Nous auditionnons Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Je vous remercie, Madame la directrice générale, de vous être mobilisée dans un délai très bref. Je vous prie d'excuser notre présidente, qui a un empêchement et que je remplace.
Placée sous la tutelle du ministère de la Santé, l'ANSM est notamment chargée d'évaluer les bénéfices et risques associés aux produits de santé tout au long de leur cycle de vie : de l'autorisation de mise sur le marché, qu'elle délivre, à la surveillance continue des effets indésirables des médicaments. Elle procède, pour cela, à l'analyse des signalements qu'elle reçoit ou, directement, à des inspections chez les opérateurs impliqués dans la fabrication, l'importation ou la distribution des produits de santé.
L'Agence participe également aux procédures d'autorisation d'accès précoce ou d'accès compassionnel permettant à des patients d'accéder à des produits de santé qui ne disposent pas encore d'une autorisation de mise sur le marché, ou qui disposent d'une autorisation pour une autre indication.
Enfin et surtout, l'ANSM est chargée de veiller à la disponibilité des médicaments indispensables à la prise en charge des patients. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre, Madame la directrice générale, à un stade précoce de nos travaux.
Alors que le nombre de ruptures ou risques de rupture déclarés à l'ANSM augmente très fortement ces dernières années, nous souhaiterions que vous puissiez dresser dans une brève présentation introductive un panorama de la situation actuelle : quels sont les principaux médicaments touchés ? Quels sont les risques sanitaires associés à ces problèmes d'approvisionnement ? L'Agence dispose-t-elle des moyens nécessaires pour y faire face ?
Avant de vous passer la parole, Madame la directrice générale, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, et je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Mme Christelle Ratignier-Carbonneil prête serment.
Merci pour votre invitation.
La situation est complexe, nous constatons un nombre important de tensions et de ruptures sur des médicaments et des dispositifs médicaux ; c'est une préoccupation constante pour l'ANSM. S'agissant de l'amoxicilline et du paracétamol, la situation de pénurie concerne le continent européen ainsi que les États-Unis et le Canada. L'ensemble des signalements de risques de rupture et de tension s'accroît ; nous en sommes à 3 500 signalements en 2022. Cela ne signifie pas que 3 500 médicaments soient effectivement en tension ou en rupture, mais qu'il y a des risques, au moment du signalement, qu'ils le deviennent ; la réglementation a changé pour que le signalement intervienne tôt, de manière à laisser le temps nécessaire au fabricant de réduire le risque, et limiter les impacts délétères de cette situation. Le signalement déclenche des actions dont le but est d'amoindrir les risques pour les patients et pour l'organisation des soins, donc de limiter les pertes de chance.
Il faut distinguer deux dimensions de la couverture : la gestion des tensions et des ruptures, une fois qu'elles sont signalées et quand elles sont avérées ; l'anticipation de ces tensions et ruptures.
La gestion des tensions et des ruptures est au coeur de la mission de l'ANSM, du travail que nous effectuons au quotidien, avec les patients et les professionnels de santé, et c'est la fonction des outils qui sont entre nos mains - dont certains que nous devons directement au Sénat, je pense à l'amendement que vous avez récemment adopté au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture. L'approvisionnement du territoire national en médicaments est de la responsabilité des industriels détenteurs des autorisations de mise sur le marché (AMM) : lors de la délivrance de cette autorisation, une population cible est associée, un besoin est défini et l'industriel s'engage à un approvisionnement, ce qui n'empêche pas qu'il rencontre des aléas dans sa production ou bien qu'il doive faire face à des augmentations brusques et fortes de la demande - on l'a vu avec les produits anesthésiques, notamment ceux utilisés dans les services de réanimation pendant la crise sanitaire, ou aujourd'hui le paracétamol.
Deuxième dimension, l'anticipation, pour éviter les tensions et pénuries en amont, comme on le fait avec les plans d'épidémie hivernale. Ici encore nous travaillons en coopération avec les professionnels de santé et du médicament, en particulier pour identifier les vulnérabilités ; nous vous en présenterons les procédures dans les réponses écrites aux questions que vous nous avez posées.
Le paracétamol et l'amoxicilline illustrent ces tensions. Les cartes que je vous présente et que je mets à disposition de votre commission montrent bien que les tensions touchent l'ensemble du continent européen - ainsi que l'Amérique du Nord -, avec des écarts entre les pays. Ces tensions sont d'abord liées aux trois épidémies présentes simultanément : la grippe hivernale, le Covid-19 et la bronchiolite, laquelle est précoce cette année. La demande de paracétamol est donc en très forte augmentation, les usines tournent en continu, mais cela ne suffit pas, en particulier pour la solution buvable pédiatrique. Sur cette solution, nous sommes passés de 1,9 million de flacons dispensés en décembre 2021, à 3 millions en décembre 2022, c'est dire l'importance de la hausse. Pour l'amoxicilline, les industriels ont intégré la forte baisse des années 2020 et 2021 liée aux confinements, en diminuant la production ; aujourd'hui la demande est repartie très fort à la hausse et il faut compter avec les délais de remise en marche des lignes de production. Nous sommes d'autant plus sensibles à ces variations, en France, que nous consommons davantage de médicaments que nos voisins. Les graphiques que je vous communique le montrent bien s'agissant des antibiotiques. C'est également vrai s'agissant des antipyrétiques, même si la comparaison avec l'Allemagne et l'Espagne doit tenir compte de la consommation d'ibuprofène, qui y est utilisée en première intention, plutôt que le paracétamol.
Le document que je laisse à disposition de votre commission, présente également les mesures que nous avons mobilisées face à la pénurie d'amoxicilline et de paracétamol. Elles comportent, pour l'amoxicilline, l'interdiction d'exportation par les grossistes-répartiteurs - c'est la règle quand un médicament est en tension, les stocks présents sur le territoire national doivent y rester -, ou encore l'interdiction de vente par internet, pour le paracétamol, et des recommandations élaborées avec les professionnels, sur le bon usage, ou encore des préparations magistrales pédiatriques.
Dans ce travail, nous sommes en relation constante avec les professionnels, nous organisons des réunions tous les 15 jours pour partager les informations, recueillir les remontées de terrain avec les pharmaciens d'officine, les médecins et les associations de patients. La dimension européenne est indispensable - vous savez que la réglementation est en cours de révision - un document transitoire est prévu pour fin mars, l'objectif étant d'adopter de nouvelles règles l'an prochain ou en 2025. La Commission européenne examine de près notre situation et nos outils, je crois savoir que bien de nos règles et mécanismes seront repris dans le projet qu'elle va soumettre à la consultation.
Notre système n'est certainement pas suffisant : il joue le rôle d'amortisseur, mais il n'annule pas le risque. Il faut aller plus loin, c'est l'objectif de votre commission d'enquête, pour mieux répondre aux tensions quand elles se manifestent et pour mieux les anticiper, en particulier lorsqu'elles concernent les enfants, pour qui l'offre de médicaments est moins importante par comparaison aux adultes.
Nous avons, à la commission des affaires européennes, émis un avis politique sur le sujet - et la réponse de la Commission européenne nous a confirmés.
Je connais bien l'ANSM, pour avoir été membre de son conseil d'administration de 2012 à 2020 - j'y ai été très vigilante à ce que cette agence ait les moyens des missions toujours plus nombreuses qu'on lui confie, et je dois dire que je n'ai pas été entendue, jusqu'à ce jour. Vous avez reçu nos questions, il y en a 25 et elles sont détaillées, merci pour le temps que vous prendrez à y répondre - je ne ferai ici que souligner quelques points, pour laisser aussi de la place à nos collègues de cette commission.
La pénurie de médicaments n'est pas un phénomène récent, mais elle s'est accentuée ces dernières années : nous sommes passés de 600 signalements en 2016 à 3 500 l'an dernier, et l'accélération a précédé la pandémie puisque nous étions à 1 500 signalements en 2019. Les signalements concernent des produits très divers, des anticancéreux, des antirétroviraux et l'insuline. Pensez-vous que les pénuries concernent davantage les médicaments anciens, moins onéreux donc moins rentables, que les produits innovants ? Est-ce un critère qui ressort ?
Vous avez été alertée assez en amont des risques de pénurie d'amoxicilline et de Doliprane, mais nous avons le sentiment qu'il a fallu beaucoup de temps pour que des mesures correctrices soient prises : comment les choses se sont-elles passées ? Vous avez la possibilité d'infliger des pénalités financières en cas de défaut : l'avez-vous fait à cette occasion, dans combien de cas - et à combien les pénalités se sont-elles élevées ? Les chiffres font apparaître qu'il n'y a eu que deux sanctions en 2019 et une seule en 2020, les montants des pénalités n'en sont pas connus : notre commission d'enquête aimerait disposer d'éléments plus précis.
Le ministre de la santé, ensuite, a demandé, pour juin prochain, une liste de tous les médicaments considérés comme essentiels ; or, l'OMS établit déjà une telle liste : comment la nouvelle va-t-elle s'articuler avec celle de l'OMS ? Est-ce bien pertinent de dresser une nouvelle liste ?
Enfin, du côté des solutions pour réduire les risques de pénuries, nous sommes nombreux à penser qu'il faudrait relocaliser une part de la production de médicaments en France, alors que les principes actifs sont pour la plupart produits en Chine et en Inde pour des raisons financières et environnementales : qu'en pensez-vous ? Est-ce qu'une production sur le sol national faciliterait le suivi et, finalement, la sécurité d'approvisionnement ?
Le nombre de signalements a effectivement quintuplé entre 2016 et 2021, il faut y voir aussi un effet du changement des règles : la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020 a, en particulier, exigé que les industriels déclarent plus tôt les risques de tension. Cependant, les chiffres montrent aussi que les déclarations suivies de mesures, donc qui correspondent à des tensions effectives, progressent aussi, passant de 25 % des déclarations en 2021, à 40 % en 2022, ce qui est significatif.
Les tensions et pénuries concernent-elles les produits matures, plutôt que les produits innovants ? C'est bien le cas, aussi parce que la demande est moindre pour ces produits - et que s'il peut y avoir des délais dans l'approvisionnement, on ne constate pas de pénurie pour ces médicaments innovants. On le voit bien pour les produits anticancéreux : les tensions et pénuries se produisent sur les médicaments de première intention.
Le document que je communique à votre commission montre bien, page 6, la chronologie des mesures que nous avons prises face à la pénurie de paracétamol. Les signes de l'augmentation de la consommation apparaissent dès la fin du premier semestre 2022 et des mesures ont été prises dès le mois de juillet, avec la recommandation, élaborée avec les représentants des pharmaciens d'officine, d'une distribution fractionnée, pour contenir les achats en prescription médicale facultative. Pour l'amoxicilline - page 7 -, face à la précocité des infections hivernales, nous avons pris des mesures dès le mois d'octobre dernier pour tenter de limiter l'impact des ruptures de stock. Vous savez que, depuis septembre 2021, les industriels doivent disposer d'un stock de deux mois pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) - il y en a environ 6 000 - et que ce délai est porté à quatre mois pour les MITM qui ont fait l'objet d'une pénurie dans les deux dernières années. L'amoxicilline est classée parmi les MITM et le délai de stock est porté à quatre mois pour la solution injectable. Ces stocks ont limité l'impact de la pénurie, laquelle est liée à la forte augmentation de la consommation - elle a gagné 45 % entre l'automne 2021 et l'automne 2022. Le paracétamol, lui, n'est pas un MITM, nous avons un débat à ce sujet avec les industriels, je pense que ce produit pourrait entrer dans cette catégorie, en particulier sous sa forme pédiatrique.
Les sanctions financières sont un outil important, le périmètre vient d'en être élargi, au 1er octobre 2022, nous avons publié les lignes directrices de l'usage que nous comptons en faire, j'espère que nous serons entendus. Sur le dernier trimestre de l'année 2022, trois procédures de sanction sont en cours, elles comprennent du contradictoire avec les industriels - qui disposent aussi de recours gracieux et contentieux. Les décisions de l'Agence sont publiques, y compris les montants des sanctions - cependant, comme la loi nous l'impose, le montant des sanctions n'est affiché qu'un mois, ensuite nous devons enlever l'information de notre site.
Le ministre de la santé a annoncé, à l'issue du comité de pilotage sur les pénuries tenu au début de ce mois, l'établissement d'une liste de médicaments critiques. Il s'agit de concaténer deux séries de données : la liste de médicaments considérés comme essentiels et indispensables, établie par la Direction générale de la santé, avec les sociétés savantes ; les états des lieux établis par les industriels sur la fabrication des médicaments, sur les chaînes de production et les composants, pour identifier les facteurs de vulnérabilité, on a vu pendant la crise sanitaire combien le fait de dépendre d'un fournisseur unique d'un excipient ou d'un principe actif, par exemple, rendait l'approvisionnement vulnérable, comme cela avait été aussi le cas en 2019 lors de la pénurie de corticoïdes oraux, liée au fait qu'il n'y avait qu'un seul façonnier. La concaténation de ces deux séries de données doit donc permettre d'établir, pour le mois de juin, une liste de médicaments critiques, qu'il faudra comparer avec celle de l'OMS, il y aura des recoupements.
Il appartiendra aux pouvoirs publics de définir les mesures à prendre, elles vont bien au-delà des compétences de l'ANSM puisqu'il peut s'agir de relocaliser la production, d'agir sur le prix des médicaments, de mettre en place des outils européens...
Vous m'interrogez sur les solutions. S'agissant de la gestion des tensions et pénuries, il faut améliorer l'information, la traçabilité, le partage des données avec les acteurs de la chaîne, avec les industriels, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens, les médecins et les patients. Faut-il relocaliser la production ? Je crois que la première chose à faire, c'est d'éviter de dépendre d'un monopole et d'une production mono-site. Certaines substances actives ne sont produites que dans un seul site dans le monde entier : quand un incident se produit sur ce site, la situation devient très compliquée. Il faut donc diversifier les lieux de production, les fournisseurs - et c'est pour cela aussi que la maille européenne est importante. Des antibiotiques matures peuvent ne plus présenter de grand intérêt pour des industriels quand ils considèrent le marché français, mais c'est autre chose à l'échelle continentale, le regroupement pouvant renforcer l'attrait à produire le médicament délaissé.
La relocalisation peut être une solution et il faut prendre en compte la dimension environnementale du sujet, sachant qu'on parle ici de chimie - et nous gagnerons à réfléchir à l'échelle européenne.
Nous avons rendu visite à une pharmacie qui produit des préparations magistrales. Nous avons été surpris d'entendre le pharmacien nous dire que, pour l'amoxicilline, il n'y avait pas de pénurie de principe actif, il en disposait en abondance, nous l'avons vu de nos propres yeux, alors qu'on nous parlait de pénurie, c'est difficile à comprendre...
Effectivement, la tension ne vient pas du principe actif puisque nous avons la préparation magistrale, mais de la suspension buvable. La consommation ayant diminué en 2020, les industriels ont baissé leur production de cette suspension ; la demande ayant rejoint son niveau antérieur, ils ont eu du mal à reprendre rapidement un rythme suffisant de production, apparemment pour des problèmes de ressources humaines. Heureusement que nous n'avons pas eu de problème avec le principe actif, la situation, déjà complexe, aurait été bien pire ; nous avons pu faire des préparations magistrales, - une quarantaine de pharmacies sont autorisées à le faire -, pour répondre à la demandes de dosages spécifiques par exemple pour les enfants : je salue le travail des pharmaciens, qui nous ont aidés à faire face aux difficultés.
Nous sommes en insécurité dans notre pays et votre propos m'inquiète, car les solutions que vous avancez ne sont que des pansements. Il faut se poser les bonnes questions. Vous parlez des ruptures dans les chaînes de production des industriels, mais il faut bien voir qu'il y a deux sortes d'industriels : les assembleurs, et les producteurs. En 2009, j'ai voté contre la loi portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), parce que je savais qu'en autorisant les génériques pour diminuer les coûts des médicaments, on encourageait une mondialisation malheureuse où l'on fabrique les produits au diable Vauvert, toujours plus loin... La loi a créé un système pire encore que celui de l'automobile, car désormais c'est le sous-traitant qui dicte ses conditions, en l'occurrence la Chine et l'Inde, alors que le circuit court, c'est bien mieux. Vous parlez d'une quarantaine de pharmacies autorisées à faire des préparations magistrales, mais notre pays compte une centaine de départements : si l'on en est à se féliciter d'un système D, on marche sur la tête ! Je crois bien davantage à l'industrie : ce qu'il faut, c'est relocaliser la production de médicaments, et c'est urgent. Quand on produisait le Clamoxyl en France, il n'y avait pas de problème. Quant au paracétamol, je crois que le gouvernement incite à la surconsommation de ce produit qui est dangereux en cas de surdosage, en particulier parce qu'à long terme il accentue le risque de maladies hépatiques...
Je suis libéral, mais je suis opposé à cette mondialisation malheureuse. Nous avions la première industrie du médicament au monde, et nous avons beaucoup perdu : que pouvons-nous faire pour relocaliser d'urgence la production de médicaments ? Les Français attendent une relocalisation de la production industrielle, pas un bricolage dans les pharmacies...
Quand j'évoque la quarantaine d'officines autorisées à faire des préparations magistrales, je me place du côté de la gestion des tensions et des pénuries de médicaments dont les industriels sont tenus d'approvisionner le marché, mon propos ne vise pas à généraliser le recours aux préparations magistrales...
La relocalisation industrielle est un sujet majeur, qui dépasse de beaucoup les compétences de l'ANSM. On parle du paracétamol, mais il est produit sur le territoire national, notamment à Lisieux et à Agen - tandis que les formules pédiatriques sont produites en Allemagne, près de Cologne. La relocalisation est un objectif du plan France 2030, la Direction générale de la Santé s'est positionnée sur le sujet. La mission de l'ANSM, elle, est d'assurer que le circuit du médicament soit sécurisé, qu'il y ait bien un pharmacien responsable à chaque étape, nous sommes mobilisés sur chacune des étapes, de l'autorisation d'ouvrir un établissement au travail des grossistes-répartiteurs, en passant par le contrôle des lignes de fabrication et d'assemblage.
On parle de pénurie, cela renvoie à un marché où la demande excède l'offre, ce qui incite à s'attaquer aux causes de la sur-demande, en particulier au prix du médicament : ne faudrait-il pas différencier davantage le prix du médicament, selon qu'il est prescrit ou pas ? Ensuite, est-il vrai que des prix de génériques sont si bas que la matière première produite en France est plus chère que le tarif de remboursement du médicament fini et mis en boîte, avec un principe actif livré depuis la Chine ou l'Inde ?
L'ANSM n'intervenant pas dans la définition du prix des médicaments, je ne saurais vous répondre sur le sujet. Je partage cependant votre constat d'une surconsommation de médicaments, dont il faut valoriser le bon usage du médicament - prendre le bon médicament, au bon moment. Les prix sont déjà différenciés, selon qu'il y a prescription, ou pas...
Cela n'entre pas dans les compétences de l'ANSM, vous aurez des éléments en auditionnant le Comité économique des produits de santé (CEPS). Les prix des génériques sont effectivement très bas, c'est aussi pourquoi un moratoire sur la baisse de leurs prix a été annoncé.
Il n'y a pas que Sanofi qui produit du paracétamol, à Agen, nous avons aussi UPSA qui produit l'excellent Efferalgan... J'ai visité leur usine, ils m'ont confirmé leurs difficultés, mais aussi leur décision de travailler jour et nuit, y compris le dimanche, pour faire face. Or, j'y ai aussi appris que seulement 2,5 % du paracétamol consommé en France venaient d'UPSA : est-ce qu'on ne peut pas faire mieux ? Puisque plusieurs laboratoires produisent déjà en France, ne peut-on pas mieux répartir leur plan de charge ? Ou bien sinon, la concentration accentuera les risques...
Dans son dernier rapport annuel, la Cour des comptes consacre un chapitre à la sécurité des approvisionnements des médicaments. Elle estime, en particulier, que le suivi des déclarations par l'ANSM est insuffisant pour appréhender l'évolution effective des tensions d'approvisionnement, puisque seulement 5 à 10 % des déclarations donnent lieu à l'inscription sur la liste des médicaments interdits d'exportation. La Cour précise qu'il existe trois fichiers qui ne sont pas agrégés : le fichier de l'ANSM, le fichier développé par le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens dans les hôpitaux, et la plateforme de suivi des produits de santé e-Dispostock. Faute d'information partagée, la Cour estime qu'il n'est pas possible d'objectiver l'importance et la gravité des ruptures qui affectent la population et que ni les autorités sanitaires, ni a fortiori les usagers du système de soins ne disposent d'informations satisfaisantes sur l'état des ruptures d'approvisionnement : pourquoi ne pas commencer par fusionner ces fichiers, ce qui donnerait une chance d'avoir une connaissance précise des tensions et des pénuries ?
Ensuite, comment ne pas faire le lien entre l'augmentation de la demande de médicaments et le déremboursement de l'homéopathie ?
Enfin, un établissement européen ne pourrait-il pas racheter les molécules des médicaments matures, pour en produire dans des conditions avantageuses pour les patients ?
Vous nous dites que nous n'avons pas de solution claire, alors que la pénurie est partout, et qu'on ne peut pour le moment faire mieux que surveiller les choses, et intervenir quand il y a pénurie : est-ce à dire que notre système d'intervention est trop récent, ou bien avez-vous d'autres explications ? Et si les pénuries portent surtout sur des produits matures, peut-on envisager une production associant secteurs public et privé, pour des MITM matures ?
Avez-vous pu répondre aux remarques de la Cour des comptes ? Je crois, ensuite, qu'il ne faut pas opposer les médicaments matures et innovants, ou bien on ne tient qu'un bout de la chaîne : les innovants étant très rentables, il y a des marges, et plutôt que de parler de vente à perte pour des médicaments matures, mieux vaut parler de l'ensemble de la production.
Enfin, des fabricants n'ont pas dit qu'ils étaient en rupture de stocks alors que des produits manquaient chez les grossistes-répartiteurs : quel est votre pouvoir quand arrivent de telles omissions volontaires ?
Plusieurs industriels fabriquent du paracétamol sur notre territoire, les deux premiers représentent 80 % de la production ; UPSA a effectivement doublé sa production, à ma demande, notamment sous forme buvable pédiatrique. L'ANSM peut-elle répartir la production ? Non, le marché est libre et chaque industriel peut livrer les quantités supplémentaires qu'il veut.
Nous avons répondu à la Cour des comptes. Je l'ai dit dans mon propos introductif, seule une petite partie des signalements fait l'objet d'une interdiction d'exportation - ce sont les 5 à 10 % relevés par la Cour des comptes -, quand on constate une rupture effective des stocks, il y a alors une fiche de rupture de stock, mais les signalements sont faits pour que des mesures interviennent avant cette situation de rupture.
Il y a effectivement plusieurs systèmes d'information, celui de l'ANSM sur les risques de tensions, e-Dispostock pour les pharmacies hospitalières - qui n'est pas mobilisé de manière pérenne -, ces informations ne sont pas intégrées de manière institutionnelle, mes équipes passent du temps à regrouper les informations disponibles auprès des officines, auprès des grossistes-répartiteurs, auprès des industriels, nous faisons des tableurs dynamiques...
Si, mais il est vrai qu'une intégration des données faciliterait la gestion au quotidien.
Sur le déremboursement de l'homéopathie, vous avez pu demander l'avis de la présidente de la Haute autorité de santé...
Oui, elle nous a répondu que la France était le seul pays à avoir étudié scientifiquement l'efficacité de l'homéopathie, et que le déremboursement était de ce fait une décision scientifique, plutôt que politique... Or, je signale ici que ce déremboursement ne peut pas être sans effet sur la demande de médicaments...
La maille européenne est à travailler pour les médicaments anciens hors brevet, la demande regroupée à l'échelle continentale inciterait à la production, et il faudrait veiller à ne pas être en mono-site ni en mono-production. Sur l'amoxicilline, je signale qu'il n'y a pas de désengagement des industriels, mais adaptation par rapport à une consommation qui a fortement augmenté.
Notre système de surveillance n'empêche effectivement pas les pénuries, mais il joue un rôle amortisseur dans le cadre de la gestion des pénuries et tensions, et sur le bon usage des médicaments.
Enfin, je partage l'idée que le prix des produits de santé doit s'apprécier sur leur cycle de vie, depuis leur mise sur le marché jusqu'à la tombée du brevet et apparition de leurs génériques.
C'est dans ce cadre complet qu'il me semble utile de définir la régulation des produits de santé, pour embrasser toutes les dimensions, avec un objectif commun et impératif : assurer la sécurité des patients, en fonction du rapport bénéfices/risques, et couvrir les besoins, en assurant aussi un bon usage des médicaments.
Merci pour toutes ces réponses, et merci aussi de nous répondre par écrit au questionnaire.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 15 heures.