Intervention de Nathalie Kosciusko-Morizet

Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds — Réunion du 16 avril 2014 à 16h41
Audition de Mme Nathalie Kosciusko-morizet ancienne secrétaire d'état chargée de l'écologie et ancienne ministre de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie :

Le classement, monsieur Teston, avait lui-même été établi au terme d'analyses très fouillées, associant toutes les expertises présentes dans l'administration. Ce classement a été transmis à la commission consultative, qui réunissait elle aussi différentes compétences, et qui l'a validé. Je ne vois pas quelle analyse complémentaire aurait pu être menée. J'ai donc naturellement validé ce classement, qui mettait en avant sans ambigüité l'un des candidats. Du reste, si j'avais choisi un autre ordre que celui retenu par la commission consultative, que n'aurait-on pas dit ! Vous me demandiez, monsieur Grosdidier, si nous avions eu vent des polémiques en amont. La réponse est non. L'écotaxe était l'une des propositions du Grenelle les plus plébiscitées. Tout le monde était d'accord sur l'idée de faire payer aux poids lourds les dommages faits aux routes, et de financer du même coup le report modal.

Le fait que le dialogue compétitif ait été remporté par un consortium italien a été l'un des motifs de la Sanef pour faire un recours. Outre que cet argument n'est pas recevable en droit européen, Autostrade était associé à plusieurs partenaires français, tandis que ses concurrents l'étaient à des étrangers : tous ces consortiums associaient en réalité des Français à d'autres Européens.

La question du coût du recouvrement, maintenant très critiqué, n'avait pas été mise en avant à l'époque. La polémique sur ce sujet est excessive : le consortium retenu était de loin le moins cher ; si d'ailleurs on rapporte ce coût aux véhicules par kilomètre, on constate qu'il est dans la moyenne européenne, alors que notre système est meilleur parce que conçu plus récemment, et surtout interopérable, comme le demande aujourd'hui l'Union européenne.

Rapporté au produit de la taxe, le coût du recouvrement est évidemment important. C'est, d'une part, parce que la base taxable est moins importante en France qu'elle ne l'est par exemple en A1lemagne ; d'autre part, parce que le montant de la taxe a été fixé à un niveau modeste, inférieur à ce qu'il pourrait être au regard des externalités environnementales. Le choix du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de 12 tonnes a été fait avant mon arrivée au ministère. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants. La généralisation des 44 tonnes n'est pas à mon avis une bonne chose pour l'environnement. C'est là un arbitrage que j'ai perdu.

Quant à l'idée de réserver la taxe aux véhicules étrangers, c'est une tentation évidente, puisqu'ils ne payent pas la TIPP, et ne sont pas astreints aux mêmes normes sociales que nous. Mais le droit européen n'autorise pas une telle différence de traitement. Le recours à une vignette ne constituerait pas, de toute façon, une incitation environnementale efficace.

Un retard important a été pris au moment du dialogue compétitif, tenant au besoin d'affiner les conditions de mise en oeuvre. Le calendrier établi ensuite n'a guère été modifié pendant la période où j'étais au ministère. Il est vrai que le temps administratif fait que certains projets arrivent à échéance alors que le souffle initial s'est épuisé. Ce décalage a été particulièrement pénalisant pour l'écotaxe.

J'en viens à la question de Mme la présidente sur la décision de suspension. Je reste persuadée que l'écotaxe est une bonne chose, pour des raisons environnementales comme pour des raisons financières. Où prendra-t-on l'argent nécessaire pour refaire les routes et pour développer les modes de transports alternatifs ? Il faudra un milliard d'euros par an. S'il ne vient pas de l'écotaxe, ce sera de la poche des contribuables. Mais pour que la taxe soit bien comprise, il fallait mettre en face des nouvelles recettes fiscales de nouveaux investissements : ceux du plan de relance, des investissements d'avenir, et ceux du Grenelle lui-même en matière d'infrastructures.

La polémique actuelle pose un problème de crédibilité des acteurs dans la durée : crédibilité de l'État, qui s'était engagé dans ce dispositif ; crédibilité des élus qui, tous participants au Grenelle de l'environnement, avaient voté quasi-unanimement la loi Grenelle I, et qui en Alsace demandaient la taxe. J'ai été navrée, à l'automne dernier, de voir l'attitude de certains d'entre eux : ils n'étaient plus au courant de rien. C'est enfin un problème de crédibilité des acteurs économiques, parce que certains de ceux qui protestent aujourd'hui étaient assis autour de la table du Grenelle de l'environnement et avaient négocié les conditions de la mise en oeuvre de l'écotaxe. C'est le cas des transporteurs bretons. On constate, depuis des années, un processus de concentration des transporteurs routiers, qui met en péril la survie des petites structures, mais qui n'est pas lié à l'écotaxe. Celle-ci a servi de bouc émissaire dans les difficultés économiques que traverse la Bretagne. Tous y trouvaient leur compte, les responsables de la concentration des transports routiers comme ceux de l'industrie agro-alimentaire, engagée dans un processus massif de délocalisation vers l'Est.

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