Depuis le début de l'audition, vous vous employez à vous présenter comme un groupe modeste. En vérité, le paysage de l'information et de l'audiovisuel français compte très peu d'acteurs, en dehors du service public. Cinq ou six groupes contrôlent aujourd'hui l'essentiel des médias. Vous êtes l'un des acteurs importants en France. Nous avons parlé d'Havas. La publicité n'est pas uniquement une question de marché, mais surtout de stratégie pour la survie de beaucoup de titres. Sur ce sujet, vous n'avez rien dit de vos appétits futurs. Voulez-vous encore grossir ? Jusqu'où pensez-vous qu'un groupe peut aller dans la part de contrôle d'un secteur comme celui-là, sans mettre en cause les principes du pluralisme, de la diversité et de la création ?
Ensuite, vous indiquez vouloir devenir un champion de la culture française et européenne. Singulièrement, la culture française ne repose pas uniquement sur la rentabilité, sans quoi la diversité actuelle ne serait pas ce qu'elle est. Si nous avions copié les Américains il y a vingt ou trente ans, il n'y aurait plus de cinéma français, et probablement plus de cinéma européen, pour ce qu'il en reste. Nous avons inventé en France un modèle original, qui ne s'est pas appuyé uniquement sur des champions, mais sur des politiques publiques ou sur la taxation des billets. Des acteurs, y compris privés, ont joué un rôle particulier au nom de la culture française. Jean-Luc Lagardère a porté à bout de bras le système de distribution mutualisée de la presse française des années durant, pas pour des raisons de rentabilité, mais par attachement à une certaine conception du pluralisme. Je n'entends pas cela dans vos propos. J'y vois plutôt un modèle qui ressemblerait à celui des Américains. Je ne suis pas certain qu'il soit le plus pertinent pour porter la culture française ou européenne, ou les valeurs que nous avons su porter.
Enfin, je m'étonne que vous banalisiez la question concernant Éric Zemmour, d'autant plus que vous avez fait référence à la résistance en évoquant votre histoire familiale. Je suis d'une famille politique assez sensible à cette question. Ma grand-mère figure parmi les Justes parmi les nations, parce qu'elle a risqué sa vie pour sauver des enfants juifs. Non, Éric Zemmour n'est pas une opinion comme une autre. Hier, il était condamné pour la troisième fois pour incitation à la haine raciale. Ses déclarations sur Vichy sont problématiques pour la démocratie française. Évidemment, il a son opinion, qui peut malheureusement être partagée par certains. Prendre la responsabilité de lui donner de la place éditoriale n'est cependant pas comparable à n'importe quelle opinion. Sinon, cela signifierait que les jugements répétés à son égard sur les questions de racisme de comptent pas. En démocratie, je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait que le racisme n'est pas une opinion comme une autre, mais qu'elle est un délit. Sur cette question, la banalisation ne me semble donc pas acceptable.