Intervention de Nicolas Beytout

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 21 janvier 2022 à 14h40
Audition de M. Nicolas Beytout fondateur de l'opinion M. éric Fottorino cofondateur de le 1 hebdo M. Edwy Plenel président et cofondateur de mediapart et Mme Isabelle Roberts présidente du site d'information les jours

Nicolas Beytout, fondateur de L'Opinion :

Un ménage, c'est un journaliste animant une conférence, un colloque, une convention, au profit d'une entreprise ou d'une fédération professionnelle. C'est assez courant dans le métier. À L'Opinion, ces ménages doivent être spécifiquement autorisés et ne sont jamais rémunérés pour le journaliste. La rémunération rentre dans le chiffre d'affaires du journal, souvent via des prises d'abonnements facturées. C'est une façon vertueuse de déconnecter le journaliste de la puissance économique pour laquelle il travaille.

Je doute qu'il soit très efficace d'encadrer l'affectation des dépenses publicitaires en fonction de l'endroit où elles sont effectuées. Comment comptez-vous une publicité insérée dans un journal papier qui a une application et qui est lue sur le numérique en pdf ? C'est complexe techniquement et difficilement faisable.

Je voudrais vous alerter sur un point : en général, la presse est en mauvais état économique. La presse pourrait-elle vivre autrement que par l'injection de dizaines de millions d'euros chaque année ? La question des milliardaires est un sujet, celle de la concentration des médias en est un autre, même si, évidemment, ces sujets s'additionnent parfois. Seules des personnes qui ont énormément d'argent investissent, car les médias demandent des dépenses considérables pour un retour sur investissement misérable - quand bien même il y en aurait un... Vous devez reconnaître à ces personnes un intérêt général à investir. Vous pouvez aussi réguler leur influence et leur mainmise sur telle ou telle rédaction. Mais si vous estimez que ces gens sont les adversaires d'une presse libre, il n'y aura plus beaucoup de journaux dans dix ans, car les coûts de structure de la presse sont quasiment insupportables.

Pourquoi les aides existent-elles en France ? Avec le droit du travail, les coûts sociaux sont gigantesques. Les imprimeries fonctionnent avec des coûts de fabrication deux à trois fois supérieurs à ce qui se passe ailleurs. C'est historiquement le résultat de lâchetés successives des patrons de presse et du législateur, avec un corpus législatif faisant que la presse papier est fortement déficitaire. Il y aurait un grand danger à interdire aux grandes fortunes d'investir dans la presse, et vous risqueriez de faire basculer ce monde dans l'inconnu.

Une dernière remarque, là aussi en forme d'alerte : de nombreuses formules existent pour protéger les rédactions. Mais aucune entreprise ne peut durablement vivre avec des salariés en opposition frontale avec leur patron, que ce soit dans le secteur médiatique ou dans tout autre secteur. Vous ne pouvez pas défendre une harmonie ou un projet économique si tous ceux qui travaillent dans l'entreprise sont fondamentalement opposés à ce que veut faire le propriétaire. Tous les outils peuvent être inventés, mais si vous tendez vers la construction de modèles d'opposition absolue entre les rédactions et les propriétaires, ceux qui viennent sauver les journaux aujourd'hui ne viendront peut-être plus demain.

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