Intervention de Eric Fottorino

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 21 janvier 2022 à 14h40
Audition de M. Nicolas Beytout fondateur de l'opinion M. éric Fottorino cofondateur de le 1 hebdo M. Edwy Plenel président et cofondateur de mediapart et Mme Isabelle Roberts présidente du site d'information les jours

Eric Fottorino, cofondateur de Le 1 hebdo :

Je ne suis pas spécialement compétent sur les questions de télévision, mais je tâche d'être un citoyen attentif et, en cette qualité, il me paraît problématique aujourd'hui de voir Vincent Bolloré feindre d'être complètement étranger au contenu de ses antennes et à l'identité de ses chroniqueurs, en particulier d'Éric Zemmour, qui est maintenant candidat à la présidence de la République. Nul besoin d'être un spécialiste pour se rendre compte qu'il nous prend pour des imbéciles ! Il est aussi problématique que, même lorsque ce candidat n'est pas à l'antenne, différents chroniqueurs et animateurs entretiennent sa présence en reprenant ses propos.

Je pense qu'il faut du pluralisme au sein des chaînes, que ce soit les chaînes du service public ou les chaînes privées, mais je serais un peu plus prudent que Nicolas Beytout sur la question du temps de parole. Le temps de parole est aussi, quelquefois, du temps de propagande et de désinformation. Quand j'entends Éric Zemmour, je n'entends pas de l'information ni même une tentative d'éclairer les esprits des citoyens : je n'entends que de la propagande de bas étage. Dès lors, plus le contrôleur qu'est le CSA aura des moyens, plus il sera vigilant, et plus notre démocratie élective s'en trouvera renforcée.

La concentration a-t-elle sauvé les médias ? Nous ne sommes pas des juges instruisant à charge ou à décharge : notre métier nous oblige à avoir le goût de la nuance et à vérifier les informations. À cet égard, il importe, à mes yeux, de rappeler que nombre des journaux qui ont été rachetés à partir des années 1970 ont été très contents de trouver ces actionnaires ; ils sont même quelquefois allés les chercher.

C'est un vrai problème pour les journalistes que nous sommes. Chacun d'entre nous, à son petit niveau - nous ne sommes pas des mastodontes -, a inventé quelque chose qui a l'heur de plaire à un certain nombre de lecteurs qui nous font vivre et avec lesquels nous avons une relation directe, mais je pense que le rachat de tous les grands médias qui a eu lieu ces dernières années démontre que, globalement, les grands journaux n'avaient pas trouvé un modèle économique viable qui leur permettait d'inviter les actionnaires potentiels à passer leur chemin.

M. Hersant a regroupé Le Figaro et L'Aurore, il a regroupé des journaux départementaux pour contourner la loi sur les concentrations, mais, en réalité, ces journaux étaient en train de mourir. M. Niel apparaît comme un sauveur, comme un chevalier blanc face aux difficultés de France-Antilles. On peut aussi penser à ce qu'a fait Bernard Tapie en Provence.

Quand les journaux rencontrent des difficultés et vont chercher des repreneurs, ces derniers s'arrogent évidemment des droits, des prérogatives qu'ils ne devraient probablement pas avoir. Mais il ne faut pas oublier que, pour danser le tango, il faut être deux et, très souvent, si des médias n'avaient pas été rachetés, ils seraient morts ! Monsieur Laugier, tout cela entre effectivement dans des stratégies de concentration, mais beaucoup de médias seraient morts s'il n'avait pas trouvé des investisseurs pour les soutenir.

Comment va-t-on lire l'information demain ? Là aussi, madame Robert, nous touchons au coeur de notre métier. Qu'est-ce qu'une information aujourd'hui, alors qu'il n'y a aucun consensus sur les faits eux-mêmes ? De la même manière que l'on met un casque aux jeunes cyclistes pour leur protéger la tête - vous savez que je fais du vélo... -, je pense qu'il faut mettre un casque d'information aux jeunes, surtout au moment où le cerveau est encore très malléable, pour les protéger contre les désinformations qu'ils vont entendre tout au long de leur vie.

C'est une tâche immense, à la hauteur de l'enjeu qu'est l'éducation. C'est très bien que l'enseignement prévoie des heures d'éducation aux médias - elles sont passées de la seconde à la cinquième -, mais je pense que ce n'est rien par rapport à ce qui doit être fait. Les professeurs me disent que les élèves ne croient plus les textes qu'ils lisent et remettent en cause le savoir. Or la compréhension, l'honnêteté intellectuelle, la bonne foi, c'est précisément l'inverse de l'attitude des tycoons qui vous disent aujourd'hui qu'ils ne connaissent pas M. Zemmour et semblent à peine savoir qu'il intervient sur leur chaîne ! C'est vraiment « se foutre » du monde.

Je pense qu'il est très important que, dès le début, l'information soit au coeur des apprentissages, des programmes, aussi bien que l'histoire, les mathématiques ou les sciences de la vie et de la Terre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion