Intervention de Nicolas Beytout

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 21 janvier 2022 à 14h40
Audition de M. Nicolas Beytout fondateur de l'opinion M. éric Fottorino cofondateur de le 1 hebdo M. Edwy Plenel président et cofondateur de mediapart et Mme Isabelle Roberts présidente du site d'information les jours

Nicolas Beytout, fondateur de L'Opinion :

Ma vision sur la concentration de la presse est à certains égards différente de ce qui a pu être dit. J'ai créé L'Opinion il y a neuf ans, après trente-cinq ans de vie de journaliste aux Échos puis au Figaro, avant de revenir aux Échos comme patron de presse, à quoi s'ajoutent des chroniques quotidiennes sur RTL, Europe 1 et France Inter. Depuis 2013, le site et le journal ont grandi. Il y a deux ans, nous avons acquis L'Agefi. Notre petit groupe fait un chiffre d'affaires de 25 millions d'euros et emploie 140 personnes, dont 85 journalistes.

Tout d'abord, la France a, dans presque tous les domaines de l'économie, des champions mondiaux : automobile, aéronautique, services, luxe, ingénierie, banque et assurances, etc., partout sauf dans les médias. Le français est certes moins parlé que l'anglais ou que l'espagnol, mais la francophonie existe et on peut travailler à l'international sans travailler en français.

J'y vois plutôt la conséquence des choix faits pour interdire la concentration des médias depuis cinquante ans, avec, notamment, la loi Hersant, qui ont eu pour objectif d'empêcher la constitution, voire de démanteler des groupes déjà existants. Le but de préserver la diversité et les journalistes est noble, mais les journaux sont restés petits, sous-capitalisés, avec des coûts d'exploitation lourds, notamment, comme l'a dit Éric Fottorino, du fait d'un accord avec les organisations syndicales, notamment la CGT. Certains se sont faussement rassurés d'être seuls sur leur territoire, et personne ou presque n'a pu développer de stratégie de croissance. Or, aujourd'hui, nous arrivons au résultat inverse de celui qui était recherché : il y a moins de journaux et moins de journalistes. Mais on s'interroge quand même sur la concentration des médias.

Pour autant, face à quelques grands groupes, une myriade de nouveaux groupes médias et de nouveaux usages ont émergé, pas seulement des journaux, radios et télévisions, mais aussi des sites, des applications et des réseaux sociaux. Il y a donc à la fois plus de concentration et plus de nouveaux médias.

Il s'agit là d'un phénomène classique en économie : plus une entreprise grossit, plus elle laisse des niches pour plus petits qu'elle. Les géants sont moins agiles. Ford, General Motors, Stellantis et Peugeot, par exemple, n'ont pas empêché le nain Tesla de bouleverser le marché de l'automobile. Dans nos médias, est-ce un journal financier qui a créé Boursorama, un magazine féminin aufeminin.com et un journal de santé Doctissimo ? Non. Les journaux existants étaient à chaque fois trop installés et pas assez agiles sur de nouvelles opportunités. Nous avons quelques grands groupes dominants en France, mais de petits médias se créent et assurent une diversité.

J'entends ensuite que la France serait le pays dans lequel les milliardaires possèdent la presse. Toutefois, depuis des décennies à l'étranger, de grandes fortunes ont investi dans la presse, comme Robert Maxwell ou les frères Barclay, notamment propriétaires du Ritz, avec The Telegraph, au Royaume-Uni. En Italie, la famille Agnelli, propriétaire de Fiat, contrôle La Repubblica, La Stampa et The Economist, et il y a aussi eu De Benedetti, avec La Repubblica également. Au Canada, Desmarais est passé du transport public au journal La Presse, et les frères Bronfman, qui ont fait fortune dans les alcools et sont devenus des actionnaires influents de Vivendi. Aux Etats-Unis, Jeff Bezos a racheté le Washington Post et le Mexicain Carlos Slim a sauvé le New York Times. Voilà pour la prétendue spécificité française, où le phénomène n'est d'ailleurs pas nouveau, avec François Coty, industriel du parfum entre les deux guerres, Jean Prouvost, héritier d'une dynastie textile, qui reprendra Paris-Soir, embauchera Pierre Lazareff et acquerra Marie Claire et un petit hebdomadaire sportif, Match, qui deviendra ce qu'on sait aujourd'hui.

Ainsi, à côté de la concentration des médias, phénomène inéluctable, mais parfois souhaitable s'il est régulé, il faut favoriser la multiplication de médias qui doivent croître. En créant L'Opinion, j'ai parfois dû me battre contre les pouvoirs publics pour survivre, et constater que le système favorisant les insiders. Les concurrents ne rendent pas la tâche facile, mais c'est le jeu. En revanche, de façon plus problématique, le carcan des règles régissant la relation entre un média nouveau et la sphère publique est presque impossible à desserrer. Si un premier pas a été fait avec la création d'un fonds pour l'émergence, beaucoup reste à faire.

Cependant, favoriser ces nouveaux médias ne suffira pas. Il faut aussi lutter contre le vol de contenus et la captation de chiffre d'affaires publicitaire par les grandes plateformes mondiales. Une piste simple serait que le législateur confère à toutes les plateformes la qualité d'éditeur de médias, avec la responsabilité juridique et judiciaire sur la publication de contenus. Ce serait un bouleversement de la pratique de ces réseaux, qui sont devenus les médias les plus puissants du monde.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion