à faire évoluer le cadre législatif et de régulation du média radio - il est parfois inadapté aux évolutions de notre environnement et de la société - et, surtout, d'oeuvrer pour une concurrence juste et saine qui permette l'existence et le développement d'une offre radiophonique diversifiée et pluraliste.
Nos radios sont le fruit de l'exception culturelle française et leur paysage très divers n'a pas d'équivalent dans le monde. Cela a été rendu possible grâce non seulement à l'engagement du Sirti, mais aussi au soutien régulier de votre assemblée, en particulier sur les limites imposées à la concentration opérée par les groupes nationaux au cours des vingt dernières années.
Les radios que le Sirti représente contribuent, grâce à leur succès d'audience, à entretenir la diversité de l'offre d'information, de l'offre musicale et de l'offre de divertissement, dans toutes les villes et les villages de France. Depuis quarante ans, nous portons la responsabilité d'informer au quotidien nos auditeurs en les faisant bénéficier d'une information locale, produite localement.
Le Sirti représente 14 % des entreprises salariant des journalistes en France. En effet, l'audiovisuel local occupe une place à part dans notre pays, comme l'ont encore montré, en novembre dernier, les assises de l'audiovisuel local.
L'audiovisuel local est le média de confiance préféré des Français, incontournable pour s'informer sur l'actualité locale ou nationale, y compris sur les enjeux électoraux locaux ou nationaux. Ainsi, pendant la crise, malgré leur situation financière délicate, les médias audiovisuels locaux privés ont tout mis en oeuvre pour maintenir, quoi qu'il en coûte, leurs émissions et leur présence locale. Ils ont continué d'assurer leur mission d'information et de maintien du lien social au coeur des territoires. Ils ont été, et sont encore, le relais de l'État grâce à la diffusion gratuite de milliers de messages destinés à informer la population sur l'évolution des mesures de la situation sanitaire. Le coût de cette mission représente plusieurs dizaines de millions d'euros sur les douze derniers mois.
En raison de ce rôle essentiel des radios indépendantes, tant culturel, démocratique, économique que citoyen, quatre grands enjeux nous semblent primordiaux à prendre en compte si l'on veut éviter que la concentration des médias n'agisse de manière négative et malheureusement irréversible sur la radio et l'audiovisuel local.
En premier lieu, il ne faut pas modifier le dispositif anti-concentration français en radio, ajusté très récemment à une couverture n'excédant pas 160 millions d'habitants pour un même groupe, dans le cadre de la loi du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l'accès aux oeuvres culturelles à l'ère numérique. Ce plafond de concentration, en permettant une répartition juste de la ressource hertzienne FM, protège les radios indépendantes des projets capitalistiques des réseaux nationaux. Il évite également que ces réseaux ne se rapprochent entre eux, ce qui déséquilibrerait le marché publicitaire. Il est donc le garant indispensable au maintien d'un paysage radiophonique pluraliste.
En deuxième lieu, il convient de préserver la réglementation publicitaire applicable à ce jour. Depuis vingt mois, les télévisions nationales peuvent accéder, via la publicité segmentée, à des offres ciblées géographiquement, mais sans adressage local. Nous souhaitons que la publicité segmentée reste encadrée pour respecter le principe simple « à programme local, publicité locale ». Autrement dit, un éditeur qui ne produit pas de programme local ne doit pas pouvoir accéder à la publicité locale.
Le marché de la publicité locale représente 50 % en moyenne du chiffre d'affaires des radios indépendantes qui touchent 9 millions d'auditeurs quotidiens.
Par ailleurs, les offres commerciales de la grande distribution sont interdites à la télévision, ce qui permet aux autres médias de se financer. Pour le média radio, il s'agit du secteur publicitaire le plus important, avec pas moins de 50 % des investissements publicitaires. Comme l'ont montré les études réalisées en 2018 et 2019, dont l'une à la demande du ministère de la culture, toute ouverture de la publicité de la grande distribution à la télévision entraînerait une bascule des recettes de la presse, de la radio et de l'affichage vers la télévision, sans aucune création de valeur et surtout sans pénaliser les acteurs de l'internet.
Le Sirti rappelle donc sa ferme opposition à une éventuelle remise en cause des secteurs interdits de la publicité à la télévision, ainsi que du dispositif encadrant à ce jour la publicité segmentée adressée. La concentration en télévision ne doit absolument pas se faire aux dépens de la source principale de financement des autres médias, dont la radio.
De plus, si nous soutenons avec ferveur un audiovisuel public fort, doté de tous les moyens financiers qu'exige sa mission, nous réaffirmons toutefois notre très ferme opposition à une ouverture plus large du marché publicitaire aux éditeurs de télévision ou de radios dites « de service public », alors que cela pourrait être une conséquence prochaine de la création d'un nouveau groupe privé de télévision en France.
En 2021, le Sirti, associé à l'ensemble des radios privées, a dû se battre pour obtenir le maintien du plafond des recettes publicitaires de Radio France, dans un contexte économique plus que catastrophique pour notre média. Le retrait de ces sources de financement dévasterait le paysage radiophonique, en particulier localement, où il est irremplaçable.
En troisième lieu, nous souhaitons que les médias audiovisuels locaux puissent rester compétitifs et conservent leur place face aux médias nationaux, aux groupes de médias et, bien évidemment, aux Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.
Malheureusement, la radio est la grande oubliée des dernières réformes législatives et réglementaires. Au cours du quinquennat qui s'achève, le Sirti n'a eu de cesse de demander une ouverture des modes de financement du média radiophonique, en portant diverses propositions auprès du Gouvernement et des parlementaires.
En effet, les radios commerciales privées dépendent entièrement de la publicité pour vivre, s'adapter et investir dans l'innovation. La crise actuelle montre que ce modèle de financement doit évoluer, d'autant que la publicité est au coeur de multiples enjeux, désormais incompatibles avec sa fonction rémunératrice pour les radios. La loi Climat et résilience interdit l'accès à la publicité à de nouveaux secteurs, venant réduire encore davantage le financement des radios privées. Le temps de publicité, déjà limité conventionnellement, se voit amputer régulièrement par la lecture de nombreuses mentions légales, lesquelles viennent encore de se multiplier sous l'effet des décrets d'application de la loi d'orientation des mobilités. Ce temps d'énumération détourne de nombreux annonceurs de la radio vers d'autres supports et, une fois de plus, le numérique est le grand gagnant.
C'est pourquoi le Sirti a porté des propositions afin d'amorcer la diversification nécessaire et vertueuse du financement du média radio, notamment la rémunération des éditeurs de radios lorsque celles-ci sont diffusées dans les lieux publics, ou encore l'accès à la rémunération pour copie privée. Quoi de mieux que de reconnaître, protéger et rémunérer la création, particulièrement lorsqu'elle est radiophonique ?
En quatrième et dernier lieu, il est nécessaire de labelliser les médias audiovisuels locaux, ce qui satisfera la principale demande issue des récentes assises de l'audiovisuel local. Il s'agit, en effet, de reconnaître la spécificité des apports de ces médias, de manière objective et quantifiée.
Cette labellisation pourrait donner accès à un ensemble de mesures adaptées et spécifiques autour des trois piliers qui garantissent le modèle éditorial économique de l'audiovisuel local privé : la création d'un fonds de soutien à la diffusion hertzienne, afin de garantir un modèle de diffusion sans intermédiation, le soutien à l'innovation et la mise en place d'une fiscalité incitative.
En conclusion, sans les radios indépendantes, des régions entières deviendraient des déserts médiatiques. À l'aune des bouleversements annoncés par les mouvements dans les grands groupes audiovisuels nationaux, n'oublions pas les acteurs plus petits par la taille, mais dont le rôle est tout aussi essentiel pour nos concitoyens, dans ce qu'ils apportent d'unique.
Vous avez demandé que nous vous entendions, car, bien entendu, on ne peut pas aborder le sujet de la concentration des médias sans parler des radios, notamment locales, qui sont tributaires des évolutions qui pourront intervenir à la suite de cette commission d'enquête, ou bien après la mission confiée conjointement par leurs ministères de tutelle à l'Inspection des finances et à l'Inspection des affaires culturelles, pour revoir la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.
La modification récente de cette loi quant aux seuils de concentration de couverture territoriale vous convient et vous tenez à la maintenir en l'état, sans l'étendre davantage. Comment vivez-vous la fusion des groupes TF1 et M6 qui concerne aussi la radio, ou encore l'intégration d'Europe 1 au groupe Vivendi-Bolloré-Canal+ ? Quelles sont, selon vous, les conséquences de ce genre de fusion sur les radios locales ?
Vous avez beaucoup parlé du marché publicitaire. Pensez-vous qu'il serait utile de fixer un plafond d'investissement publicitaire maximal sur un même type de média, pour protéger les radios locales ?
Enfin, la loi de 1986 repose sur quelques principes de régulation des concentrations, notamment le fait de ne posséder que deux des trois supports qui existaient à l'époque, c'est-à-dire la télévision, la radio et les journaux quotidiens couvrant plus de 20 % du territoire. Considérez-vous que cette règle vaut toujours ? Est-ce qu'elle protège les radios indépendantes ? De quelle manière faudrait-il la faire évoluer, d'autant qu'il existe désormais des concentrations verticales, avec des propriétaires comme Bouygues ou SFR, qui sont dans la chaîne de production jusqu'à la diffusion de l'information par les médias ? Il y a donc un quatrième acteur et un autre type de concentration.
Pour ce qui est des conséquences sur les radios indépendantes du projet de fusion entre TF1 et M6, je tiens à préciser que si le Sirti représente une grande partie des radios concernées, il en représente aussi d'autres, comme Radio Nova ou TSF Jazz, entre autres, qui ne sont pas en régie auprès de TF1 Publicité. Je vous invite à entendre le président du groupement d'intérêt économique Les Indés Radios, qui pourra vous répondre mieux que moi sur les préoccupations économiques directes qui pourraient surgir.
Néanmoins, la position des acteurs concernés que je représente est claire : ils n'ont pas d'inquiétude particulière, à ce jour, dans la mesure où TF1 est un prestataire de services, c'est-à-dire une régie qui commercialise leur audience. Dans un passé qui n'est pas si lointain, Lagardère commercialisait déjà les radios indépendantes, et il n'est pas improbable qu'un autre régisseur s'en charge à l'avenir. Il faut donc raison garder sur les conséquences que la fusion pourrait avoir sur les radios indépendantes. Mieux vaudrait toutefois que vous interrogiez directement le président des Indés Radios.
Ma question était liée au fait que, dès lors qu'une forte puissance imposera le tarif des espaces publicitaires, cela risque d'avoir un effet négatif pour les petites radios, si ces tarifs tirent à la hausse. Vous pourrez nous envoyer une réponse écrite après avoir consulté les personnes qui étudient le marché publicitaire de vos radios.
Pour ce qui est de la hausse des tarifs du marché publicitaire, il faudrait être devin pour prédire ce qui pourrait advenir du prix du marché. Les marchés publicitaires, notamment ceux des radios, ont tellement perdu de volume d'affaires durant les dernières années, que si la hausse annoncée devait se concrétiser, elle serait plutôt bénéfique.
L'audience de la radio, en général, a malheureusement baissé à cause du contexte sanitaire dans lequel nous vivons. Nos radios ont dû augmenter de manière assez importante leur volume publicitaire, afin de compenser la perte de valeur sur les marchés et de maintenir un niveau de chiffre d'affaires et de rentabilité suffisant.
Par conséquent, je ne pense pas que l'on puisse, à court terme, considérer l'augmentation des tarifs comme un problème.
Les tarifs rapporteront moins aux radios, du fait d'une hausse de leurs charges.
Notre analyse semble plutôt indiquer que la tendance tire le marché vers le haut, et nous l'espérons. Cependant, encore une fois, je ne suis pas mandaté pour m'exprimer au nom des radios indépendantes commercialisées par TF1.
Pour ce qui est de votre deuxième question sur les mouvements au sein du groupe Bolloré et son rapprochement avec les radios du groupe Lagardère, nous avons la chance en France de disposer d'un paysage audiovisuel extrêmement divers et pluraliste. C'est la conséquence de la fin du monopole au début des années 1980.
Nous avons également la chance d'avoir le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui ait été intégré, il y a quelques jours, au sein de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), dont le rôle est de veiller en toute indépendance à l'application et au respect de la loi, à la liberté de la communication et à l'expression de toutes les idées. Il me semble que l'ex-CSA est dans son rôle et je ne crois pas qu'il n'ait mentionné aucun point d'attention particulier au sujet du rapprochement sur lequel vous m'interrogez.
Si vous me permettez une pirouette, vous avez rappelé précédemment que les radios indépendantes totalisaient 9 millions d'auditeurs quotidiens, ce qui signifie qu'un Français sur deux écoute une de nos radios au moins une fois par semaine, dont de magnifiques radios thématiques comme Oui FM, TSF Jazz ou Radio Nova.
Les dernières assises de l'audiovisuel local ont mis en avant la nécessité de déterminer une forme de labellisation pour engager toute une série de soutiens aux médias, notamment à l'audiovisuel local qui représente plusieurs centaines de radios. On assurerait ainsi la sauvegarde, le maintien et le développement du pluralisme des idées, exprimées au plus près des territoires, sur des sujets qui sont extrêmement importants pour nos concitoyens.
Les radios locales jouent un rôle essentiel pendant la crise covid que nous traversons, raison pour laquelle nous avons essayé de les défendre au mieux devant les ministres de tutelle.
Les usages ont beaucoup évolué en quelques années, notamment dans la manière dont les auditeurs écoutent la radio. Par conséquent, même si l'actualité porte surtout sur la concentration de deux grands groupes français, est-ce que vos principaux concurrents ne sont pas plutôt des plateformes internationales ?
En outre, les radios que votre syndicat représente sont-elles toutes indépendantes ou bien certaines d'entre elles font-elles partie de groupes ? Avez-vous pu constater des sollicitations en ce sens ? Les radios ont-elles toujours la volonté de rester complètement indépendantes, même si, comme vous l'avez rappelé, la publicité reste le nerf de la guerre, de sorte que les possibilités multimédias rendent plus fort ?
Enfin, dans le cadre d'un groupe réunissant plusieurs radios ou parfois même un journal local, les rédactions fusionnent-elles ? Qu'en est-il alors, non plus de l'« indépendance », mais de la« liberté » des rédactions ?
Votre première question vise sans doute celles de nos radios qui sont la propriété du groupe Rossel La Voix ou de Ouest France. Elles sont trois ou quatre dans ce cas sur les 170 stations que nous représentons, pour quelques dizaines, voire quelques centaines de milliers d'auditeurs quotidiens. À ma connaissance, les rédactions ne sont pas fusionnées et conservent une totale indépendance dans leur manière de traiter l'information. Sur les sites internet, on constate que la collaboration entre la rédaction d'une de ces radios et celle des journaux reste un phénomène très peu courant.
L'enjeu est surtout de concurrence et de compétition, ce qui rejoint la question de la limitation de la concentration à deux types de médias. Le monde change, de sorte que l'on peut déjà, raisonnablement, considérer internet comme un troisième média, ce qui donne à réfléchir.
Absolument. Une étude publiée à l'occasion des assises de l'audiovisuel local montre que près d'un jeune sur deux, âgé de moins de 25 ans, commence par consulter les réseaux sociaux pour s'informer, avant d'avoir recours à la radio ou à un site internet de presse. C'est une évolution inquiétante qui s'impose à nous, sans que nous puissions l'encadrer ni la contrôler. Elle échappe totalement au champ de compétences du régulateur.
Je considère que l'usage doit déterminer ce que sont les choses. Par conséquent, si nos concitoyens utilisent les réseaux sociaux comme des médias, ne devrait-on pas traiter ces réseaux comme tels et leur demander de se soumettre à la déontologie qui s'applique aux médias ?
La réflexion doit aussi porter sur le champ de concurrence en matière de publicité et d'audience. En effet, les plateformes de musique en ligne ne sont soumises à aucune contrainte quant à la défense de la francophonie ou à la limitation de la diffusion de certaines oeuvres sur leur offre d'accès gratuite. Certaines d'entre elles vont même jusqu'à désigner leurs playlists comme des radios.
Par conséquent, il est effectivement nécessaire d'ouvrir une réflexion sur le rôle des plateformes dans cette compétition.
Selon vous, le démarchage pour inciter les radios à intégrer des grands groupes est-il un phénomène important ?
À ma connaissance, ce n'est pas le cas. Les règles anti-concentration qui sont en vigueur empêchent le rapprochement avec des grands groupes. À l'inverse, on constate un mouvement de concentration entre les radios indépendantes, dû à une raréfaction de la ressource publicitaire, donc économique. La tentation est forte pour les radios - et c'est légitime - d'optimiser les coûts administratifs ou de gestion.
Il est important que les médias audiovisuels locaux conservent un maximum de moyens pour investir dans les contenus. L'information et le divertissement priment et les résultats d'audience montrent que les médias locaux « surperforment » dans un marché en berne. On constate une prime des auditeurs aux programmes de proximité en affinité avec leurs attentes.
Les quatre préconisations que vous nous avez soumises seront-elles suffisamment efficaces pour que les radios puissent résister à la domination des plateformes ? Pourriez-vous préciser votre quatrième proposition sur la nécessité de labelliser les médias audiovisuels locaux en prévoyant une fiscalité adaptée ?
La labellisation est une demande forte de la part d'un grand nombre d'acteurs de l'audiovisuel local, qu'il s'agisse des radios ou des télévisions locales. Elle permettrait à l'ensemble de ces médias, sur des critères objectifs et quantifiés quant à l'apport aux collectivités locales, d'obtenir un accompagnement, notamment des aides sur les coûts de diffusion. Il fut un temps où la presse avait largement bénéficié de ce type d'accompagnement pour moderniser ses outils et réduire les coûts de portage, qui équivalent aux coûts de diffusion pour les radios.
Dans le prix de revient de la diffusion d'un programme de radio, la charge sociale est la plus importante. La radio est un métier d'artisan, mis en oeuvre par des animateurs, des journalistes et des techniciens. Viennent ensuite les charges de diffusion et le prix des émetteurs.
Il me semble essentiel que les radios puissent être accompagnées et soutenues pour assumer les coûts de diffusion et pour se moderniser, en développant notamment la diffusion numérique ou DAB - Digital Audio Broadcasting.
En outre, pour soutenir la presse, on a prévu des crédits d'impôt sur la prise d'abonnement, afin de faciliter l'accès aux journaux d'information. En appliquant ce dispositif de crédit d'impôt aux investissements publicitaires dans les médias audiovisuels locaux, on aiderait ceux-ci à faire face à la concurrence locale des plateformes comme Facebook ou Google.
Avec le ministère de la culture et la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC), nous avons récemment lancé une étude pour déterminer l'impact économique de ce type d'actions sur l'économie et les marchés publicitaires locaux. En effet, si les dispositifs existent, nous ne disposons d'aucun chiffre sur leurs effets, ce qui est pour le moins surprenant.
Un crédit d'impôt sur les investissements publicitaires au bénéfice des médias audiovisuels locaux pourrait être une initiative extrêmement utile pour soutenir et préserver ces médias, indispensables au pluralisme de l'information et des contenus.
Le monde de la radio indépendante, essentiellement locale, est un peu atypique par rapport à ce que l'on connaît de la presse ou de la télévision locales, où les regroupements sont parfois déjà en place depuis plusieurs années. Quelques grands phénomènes de concentration existent ainsi dans la presse locale et ils se développent, de manière plus récente, dans la télévision locale, avec, notamment, l'influence croissante du groupe BFM. Or les radios locales ne semblent pas concernées. Selon vous, c'est là le résultat des lois anti-concentration. N'y a-t-il pas d'autres facteurs qui justifient cette différence ?
L'organisation actuelle est-elle tenable économiquement pour les 170 radios concernées ? Sans remettre en cause le modèle des radios indépendantes, leur organisation n'est-elle pas soumise à une certaine fragilité, de sorte qu'elle risque de devoir évoluer sous l'effet de facteurs économiques ? Nous avons bien compris l'importance de la recette publicitaire pour garantir l'indépendance des radios locales. Toutefois, ne doit-on pas prévoir des évolutions dans l'organisation du système ?
Le phénomène de concentration est déjà intervenu, il y a une vingtaine d'années, pour les radios. Les fameuses règles anti-concentration l'ont stoppé net dans son élan. Le plafond des 160 millions d'auditeurs, initialement fixé à 150 millions, a mis fin aux velléités des grands groupes nationaux de racheter l'ensemble des radios locales. Tous les réseaux nationaux que vous connaissez ont alors pu se constituer, notamment les groupes NRJ, Lagardère, Virgin Radio, Radio Nostalgie. Depuis lors, un certain équilibre s'est installé.
Pour que le système puisse fonctionner d'un point de vue économique, il est impératif de maintenir les règles d'accès au marché publicitaire, car elles nous protègent et garantissent le financement des radios. Le chiffre de 170 acteurs peut paraître énorme, mais ramené à un pays comme la France avec ses régions, ses villes et son extrême diversité, il n'est en réalité pas très important et reste très éloigné des 3 000 ou 4 000 radios dites « libres » qui existaient au début des années 1980.
Il faut donc maintenir les règles en vigueur pour préserver les 170 radios indépendantes qu'écoutent quotidiennement plus de 9 millions d'auditeurs.
Il faut, bien évidemment, être attentif aux incidences que la concentration peut avoir sur l'expression de la démocratie et au respect des règles de notre société. Cependant, la liberté d'accès aux médias, ou encore l'intermédiation, doit absolument être encadrée, car elle ne l'est pas véritablement, à ce jour.
Par exemple, certaines règles imposent la présence d'une puce de réception radio dans tous les véhicules. Or les systèmes embarqués tendent de plus en plus à se répandre, comme celui de Google, que l'on connaît sous le nom de « Google Automotive », dans lequel Androïd gère directement l'autoradio, ou du moins l'appareil, qui donne accès à l'ensemble des médias. Rien ne garantit que les radios s'afficheront toutes sur l'écran, selon la zone où l'on se trouvera, ni que l'ordre d'affichage sera impartial. Rien ne garantit non plus que les radios ne se transformeront pas en playlists dont le contenu sera choisi par les plateformes, qui décideront ainsi de ce que nos concitoyens pourront écouter.
L'intermédiation est un enjeu très important et il est essentiel d'accompagner les radios dans le déploiement du DAB, la technologie hertzienne de diffusion de la radio, car celle-ci garantira durant les années à venir une forme de souveraineté reposant sur un lien direct avec les auditeurs. Il est nécessaire de préserver cette relation directe et sans intermédiaire, car, malheureusement, les plateformes en ligne et les grands acteurs que sont les Gafam s'adaptent très rapidement pour contourner la réglementation qui impose la présence d'une réception hertzienne. Le dispositif de Google Automotive en est la preuve.
S'il est évident qu'il faut contrer les effets de la concentration pour préserver le pluralisme des idées, il faut également veiller à ce que nos concitoyens puissent continuer d'avoir accès à tous les médias.
Vous avez parfaitement raison. Il me semble que Peugeot a signé un accord en ce sens.
Effectivement, l'ensemble du groupe Stellantis l'a signé et le groupe Renault l'avait fait avant lui.
La question est globale. Nous ne cessons d'être interpellés sur la numérotation et sur le droit d'intermédiation qui existe déjà pour les propriétaires des box, que ce soit Bouygues, Orange ou SFR. Dans certains conflits récents, on a même vu des opérateurs décider de ne plus diffuser telle ou telle chaîne, faute d'avoir trouvé un accord. L'enjeu porte aussi sur la numérotation des chaînes qui peut varier selon ce que l'on veut exposer ou pas.
Le problème, de portée très générale, touche particulièrement la radio, comme vous l'avez souligné, notamment du fait de l'écoute quasi prioritaire de la radio lorsqu'on roule en automobile. Peut-être qu'un jour y aura-t-il moins d'automobiles, ou qu'elles se transformeront en voitures électriques, mais c'est là un autre débat. Quoi qu'il en soit, nul ne peut imaginer la manière dont nous écouterons la radio dans vingt ans, tant les innovations s'enchaînent à un rythme rapide.
Vous ne souhaitez aucun changement concernant les possibilités qu'a l'audiovisuel public de recourir à la publicité. J'ai bien compris que le propos visait Radio France, et nous n'avons jamais voulu remettre en cause le dispositif. Cependant, un point me tient à coeur, dont l'impact sur la radio sera minime. Il s'agit que la télévision puisse retransmettre quelques événements sportifs qui ne peuvent être financés que par la publicité, en ouvrant une fenêtre après 20 heures. Rassurez-moi, vous ne menez pas de bataille contre cette position ?
Je peux effectivement vous rassurer sur ce point. La présence de la publicité après 20 heures sur France Télévisions n'est pas un problème pour les radios indépendantes, tant que les grands groupes de télévision privée n'en font pas une forme de monnaie d'échange ou de motif de négociation pour obtenir la fin des règles publicitaires, notamment l'accès aux offres promotionnelles de la grande distribution. Si l'ouverture de la publicité après 20 heures sur le service public devait se négocier avec cette contrepartie, cela serait extrêmement préjudiciable, voire catastrophique, pour l'ensemble de nos radios et même pour tout l'audiovisuel local et de proximité indépendant.
Vous m'aviez interrogé sur un possible plafonnement du volume publicitaire consacré à certains médias. Je vous invite à consulter les régies ou les spécialistes sur ce sujet. Cependant, du point de vue des éditeurs, il me semble qu'un tel dispositif reste compliqué à orchestrer, dans l'état actuel de porosité que nous connaissons entre les médias et compte tenu de leur développement y compris sous format numérique et digital.
L'idée avait été développée par Mme Nathalie Sonnac, puis reprise par M. Louette. Il s'agit d'empêcher que l'ensemble de la publicité ne fuie vers le net, en plafonnant ce que l'on peut mettre sur un même type de média. On garantirait ainsi la diversité de l'ensemble des médias. La presse écrite et les radios locales, qui sont le dernier maillon de la chaîne, pourraient continuer d'être sécurisées grâce à un pourcentage moins élevé ou moins libre que sur l'ensemble des autres supports.
Monsieur Liberty, nous vous remercions pour les éléments que vous nous avez apportés, notamment les quatre recommandations que vous avez formulées.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 35.