Je voudrais évoquer les conventions conclues avec les agriculteurs, et plus généralement, le recours croissant à la gestion conservatoire, système alternatif à l'acquisition du foncier et à la restauration de sites dégradés.
En réalité, le problème avec la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux est de trouver des terres à restaurer qui vaudront compensation. D'où le conventionnement avec les agriculteurs. Je ne suis pas contre cette pratique, mais elle risque de se généraliser, car elle est moins coûteuse, permet de surmonter le problème du foncier et suscite davantage l'adhésion locale, contrairement à l'achat du foncier qui pose problème.
Ce qui m'inquiète un peu avec ce type de démarche, c'est l'additionnalité. Dans l'absolu, l'artificialisation ou la fragmentation d'un sol avec une ligne à grande vitesse doit s'accompagner d'une action de compensation en vue de la désartificialisation. Or ce n'est pas le cas avec le conventionnement, qui peut être prévu avec les agriculteurs ou les forestiers pour compenser des impacts définitifs sur le sol. Quant aux éoliennes, ce sont des concessions de trente ans qui doivent à terme être retirées, à moins que le contrat soit renégocié. Dans ce cas, la question de l'additionnalité est vraiment discutable. D'ailleurs, l'incapacité à atteindre l'absence de perte nette de biodiversité en France s'explique par tous ces accords, ces arrangements locaux qui prennent des formes très différentes et valent compensation.
Cette dérive, il faut en avoir conscience pour mieux l'appréhender. Il convient à mon avis d'accorder plus de moyens aux administrations qui travailleront sur ce sujet. De plus en plus d'associations y passent une partie de leurs journées. C'est aussi le cas des DREAL au détriment d'autres actions. Si l'on compte financer ces besoins à moyens constants, on observera inévitablement une baisse de la qualité des actions menées.
Les marchés font-ils l'objet d'une marchandisation ?
Le cadre américain est extrêmement strict, car les frontières géographiques correspondent à des frontières écologiques. Pour les zones humides, les limites sont fixées par le périmètre des sous-bassins versants. De la même manière, des crédits de compensation sont vendus en fonction des observations effectuées sur le site et liées à la restauration écologique, aux différentes espèces et fonctionnalités, au suivi écologique des différentes composantes de la biodiversité.
À ma connaissance, c'est le premier marché qui est contraint par des limites spatiales et temporelles qui sont de nature écologique. Si les Américains ont réussi cela, c'est parce que le marché est au service d'une réglementation. Bien sûr, certains acteurs gagnent de l'argent si leur investissement produit les effets escomptés, car ce secteur est plutôt bénéficiaire. En revanche, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, ils perdent tout !
Ce qui me paraît intéressant dans ce système, c'est que la nature ne supporte plus les risques financiers liés aux mesures compensatoires insuffisamment bordées. Pour illustrer mon propos, je citerai l'échec de la compensation en faveur de Port 2000. Un travail ambitieux de reméandrage valant compensation n'a pas fonctionné en dépit de l'exigence d'un conseil scientifique et de l'investissement de plusieurs dizaines de millions d'euros. Au final, c'est la nature qui a perdu. Dans le système d'investissement préalable, si le projet n'aboutit pas, les crédits de compensation ne sont pas octroyés et la compensation ne peut avoir lieu.
La financiarisation n'existe pas avec les marchés de compensation en l'absence de titrisation. L'achat d'un crédit de compensation n'est possible que si l'on génère un impact. En l'espèce, le marché secondaire n'existe pas, contrairement au marché carbone qui a donné lieu à des dérives importantes.
Quant à la création d'emplois en ville, je veux bien entendre cet argument, mais il ne faut pas se leurrer : la disparition de l'emploi dans les campagnes est liée à la révolution verte et non aux compensations. C'est l'agriculture moderne qui est à l'origine de la disparition de la population dans les zones rurales.