Merci pour votre invitation.
La situation est complexe, nous constatons un nombre important de tensions et de ruptures sur des médicaments et des dispositifs médicaux ; c'est une préoccupation constante pour l'ANSM. S'agissant de l'amoxicilline et du paracétamol, la situation de pénurie concerne le continent européen ainsi que les États-Unis et le Canada. L'ensemble des signalements de risques de rupture et de tension s'accroît ; nous en sommes à 3 500 signalements en 2022. Cela ne signifie pas que 3 500 médicaments soient effectivement en tension ou en rupture, mais qu'il y a des risques, au moment du signalement, qu'ils le deviennent ; la réglementation a changé pour que le signalement intervienne tôt, de manière à laisser le temps nécessaire au fabricant de réduire le risque, et limiter les impacts délétères de cette situation. Le signalement déclenche des actions dont le but est d'amoindrir les risques pour les patients et pour l'organisation des soins, donc de limiter les pertes de chance.
Il faut distinguer deux dimensions de la couverture : la gestion des tensions et des ruptures, une fois qu'elles sont signalées et quand elles sont avérées ; l'anticipation de ces tensions et ruptures.
La gestion des tensions et des ruptures est au coeur de la mission de l'ANSM, du travail que nous effectuons au quotidien, avec les patients et les professionnels de santé, et c'est la fonction des outils qui sont entre nos mains - dont certains que nous devons directement au Sénat, je pense à l'amendement que vous avez récemment adopté au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. L'approvisionnement du territoire national en médicaments est de la responsabilité des industriels détenteurs des autorisations de mise sur le marché (AMM) : lors de la délivrance de cette autorisation, une population cible est associée, un besoin est défini et l'industriel s'engage à un approvisionnement, ce qui n'empêche pas qu'il rencontre des aléas dans sa production ou bien qu'il doive faire face à des augmentations brusques et fortes de la demande - on l'a vu avec les produits anesthésiques, notamment ceux utilisés dans les services de réanimation pendant la crise sanitaire, ou aujourd'hui le paracétamol.
Deuxième dimension, l'anticipation, pour éviter les tensions et pénuries en amont, comme on le fait avec les plans d'épidémie hivernale. Ici encore nous travaillons en coopération avec les professionnels de santé et du médicament, en particulier pour identifier les vulnérabilités ; nous vous en présenterons les procédures dans les réponses écrites aux questions que vous nous avez posées.
Le paracétamol et l'amoxicilline illustrent ces tensions. Les cartes que je vous présente et que je mets à disposition de votre commission montrent bien que les tensions touchent l'ensemble du continent européen - ainsi que l'Amérique du Nord -, avec des écarts entre les pays. Ces tensions sont d'abord liées aux trois épidémies présentes simultanément : la grippe hivernale, le Covid-19 et la bronchiolite, laquelle est précoce cette année. La demande de paracétamol est donc en très forte augmentation, les usines tournent en continu, mais cela ne suffit pas, en particulier pour la solution buvable pédiatrique. Sur cette solution, nous sommes passés de 1,9 million de flacons dispensés en décembre 2021, à 3 millions en décembre 2022, c'est dire l'importance de la hausse. Pour l'amoxicilline, les industriels ont intégré la forte baisse des années 2020 et 2021 liée aux confinements, en diminuant la production ; aujourd'hui la demande est repartie très fort à la hausse et il faut compter avec les délais de remise en marche des lignes de production. Nous sommes d'autant plus sensibles à ces variations, en France, que nous consommons davantage de médicaments que nos voisins. Les graphiques que je vous communique le montrent bien s'agissant des antibiotiques. C'est également vrai s'agissant des antipyrétiques, même si la comparaison avec l'Allemagne et l'Espagne doit tenir compte de la consommation d'ibuprofène, qui y est utilisée en première intention, plutôt que le paracétamol.
Le document que je laisse à disposition de votre commission, présente également les mesures que nous avons mobilisées face à la pénurie d'amoxicilline et de paracétamol. Elles comportent, pour l'amoxicilline, l'interdiction d'exportation par les grossistes-répartiteurs - c'est la règle quand un médicament est en tension, les stocks présents sur le territoire national doivent y rester -, ou encore l'interdiction de vente par internet, pour le paracétamol, et des recommandations élaborées avec les professionnels, sur le bon usage, ou encore des préparations magistrales pédiatriques.
Dans ce travail, nous sommes en relation constante avec les professionnels, nous organisons des réunions tous les 15 jours pour partager les informations, recueillir les remontées de terrain avec les pharmaciens d'officine, les médecins et les associations de patients. La dimension européenne est indispensable - vous savez que la réglementation est en cours de révision - un document transitoire est prévu pour fin mars, l'objectif étant d'adopter de nouvelles règles l'an prochain ou en 2025. La Commission européenne examine de près notre situation et nos outils, je crois savoir que bien de nos règles et mécanismes seront repris dans le projet qu'elle va soumettre à la consultation.
Notre système n'est certainement pas suffisant : il joue le rôle d'amortisseur, mais il n'annule pas le risque. Il faut aller plus loin, c'est l'objectif de votre commission d'enquête, pour mieux répondre aux tensions quand elles se manifestent et pour mieux les anticiper, en particulier lorsqu'elles concernent les enfants, pour qui l'offre de médicaments est moins importante par comparaison aux adultes.