Intervention de Edwy Plenel

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 21 janvier 2022 à 14h40
Audition de M. Nicolas Beytout fondateur de l'opinion M. éric Fottorino cofondateur de le 1 hebdo M. Edwy Plenel président et cofondateur de mediapart et Mme Isabelle Roberts présidente du site d'information les jours

Edwy Plenel, président et cofondateur de Mediapart :

Quand il s'agit de chaînes hertziennes en accès libre et gratuit, il s'agit d'un bien commun et nous devons disposer des moyens de contrôler qu'une telle chaîne ne se transforme pas en une chaîne d'opinion. Sinon, le pluralisme et la diversité sont atteints.

Cela m'amène à la question posée par M. le sénateur Laugier : la concentration ne sauve-t-elle pas les médias ? Les véritables questions seraient plutôt de savoir si cette concentration se fait au détriment de la qualité du débat public et si, pour en revenir au terrain économique, la concurrence est libre et non faussée. Je ne reviens pas sur les chiffres que j'ai déjà cités tout à l'heure. Il n'y a pas, aujourd'hui, de vérité des prix, puisque les résultats de ces médias ne seraient pas les mêmes s'ils ne percevaient pas les aides publiques versées par l'État et s'ils n'avaient pas signé d'accords secrets avec les Gafam. Vous parlez de sauver les médias, mais il n'y a pas de vérité des prix d'un point de vue économique et il n'y a pas de respect de l'honnêteté du débat public.

Je vais donc vous rappeler brièvement mes propositions.

Premièrement, les aides directes, cette tradition française dont parlait M. Hugonet, cette exception française, sont un archaïsme total. Nous ne sommes pas les seuls à le dire ; de nombreux rapports ont été publiés à ce sujet, que ce soit par la Cour des comptes, par M. Roch-Olivier Maistre lui-même, qui est aujourd'hui président de l'Arcom, ou par d'autres. Les aides indirectes, qu'elles soient fiscales, sociales ou postales, c'est autre chose ; ce sont des aides à l'écosystème. Les aides directes à des entreprises ne sont pas admissibles. Nous devons faire en sorte que le système vive sainement et qu'il y ait une vérité sur les prix. Les rédactions doivent se battre pour elles-mêmes, ce qui ne peut pas être le cas si elles savent qu'il y a les aides publiques, d'un côté, le mécène oligarque, de l'autre. On ne peut survivre ainsi grâce à d'autres ! Il faut arrêter ces bouées de sauvetage pour que notre profession retrouve sa vitalité.

Deuxièmement, il faut mettre fin à l'opacité. On doit connaître l'actionnariat d'un journal, parce qu'il est au coeur du débat public. Il faut de la transparence sur son actionnariat comme sur les subventions et aides qu'il reçoit.

Troisièmement, il faut limiter la concentration verticale. Avec l'argument qu'il faut des champions français, cette concentration est vue sans limites, alors qu'elle s'ajoute avec celle qui est déjà au coeur de nos métiers, c'est-à-dire avec les secteurs de la publicité et de la communication. Il faut donc avancer sur les questions de conflits d'intérêts : il n'est pas légitime qu'interviennent tant d'activités non journalistiques, non éditoriales. Contrairement à ce qui a été dit tout à l'heure, les grands champions de l'information dans les démocraties vivantes sont des industriels de l'information, pas des industriels de l'armement, du luxe, de la téléphonie ou d'un quelconque autre secteur économique...

Quatrièmement, il faut, compte tenu de cette situation, donner des droits juridiques et moraux aux rédactions, y compris dans le secteur public afin que celui-ci soit indépendant des gouvernants - je dis cela pour répondre à votre inquiétude, monsieur Hugonet. Les rédactions doivent avoir des droits en ce qui concerne le choix des responsables éditoriaux et leur révocation. Cela me paraît un principe évident et un gage de confiance. C'est d'ailleurs le cas chez nous, comme cela l'était traditionnellement au Monde ou à Libération à l'époque où ils étaient contrôlés par les personnels.

Par ailleurs, Mediapart produit sur tous ces sujets les articles les plus longs et les plus documentés. Petit détail intéressant, le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les plateformes et leur écosystème, une question centrale donc, n'a donné lieu, le lendemain de sa publication, qu'à une petite dépêche de l'AFP. Il s'agit d'un sujet largement transpartisan - la présidente de cette mission d'information appartient au groupe Les Républicains - qui concerne l'ensemble du système médiatique, en particulier lorsque le rapport, reprenant une position que j'avais défendue devant la mission, évoque le refus de certains médias d'apporter de la transparence sur les accords de gré à gré qu'ils ont signés avec Google, Facebook et les autres plateformes de ce type. Or il n'y a pas eu d'article sur ce sujet dans Le Monde, Le Figaro ou Libération... Toute rubrique médias digne de ce nom aurait pourtant dû s'y intéresser !

Sur les questions très précises de M. Laugier, à Mediapart, nous sommes aujourd'hui 65 journalistes en CDI sur 120 salariés. Tout est internalisé, y compris la relation avec les abonnés, l'informatique, la gestion ou le marketing. Nous avons à peu près 70 collaborateurs pigistes réguliers, que nous recrutons sur des critères de qualité professionnelle que vous pouvez juger sur pièces. Nous, les fondateurs, sommes sur le déclin et nous veillons à ce que la nouvelle génération, celle autour de quarante ans, prenne le relais. Je crois que la réussite de Mediapart tient aussi à la transmission de la tradition à cette nouvelle génération.

Mon dernier point porte sur la liberté d'expression. J'avais oublié une précision importante au regard des promesses démocratiques de la révolution numérique : entre le moment où nous nous sommes créés et aujourd'hui, on observe une grande régression liée à l'ascension des réseaux sociaux.

Dans ce contexte, nous sommes les seuls à avoir maintenu notre cap - c'est dans notre nom - d'un journal participatif. Tout abonné peut librement bloguer et commenter, dans une culture de free speech, avec une liberté d'expression associée d'un contrôle a posteriori. Mediapart marche ainsi sur deux jambes : les informations que nous produisons et le libre débat d'opinion de nos abonnés. Dix personnes en CDI s'occupent chez nous de la relation éditoriale, du club participatif et de l'expression sur les réseaux sociaux. C'était un enjeu pour nous de montrer que le numérique n'était pas le lieu de création de la précarité, mais d'emplois et de compétences véritables.

Je précise que, à tous les niveaux, Mediapart est totalement paritaire : une moitié d'hommes, une moitié de femmes.

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