Mes chers collègues, nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ayant pour rapporteur David Assouline.
Monsieur Bolloré, votre audition est très attendue. Votre groupe est rapidement devenu un acteur majeur du paysage médiatique, en comptant entre autres Canal+, CNews, Paris Match, Le JDD et les magazines du groupe Prisma, Europe 1, Editis et Hachette, ou encore Havas.
Sous votre direction, l'ampleur prise par Vivendi dans les médias renvoie à des interrogations sur les conséquences de cette concentration, mais aussi sur l'efficacité des garde-fous législatifs existants ou à créer pour tenir compte des logiques économiques tout en assurant le respect du pluralisme.
Votre nom revient très régulièrement dans les auditions que nous avons menées jusqu'à présent. Sans doute est-ce lié à la façon dont vous concevez votre rôle d'actionnaire, avec un interventionnisme assumé et un management très directif, mais aussi au positionnement pris par CNews. Ce média n'est pas le plus important détenu par Vivendi en termes de chiffre d'affaires ou de parts d'audience, mais il est certainement celui dont on parle le plus depuis que sa ligne éditoriale l'a fait entrer, d'après de nombreux observateurs, dans le champ des médias d'opinion.
La commission vous laisse l'occasion de vous exprimer directement pour nous donner votre vision sur l'indépendance et sur l'avenir d'un secteur en bonne partie fragilisé par l'arrivée des géants du numérique.
Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Il vous appartient en outre, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.
Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites « Je le jure. ».
Je le jure.
En finissant un DESS de droit, j'ai travaillé dix ans dans la banque. Je suis né dans une ancienne famille bretonne, qui dirigeait une entreprise près de Quimper. Elle rencontrait à l'époque des difficultés. J'ai été appelé à m'atteler à son redressement et à son développement. J'y ai passé quarante ans. Quand je suis arrivée, elle réalisait un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros. Il s'élève aujourd'hui à 20 milliards d'euros. Elle employait un peu moins de 800 personnes, elle en emploie plus de 80 000 à ce jour. Seul son siège social n'a pas bougé. Il se trouve toujours à Ergue-Gabéric en Bretagne.
Mon travail, la clé de cette croissance obtenue malgré les crises économiques, problèmes, et pandémies, a consisté à choisir, recruter et faire travailler ensemble des personnes, à leur donner les moyens du développement, surtout à l'international, à insuffler le courage et à permettre aux équipes de travailler sur le long terme. Les actionnaires financiers ont souvent des problèmes de court terme. Quand on a la possibilité de travailler sur le long terme, les résultats finaux sont souvent meilleurs.
Aujourd'hui, je finis de laisser ma place de conseiller, après avoir été dirigeant jusqu'il y a trois ans. Ma famille a accepté de poursuivre cette saga industrielle. Elle va représenter la septième génération. Elle s'investit grandement, avec des équipes dirigeantes de grande qualité, en bonne entente.
Nous nous sommes engagés dans les médias il y a 20 ans, avec une stratégie claire s'appuyant sur un vivier de contenus très important à partir de notre culture française et européenne. À côté du soft power américain, et de ses contenus qui se ressemblent, à côté des contenus asiatiques, de plus en plus présents, les contenus européens apportent une certaine fraîcheur, sans doute très intéressante à conserver pour le respect de notre passé, mais surtout à exporter. Nous souhaitions créer un champion de la culture européenne et française.
Contrairement aux croyances répandues, les médias sont le deuxième secteur le plus rentable au monde, après le luxe. Pour mettre en oeuvre notre stratégie, nous avons recruté des équipes au fil du temps, dont Jean-Christophe Thiery, Philippe Labro, Maxime Saada ou Arnaud de Puyfontaine. Nous nous sommes donné les moyens d'agir sur le long terme. Contrairement à ce qui se dit partout, nous sommes encore tout petits, bien que nous progressions en effet. Le Vivendi d'aujourd'hui est infiniment plus petit que le Vivendi d'il y a 20 ans, qui ne posait aucun problème à l'époque.
Je précise que je réponds à vos questions à titre individuel. Je n'ai aucun titre ni pouvoir à la tête du groupe Vivendi, Bolloré ou Canal, ou encore moins Lagardère.
Notre commission d'enquête désire mettre en lumière la réalité du paysage audiovisuel et de la presse dans notre pays, et les phénomènes de concentration que s'y développent. Elle souhaite comprendre leur motivation et analyser leur impact sur le secteur économique, mais aussi et surtout sur l'exercice de la démocratie, du pluralisme, de la liberté, de l'indépendance des médias, principes inscrits à l'article 24 de la constitution.
Vous êtes devenu un acteur majeur dans cette concentration. Il me semble intéressant d'énumérer les activités d'origine de votre groupe : fret maritime, terrestre ou aérien, opérations douanières, concessions portuaires, distribution d'énergie, logistique pétrolière et distribution de produits pétroliers, chemin de fer, transport de passagers, maintenance, fabrication de films plastiques, de solutions de stockage, de batteries, de mobilités électroniques et plantations de palmiers à huile en Afrique et en Asie.
Dans les années 2000, vous avez approché, d'abord timidement, le secteur des médias. Vous avez accéléré ce mouvement dans les années 2010. Ces derniers mois, vous avez encore réalisé des opérations de grande envergure.
Les groupes que vous détenez sont nombreux :
- dans les médias : CStar, CNews, StudioCanal, myCanal, CanalVOD, Canal+ Régie, la chaîne Canal et toutes ses variantes, K+ Vietnam, Canal+ ex-Canalsat, Canal+ international, les multithématiques, Canal+ Polska, Canal+ Myanmar, M7 et Télésat ;
- dans les jeux vidéo et les métiers du spectacle vivant, de la billetterie, des festivals et de la production : See Tickets, InfoConcerts, Zepass, Copyrights Group, U Live, Théâtre de l'oeuvre, Vivendi Sports, CanalOlympia, Le Petit Olympia et Vivendi Brand Marketing ;
- dans la publicité : Havas Creative, Arena Media, Arnold, l'institut de sondages CSA, BETC, BETC Fullsix et toutes les filiales d'Havas.
Vous détenez également Dailymotion et le groupe Prisma Media et tous ses titres, ainsi que France Catholique ou L'Hebdomadaire. Vous prenez encore part à Universal Music group, premier label de musique mondial. Vous avez également des maisons d'édition, dont les groupes Edi8, Place des Editeurs, Robert Laffont, et Univers Poche, ainsi que le Cherche midi, la Découverte, Sonatine Editions, XO éditions, les éditions Héloïse d'Ormesson et Télémaque. Aujourd'hui, vous détenez en outre 45,13 % dans le groupe Lagardère, avec une offre publique d'achat (OPA) imminente. Elle vous placera chez Europe 1, RFM, Virgin Radio, Paris Match, Le Journal du dimanche (JDD), le groupe Hachette et toutes ses éditions. S'y ajoutent vos participations dans des médias étrangers, telles que Prisa à 9,9 %, ou 28,8 % dans la communication avec trois chaînes de télévision italienne.
Quel est votre intérêt à construire un tel empire médiatique dans notre pays ?
Historiquement, nous étions dans le papier. Je rajoute à votre liste OCB, marque historique à laquelle nous tenons beaucoup.
Permettez-moi de vous montrer quelques slides permettant de replacer Vivendi, le champion français. Il est à peine visible aux côtés de ses concurrents. Notre capitalisation boursière s'établit à 15 milliards d'euros, contre 156 milliards pour Sony, 287 milliards pour Disney, 586 milliards pour Tencent, 2 812 milliards pour Apple. En réalité, le géant Vivendi est un nain.
Ensuite, vous nous avons évolué ces dernières années, nos concurrents américains et asiatiques ont bougé encore plus vite. Je peux citer l'opération de rachat du catalogue MGM par Amazon, ou la reprise ce matin même d'Activision-Blizzard par un grand groupe américain.
Canal est le cinquième acteur du marché français, en représentant 6,3 % grâce aux récents succès. France TV, TF1 et la 6 en représentent respectivement 28,8 %, 26,9 %, et 14,5 %. Ces deux derniers atteindront 41,4 % du marché si la fusion a lieu. Dans ce cas, nous aurons l'avantage de passer à la quatrième place.
Le segment de l'information semble être celui qui fait le plus parler. CNews, seule chaîne d'information du groupe, attire un million de téléspectateurs en moyenne, contre 2,2 millions pour BFM, 4 millions pour M6, 7,2 pour France 2, et 9 millions pour TF1.
Sur la radio, nous attendons la commission européenne avant de pouvoir faire quoi que ce soit concernant Lagardère. Simplement, ce groupe se hisse aujourd'hui à la huitième place avec Europe 1, après France Inter, RTL, NRJ, France Bleu, RMC, Nostalgie, France Info.
Nous recevrons les propriétaires et actionnaires des groupes que vous citez afin d'évoquer avec eux la concentration.
Dans la presse nationale payante et quotidienne, ni Lagardère ni Vivendi ne sont présents. Dans la presse du 7e jour, le groupe Lagardère est septième en France. Dans l'édition, Hachette est troisième et Editis, dix-neuvième.
À l'échelle européenne, le chiffre d'affaires de Vivendi s'établit à 8,7 milliards d'euros. Celui de son concurrent allemand Bertelsmann s'élève à 17,3 milliards d'euros.
Enfin, le Vivendi actuel est beaucoup plus petit que celui d'avant, qui ne posait pas de problème, avec Canal+, Havas, Editis qui ne portait pas encore ce nom. Sauf qu'à la place de Gameloft figurait Activision et s'y ajoutaient également le groupe Express, Le Point, L'usine nouvelle, des dizaines de magazines sous le nom CEP, le groupe UGC, les studios Universal, et surtout SFR, et Cegetel, Les Pages jaunes et AOL.
Effectivement, nous avons grandi. Lorsque vous m'avez reçu il y a cinq ans, vous vous inquiétiez que Canal+ devienne Canal-, et que les 200 millions d'euros financés pour le cinéma français ne puissent continuer à être financés. C'est un compliment de s'apercevoir des progrès réalisés en cinq ans.
Vous me demandiez « pourquoi ? ». C'est uniquement un projet économique. Le secteur des médias est le deuxième mondial en termes de rentabilité. Notre intérêt n'est donc ni politique, ni idéologique, mais purement économique. Depuis vingt ans, ce groupe s'est constitué uniquement sur des questions économiques. Vous le voyez, notre segment de l'information est absolument insignifiant, tant en chiffre d'affaires que dans le poids du pays.
Personne ne conteste les réussites économiques du groupe. Le fait est que nous ne parlons pas de fabrication de brosses à dents, mais d'un domaine où se façonne l'opinion, où vit la culture de notre pays, avec sa diversité. L'information est fondamentale dans l'exercice de la démocratie, pour que les citoyens puissent être informés des faits et se forger eux même une opinion.
Vous pouvez minimiser votre impact, dire qu'il existe des acteurs plus imposants. Tout de même, la télévision est encore très prescriptrice d'opinions, malgré l'existence des réseaux sociaux. S'y ajoutent Hachette et Europe 1, Paris Match, Le JDD. Quand vous assurez que l'intérêt est uniquement économique, beaucoup s'interrogent. Bien que vous soyez plus petit que d'autres, toutes vos prises de médias se sont accompagnées d'une certaine brutalité à détruire des rédactions. Je pense à I-Télé pour faire CNews, à Europe 1, à Paris Match, au JDD. Les rédactions s'offusquent et rédigent des communiqués. Ensuite, la ligne donnée est idéologiquement très marquée. Depuis la libération, les idéologistes étaient plutôt mis au ban de la République. On ne tenait pas impunément des propos racistes, sexistes ou homophobes sur des antennes qui ne sont pas d'opinions. La convention de CNews avec le CSA établit d'ailleurs qu'il y a une presse écrite d'opinion, mais que l'autorisation d'émettre concernait traditionnellement des chaînes s'engageant au pluralisme.
Votre intérêt est-il seulement économique ? N'avez-vous aucune volonté idéologique ? N'intervenez-vous jamais pour imprimer votre marque dans les rédactions ? N'exercez-vous pas, au travers de cette puissance médiatique, l'intérêt économique que vous avez par ailleurs ?
Vous m'interrogiez déjà sur l'intervention il y a cinq ans. Les mêmes histoires se répètent indéfiniment. Maxime Sadaa avait déjà répondu il y a cinq ans concernant le Crédit Mutuel et d'autres histoires de même nature. Ses propos sont accessibles sur internet. Votre commission a en outre récemment reçu le patron des antennes de CNews. Il a assuré que personne n'était jamais intervenu, et en tout cas pas moi. Nous n'avons jamais discuté.
Ce hiatus sur les questions d'interventionnisme découle du fait que Canal était à l'époque en grande difficulté, perdant 400 à 500 millions d'euros par an. Vivendi était essentiellement contrôlé par des fonds américains qui n'avaient aucun intérêt à renflouer le groupe. Il a malheureusement fallu faire des économies. J'ai été envoyé pour m'en charger. J'ai alors été le bouc émissaire. Évidemment, quand vous cherchez à faire des économies, les gens préfèrent dire « c'est affreux, il intervient dans les contenus », sans en apporter aucun élément.
Pierre Lescure lui-même indiquait récemment que par le passé, Canal envoyait 500 personnes à Cannes pendant 15 jours pour le festival, pour 2000 euros par jour, soit 15 millions d'euros. Il fallait remonter 400 millions d'euros.
Tout ceci est donc venu du fait que nous devions faire des économies.
Vous avez évoqué I-Télé, qui a englouti 400 millions d'euros au cours de son existence. Il fallait y mettre fin.
Nous n'avons pas détruit de rédactions. Nous avons construit. En arrivant chez Canal, j'ai d'ailleurs indiqué que je n'étais pas la cause de leurs problèmes, mais leur conséquence, et peut-être leur solution. Aujourd'hui, les 8 000 collaborateurs continuent à travailler. Vivendi et Canal, c'est 300 millions d'obligations cinéma et audiovisuelles chaque année, et 500 millions d'euros investis dans le cinéma français et européen, 75 millions d'euros de redevance aux sociétés d'auteurs, 2,5 milliards d'euros d'impôts payés entre 2017 et 2021. C'est ce qui importe. À l'époque, j'avais employé le terme de « paratonnerre ». Je l'assume volontiers. Canal a réussi à se sortir de toutes ces questions, et est parvenu à s'internationaliser. À la différence de ses collègues français, le groupe Vivendi-Canal a réussi à se développer à l'international. Ses chiffres dans les différents métiers montrent d'ailleurs que l'essentiel est fait en permettant aux artistes extérieurs de rayonner.
En effet, nous ne produisons pas de brosses à dents. Les créateurs de contenus chez Havas, Canal ou dans l'édition sont extraordinairement sensibles par nature. Ma mère a été lectrice chez Gallimard pendant cinquante ans, et ramenait toujours des manuscrits à la maison. J'ai eu la chance de rencontrer des tas d'auteurs. Je sais ce que sont les journalistes et les créatifs. Nous n'avons pas détruit. Nous avons reconstruit. Aujourd'hui, nous comptons 120 ou 130 journalistes disposant de cartes de presse chez CNews.
Faire des économies est pénible. Perdre ce qui faisait votre monopole, votre richesse, n'est pas agréable. Face à ces situations, deux solutions s'offrent à vous : se laisser aller et faire faillite, ou reprendre, choisir des gens, les pousser à travailler ensemble, essayer de rayonner à l'international, où vous vous frottez aux concurrents réels, et vous donner les moyens d'avancer sur le long terme.
Notre groupe a réussi à se redresser. Je persiste pourtant à dire qu'il est encore petit. Il n'en reste pas moins qu'il n'y a aucune idéologie politique.
Vous avez parlé de la Libération. J'ai toujours affirmé être démocrate-chrétien. Outre ce fait, mon ADN est la liberté. Mon père était dans la résistance. Le 6 juin 1944, deux membres de ma famille figuraient parmi les 177 Français lors du débarquement. Ma grand-mère était au service action pendant des dizaines d'années, en particulier durant la guerre. J'ai un autre oncle dans Normandie-Niemen. Mon ADN montre que j'aime passionnément mon pays et la démocratie. Il me semble un peu facile de ressortir des histoires - à propos desquelles les personnes adéquates vous ont d'ailleurs répondu. Vous réentendrez prochainement Maxime Saada, et avez récemment auditionné Thomas Bauder. M. Vire, que je ne connais pas, a lui-même indiqué que je n'étais jamais intervenu.
Concentrons-nous sur la réalité des faits. Vivendi sera peut-être capable de faire rayonner la culture française et européenne dans le monde. Je crois que le rayonnement, l'aide aux créateurs, le soutien aux journalistes et aux dirigeants sont compatibles avec la réussite économique. Personnellement, je laisserai ma place aux équipes dont j'ai parlé plus tôt lorsque nous fêterons le bicentenaire du groupe.
Vous êtes déjà venu devant le Sénat. À l'époque, j'avais relayé l'affaire du documentaire « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien » de Tristan Waleckx, Il a depuis été primé d'un prix Albert Londres. Il mettait en accusation certaines de vos activités en Afrique, notamment au travers d'une histoire d'enfants travaillant sur les plantations. Vous avez réfuté ces accusations, et m'avez indiqué que vous attaqueriez M. Waleckx en justice. Vous avez demandé 50 millions d'euros. Ce n'est pas rien. Les jugements ont estimé que vous aviez dégénéré en abus de droit d'ester en justice, et que le montant demandé était exorbitant. Vous avez été condamné à verser 10 000 euros au groupe France Télévisions, qui avait diffusé le documentaire. Le confirmez-vous ?
Ni moi, ni aucun cadre ou employé du groupe Bolloré ne nous sommes rendus dans les plantations en Afrique. Le procès a relaxé les accusés de façon générale, parce qu'ils étaient « de bonne foi ». Il n'empêche que les plantations ne nous ont jamais appartenu. Le jeune homme soi-disant âgé de 14 ans, mais qui avait en vérité trois ou quatre ans de plus, n'a jamais travaillé pour moi. J'accepte d'être accusé de ce que j'aurais commis, sans me dérober. Ici, il s'agit pourtant encore d'un sujet d'amalgame. Nous ne gérons pas les plantations. Le groupe belge Fabbri y est majoritaire depuis 90 ans. Nous en avons hérité d'une participation, mais n'y avons jamais opéré.
La justice vous a condamné, estimant qu'il s'agissait d'une procédure abusive.
Nous pouvons ici parler de procédures bâillons. Demander des sommes exorbitantes pousse souvent les producteurs à ne pas prendre le risque d'enquêter ou d'approfondir un sujet, car ils pourraient être ruinés s'ils étaient condamnés. Vous avez mené trois procédures de ce type, que vous avez perdues. On vous reproche souvent d'empêcher une certaine liberté d'enquêter sur vos activités.
Vous n'avez pas répondu à une question. Certains, dont un ancien Président de la République, vous accusent d'avoir fabriqué un candidat à la présidentielle. Quand il a été renvoyé d'I-Télé en 2012, vous avez, dit-on, piqué une colère noire. Il est ensuite revenu assez fortement dans le paysage. Personne ne vous croit étranger à sa présence. Il a pignon sur rue sur l'antenne de CNews. Aussi, personne ne pense que les médias que vous saisissez n'ont aucune connotation idéologique ou politique, et que vous n'y opérez aucun changement dans la ligne éditoriale et dans les rédactions quand vous en prenez le contrôle.
Vous vous définissez comme démocrate-chrétien. Le racisme et le négationnisme sont-ils des valeurs démocrates-chrétiennes ? Je ne le crois pas. Une telle ligne éditoriale s'impose-t-elle à votre insu dans les médias que vous contrôlez, avec les hommes et les femmes que vous y mettez ? Leurs idées et revendications politiques sont souvent marquées à l'extrême droite. N'y êtes-vous pour rien ?
Vous assemblez plusieurs morceaux de sujets pour en fabriquer une histoire. On pourrait dire que je suis déconstructionniste, woke, au vu de la polémique sur « iel ». « iel » c'est le Petit Robert. Le Petit Robert c'est Editis. Editis c'est Vincent Bolloré, donc Vincent Bolloré est déconstructionniste ! Vous avez des dizaines de milliers d'heures sur nos programmes.
Éric Zemmour vendait des dizaines de milliers d'exemplaires de ses ouvrages bien avant de revenir sur CNews. Il est sur Le Figaro et sur la 6. Pourtant, c'est quand il apparaît sur CNews que cela pose problème. Les courants de pensée sont si nombreux dans nos livres, dans nos émissions. Personne ne savait, personne ne pensait qu'il serait Président de la République.
En 2016 devant le Sénat, vous disiez que votre rôle, en tant qu'actionnaire principal, visait à fixer un cap, à nommer des équipes, à parler avec elles et à répondre à leurs questions. La définition de ce cap va-t-elle jusqu'à définir la ligne éditoriale lorsqu'il s'agit d'un média ? Allez-vous jusqu'à choisir les journalistes et éditorialistes ?
Je choisis des dirigeants. Depuis 40 ans, ce groupe a repéré des talents. On parle aujourd'hui d'Éric Zemmour, mais on pourrait citer Yves Calvi, Bono, Marc Levy ou Bernard-Henri Levy, avec qui j'ai passé du temps. Avant de devenir conseil, mon travail consistait à fixer des caps, à choisir des gens et à les laisser travailler. Les dirigeants du groupe Vivendi et de Canal ont des personnalités, de l'autorité, des compétences. Ils sont d'ailleurs pénalement responsables de ce qui se passe dans leur média. Je ne vois pas comment leur imposer quoi que ce soit. Aucune personne interrogée au cours des commissions que vous avez tenues jusqu'à présent n'a dit que j'étais intervenu personnellement sur quoi que ce soit.
Je le répète, le groupe est si vaste qu'on peut dire tout et son contraire sur mes idées. Je ne peux d'aucune façon être tenu responsable de ce qui est exprimé. Au contraire, toutes les expressions sont sur les différentes antennes.
En réalité, notre part d'audiences sur l'information est risible tant elle est minime. Sur Canal, les vrais sujets sont le sport, le cinéma et les séries.
Puisque les droits d'émettre sont limités, la télévision n'a pas été construite sur un schéma de télévision d'opinion. Pour autant, un certain nombre d'observateurs constatent que la chaîne CNews n'est pas loin d'être une télévision d'opinion. Partagez-vous ce constat ?
Dans son audition, Thomas Bauder indique que c'est une chaîne de débats. Maxime Saada ou Arnaud de Puyfontaine, qui aurait d'ailleurs dû prendre ma place, vous le diront. Personne n'a l'ambition, l'intention ou l'erreur de vouloir créer des chaînes d'opinion. Le groupe Vivendi-Canal est positionné sur la liberté d'expression pour donner le meilleur à ses clients voulant voir du sport, du cinéma et des séries.
M. Zemmour écrit lui-même que c'est vous qui l'avez convaincu de rejoindre la chaîne. Il était déjà condamné pour certains propos à cette époque. Il a encore été condamné hier.
Je vous l'ai dit, je rencontre beaucoup de gens. M. Zemmour était très connu bien avant de me rencontrer. Il vendait des centaines de milliers de livres, et apparaissait sur d'autres chaînes sans que cela pose problème.
S'il n'est pas élu Président de la République, souhaiteriez-vous qu'Éric Zemmour revienne sur CNews ?
Je n'ai pas le pouvoir de nommer qui que ce soit à l'intérieur des chaînes. Je peux proposer et donner mon avis. Si quelqu'un n'a pas envie de le faire, il ne le fait pas. 4, 5, 6 ou 7 personnes, connues pour leur force, ne feront pas ce qu'elles ne jugent pas bon pour la chaîne. Ma capacité d'imposition personnelle n'est pas très importante, contrairement à ce que vous pensez.
Sans faire de jeux de mots, je crois que nous battons des records d'audience grâce à vous. Je précise que nous sommes ici réunis pour comprendre et analyser la situation afin de nourrir l'écriture d'une loi, pour l'adapter à la société actuelle.
Vous avez commencé votre carrière professionnelle à 18 ans, en 1970, à l'Union européenne, industrielle et financière. C'est assez actuel. Un demi-siècle d'une trajectoire exceptionnelle s'en est suivi. Cette réussite familiale inspire dans notre pays le respect et l'admiration, car c'est ainsi qu'on crée de la richesse, de l'emploi et le sacro-saint pouvoir d'achat, ou du rejet et de la suspicion, car dans notre beau pays, la réussite déplaît.
Qu'on vous apprécie ou pas, personne ne peut nier que vous êtes un visionnaire. Vous vous êtes lancé dans les médias dans les années 2000. À votre avis, comment peut-on concilier, à notre époque, la nécessaire recomposition du marché des médias avec la non moins nécessaire préservation du pluralisme qui fait vivre notre démocratie ?
Je vois personnellement un grand pluralisme aujourd'hui. Si on veut écouter les uns et les autres, on est capable de le retrouver. Le vrai danger provient des GAFA, qui pèsent un poids considérable et passent au travers de tuyaux non contrôlés ou contrôlables. Sommes-nous capables, tout en permettant à des médias de se développer et de leur faire gagner de l'agent, de rester dans la pluralité ? Je le crois.
La concentration des médias pose forcément problème. La taille de nos concurrents aussi.
Dans trois semaines, le groupe fêtera ses 200 ans. Nous aurons connu trois rois, un empereur, 26 présidents de la République. Nous nous adapterons. Je le répète, je fais le paratonnerre avec plaisir. C'est mon travail. Je ne sais pas ce qui se passera ensuite. Nos concurrents sont énormes. Ce n'est pas parce qu'il a mal travaillé que Canal a dû affronter des difficultés. Il s'est trouvé devant un petit vendeur de cassettes, qui est tout à coup devenu un géant à 400 milliards d'euros de capitalisation, et qui réalise finalement des séries en payant le double. À la fin, lorsqu'il aura atteint un certain nombre de clients français, continuera-t-il à faire la place de la culture dans notre pays ? Lorsque des entrepreneurs sont implantés dans ce pays, ils sont plus enclins à défendre sa culture que s'ils sont à l'étranger. C'est le cas dans tous les secteurs industriels. Si un groupe français rencontre des difficultés, il gardera ses usines en France. Si c'est un groupe étranger, il les fermera.
La mission est difficile. Il faut aider les gens à se développer, mais aussi éviter une concentration trop forte. Je ne peux malheureusement pas répondre à cette question.
Qu'est-ce qui vous attire dans les médias, à part la rentabilité ? Depuis que vous êtes investi dans ce milieu, vous avez pris beaucoup de coups. N'ont-ils pas eu d'effets collatéraux sur les autres activités de votre groupe ?
Ensuite, vous êtes propriétaire d'Havas, qui met en place des programmes publicitaires et conçoit des publicités ensuite achetées par des médias. Dans ce cadre, n'est-on pas tenté de toujours aller vers des médias appartenant au même groupe ?
Enfin, nous avons récemment auditionné le directeur général de Reporters sans frontières. Il nous a parlé à sa façon de votre personne. Vous est entre autres reprochée une gestion brutale dans les affaires. L'assumez-vous ?
Je ne pense pas qu'il y ait de gestion brutale. J'ai simplement le courage de dire les choses et de prendre les mesures adéquates quand il le faut. Si c'est ce que vous qualifiez de « brutal », alors je le suis. C'était brutal de dire à Canal que le groupe perdait 400 millions d'euros.
Vous parliez de coups. J'ai avec moi une vidéo reprenant des séquences diffusées à l'antenne lorsque j'étais président de Canal et actif à l'époque, parce qu'après j'ai laissé la présidence à Maxime Saada et à Jean-Christophe Thiery.
Il nous reste de nombreuses questions. Je vous propose de passer ce film en fin d'audition.
Il est vrai que les coups sont nombreux. Je fais office de paratonnerre. Je pense néanmoins que les équipes sont grandement satisfaites de voir que le groupe gagne de l'argent et la situation est rétablie. Nous pouvons investir à l'étranger.
En effet, les coups ne sont pas bons pour le moral. Quand je suis arrivé à la tête de Vivendi, on m'a conseillé de m'asseoir, de prendre la cave à cigares et de ne rien faire, de profiter. Ce n'est pas mon ADN. Lorsque j'étais en 7e 1, ma maîtresse avait envoyé un bulletin de consigne où il était inscrit « Vincent se mêle de tout, il n'a plus qu'à prendre ma place ». Si c'est pénible, je ressens tout de même le plaisir du travail accompli, la satisfaction de sauver 80 000 personnes. Aujourd'hui, le cinéma français n'est plus inquiet vis-à-vis de Canal. S'il préfère Amazon ou Netflix, c'est son choix, mais le choix de Canal ne lui a pas été retiré. C'est ce qui récompense les coups pris, que j'estime souvent injustes.
Havas ne fait que prendre la publicité de ses clients pour la mettre sur des médias. S'il s'amusait à placer cette publicité sur ses propres médias, ce serait très rapidement visible, et ce serait un problème. Le groupe Canal+ pèse 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont seulement 100 millions d'euros de publicité, soit 2 %.
Vous avez exprimé l'intention de faire rayonner la culture française face à la culture asiatique et américaine. Ces intentions sont louables. Parallèlement, comprenez l'inquiétude générée par vos acquisitions dans le domaine des médias et de l'édition. Le 14 janvier, la rédaction du JDD a par exemple exprimé ses craintes de devenir, je cite, « un vulgaire média d'opinion comme CNews » suite à la nomination de Jérôme Béglé en tant que directeur général. La rédaction est très inquiète pour son indépendance. Avez-vous des réponses à lui apporter ?
Ensuite, le candidat Éric Zemmour annonce vouloir démanteler le service public, France Télévisions et Radio France. Partagez-vous ses propos ?
Je n'ai pas plus de responsabilités et de poids sur Éric Zemmour que n'en ont Nicolas de Tavernost ou le propriétaire du Figaro. Il est dit qu'il me téléphone tous les jours, que nous déjeunons ensemble chaque mois. Je n'ai pourtant déjeuné qu'une seule fois avec lui, lorsque nous lui avons proposé de rejoindre CNews. Éric Zemmour a le droit de s'exprimer. Son programme ne me regarde pas. Je ne fais pas de politique, je n'en ai jamais fait.
Ensuite, je n'ai aucune responsabilité dans le JDD. Je n'ai nommé personne. Arnaud Lagardère gère son groupe. Évidemment, la pression des médias est telle pour me faire passer pour une personne épouvantable que la rédaction ne peut qu'avoir peur. Si elle voulait me voir, elle réaliserait que je suis tout à fait normal et que je ne représente aucune menace.
Enfin, Arnaud de Puyfontaine connaît la presse par coeur. C'est un garçon tout à fait remarquable. S'il devait un jour y avoir une autorisation de Bruxelles et un lien entre les groupes Lagardère et Vivendi, je suis certain qu'il se passerait sans encombre, comme pour les autres magazines du groupe Vivendi.
Nous avons auditionné en début de semaine un professeur d'université, historien des médias, qui nous a indiqué que la concentration n'était pas un problème démocratique, mais une question économique. Il indiquait qu'il n'y avait pas de rapport entre concentration et pluralisme, et qu'au contraire, en quarante ans, les supports de diffusion s'étaient multipliés. Pourtant, seuls 16 % des Français font confiance aux journalistes. Qu'en pensez-vous ?
Je ne suis pas compétent dans ces matières. J'estime qu'il est possible de se renseigner, de lire, d'écouter la télévision, de regarder sur le net des informations si diverses que les gens se font ensuite des idées. Je n'ai pas d'opinion à exprimer. Je rappelle que le sport, le cinéma et les séries constituent l'essentiel de la vie du groupe à la télévision. Ce que nous pourrions qualifier d'outil d'information ou de propagande est insignifiant. Si nous avions eu un projet politique, nous ne serions sûrement pas allés vers Canal, mais plutôt vers la 6 ou vers des opérations bien plus ouvertes. Nous sommes intéressés par l'international, qui concentre plus de la moitié de 20 millions d'abonnés. Si vous me reconvoquez dans cinq ans - et je serai alors gâteux --, vous verrez que Canal comptera 30 millions d'abonnés, dont 20 millions à l'international. Le sujet politique n'y est pas essentiel.
Vous avez indiqué que le lien avec Havas était inexistant. Pourtant, lors de l'assemblée générale de Vivendi du 24 juin 2014, vous avez affiché votre volonté de transformer cette holding financière en groupe industriel intégré dans les contenus. Il semblerait que lorsqu'Havas média, que vous contrôlez, recommande à un annonceur de choisir un média pour diffuser ses publicités, les chaînes du groupe Canal+, que vous contrôlez également, sont favorisées. En 2018, elles ont représenté 12,1 % des espaces publicitaires achetés par Havas, alors qu'elles n'ont pesé que 9 % chez les autres agences concurrentes.
Aussi, pouvez-vous nous dire si des consignes ont déjà été données chez Havas médias pour favoriser les chaînes Canal+ ? Sinon, comment expliquer cette différence par rapport aux autres agences ? A-t-elle été corrigée depuis 2018 ?
Ensuite, CNews a reçu le 3 décembre une mise en demeure du CSA relative à l'équilibre des opinions, notamment avec la diffusion jugée nocturne pour les temps de parole de l'exécutif ainsi que ceux de LFI. Pouvez-vous nous garantir que des mesures ont été prises pour mettre fin à ces pratiques, et que le rééquilibrage a été opéré ?
Sur la deuxième question, je n'ai aucun pouvoir pour demander à quiconque de rééquilibrer. Thomas Bauder a indiqué qu'il ne s'agissait que d'une mise en demeure préventive, et que depuis, les équilibres avaient été maintenus sur une règle du jeu qui lui était d'ailleurs inconnue, à savoir le distingo entre le jour et la nuit. La chaîne s'est remise en ordre. Je ne vois pas pourquoi les dirigeants s'exposeraient à des sanctions en agissant de manière illégale.
Je ne dirige plus Havas depuis des années. Vous pouvez en recevoir les responsables. Le débat sur les 12 ou 9 % est ancien. Certains disent que Publicis, notre concurrent, fait exprès de ne pas donner de publicités à Canal, et qu'Havas lui en donne au contraire un peu plus. Je le répète, Canal réalise 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Les 3 % supplémentaires d'Havas représentent peut être 1 ou 2 millions d'euros. Aucune consigne anormale ne peut être donnée pour des sommes aussi risibles. Interrogez les responsables d'Havas si vous le souhaitez. Vous verrez que les cinq ou six grands groupes de publicité dans le monde sont très vigilants, sans quoi ils perdraient leurs clients. Ils ne donnent de la publicité que dans des endroits où les tarifs sont favorables et où les clients trouvent un intérêt.
En revanche, nous sommes effectivement un groupe industriel intégré dans le cadre de la création avec Havas. La durée des films et séries ne fait que se réduire. Cette tendance devrait se poursuivre. Or, qui sont ceux qui font les films les plus courts et efficaces ? Les publicitaires. C'est un sujet pour le futur. Nous devrions étudier la possibilité de faire travailler les créatifs d'Havas avec des créateurs de série pour créer des formats à travers le monde.
Vous évoquez une question purement économique, et expliqué le problème posé par la concentration des médias relève de la taille de vos concurrents. Je comprends que vous considérez qu'il faut concentrer davantage pour affronter ces derniers. Je m'interroge sur votre stratégie pour aller plus loin, même si je sais que vous n'êtes que conseiller, et que vous allez passer la main prochainement.
Ensuite, êtes-vous d'accord avec le qualificatif de concentration horizontale ou verticale, qui permet d'avoir un système intégré ? Dans le paysage actuel, face à ces concurrents qui posent problème, pensez-vous que nous puissions concentrer encore plus ? Vous l'avez compris, cette commission d'enquête a été créée parce que la question du pluralisme, de la démocratie, de la loi de 1986, de la liberté des rédactions, est un sujet.
Qu'est-ce qu'est pour vous l'information dans une démocratie vivante, vivace, comparé à ce que nous pouvons voir de l'autre côté de l'atlantique en termes de débat public ?
Enfin, d'I-Télé à CNews, environ 70 journalistes sont partis, pour différentes raisons. Ces départs posent également question.
Des gens effrayés partent. D'autres, contents, arrivent. Il en va de même dans la vie, dans les partis politiques, à la Chambre. Nous n'avons pas détruit des rédactions pour nous retrouver face à un champ de ruine. Nous avons reconstruit, avec des gens qui en avaient envie. Certains peuvent ne pas souhaiter travailler avec les équipes que j'ai mises en place, pour différentes raisons. C'est leur droit. Je ne peux toutefois pas dire que nous avons fait partir des gens sans préciser qu'un nombre supérieur de journalistes est revenu.
Permettez-moi ensuite de vous donner un exemple très parlant de concentration horizontale. Aux États-Unis, Hachette et Editis étaient trop petits pour acheter les éditions Simon & Schuster. Ils auraient pu le faire ensemble, mais c'est finalement Bertelsmann qui l'a racheté. Même si Hachette et Editis se mariaient, ce qui n'arriverait pas sans que des mesures soient prises en France, nous ne serions encore que les troisièmes, loin derrière les premiers en termes de valeur et de profitabilité.
Il est sans doute encore plus intéressant d'évoquer la concentration verticale, dont le groupe Disney est un bon exemple. Personne ne demande d'interdire d'envoyer Blanche Neige ou Peter Pan à Eurodisney. La stratégie de ces groupes vise à faire un peu de tout à 360 degrés. Ils trouvent un personnage - ici, Mickey -, ils créent un journal, des dessins animés, des clubs et villages de loisir. Lorsque les personnages deviennent un peu désuets, ils réalisent des films avec des acteurs plus épicés. Ensuite, ils se tournent vers Marvel et les superhéros. À la fin, tout fonctionne ensemble. C'est le fameux soft power américain. Les Asiatiques en font de même.
Je ne voudrai pas vous laisser l'impression que nous allons lancer une grande machine. Pour que des créatifs restent avec vous, ils doivent être appréciés. Pour qu'un auteur écrive son livre, soit heureux et reste chez vous, vous devez lui donner un cadre personnel. Ce ne sont pas de grandes machines, mais au contraire des alliances faites sur mesure. Prenons l'exemple d'Alex Lutz, ayant commencé sa carrière en tant que speakerine dans des petits programmes de Canal. Il est aujourd'hui l'un des plus grands acteurs, connu à l'international. Angèle est elle aussi désormais connue à l'étranger. Mes successeurs, s'ils en ont l'envie et la possibilité, ont la grande chance de pouvoir prendre ces Français peu ou pas connus, et de les projeter dans le monde entier.
Dans le monde de l'édition, à l'exception de quelques personnes gagnant beaucoup d'argent, les auteurs ne s'en sortent pas avec leurs droits d'auteur. Un groupe capable de proposer à un auteur français de traduire son oeuvre à l'étranger, de l'adapter en série ou en plus petits éléments digitaux pour les passer sur Dailymotion, Canal ou autre, me semble être un sujet passionnant pour ce fameux softpower, qui reste très important pour la France.
J'aimerais que vous nous dispensiez vos conseils avant d'être gâteux, comme vous le dites - bien qu'il nous reste à mon avis un peu de temps. Vous nous indiquez que la rentabilité économique est votre motivation face aux mastodontes auxquels vous faites face. Nous savons que la culture française et la francophonie ne sont pas majoritaires dans le monde. Ne risquons-nous pas de les délaisser un jour pour des raisons de rentabilité ? Au contraire, les plus petites sociétés ayant la bonne zone de chalandise ne seraient-elles pas celles qui permettent de les faire vivre ? La concentration visant à résister aux Gafam ne risque-t-elle pas de nous obliger à entrer dans une culture insipide internationale, et à perdre notre propre culture ? La puissance publique doit-elle être très contraignante pour imposer la culture française ? Nous nous interrogeons réellement sur ce qui peut préserver la créativité de la culture française, sans trop la protéger ou la priver de libertés et de créativité, sans la laisser se diluer dans une culture internationale pour des raisons de rendement économique.
Je crois que mes successeurs sont convaincus que notre histoire est un trésor à exporter. Nous disposons de lieux magnifiques à filmer. Versailles et Clovis sont plus intéressants que Superman 2, 3, ou 4. De temps en temps, nous pouvons nous orienter vers plus de subtilité et de raffinement. Si vous favorisez les groupes français, ou du moins si vous ne les empêchez pas de vivre, et si vous ne favorisez par des étrangers souhaitant prendre pied en France avant de normaliser le même film dans le monde entier, je pense que vous y parviendrons. Nous avons une vraie richesse. Les talents et les résultats se conjuguent. Universal Music, c'est à la fois des talents formidables et des résultats. Je pense que Canal Vivendi peuvent en faire de même.
Jean-Luc Lagardère a laissé une situation compliquée à son fils. Il n'avait que 5 % du capital, et avait mis en place une organisation comparable à un château fort, sans être totalement indestructible. Lorsqu'il a pris la suite de son père, Arnaud s'est endetté pour racheter des actions et pour montrer à ses équipes et au monde entier qu'il avait confiance, et qu'il voulait développer ce groupe. C'était courageux. Il a ensuite fait face à une pandémie, qui a touché un de ses secteurs les plus importants. Il est resté engagé. Il a internationalisé, car Hachette ne se résume pas à la France. Ce groupe doit être soutenu, ce qu'a d'ailleurs fait l'Etat à travers un PGE. Nous soutenons nous-mêmes Arnaud Lagardère et sa politique. Est-ce que les pouvoirs publics doivent s'en charger, ou des fonds privés ? Je ne sais pas. Pour autant, ce sont ces groupes qui créeront demain la richesse de la France. Arnaud aime ce pays. Nous avons intérêt à aider ces gens plutôt que des étrangers qui arrivent, sont très aimables, mais que vous ne verrez plus dans deux ans.
Vous parlez de mesures à prendre. Avec la chronologie des médias, nous ouvrons la porte du cinéma, comme celle du football, à de grandes plates-formes. Vivendi s'adaptera, comme depuis 200 ans. Il est pourtant de votre rôle de défendre notre pays, comme les étrangers défendent le leur. Si vous vous intéressez à la répartition du chiffre d'affaires par activité, vous constaterez que tous les groupes allemands travaillent ensemble.
Vous le savez, nous sommes obligés d'en sortir. Je le regrette d'ailleurs. Ce continent est à nos portes. Il va compter 2 milliards d'habitants. C'est la Chine de demain.
En Allemagne, ce sont des groupes de presse, absents du BTP ou de l'armement, par exemple.
M. Bouygues est un Français. Il gère ses affaires remarquablement. Lui aussi est arrivé dans une situation un peu complexe. Il n'y a rien à reprocher. Ce groupe ne s'est pas internationalisé, mais je ne vois pas le problème.
Les groupes allemands que vous prenez en exemple sont des groupes de média et de presse. En France, ce sont des investisseurs qui viennent d'autres mondes, dont le BTP.
Il en va de même dans d'autres pays. Le groupe Berlusconi intervient dans de nombreuses activités autres que la presse en Italie. Le groupe Caltagirone est dans le bâtiment.
Pourquoi laisser partir Universal Music ? Il y a cinq ans, vous nous expliquiez ici même que cet acteur était un élément clé du groupe. Vivendi cède aujourd'hui des actions pour le remettre sur le marché. Pourquoi ?
Le groupe Bolloré n'est pas sorti d'Universal et détient toujours ses 320 millions d'actions. Simplement, un certain nombre d'actionnaires de Vivendi ont demandé, depuis le premier jour, de séparer les activités.
Plus de 70 % du capital de Vivendi est détenu par des fonds étrangers qui ne lèveront pas le petit doigt si Canal+ ou Dailymotion ne fonctionnent plus ou sont vendus. Cela ne les intéresse pas. Au contraire, Yannick Bolloré, Arnaud de Puyfontaine ou Jean-Christophe Thiery sont français. Ils souhaitent poursuivre des aventures, du moins je l'espère. J'ai essayé de bâtir ma succession sur cet affectio societatis qui nous a permis de tenir 200 ans. Dans le monde, peu d'entreprises ont survécu aussi longtemps malgré deux guerres mondiales, plusieurs révolutions, des évolutions techniques, des disputes familiales, des évolutions de produits, et ont réussi à rester au même endroit et à se développer dans le même pays.
Depuis le début de l'audition, vous vous employez à vous présenter comme un groupe modeste. En vérité, le paysage de l'information et de l'audiovisuel français compte très peu d'acteurs, en dehors du service public. Cinq ou six groupes contrôlent aujourd'hui l'essentiel des médias. Vous êtes l'un des acteurs importants en France. Nous avons parlé d'Havas. La publicité n'est pas uniquement une question de marché, mais surtout de stratégie pour la survie de beaucoup de titres. Sur ce sujet, vous n'avez rien dit de vos appétits futurs. Voulez-vous encore grossir ? Jusqu'où pensez-vous qu'un groupe peut aller dans la part de contrôle d'un secteur comme celui-là, sans mettre en cause les principes du pluralisme, de la diversité et de la création ?
Ensuite, vous indiquez vouloir devenir un champion de la culture française et européenne. Singulièrement, la culture française ne repose pas uniquement sur la rentabilité, sans quoi la diversité actuelle ne serait pas ce qu'elle est. Si nous avions copié les Américains il y a vingt ou trente ans, il n'y aurait plus de cinéma français, et probablement plus de cinéma européen, pour ce qu'il en reste. Nous avons inventé en France un modèle original, qui ne s'est pas appuyé uniquement sur des champions, mais sur des politiques publiques ou sur la taxation des billets. Des acteurs, y compris privés, ont joué un rôle particulier au nom de la culture française. Jean-Luc Lagardère a porté à bout de bras le système de distribution mutualisée de la presse française des années durant, pas pour des raisons de rentabilité, mais par attachement à une certaine conception du pluralisme. Je n'entends pas cela dans vos propos. J'y vois plutôt un modèle qui ressemblerait à celui des Américains. Je ne suis pas certain qu'il soit le plus pertinent pour porter la culture française ou européenne, ou les valeurs que nous avons su porter.
Enfin, je m'étonne que vous banalisiez la question concernant Éric Zemmour, d'autant plus que vous avez fait référence à la résistance en évoquant votre histoire familiale. Je suis d'une famille politique assez sensible à cette question. Ma grand-mère figure parmi les Justes parmi les nations, parce qu'elle a risqué sa vie pour sauver des enfants juifs. Non, Éric Zemmour n'est pas une opinion comme une autre. Hier, il était condamné pour la troisième fois pour incitation à la haine raciale. Ses déclarations sur Vichy sont problématiques pour la démocratie française. Évidemment, il a son opinion, qui peut malheureusement être partagée par certains. Prendre la responsabilité de lui donner de la place éditoriale n'est cependant pas comparable à n'importe quelle opinion. Sinon, cela signifierait que les jugements répétés à son égard sur les questions de racisme de comptent pas. En démocratie, je pense que nous pouvons nous accorder sur le fait que le racisme n'est pas une opinion comme une autre, mais qu'elle est un délit. Sur cette question, la banalisation ne me semble donc pas acceptable.
Vous connaissez le mot injustement attribué à Voltaire « je ne partage pas vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer ». J'ai avec moi un mot du général de Gaulle adressé à mon père : « à Michel Bolloré, en souvenir de notre combat commun ». Sur le plan de la démocratie et du reste, mon ADN va bien. Je vous l'ai dit, Éric Zemmour était présent sur d'autres chaînes. Nous l'avons retiré de CNews, il est sur BFM chaque soir. Pourquoi sommes-nous les seuls à nous le voir reprocher ? Recevez-vous les responsables de BFM pour leur demander comment ça se passe ? A-t-il ou non le droit de s'exprimer ?
Dans le groupe Canal, le fait politique ne représente même pas 1 % de l'antenne. On ne peut pas assurer indéfiniment que tout ce que nous construisons répond à des volontés politiques. C'est faux, comme il est faux de dire que nous sommes tout puissants. Nous sommes tout petits.
De même, nous ne sommes pas uniquement à la recherche de rentabilité. Je me suis mal exprimé. Au contraire, je pense que nous devons aller vers les contenus et les talents. Ce n'est pas incompatible avec la rentabilité. Si celle-ci est absente, les talents ne pourront pas continuer.
Vous me dites que vous avez protégé la culture française. Vous êtes en train de détruire tout ce que vous avez fait pour le cinéma avec la chronologie des médias. Canal avait du succès avec son cinéma, parce qu'il fallait attendre deux ou trois ans pour voir les films américains ou français sur les plates-formes étrangères. Vous allez maintenant les voir presque en même temps. Nous nous débrouillerons, mais vous ne pouvez pas parler de protection tout en mettant en oeuvre les mesures que vous prenez actuellement. Vous faites le contraire de ce qui est nécessaire pour protéger le cinéma français. Vous le détruirez, car vous n'aurez plus que cinq ou dix films importants financés chaque année par les plates-formes, alors que Canal en finance 250.
Enfin, je ne veux pas grossir. Mon ambition est de fêter le bicentenaire du groupe le 17 février, si l'épidémie le permet. J'espère avoir poussé mes successeurs à essayer de défendre la culture française. Ils m'assurent que c'est leur souhait. Vous le disiez plus tôt, on prend toujours des coups. Moi, j'ai la peau abîmée, mais je fais avec. Pour les jeunes qui arrivent, il est un peu compliqué de faire des procès d'intention sur des réalités qui n'en sont pas nécessairement.
La chronologie des médias ne dépend pas du Parlement, mais d'un accord interprofessionnel validé ou non par le gouvernement.
Vincent Capo Canellas. - Vous êtes un grand capitaine de l'industrie. Vous avez affiché des objectifs de rayonnement culturel de la France à l'international. Vous avez enfin indiqué être démocrate-chrétien. Je ne peux qu'être sensible à ce dernier point. Les démocrates-chrétiens savent que l'économie de marché est la base. Ils sont aussi soucieux de l'équilibre.
En termes d'équilibre économique, pensez-vous que les médias audiovisuels devraient pouvoir évoluer vers des médias d'opinion afin de mieux trouver leur public et donc d'assurer leur indépendance ?
Ensuite, que vous inspire l'exemple de télévisions étrangères telles que Fox News ?
Enfin, nous voyons bien que la culture du clash domine aujourd'hui les médias. Ils se tournent donc plutôt vers des éditorialistes clivants, qui apportent aussi parfois une logique d'opinion. Ne pensez-vous pas que nous manquions d'analystes moins clivants, pour donner une vision d'équilibre à laquelle sont sensibles les démocrates-chrétiens ?
Je regarde peu la télévision. Je ne sais que dire sur ce qu'il s'y passe, y compris à l'étranger. J'estime que tant que les fréquences hertziennes appartiennent à l'État, ce dernier devrait en avoir un contrôle absolu. Créer des chaînes d'opinion ne me semblerait pas positif, mais je n'y connais pas grand-chose. Vous l'avez vu, nous ne représentons que 0,1 % des contenus d'opinion. Je peux vous parler de cinéma, de sport ou de séries. Sur le plan de l'information, c'est plus compliqué.
Je ne regarde pas la télévision étrangère. Je ne sais pas comment elle fonctionne. Je vois arriver d'immenses groupes, qui sont pour l'essentiel des plates-formes. Je pense qu'ils sont les dangers. J'ai travaillé avec les grands groupes. Ils sont très forts. Même lorsque j'étais président de Vivendi, je devais tenir compte des actionnaires, parce que je n'étais pas majoritaire. Les concurrents qui arrivent sont américains, avec des actionnaires majoritaires ayant des droits de vote multiples, interdits en France, ou asiatiques, avec une vision politique très claire. Comment s'en défendre ? Je ne sais pas.
Pierre-Jean Verzelen. - Vous comparez la taille des Gafam et des médias français. Dans la réalité de l'action quotidienne de votre groupe, les voyez-vous vraiment comme vos concurrents, au-delà même de leur taille, par la nature de vos métiers ? Vos concurrents ne seraient-ils pas plutôt des acteurs tels que Bertelsmann ?
Ensuite, quel est votre avis sur le rapprochement de TF1 et M6 ? Ils nous indiquent devoir se regrouper pour être plus forts et concurrencer les Gafam. Croyez-vous à la réalité de cet argument ? Pensez-vous plutôt que ces deux entreprises ont besoin de se regrouper pour réduire leurs coûts de fonctionnement et maintenir leurs marges ? Pensez-vous que ce rapprochement puisse bousculer le marché, notamment en termes de publicité et de répartition des richesses ?
Nos concurrents sont les plates-formes de cinéma ou de séries telles qu'Amazon, Apple ou Netflix, plus que Bertelsmann.
TF1 et M6 sont des groupes français, dont l'essentiel de l'activité se concentre dans notre pays. Nous le sommes nous aussi, mais nous rayonnons essentiellement à l'étranger. Je ne suis pas le mieux placé pour estimer les éventuels problèmes que pourrait occasionner ce rapprochement. Je ne suis pas en concurrence. Vous devriez recevoir Banijay, que nous avons aidé à devenir le numéro 1 mondial des programmes de flux en apportant les centaines de millions d'euros nécessaires. Je ne peux pas vous répondre concernant la télévision gratuite française, que je connais mal.
M. Hugonet indiquait en début d'intervention que les gens qui réussissent dans notre pays entraînent soit le respect, soit la suspicion. Vous avez tout mon respect, en tant qu'homme s'étant construit et faisant travailler des milliers d'autres hommes.
Cette commission d'enquête a pour objectif de s'interroger sur la concentration des médias. Un certain nombre de chercheurs ou de personnes qui s'intéressent à ce sujet nous ont indiqué qu'ils ne la considéraient pas comme un problème. Pour un certain nombre de mes collègues sénateurs, elle constitue toutefois une vraie question de remise en cause probable de la démocratie. D'ailleurs, des propos tenus ce jour me choquent beaucoup. Ils ne sont absolument pas liés à l'audition de M. Bolloré. Les procès d'intention ne sont pas toujours sains dans les commissions. Certains de mes collègues ont cité M. Zemmour. Je n'en suis pas une fanatique. Pour autant, il a le droit de parler, comme M. Mélenchon. C'est l'honneur de notre démocratie et de notre diversité d'opinion que de pouvoir formuler l'expression de français. Lorsque nous voyons les scores réalisés par Éric Zemmour dans les sondages, nous devons nous poser des questions sur notre rôle en tant que politiques, plutôt que sur celui de la presse.
Vous dites ne pas être impliqué directement dans la formation des rédactions et le recrutement des journalistes. Je vous crois. Nous nous interrogeons aujourd'hui sur la concentration des grands groupes en ce qui concerne les médias. Nous ne nous posons d'ailleurs jamais la question du pluralisme du service public, qui fonctionne grâce à l'argent des Français. Moi, je me la pose. Vous la posez-vous également ? Pensez-vous que les médias disposent des outils suffisants pour préserver le pluralisme nécessaire, lié à notre démocratie ?
Je le répète, je consomme peu la télévision. Mes journées commencent très tôt et finissent très tard. Je n'ai pas de temps d'absorber tous les contenus, quoique myCanal soit un outil informatique formidable, permettant de récupérer des programmes un peu plus tard. J'ai toutefois l'impression que le pluralisme existe dans notre pays, que tout le monde peut s'exprimer.
Sur le service public, je n'ai rien de particulier à dire. En tant que paratonnerre, j'ai vu passer toutes les critiques possibles. Une revue de presse montrerait sans doute que le service public dit plus de mal que de bien du groupe Bolloré. C'est ainsi, c'est la démocratie. Nous devons l'accepter. Je ne suis pas là pour qu'on me complimente. J'essaie juste de rétablir des faits.
Permettez-moi de diffuser rapidement ma vidéo.
Vous pouvez peut-être nous l'envoyer. Nous ne sommes pas une salle de projection.
Je souhaitais montrer que lorsque j'en étais président, dans une période compliquée, tout le monde disait du mal de moi sur les antennes de Canal.
Vous avez montré ce soir encore que vous avez le sens de l'humour, sauf quand il s'exerce à votre encontre. Vous n'avez pas apprécié les Guignols de l'info, et n'avez pas reconduit le programme en 2018. Vous auriez même, dit-on, émis l'idée d'en écrire vous-même les sketches. Le 2 juillet 2020, vous avez licencié Bertrand Chameroy d'Europe 1 après une chronique vous concernant, d'ailleurs plutôt réussie au demeurant. Évoquons également le licenciement surprenant de Sébastien Thoen de Canal+ en novembre 2020 pour une parodie de L'heure des Pros, et de Stéphane Guy, pour le soutien qu'il lui a apporté, ou encore le départ de Nicolas Canteloup d'Europe 1 après une chronique vous concernant.
Vous avez développé les raisons profondes de votre investissement dans les médias, communes à d'autres acteurs. La puissance des Gafam ou des Chinois demande de grands groupes pour assurer la concurrence, et, ajoutez-vous, pour défendre la France et sa culture, que vous n'avez pas définie. Vous projetez vous-mêmes des graphiques pour nous montrer la taille des uns et des autres. C'est ce qui n'est pas convaincant. Nous allons continuer à travailler là-dessus. Quand Apple investit 15 milliards d'euros en une année, et que le podium audiovisuel français - vous, mais aussi TF1, M6 ou le service public - investit 5 milliards d'euros en cinq ans, la concurrence en termes de puissance financière et de capacité de production est dérisoire. Vous vous êtes qualifié vous-même de « nain » face à des géants. La résistance, la défense de notre valeur, est un modèle que nous avons construit avec des régulations pour que la diversité, le pluralisme, l'indépendance, la liberté des médias, la diffusion culturelle, la création puissent être toujours là.
Pour cette raison, j'ai lu la liste de ce que vous contrôlez. C'était long. Cette énumération montrait tout de même que sur le terrain français, cette diversité risque d'être appauvrie quand un même propriétaire contrôle quasiment toutes les maisons d'édition. Nous savons que les propriétaires ont un pouvoir pour favoriser tel ou tel livre. Il en va de même pour la radio, la télévision ou la presse écrite. Il faudrait l'accepter, en espérant que le propriétaire n'abuse pas de son pouvoir. Vous avez essayé de nous convaincre que vous n'interveniez pas, et que vous n'abusiez jamais de ce pouvoir. Or, les faits montrent que quand une rédaction n'est pas d'accord, on lui fait prendre la porte, qu'il y a des interventions pour nommer des gens de la même école de pensée, même si vous dites que vous ne faites pas de politique.
Nous auditionnerons le service public. Toutes les questions sur l'indépendance et le pluralisme de tous les médias seront les bienvenues.
J'ai exposé des faits. Lorsqu'à Europe 1, la rédaction indique partir, car elle ne peut plus travailler avec sa liberté, comme à I-Télé, nous ne pouvons que constater que vous êtes un interventionniste assez direct. Vous le niez.
Sur Europe 1, je n'ai vu aucun journaliste. Personne ne m'a vu. Je ne sais pas comment vous pouvez affirmer que j'ai fait partir des journalistes. C'est ma réputation qui est faite.
Tout est fantasme, tout est réputation. Nous le savons, dans le domaine des médias, l'autocensure par crainte du courroux de l'actionnaire existe. En tous les cas, votre affirmation du fait que vous ne vous souciez en rien de la ligne éditoriale et des contenus des médias que vous possédez ne me convainc pas. Vous avez en outre esquivé des questions qui vous interpellaient concrètement sur le sujet, notamment concernant le départ d'humoristes ou de personnes ayant osé vous critiquer.
Ce n'est pas votre ADN qui est en question. Nous avons tous un respect absolu pour l'histoire de votre famille et pour la Résistance. Ce qui se passe sur les antennes que vous possédez est d'autant plus étonnant. Ce ne sont pas des valeurs de la République. Ce n'est pas une question simple de pluralisme, mais d'actes délictueux condamnés par la justice. Vous n'avez à aucun moment indiqué que vous condamniez, comme l'a fait la justice, les propos en question d'Éric Zemmour.
Je n'ai pas demandé que vous nous défendiez contre les Gafam. Nous nous débrouillerons. Nous nous adapterons, comme nous l'avons fait au cours des 200 dernières années. Je dis que vous faites absolument le contraire d'une protection. Je suis démocrate et chrétien, assurément. Si votre choix consiste à ouvrir la porte aux Gafam pour détruire Canal, faites ce que vous voulez. Canal se débrouillera, comme il le fait à travers myCanal et les alliances. Maintenant, nous distribuons Netflix et Bein. Nous ne pouvons en faire autrement. Nous ne quémandons pas votre aide.
Concernant TF1 et M6, là aussi, vous décidez souverainement. Il ne faut simplement pas qu'il y ait deux poids, deux mesures.
Je vous l'ai montré, notre taille est minime dans l'intervention politique, bien qu'on fasse beaucoup de bruit autour de nous. Allons-nous grandir ? Je n'en sais rien. Mes successeurs feront un choix.
Du reste, la liberté d'expression est très importante. Toutes les expressions sont à ma connaissance sur le groupe. À nouveau, vous nous faites sur Canal un procès comme si nous étions TF1 ou la 6. Les propos des gens diffusés sur leur antenne comptent. Sur nos chaînes, les sports mécaniques ou le cinéma représentent 99,99 % des contenus visionnés. Quant à Éric Zemmour, il passe sur la 6 ou dans Le Figaro. Il était sur I-Télé avant que j'arrive. Il est écrit que je lui téléphone chaque jour, et que je déjeune avec lui tous les mois. Si je ne dis rien, on dit que c'est vrai. Si j'intente un procès en disant que c'est faux, on m'accuse de faire un procès bâillon. J'assume d'être un paratonnerre.
Vous allez recevoir les dirigeants du groupe Canal ou de Vivendi, je l'espère. C'est un groupe patriote, français, dynamique. J'espère qu'il continuera.
Merci d'avoir répondu à nos questions. Nous ne pouvons visionner votre vidéo, en raison d'un problème de format. Nous la regarderons. Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.