Intervention de Pierre-Henry Gouyon

Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité — Réunion du 22 décembre 2016 à 14h35
Audition des représentants de la fondation nicolas hulot pour la nature et l'homme fnh humanité et biodiversité la ligue pour la protection des oiseaux lpo world wildlife fund wwf union internationale pour la conservation de la nature uicn et france nature environnement fne

Pierre-Henry Gouyon, président du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme (FNH) :

J'ai un problème d'ordre général avec toutes ces questions. Je déplore depuis un moment que notre vision de la biodiversité soit largement issue de la Genèse et d'une vision parfaitement statique du monde vivant, créé une fois pour toutes. J'entends souvent des gens qui pensent tenir un discours évolutionniste mais ne font que remplacer le mot « créateur » par le mot « évolution ». Au lieu de dire « le créateur a créé les espèces », ils disent « l'évolution a créé les espèces ». Darwin, dans L'origine des espèces, dit justement le contraire, c'est-à-dire que la création des espèces continue encore aujourd'hui. Il s'agit pour moi d'un élément essentiel de notre débat : la biodiversité ne doit pas être vue comme quelque chose de statique.

Je voudrais que vous vous rendiez compte à quel point nous sommes conditionnés par cette vision culturelle extrêmement fixiste du monde vivant, souvent justifiée par le fait que le temps de l'évolution ne serait pas le même que le temps de l'écologie. Or nous savons que cela est faux depuis longtemps. Les choses bougent, qu'on le veuille ou non.

Maintenir la nature en état est d'autant plus illusoire que nous sommes dans une période de changements globaux. Il y a bien évidemment le changement climatique, que tout le monde connaît, mais sans vraiment réaliser que ce dernier amène à d'autres changements. Par exemple, les pathogènes vont se déplacer, c'est-à-dire qu'on n'aura plus les mêmes maladies aux mêmes endroits.

Je le répète, espérer maintenir les choses en état est une bataille perdue d'avance sur le moyen terme, même si l'on peut y arriver sur le court terme.

Je ne veux pas dire qu'il ne faut rien maintenir mais je veux vous faire comprendre qu'il faut penser « réseau » plus que « maintien statique d'une surface telle quelle ». Pour moi, l'arrivée des trames vertes et bleues a représenté un vrai progrès par rapport aux visions plus statiques qui préexistaient. Ce constat impacte ma vision de la compensation.

Une mesure de compensation, si elle s'intègre dans un réseau, et même si elle n'est pas effectuée juste à côté de la zone à compenser, a plus de chances d'être utile que si elle a été faite à proximité de cette zone, mais en étant tout aussi fragile que le milieu qui préexistait et par conséquent soumise à un risque accru de disparition. Je veux vraiment insister sur cet aspect dynamique. Les choses avancent doucement d'un point de vue scientifique et encore moins vite au niveau ingénierie. Évidemment, des erreurs seront commises, mais cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire.

À mes yeux, l'AFB doit avoir une double mission : d'une part, faire des bilans, et, d'autre part, voir quelles sont les méthodes qui marchent, pour la compensation comme pour le reste.

C'est le message le plus important que je voulais faire passer.

Le domaine le plus touché actuellement est le domaine agricole. Nous en sommes tous convaincus. C'est vrai non seulement hors des champs, mais également dans les champs.

J'en viens au triptyque ERC.

Je ne suis pas certain qu'à long terme la compensation soit la meilleure solution - il y en aurait d'autres de type taxes, par exemple. Pour autant, dans l'état actuel des choses et de notre système juridique, la meilleure manière de faire de l'évitement et de la réduction, c'est de faire en sorte que la compensation soit chère. Pour qu'elle soit chère, il faut qu'elle soit effective, c'est-à-dire que les entreprises ne puissent pas y échapper. En d'autres termes, les mécanismes de compensation ne sont utiles que s'ils sont réellement obligatoires et suffisamment onéreux.

Ces deux principes posés, on peut bien sûr s'interroger sur ce qu'est vraiment une compensation. Qui doit la faire ? Comment les prestataires doivent-ils être choisis ?

À partir du moment où l'entreprise choisit son prestataire, il me semble qu'il y a un risque : le prestataire devient trop dépendant financièrement de l'entreprise, ce qui risque de lui faire perdre ses capacités critiques. Il existe également un risque que l'entreprise choisisse systématiquement le moins-disant, tant financier qu'écologique. De ce point de vue, le rôle de l'État est très important pour contrôler l'effectivité de la compensation et de son sérieux, mais également pour définir les méthodes à mettre en oeuvre pour que le bien commun soit respecté. Je suis certain qu'il est possible de faire mieux en réfléchissant davantage en termes de connectivité et de dynamique.

S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, je partage l'opinion exprimée par les orateurs précédents : il aurait fallu agir bien plus en amont. En général, en France, au moment où les problèmes se posent, il est déjà extrêmement tard : les intérêts en jeu sont alors si considérables que les débats ne peuvent plus se dérouler sereinement.

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