Je vous remercie, madame la sénatrice Robert, d'avoir rappelé que, derrière tout cela, il y a la question de la qualité de l'information. George Orwell disait : « Le premier ennemi de la vérité n'est pas le mensonge, ce sont les convictions ! » Notre métier ne consiste pas à produire des opinions ; évidemment, nous en avons tous, comme chaque citoyen. Notre responsabilité professionnelle - c'est là-dessus que nous sommes jugés - est de produire des faits, des informations, et de les documenter pour nourrir le débat public ; elle n'est pas d'énoncer de « grandes vérités »...
Monsieur le sénateur Hugonet, je n'ai pas employé le terme de dictature, je parle plutôt, et cela depuis très longtemps, de démocratie de basse intensité. Pierre Mendès-France disait : « La démocratie, c'est une culture, une façon d'être, ce ne sont pas simplement des institutions. »
Pour moi, le manifeste intellectuel et philosophique du journalisme est un texte d'Hannah Arendt - nul hasard si elle est également l'auteure du livre Les origines du totalitarisme. Ce texte, qui s'intitule Truth and Politics, a été publié dans The New Yorker au sein d'un recueil sur la crise de la culture. Hannah Arendt rappelle cette chose essentielle : les vérités les plus fragiles sont les vérités de faits que produisent les journalistes, tandis que les vérités d'opinion ne sont pas menacées. C'est bien ce qui est en péril aujourd'hui en France et pas en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie ou même aux États-Unis malgré les tentatives de M. Trump...
Nous vivons, sidérés, un moment tout à fait singulier où les opinions sont en train de tuer l'information, où on peut dire des énormités sur notre passé, sur Vichy, sur Dreyfus, sur nos compatriotes de culture, de croyance ou d'origine musulmane, sur les universités, sur la diversité de notre peuple, etc. On peut avancer des idéologies de l'inégalité naturelle, qui sont radicalement opposées à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Et on peut dire tout cela à antennes déployées !
Comment défendre l'indépendance et la vitalité de l'information, alors que nous nous heurtons à cette vague qui nous emporte et qui domine le débat public ?
Cela m'amène à la question de la télévision. Je suis sidéré que le CSA, l'Arcom aujourd'hui, n'intervienne pas. Nous sommes des entreprises privées qui participons au pluralisme et nous sommes soumis à une formidable loi, la loi de 1881 sur la liberté de la presse, avec une jurisprudence abondante sur l'intérêt public, le respect du contradictoire, la diffamation, le sérieux de l'enquête... Quand on cède une fréquence hertzienne à une chaîne de télévision, on cède un bien public - il arrive d'ailleurs que certains la revendent dans des conditions discutables pour faire fortune... Et le CSA signe alors une convention avec les responsables de ladite chaîne. J'ai devant moi celle qui a été signée avec CNews le 27 novembre 2019 : on y parle de pluralisme dans l'expression des courants de pensée, d'engagements à ne pas encourager les comportements discriminatoires en raison de la race, de l'origine, du sexe, de l'orientation sexuelle, de la religion ou de la nationalité, de promotion des valeurs républicaines d'intégration et de solidarité, etc.
Je ne comprends donc pas comment cette chaîne peut continuer d'exister !