Un problème englobe l'ensemble des autres : la politique agricole menée depuis des décennies a créé deux types de marché. Le marché mondial de la céréale, donc de la matière première qui nourrit les animaux, est aujourd'hui devenu artificiel et spéculatif, décorrélé des coûts de production. D'un autre côté, le marché de la viande, dont la production est issue de ces céréales, est gouverné par l'impératif de compétitivité économique avec une règle du jeu particulièrement dure. C'est là que réside le problème majeur de l'agriculture aujourd'hui. Nous ne faisons qu'essayer de remédier ponctuellement aux symptômes sans nous attaquer aux causes. Or, les éleveurs, dont le métier est de faire naître, d'engraisser et de soigner des animaux, n'ont pas la culture de la compétitivité.
Le scandale de la viande de cheval est lié à l'organisation du système de coopération, et constitue une bonne illustration de ces travers. Le système coopératif est éclaboussé par l'affaire Spanghero. Cette entreprise est en effet une filiale de la coopérative Lur Berry, qui fait partie de Coop de France, et l'entreprise luxembourgeoise Comigel, qui produit dans un pays qui ne se caractérise pas par sa particulière transparence est en partie financée par Unigrains. C'est donc l'organisation de l'agriculture elle-même, sa concentration, qui a produit ce système aberrant. Un petit boucher n'a aucune raison de maquiller en boeuf de la viande de cheval pour gagner quelques euros de plus. Mais dans un système concentré - et cela vaut pour l'ensemble des secteurs de l'économie - la multiplication de ce type de petits profits permet de maximiser les gains. En raison du développement insidieux de la concentration, on peut se demander combien d'acteurs demeureront dans l'agriculture dans une vingtaine d'années. Peut-être n'y aura-t-il plus qu'une seule multinationale qui nourrira l'ensemble du monde ?
Je voudrais évoquer aussi la question des normes en matière de nitrates, qui constitue une énorme difficulté pour les éleveurs conduisant certains à arrêter leur activité et se convertir à la production de céréales. Les éleveurs n'ont pas le sentiment d'être les pollueurs que l'on présente et ne comprennent pas les normes drastiques qu'on leur impose. Les éleveurs brésiliens et argentins, avec lesquels nous sommes en concurrence, ne sont pas soumis à une telle pression normative.
On peut s'interroger sur la validité de la norme de 50 milligrammes de nitrates par litre d'eau au maximum. Une enquête parue en octobre 2012 dans le magazine Science et vie, qu'a complétée un article paru en mars dernier dans La France agricole, indique que le seul effet reconnu des nitrates sur l'organisme au plan médical est leur caractère indispensable au fonctionnement de celui-ci. Les scientifiques, notamment anglo-saxons, reconnaissent que les nitrates ont un effet bénéfique sur la santé, au plan digestif comme au plan cardio-vasculaire. La recherche se concentre aujourd'hui davantage sur les apports encore méconnus des nitrates à l'organisme que sur leurs effets nocifs. On comprend donc mal les obligations imposées aux agriculteurs, qui sont particulièrement coûteuses, et les inquiétudes infligées aux consommateurs. Augmenter le seuil maximal autorisé en matière de nitrates de 50 à 70 milligrammes par litres suffirait à soulager les éleveurs sans pour autant présenter un danger pour la santé publique. De la même façon, les termes du débat sur les algues vertes mériteraient d'être reposés.
Je suis conscient qu'il s'agit d'un sujet particulièrement délicat, tant nous avons pris l'habitude de présenter l'agriculture comme fautive sur la question des nitrates. Heureusement, certaines personnes sont conscientes de la nécessité de remettre nos dogmes en question, car il faudra répondre de l'inaction en cette matière dans quelques années. La directive européenne applicable contenant une clause de révision en fonction des avancées scientifiques, nous avons entrepris d'interpeller la Commission européenne sur ce point.