Intervention de Dominique Aribert

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 22 décembre 2016 à 14h35
Audition des représentants de la fondation nicolas hulot pour la nature et l'homme fnh humanité et biodiversité la ligue pour la protection des oiseaux lpo world wildlife fund wwf union internationale pour la conservation de la nature uicn et france nature environnement fne

Dominique Aribert, directrice du pôle « conservation de la nature » de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) :

Le document sur les oiseaux que je vous ai remis confirme les chiffres mentionnés. Je fais partie d'un groupe de travail sur la mise en place d'indicateurs dans le cadre de l'Observatoire national de la biodiversité. Nous y comparons les zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (Znieff) des années quatre-vingt-dix avec celles des années 2000 pour mesurer la perte de biodiversité, en termes de surface et d'habitat : entre ces deux générations, 47 000 hectares ont été perdus, dont 27 000 hectares de prairies, surtout en zones humides. Le premier facteur de perte est, de loin, l'agriculture, qui transforme des espaces riches en biodiversité en terres de culture intensive - voyez la prolifération des champs de maïs à la place des zones humides. Les infrastructures prennent de la surface agricole et fragmentent l'espace, mais ne réduisent pas beaucoup les zones les plus sensibles pour la diversité : en tout, elles comptent pour 800 à 1 000 hectares sur les 47 000 évoqués. Les carrières ont un impact bien supérieur, puisqu'elles représentent environ 7 000 hectares. Les projets d'infrastructure, au final, concernent en priorité les surfaces agricoles et leur impact concerne en premier lieu la fragmentation.

Que dire de la LGV ? Notre travail sur la compensation de ce projet a concerné en premier lieu l'outarde canepetière et le vison d'Europe. Cette ligne a été conçue pour éviter, autant que faire se peut, les zones les plus sensibles. Dans la région Poitou-Charentes, zone majeure pour les outardes, le projet essaie d'éviter au maximum les zones de protection spéciale. Il y a néanmoins des impacts résiduels, mais les acquisitions foncières et les mesures de conventionnement mises en place commencent à produire leurs effets.

Le problème, pour ces grandes infrastructures, est que la déclaration d'utilité publique (DUP) ne porte que sur l'espace artificialisé par la voie et pas sur les espaces de compensation. Les opérateurs et les maîtres d'ouvrage éprouvent des difficultés pour trouver les espaces de compensation, car ils n'ont pas droit à l'expropriation. Ils sont donc en permanence dans la négociation mais, pour ce faire, ils ont besoin de vendeurs en face d'eux. Or on voit se développer dans ces territoires une résistance extrêmement forte des organisations agricoles, les espaces agricoles étant les premiers concernés par la compensation. En effet, pour compenser la perte de biodiversité, on utilise des terrains qui sont aujourd'hui soumis à une agriculture intensive classique. Or, dans le cas du vison d'Europe, des surfaces importantes étaient concernées, alors que l'on ne sait pas grand-chose sur sa biologie. Les associations ont donc proposé à la ministre de l'écologie de substituer, pour une partie des mesures, à une compensation surfacique une compensation par aménagement d'ouvrages périphériques pour éviter la mortalité du vison. Ce projet a été mené à terme, après avis du CNPN. La mise en oeuvre des mesures de compensation a finalement été l'occasion d'effectuer des aménagements d'ouvrages et de voiries efficaces pour réduire la mortalité du vison et dans un délai réduit, ce qui n'aurait pas été le cas autrement.

Je voulais prendre cet exemple, car c'est une manière de penser la compensation qui est assez ouverte, et qui ne se limite pas à une réflexion en termes d'espace. La fragmentation fait partie des sujets importants.

La loi de 2016 sur la biodiversité propose des compléments importants sur la séquence ERC. Les mesures compensatoires mises en oeuvre depuis la loi de 1976 n'ont été comptabilisées par personne. Or certaines d'entre elles ont, depuis, fait l'objet de projets d'aménagement sans que personne ne le remarque ou ne puisse l'empêcher. En fait, on ne sait pas quel a été le bénéfice de ces mesures compensatoires, faute d'avoir un tableau de bord. Là où la loi apporte un plus, bien entendu, c'est que l'Agence française pour la biodiversité (AFB) va être chargée de la mise en place de cette comptabilisation et de ce suivi.

Enfin, il serait intéressant d'avoir, à l'échelle des départements, des sites de compensation en lien avec les préoccupations de biodiversité de ces secteurs géographiques pour pouvoir faire une compensation intelligente. La compensation intelligente ne se réduit pas à compenser un hectare de perte de tel habitat par l'équivalent. Selon les zones géographiques et biogéographiques, on peut envisager éventuellement d'avoir des mesures de compensation qui ramènent de la biodiversité sur un certain nombre d'habitats qui disparaissent.

Par exemple, dans l'ouest de la France, il y a des zones humides importantes, qui sont essentiellement de la prairie pâturée ou fauchée. On pourrait très bien avoir de la recréation de roselières dans ces prairies, ce qui serait l'occasion de recréer des habitats qui ont largement disparu.

Derrière, se pose la question du foncier. Les opérateurs de compensation vont être soumis à un préalable, qui est d'être propriétaires des terrains pour pouvoir faire les aménagements. Cela reste la mesure la plus sûre pour que des mesures soient durables. Les mesures compensatoires qui visent à faire du conventionnement sont de courte durée, de cinq ans à cinquante ans selon l'ampleur du projet. Au-delà, rien n'est garanti sur le devenir des espaces qui ont fait l'objet de cette compensation.

En conclusion, je dirai qu'on attend beaucoup de la loi de 2016. L'enjeu est d'avoir des espaces et des opérateurs performants un peu partout en France. Il faudra peut-être attendre quelques années, mais l'intérêt est bien là.

J'en viens à Notre-Dame-des-Landes. C'est un vieux projet. La question des mesures compensatoires se pose, parce que personne n'arrive à trancher. Il faut surtout se demander quelle est la légitimité de ces vieux projets. Y a-t-il une utilité publique à ce projet ? Françoise Verchère, ancienne conseillère générale de Loire-Atlantique, l'a dit et écrit à plusieurs reprises : c'est faute d'avoir repensé l'utilité de ce projet qu'on en est arrivé là. Quelle que soit la solution qui sera choisie, nous aurons beaucoup de mal à sortir de cette situation. La question est bien celle de l'évitement, au sens d'éviter de faire, quand l'utilité publique n'est pas ou plus évidente. Or l'utilité publique en France n'est jamais mise en débat ; c'est le seul domaine de la décision politique. On voit les difficultés auxquelles cela peut mener.

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