Je n'ai pas de lien d'intérêt particulier, outre le fait que j'aime vraiment ma région et que je suis un passionné de la protection de la nature.
Je souhaitais, à titre liminaire, vous remercier de m'avoir invité. C'est vraiment un honneur et une responsabilité de représenter devant vous la SEPANSO.
Je débuterai mon propos en vous présentant la SEPANSO Aquitaine qui est une fédération régionale d'associations de protection de la nature et de l'environnement, créée en 1969, reconnue d'utilité publique et agréée au titre de la protection de l'environnement. Elle regroupe des sections départementales de la SEPANSO, sur le périmètre de l'ancienne région Aquitaine. Elle-même affiliée à France Nature Environnement, elle a constitué en 2016, avec ses homologues des anciennes régions Poitou-Charentes et Limousin, la Confédération FNE Nouvelle Aquitaine. La SEPANSO Aquitaine est une association environnementale généraliste aux compétences multiples. À ce titre, quand elle émet un avis sur un projet d'infrastructure, c'est autant au regard des impacts directs ou indirects de cette dernière sur les territoires et la biodiversité, qu'au regard de son utilité réelle ou supposée, en termes d'aménagement du territoire.
Au préalable, il convient de rappeler deux choses qui orientent notre perception de la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). D'une part, en France, comme sur la planète entière, les milieux naturels régressent à un rythme accéléré face à l'urbanisation, aux infrastructures, aux implantations industrielles et autres zones d'activité. C'est aujourd'hui l'équivalent de la surface moyenne d'un département français qui disparaît dans l'Hexagone tous les sept ans sous le béton. D'autre part, sur les zones naturelles restantes, la biodiversité décline à grande vitesse. Même des espèces autrefois communes et peu menacées, comme le moineau domestique ou l'hirondelle rustique, se raréfient et seules se maintiennent ou prospèrent les plus opportunistes et adaptables. Il faut souligner que ce déclin de la biodiversité est plus rapide encore que la perte d'espaces naturels, car les milieux naturels épargnés par le bétonnage sont la plupart du temps soumis à des pratiques d'agriculture et de sylviculture intensives qui en réduisent considérablement les capacités d'accueil pour les espèces sauvages. Dans la forêt cultivée industriellement ou les terres agricoles exploitées intensivement, il y a moins de biodiversité que dans la forêt naturelle ou dans les champs de l'agriculture telle que la pratiquait nos grands-parents. C'est dans ce contexte que s'inscrit la séquence ERC, censée préserver les espèces protégées, les zones humides et la forêt.
Force est de constater que pour un maître d'ouvrage chargé de produire une infrastructure à moindre coût, la facilité consiste à « éviter d'éviter » et à « réduire les réductions », qui sont autant de séquences trop contraignantes et trop coûteuses. Il reste alors à tenter de compenser tant bien que mal, et si possible en essayant de verdir le projet. Or, qu'il s'agisse de compensations espèces protégées, de compensations zones humides ou de compensations forestières suite à des défrichements, la compensation ne peut qu'être très imparfaite, voire totalement inefficace. Le remède est même parfois pire que le mal. C'est notamment le cas des reboisements compensateurs en monoculture de résineux qui non seulement ne compensent pas la perte de surface forestière, mais conduisent aussi à une perte importante de biodiversité tant épigée qu'endogée.
Concernant la destruction d'espèces protégées ou d'habitats d'espèces, la seule véritable compensation serait de remplacer les milieux naturels et habitats détruits en recréant des milieux similaires aux fonctionnalités semblables à partir de milieux artificiels. Ceci n'est pas possible. Non seulement on n'a jamais vu déconstruire une autoroute ou une LGV pour compenser la construction d'une autre infrastructure, mais même si on voulait le faire, on ne saurait y parvenir, car un sol bouleversé, tassé, compacté à la chaux, couvert de béton ou d'enrobé met un temps infini à se reconstituer. On se contente donc de tenter de compenser une destruction, en plaçant pendant une durée limitée et incertaine, sous une cloche plus ou moins protectrice, des milieux naturels existants et comparables à ceux que l'on a détruits.
À ce compte-là, il est facile de comprendre que la compensation est un marché de dupes. Au mieux, on protège de destructions à venir les milieux désignés comme compensatoires, mais la nature subit toujours une perte. Ce qui a été détruit est perdu.
J'en viens à la perte de la capacité d'accueil. Lorsqu'un territoire naturel est choisi en raison de ses bonnes caractéristiques écologiques pour servir de compensation à la destruction d'individus ou d'habitats d'une espèce protégée sur un milieu comparable, ce territoire avait forcément, avant d'être choisi, une capacité d'accueil limitée occupée par des espèces en équilibre avec le milieu. Les animaux ou les végétaux censés y être accueillis s'y trouvent donc confrontés à une compétition pour l'espace, la nourriture, la lumière avec les premiers occupants. La compensation faite dans ce cadre ne pallie pas la destruction subie là-bas, parce que les densités de faune et de flore se stabilisent à nouveau dans ce milieu et restent en-deçà de l'addition de la faune et la flore des deux milieux auparavant distincts. Au mieux, on peut imaginer compenser un milieu dégradé en améliorant la capacité d'accueil par des travaux de génie écologique. Une telle démarche ne compense jamais pleinement la perte et le résultat est souvent décevant.
Il en est de même concernant les zones humides. Si on compense une destruction par l'acquisition d'une autre zone humide, même plus vaste, on subit toujours la perte de la première zone détruite. Par ailleurs, comme pour les autres milieux naturels, compenser la destruction d'une zone humide existante par la création d'une autre zone humide ne répare pas une perte. Là aussi, une solution médiane plus acceptable serait d'acquérir d'anciennes zones humides déjà drainées et de leur redonner leurs capacités antérieures, mais cette démarche est toujours aléatoire et imparfaite.
Pour la forêt c'est pire, puisque bien des fois, la compensation consiste à reboiser des parcelles déjà forestières, ce qui ne compense pas la perte. Les parcelles de compensation sont la plupart du temps des parcelles à forte naturalité - en Aquitaine, des parcelles de chablis post tempêtes, en cours de reboisement naturel - qui sont alors traitées en sylviculture intensive avec débroussaillage, dessouchage, labour, apports d'engrais et plantation de ligneux, le tout parfois accompagné de traitements herbicides et insecticides. C'est alors la « double peine » pour la nature : non seulement la surface de forêt défrichée est perdue, mais la perte de biodiversité est également sensible sur la zone de compensation.
Je vais à présent répondre aux différentes questions que vous m'avez adressées. Premièrement, quelles sont les principales atteintes à la biodiversité causées par la réalisation de l'A65 et de la LGV Tours-Bordeaux ? Les dommages environnementaux commis peuvent ainsi être énumérés : la fragmentation irréversible des territoires, les pertes d'habitats d'espèces sur l'emprise du chantier, les aménagements annexes comme les voies d'accès et tous les aménagements collatéraux, les destructions directes d'espèces en phase chantier sur l'emprise du projet et au-delà de cette emprise par les effets induits, comme la pollution des ruisseaux, les destructions de faune, de flore et d'habitats par l'exploitation des granulats nécessaires à l'infrastructure, - ce point n'étant généralement pas pris en compte par les études d'impact, tout comme la modification des milieux suite aux aménagements fonciers -, la destruction d'animaux par collision en phase d'exploitation, et enfin, la création de corridors de déplacement pour les espèces invasives et transport de graines. Les derniers travaux ont ainsi donné lieu à l'introduction dans les chantiers de nombreuses espèces invasives qui ont bénéficié de l'ouverture des milieux et du transport de graines dans les engins de travaux publics. Enfin, il convient également d'ajouter les effets indirects des émissions de gaz à effet de serre par les engins de chantier, la fabrication de la chaux et des matériaux, la déforestation et la perte de sol naturel. Ce sont là de nombreuses atteintes à la biodiversité.
Deuxièmement, comment jugez-vous la mise en oeuvre générale de la séquence ERC pour ces deux infrastructures ? Selon vous, quelles ont été les étapes-clefs de la séquence pour chacun des projets ? L'A65 vous semble-t-elle avoir fait l'objet d'efforts particuliers dans le contexte du Grenelle de l'environnement ? Je tiens d'abord à souligner que je m'exprimerai avec beaucoup plus de facilité sur l'A65 qui a eu des répercussions en région Aquitaine sur près de 165 kilomètres. Je me suis d'ailleurs beaucoup impliqué sur ce dossier, et ce davantage que sur celui de la LGV Tours-Bordeaux qui a surtout concerné le nord de la Gironde.
Si l'A65 avait fait l'objet d'efforts particuliers dans le contexte du Grenelle qui devait cesser la construction d'autoroutes nouvelles, elle n'aurait tout simplement pas été construite. Le chantier aurait été évité et la route existante aurait été aménagée sur place et sécurisée à moindre coût, moyennant toutefois quelques contournements de bourgs. Ceci eût été la meilleure façon d'éviter un maximum de dommages environnementaux, avec néanmoins des destructions inévitables d'espèces et d'habitats d'espèces protégées, mais dans des proportions bien moindres qu'en ouvrant une saignée dans les milieux naturels sur 150 km. Pour la SEPANSO, il n'est pas question de refuser des projets utiles mais d'essayer d'éviter des projets inutiles ou surdimensionnés et de réduire l'impact de ceux des projets dont la nécessité n'est pas contestable. L'A65, faiblement fréquentée, a cumulé 126 millions d'euros de pertes lors de ses quatre premières années d'exploitation. Cela tend à démontrer qu'elle ne répondait pas à une nécessité réelle en termes de trafic et ce, alors que la route existante était très facile à aménager à moindre coût, puisqu'elle passait sur des zones peu denses, sur une grande partie du trajet. Il eût été très aisé de la transformer en une quatre voies, voire sur certaines portions, d'y aménager une seule voie de dépassement. Nous n'avons donc jamais considéré ce chantier comme utile.
Tant pour l'A65 que pour la LGV, la séquence ERC a donné l'occasion aux maîtres d'ouvrage de verdir leur image et, dans le cas de l'A65, de mettre les retards dus aux acquisitions foncières sur le compte des mesures environnementales en récupérant par la même occasion un allongement de cinq ans de la durée de concession ainsi qu'une subvention de 90 millions d'euros, avantages venus s'ajouter à la mise à disposition gratuite du contournement d'Aire-sur-l'Adour d'une valeur de 56 millions d'euros. Dans le contexte du Grenelle, on a ainsi élaboré un projet autoroutier peu utile et destructeur, tout en verdissant son image. Dans les faits, les infrastructures sont construites, l'évitement est réduit, la réduction est faible, tandis que les dommages environnementaux sont effectifs et réels.
Troisièmement, comment le public a-t-il participé à la séquence ERC pour ces projets, et à quelles étapes ? Il n'y a pas eu à ma connaissance de participation du public à la séquence ERC de ces projets. En revanche, un représentant de notre association était membre du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et a pu s'y exprimer. Il faut noter que pour l'A65, le dossier « dérogation espèces » a été rejeté par les commissions faune et flore du CNPN. Pour tenter de contourner les oppositions apparues en commissions, le dossier a été présenté une nouvelle fois, mais devant le comité permanent où il a reçu logiquement un avis défavorable unanime, compte tenu du déséquilibre manifeste entre les destructions et les velléités de compensation. Le même dossier de demande de dérogation a ensuite été à nouveau présenté quelques semaines plus tard devant le même comité permanent où il a, comme par miracle, reçu cette fois un avis favorable presque inespéré, à deux voix d'écart, dont celles des représentants du ministère. Le lobbying des bétonneurs avait parfaitement joué. Une personne, membre du cabinet de la secrétaire d'État à l'environnement, avait pris la précaution de convoquer individuellement un certain nombre de membres importants du comité permanent pour leur signifier de façon très persuasive, tout l'intérêt que portait l'État à ce que la poursuite de ce projet soit assorti d'un avis favorable du CNPN ; un avis défavorable étant redouté pour l'image qu'il aurait donné. Seul le représentant de la SEPANSO, sans doute jugé trop rigide, n'a pas été convoqué. D'autres membres dépendant d'organisme d'État, qui avaient précédemment voté « contre », ont eu des empêchements opportuns lors de l'ultime examen par le comité permanent. Et - deux précautions valant mieux qu'une - pour la première fois, le représentant du Ministre présidant ce comité n'était pas un responsable de la direction compétente pour l'eau et la biodiversité, mais un envoyé de la direction des routes. Concernant la LGV Tours-Bordeaux, des responsables de la société concessionnaire ont rencontré la SEPANSO par deux fois pour tenter de l'impliquer dans les inventaires et mesures environnementales. Une telle caution, que nous n'avons pas souhaité apporter, aurait eu pour conséquence de verdir le projet, tout en nous rendant coresponsables des nuisances auprès des riverains impactés.
Quatrièmement, dans leur conception puis leur réalisation, ces deux infrastructures ont-elles fait l'objet de mesures notables d'évitement ou de réduction ? Pas vraiment à ma connaissance. Peut-être la LGV hors Aquitaine, en Poitou-Charentes au passage des territoires à outardes canepetières ou encore plus au nord, mais pour l'A65, les mesures d'évitement, n'ont concerné au moment de la conception que les zones d'occupation humaine en inscrivant le tracé le plus possible dans la nature. Elles n'ont donc concerné les milieux naturels et les espèces protégées que pour mieux les impacter. En matière de réduction, la traversée par l'A65 de la vallée du Ciron, zone Natura 2000, est caricaturale. Loin des regards, elle s'est faite principalement par remblai dans le lit majeur, avec juste un pont généreusement dénommé « viaduc » pour traverser le lit mineur, en réservant quelques mètres de berges. En revanche à Bostens, lieu de contestation du projet, la traversée du ruisseau des Neufs Fontaines s'est faite par un viaduc surdimensionné pour permettre une communication verte sur les efforts consentis pour protéger les écrevisses à pattes blanches, espèce détruite, soit dit en passant, dans d'autres ruisseaux, par ruissellement de boues du chantier à quelques dizaines de kilomètres plus au sud, dans le département des Pyrénées Atlantiques.
Il faut savoir que pour le chantier A65, des défrichements suivis de broyages ont été effectués dans des milieux naturels hébergeant des espèces protégées, y compris en zone Natura 2000, avant que le dossier de demande de dérogation n'ait été constitué. La SEPANSO n'a pu obtenir que la police de la nature vienne dresser un procès-verbal, les agents craignant de s'opposer à la volonté préfectorale. Elle a donc déposé une plainte auprès de la gendarmerie pour destruction d'espèces protégées et destruction d'habitats d'espèces protégées. Le délit était réel, mais la plainte a été classée. Il ne faut manifestement pas s'opposer aux grands projets portés par l'État.
Cinquièmement, les mesures de compensation prescrites par l'administration vous semblent-elles adaptées par rapport aux impacts causés par chacune de ces infrastructures ? Dans la logique d'infrastructures à réaliser à moindre coût, probablement, mais certainement pas dans une logique de conservation pérenne de la biodiversité. Si certaines espèces peuvent reconstituer leurs effectifs naturellement, la destruction des habitats détruits ne peut jamais être parfaitement compensée. Ainsi, la fragmentation des habitats et des espaces naturels, qui présente un impact fort sur la survie de certaines espèces, demeure totalement impossible à compenser. En outre, en ne visant que les surfaces identifiées comme habitats d'espèces protégées, les mesures compensatoires ne concernent pas la nature ordinaire perdue. Les inventaires ne sont jamais exhaustifs et occultent ainsi de nombreuses espèces. En guise d'illustration des travaux de l'A65, de nombreux habitats d'espèces d'oiseaux protégées, notamment les espèces forestières, ont été détruits mais les compensations ont visé essentiellement des espèces de milieux ouverts, dont l'une, l'élanion blanc, est en phase de colonisation dans notre région. De ce fait, les mesures compensatoires visant cet oiseau bien précis ne nous paraissaient pas présenter une nécessité absolue. Autre point faible : la durée des compensations est limitée au mieux à la durée de la concession, alors que les pertes d'habitat, elles, sont définitives.
Sixièmement, la mise en oeuvre des mesures de compensation vous semble-t-elle conforme aux décisions administratives ? Les conditions de maitrise foncière semblent en conformité avec les arrêtés qui, dans leur énoncé pour l'A65 - « sécurisation, restauration et gestion conservatoire selon les exigences des espèces » -, ne définissent pas clairement la part devant faire l'objet d'une maîtrise foncière. Elles sont toutefois bien en-deçà de ce qui était demandé par le CNPN qui souhaitait que la maîtrise foncière soit privilégiée. De toute façon, le conventionnement n'est pas satisfaisant, puisqu'il peut être remis en question par le propriétaire à la recherche d'une autre rentabilité pour ces territoires, et ainsi priver le maître d'ouvrage des terrains pour la compensation. On peut aussi s'interroger sur l'emplacement relativement proche du barycentre d'une majorité des zones de mesures compensatoires de l'A65, qui s'avère plus proche du siège du concessionnaire dans les Pyrénées Atlantiques que du nord du tracé. On aurait pu s'attendre à un meilleur équilibre des compensations.
Septièmement, quelles sont les modalités de suivi sur la durée des mesures de compensation pour ces deux projets ? Les acteurs locaux y sont-ils associés ? Les acteurs locaux sont associés aux comités de suivi des mesures de compensation mais les acteurs locaux ayant des compétences pour apporter leur expertise n'ont pas de moyens humains suffisants pour tout suivre. De plus, les comptes rendus arrivent tardivement, sont notoirement insuffisants et il manque une cartographie précise permettant de suivre la nature et de retracer l'évolution des mesures. Le suivi est ainsi rendu plus difficile pour ceux qui apportent un regard extérieur.
Huitièmement, sur le rôle des services de l'État dans la mise en oeuvre de la séquence ERC, l'État organisateur des grands chantiers à l'intérêt public parfois contestable est obligé d'adopter une attitude schizophrénique en essayant de réparer d'une main ce qu'il a détruit de l'autre. Alors que les services en charge des infrastructures redoublent d'ingéniosité pour faire aboutir les projets destructeurs, les services du même ministère en charge de la biodiversité jouent un rôle essentiel dans la mise en place de la séquence ERC en tentant de limiter, avec les moyens dont ils disposent, les conséquences néfastes de ces chantiers. Cette situation est quelque peu malaisée. Mais si l'on se fie aux résultats et au déclin généralisé de la biodiversité, la doctrine et la « science de la compensation » avancent manifestement moins vite que la capacité humaine de destruction. L'un des principaux points faibles de la doctrine ERC est que les modalités de cette procédure ne sont vraiment abordées et étudiées sérieusement qu'au moment de la constitution du dossier de demande de dérogation, quand les tracés sont déjà figés par les déclarations d'utilité publique (DUP) et qu'il est devenu impossible de proposer de véritables mesures d'évitement. Cette situation n'est pas satisfaisante et constitue un obstacle réel aux mesures compensatoires destinées au succès de la biodiversité. En Gironde, nous avons un exemple caricatural, qui n'est pas lié aux deux dossiers que nous venons d'évoquer, d'une déviation routière conçue sans souci de préserver la biodiversité. Son tracé, retenu en méconnaissance totale des richesses naturelles impactées, a fait l'objet d'une DUP prise après une étude d'impact indigente achevée en 2003. On sait aujourd'hui que ce tracé est le pire de tous ceux qu'on pouvait imaginer car sur 7,8 km, il impacte 79 espèces protégées, dont 19 espèces de chauves-souris - soit une espèce de plus que sur les 165 kilomètres de l'A65 -, une espèce de mammifère très menacée, le vison d'Europe, des amphibiens, reptiles et oiseaux protégés, des espèces et habitats d'espèces d'insectes protégés et l'unique station connue en Gironde d'un papillon protégé menacé, l'azuré de la sanguisorbe. Malgré deux avis défavorables de la commission faune du CNPN, les dérogations ministérielles et préfectorales ont été accordées sans état d'âme. Les mesures d'évitement proposées ont juste consisté à décaler le tracé de quelques mètres à l'intérieur du fuseau faisant l'objet de la DUP, en le rétrécissant. Alors qu'ils étaient alertés depuis des années, l'État et le maître d'ouvrage se sont obstinés à vouloir passer en force. Aujourd'hui, après que les arrêtés de dérogations ont été censurés, d'abord par le tribunal administratif puis par la cour administrative d'appel, on accuse les associations de préférer sauver la vie d'un papillon plutôt que les vies humaines ! Et ce, tandis qu'il eût été parfaitement possible de réaliser cette déviation ailleurs en assurant un réel désenclavement routier. En effet, le tracé litigieux ramènera toute la circulation déviée sur une autre route déjà très encombrée, et ne pourra ainsi offrir le désenclavement recherché.
Neuvièmement, quels enseignements généraux pour la séquence ERC tirez-vous de votre expérience sur l'A65 et la LGV Tours-Bordeaux ? Le premier enseignement tiré de ces expériences assez douloureuses est que l'application actuelle de la séquence ERC ne permettra pas à la France d'enrayer la chute vertigineuse de sa biodiversité. Il nous semble d'abord nécessaire de conduire une analyse objective de l'intérêt général des projets par des experts indépendants. Ne faire que ce qui est utile représenterait déjà un grand pas en avant ! Les grands projets inutiles, qui ne répondent pas à un besoin réel et consomment des crédits importants tout en saccageant les territoires, doivent être bannis. Pour les projets qui répondent vraiment à la notion d'intérêt public majeur, l'évitement devrait être prioritaire. C'est pourquoi la DUP ne devrait intervenir que postérieurement à l'examen du projet par les experts du CNPN. Il conviendrait ensuite de tout mettre en oeuvre pour appliquer aux projets susceptibles de fragmenter et de consommer des territoires une doctrine proche de celle de l'économie circulaire, à savoir : réutiliser et recycler l'existant avant de chercher à détruire plus loin. Dans le cas de compensations, après impossibilité d'éviter et de réduire en totalité, il faut privilégier la maîtrise foncière des terrains de compensation et faire en sorte qu'ils soient protégés pour une durée égale à la durée de vie du projet qui cause les destructions.