Commission d'enquête sur la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds

Réunion du 16 avril 2014 à 16h41

Résumé de la réunion

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La réunion

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Photo de Marie-Hélène Des Esgaulx

Merci pour votre témoignage, monsieur le ministre.

La réunion est levée à 16 h 37

La séance est ouverte à 16 h 41

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Nous allons entendre Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat chargée de l'écologie du 19 juin 2007 au 14 janvier 2009, puis ministre de l'écologie du 14 novembre 2010 au 22 février 2012.

Madame la Ministre, vous étiez donc en poste lors du Grenelle de l'environnement, puis lors de la phase finale de l'attribution du contrat de partenariat. Nous souhaitons comprendre quel a été votre rôle en tant que ministre dans la mise en place de l'écotaxe poids lourds. La décision de recours au PPP était-elle prise dès l'origine ? Sur quels arguments cette décision était-elle fondée ? L'inclusion du recouvrement dans le périmètre du contrat de partenariat a-t-elle fait l'objet d'une réflexion particulière au sein du gouvernement ? Quelle est votre appréciation globale de la manière dont les choix ont été effectués et le contrat mis en place ?

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Kosciusko-Morizet prête serment.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

J'ai traité de ce que l'on a d'abord appelé l'« éco-redevance poids lourds » à deux moments de mon parcours ministériel. Tout d'abord, en tant que secrétaire d'État à l'écologie, sous la responsabilité de M. Jean-Louis Borloo, je me suis occupée de la définition du programme du Grenelle de l'environnement et de son lancement, j'ai présidé certaines de ses réunions, avant de veiller à sa mise en oeuvre législative. Dans un second temps, alors que j'avais succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, j'ai eu pour tâche de valider le classement des opérateurs pressentis et de purger le recours introduit par l'un d'entre eux, avant de lancer, en collaboration avec le ministère du budget et les douanes, la mise en oeuvre de ce que l'on appelait désormais l'« écotaxe ».

Le Grenelle de l'environnement a été conçu pendant la campagne présidentielle, selon une méthode nouvelle : la recherche d'un consensus fort. Notre ambition était non pas de modifier les choses à la marge, mais en profondeur, par un mouvement fondateur d'une nouvelle politique écologique. Plusieurs collèges avaient été constitués : les élus, l'État, mais aussi les employeurs et entreprises, les syndicats, les associations environnementales. Le Grenelle a été particulièrement fructueux en matière de fiscalité environnementale. J'avais déjà travaillé sur ce sujet au tout début des années 2000. À l'époque déjà, on s'accordait pour considérer que la structure de notre fiscalité était dépassée : elle conduisait à taxer plus lourdement le travail, que l'on voulait pourtant développer, et plus faiblement la pollution, qu'on voulait pourtant réduire.

Nous avons beaucoup de mal à faire évoluer cette structure fiscale. Certains pays, notamment scandinaves, y sont parvenus, toujours par le consensus. C'est pour introduire une démarche semblable en France que le Grenelle de l'environnement a réuni les différents acteurs, en les plaçant face à leurs responsabilités... et sous le regard des médias. L'administration elle-même était peu encline à évoluer. Bercy préfère toujours un taux faible sur une assiette très large, afin de pouvoir prélever le maximum de la manière la plus indolore possible. La fiscalité environnementale, qui vise à faire évoluer les comportements, suit une logique différente.

Le Grenelle de l'environnement a débouché sur le bonus-malus, la taxe carbone et l'éco-redevance, devenue écotaxe lorsqu'on a choisi d'utiliser son produit pour financer non seulement l'entretien des routes taxées, mais toutes les infrastructures de transport via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), donc le report modal. Je ne regrette pas cette évolution, parce que je crois légitime d'organiser un transfert permanent depuis les modes de transport les plus polluants vers les moins polluants, d'autant que certains d'entre eux, comme le ferroviaire, ne peuvent être financés que de cette manière.

L'écotaxe était l'une des mesures les plus populaires du Grenelle. Elle ralliait 85 % ou 90 % d'opinions favorables. La taxation des poids lourds apparaissait alors comme une évidence. On croyait fermement au développement des infrastructures alternatives, par exemple des tramways. Cet engouement était partagé par l'administration. L'écotaxe était une solution au problème alsacien, car la mise en place d'une écotaxe en Alsace était un engagement législatif vieux déjà de plusieurs années, que l'administration ne savait comment remplir. L'écotaxe réglait l'impasse budgétaire du financement de l'Afitf par des ressources pérennes. Le dispositif visait à la fois à taxer les externalités négatives du transport routier, à rentabiliser les routes non couvertes par le péage autoroutier, et à faire contribuer les poids lourds étrangers qui traversent la France sans rien payer des dégâts qu'ils occasionnent. Il s'agissait en somme d'atteindre deux cibles avec une seule flèche : faire payer la route à son vrai coût, y compris environnemental, et financer d'autres infrastructures.

L'engouement de l'administration était cependant modéré par une réserve de taille : tant le ministère des transports que celui des finances et des douanes se déclaraient incapables de concevoir, d'intégrer et de gérer le système. C'est ce qui a déterminé le choix du partenariat public-privé (PPP), beaucoup plus que la contrainte financière. Je n'ai pas participé à ce choix, pas plus qu'à la mise en place de la commission consultative chargée de trancher entre les partenaires potentiels.

À la fin du Grenelle, comme ministre de l'écologie, je n'avais plus à connaître de l'écotaxe, entièrement prise en charge par les départements du ministère consacrés aux transports. J'ai succédé à M. Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie trois ans plus tard, après le dialogue compétitif, le choix d'un PPP et la définition du réseau taxable. Restait à établir le classement entre les trois candidats restant en lice. La note conjointe de l'administration des douanes et de celle des transports proposant un classement des offres a été transmise à la commission consultative, qui l'a validée. Elle plaçait en tête le consortium Autostrade, en second le consortium Sanef et, en troisième position, le consortium mené par France Télécom.

Autostrade arrivait en tête selon les critères principaux, coût bien sûr mais aussi la place donnée aux PME, et performance. Il faisait jeu égal avec ses concurrents selon les autres critères. Certains interlocuteurs de votre commission d'enquête se sont étonnés de la rapidité de ce classement, validé par la commission consultative en décembre 2010 et signé par moi en janvier 2011. Mais à l'époque, nous étions critiqués pour aller trop lentement, car les recettes étaient attendues ! Le processus avait pris beaucoup de retard. La Sanef a en outre contesté le classement, ouvrant un contentieux qui s'est prolongé pendant six mois. Une fois qu'il a été purgé, la convention a été signée et l'opération lancée. Les premières rentrées financières étaient alors attendues pour la fin de 2012 ou le début de 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Une première question sur l'équilibre entre la carotte et le bâton. Vous l'avez dit, l'écotaxe avait un double objectif : rentrées fiscales et incitation au report modal. En attendant que les structures alternatives existent, comment conceviez-vous cette incitation ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Au moment du Grenelle de l'environnement, la réalisation d'un certain nombre d'infrastructures de report modal a été lancée, sans attendre le bénéfice de l'écotaxe : revivification de certaines infrastructures ferroviaires, lancement des autoroutes ferroviaires comme Bettembourg-Perpignan, rénovation du système des canaux et des ports, etc. La mise à niveau de nos infrastructures alternatives s'est faite en même temps que le lancement de l'écotaxe. Aujourd'hui, toute une partie du programme du Grenelle est arrêtée, faute de ressources pour l'Afitf.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Au moment de l'abandon de la taxe alsacienne, en avez-vous apprécié les conséquences ? Sa mise en oeuvre aurait représenté une expérimentation précieuse.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Oui, hélas, le système n'était pas prêt !

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Alors comment aurait-il pu l'être pour l'ensemble du territoire ? Pourquoi ne pas avoir retardé tout le dispositif, en attendant d'avoir conduit cette expérience à moindre échelle ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

L'administration, je l'ai dit, ne savait pas faire. Le projet d'écotaxe nationale était perçu comme une solution au problème alsacien.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

En tant que rapporteure spéciale de la commission des finances pour les transports terrestres, j'ai auditionné les transporteurs. Eux-mêmes déclaraient qu'il n'était pas possible d'instaurer un tel dispositif en Alsace seulement.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est plus tard que le choix a été fait de ne pas passer par l'étape préparatoire en Alsace.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je voulais souligner par là que cet abandon, comme celui de la facturation à blanc, a été préjudiciable à la mise en place du reste du dispositif.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est certain, d'autant plus qu'en Alsace, la taxe était demandée depuis des années, comme d'ailleurs dans d'autres régions de France. Je ne sais pas pourquoi elle y a été abandonnée. Peut-être les transporteurs ont-ils été à l'oeuvre...

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Cette opposition n'était pas apparue de mon temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Vous avez évoqué les réticences de l'administration, notamment celle des douanes. Il n'était pas question pour le pouvoir politique de l'époque de recruter des fonctionnaires. N'était-ce pas une erreur ? Le contrôle et le recouvrement de la taxe ont de ce fait été inclus dans le périmètre du PPP, et les nombreuses contraintes techniques imposées à Écomouv' ont rendu le système de plus en plus complexe, de plus en plus cher et difficile à déployer. Le choix du PPP plutôt que du recrutement de fonctionnaires a-t-il été bien pesé ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Ce n'était pas seulement une question d'effectifs. Les douanes considéraient qu'elles n'étaient pas en mesure de gérer ce système complexe, avec ses interfaces multiples.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le degré de complexité du travail dépend des relations contractuelles que l'on établit avec le partenaire privé.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Certes, mais les douanes avaient certaines exigences très élevées, notamment en matière de fiabilité du recouvrement. Après le traumatisme qu'avaient été les contentieux liés aux radars, elles tenaient à éviter les erreurs de facturation. Elles ne voulaient en aucune manière avoir à se charger du recouvrement, et exigeaient que le taux d'erreur soit très faible, non pour assurer un maximum de rentrées, comme on l'a dit, mais pour prévenir les contentieux.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Sur un dossier d'une telle importance, avez-vous le sentiment que les fonctionnaires et les ministres se sont suffisamment parlé ? Les exigences des douanes sur le taux d'erreur étaient effectivement très fortes, et assorties d'une obligation de résultat, un taux de recouvrement de 99,75 %. C'est la conjonction des deux qui a rendu le dispositif impossible à mettre en oeuvre, en tout cas dans les délais prévus. À qui appartenait-il de trancher sur un aspect aussi important : aux politiques ou aux administratifs ? Entre les politiques, comment s'est faite la répartition des compétences ? Les interfaces entre les ministres ont-elles bien fonctionné ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le processus de l'écotaxe a été interministériel depuis son origine. L'ensemble du programme avait été validé à Matignon et de nombreuses réunions se sont tenues avec le secrétaire général de l'Elysée. Sa mise en oeuvre a été intégralement interministérielle. J'ai travaillé avec la DGTIM sur la partie « Transports », tandis que la question du taux de recouvrement était gérée par Bercy. La coordination interministérielle s'est faite ensuite sous l'autorité du Premier ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

L'information vous est-elle parvenue directement, parliez-vous avec vos collègues ministres, ou seuls les cabinets se sont-ils concertés ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Je me suis tenue directement et personnellement informée de tout ce que j'ai signé.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Vous avez donc eu des échanges avec vos collègues ministres ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Sans doute ! Je me souviens d'avoir évoqué le sujet avec le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est-à-dire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On nous a dit que les ministres ne s'étaient pas rencontrés, et que la coordination ne s'était faite qu'au niveau des cabinets.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Il y a eu des réunions interministérielles entre directeurs généraux d'administration et entre membres des cabinets. J'ai, à titre personnel, évoqué ce sujet avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre. Quant à une réunion de ministres formelle, je n'en ai pas souvenir, mais il appartient au Premier ministre d'assurer l'interministériel.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Le sentiment que nous avons après les auditions, notamment celle de M. Thierry Mariani hier, est qu'il est bien difficile de déterminer qui faisait quoi. Sur un dossier si novateur, c'est dommage !

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Il faut vous procurer les bleus de Matignon, qui retracent ces réunions, tenues sous l'autorité du secrétaire général du gouvernement et des directeurs généraux. Je me rappelle très bien avoir évoqué cette question avec le directeur de cabinet du Premier ministre et avec le Premier ministre lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

N'avez-vous pas eu le sentiment que l'on a dérapé à un certain moment vers une taxe douanière ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Pouvez-vous préciser votre question ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Les douanes ont pris la main sur l'ensemble de la mise en oeuvre. Je trouve cela dommage pour la fiscalité écologique.

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

C'est l'ambigüité commune à ce genre de fiscalité environnementale. Il y a dans cette taxe une double dimension : la compensation demandée aux transporteurs routiers pour les externalités négatives de leurs activités, le prélèvement pour financer les infrastructures alternatives. Le niveau de la taxe et l'assiette reflètent un arbitrage. Le curseur a été placé à 3,5 tonnes ; la liste des routes taxables a été étendue à la demande des collectivités territoriales, qui avaient évidemment des objectifs financiers et invoquaient l'argument d'un probable report de charge. Certaines demandaient à bénéficier non seulement de l'écotaxe prélevée sur leurs routes départementales, mais aussi sur les routes nationales dans leur département.

Quant à la transformation de l'écotaxe en une taxe douanière, le recouvrement relevait bien des douanes, mais l'administration des transports a aussi joué un rôle important, notamment dans la définition de la base taxable, et dans la discussion qu'elle impliquait avec les collectivités territoriales. Chacun a eu sa place.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Résumons, quitte à forcer le trait : pour Bercy, un bon impôt doit avoir une assiette large et un taux faible tandis que, pour les défenseurs de la fiscalité environnementale, il doit avoir une assiette restreinte et un taux fort. Finalement, on a donné à la taxe poids lourds une assiette restreinte et un taux faible. Ce compromis vous parait-il avoir été le meilleur alors que l'objectif financier, fixé d'avance, était de faire rentrer un milliard d'euros ? Les douanes n'ont-elles pas été poussées de ce fait à imposer les contraintes que nous avons évoquées ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le taux justifié du point de vue environnemental et celui préconisé par Bercy n'étaient finalement pas si éloignés l'un de l'autre ; le débat a davantage porté sur la définition du réseau taxable. Notre base taxable, plus étroite qu'en Allemagne, est le résultat d'un compromis avec les collectivités territoriales. Nombre de conseils généraux ont écrit au ministère pour demander que davantage de leurs routes soient incluses. La Mairie de Paris a demandé que le périphérique soit taxé. Les arbitrages ont été rendus au terme d'une concertation placée sous l'égide du président de l'Assemblée des départements de France (ADF).

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

On s'accorde aujourd'hui pour considérer que la contestation violente de l'écotaxe en Bretagne a été largement provoquée par l'entrée en vigueur de cette taxe dans un moment de graves difficultés économiques et sociales dans la région. On s'accorde aussi pour considérer que le calendrier de mise en oeuvre était extrêmement important. Avez-vous, à un moment ou un autre, été personnellement avertie par Écomouv', ou par votre administration, que le calendrier ne pourrait être tenu ? Si oui, quand l'avez-vous été et par qui ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Lorsque je suis revenue au ministère en novembre 2010, du retard avait été pris durant le dialogue compétitif. La convention tripartite a cependant été signée à l'automne 2011, et les premières rentrées étaient attendues pour le début de 2013. L'administration n'avait pas chômé pendant le temps du recours en justice. Mais il est certain que tout délai représentait un risque, puisqu'il nous faisait perdre quelque chose de la dynamique du Grenelle. L'installation des portiques n'a provoqué, pendant les premiers dix-huit mois, aucune protestation. C'est avec le temps que s'est créé un problème, qui avait pourtant été déminé par une négociation avec les Bretons à l'époque de M. Jean-Louis Borloo, puis par une renégociation avec le Premier ministre lui-même.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Ma question ne porte pas sur les causes de ce retard ; j'aimerais savoir si vous avez été alertée à son sujet et, si oui, par qui et à quel moment ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

J'avais suivi l'avancement du processus, ne serait-ce que parce qu'il était important pour le financement de l'Afitf. J'ai été informée du nouveau calendrier à l'issue de la phase de dialogue compétitif.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

nouveau calendrier qui, de fait, n'a pas été tenu ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Mais qui était sur les rails quand j'ai quitté le ministère en novembre 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

En février 2011, vous avez pris la décision d'attribuer le contrat à la société Écomouv' sur la base du classement auquel avait abouti le dialogue compétitif. Avez-vous pris la précaution de faire effectuer une analyse complémentaire avant de valider le classement ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Nous savons quelles polémiques se sont élevées sur le principe même du PPP, sur la participation au consortium Autostrade de fonds italiens dont on laissait entendre qu'ils pouvaient être suspects, sur l'importance de la redevance... Autant de points noirs qui justifiaient la mise en place de la commission d'enquête parlementaire qui nous réunit aujourd'hui. Avez-vous eu vent de ces polémiques avant l'annonce par le Premier ministre de la suspension de la mise en oeuvre l'écotaxe ?

Vous avez souligné la contradiction qu'il pouvait y avoir entre l'impôt traditionnel, tenu à des critères de rentabilité et même de neutralité sur les comportements, et l'écofiscalité qui vise à modifier les comportements, quitte à entraîner une diminution des recettes escomptées. Quels critères ont présidé au choix par le gouvernement du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de celui de 12 tonnes adopté en Allemagne, alors même que l'objectif du Grenelle était de favoriser le report modal ? Vous paraît-il pertinent, dans la perspective d'une éventuelle refonte, de remonter ce seuil ? Le fait d'avoir accepté, dans un compromis avec les professionnels, la généralisation des 44 tonnes n'a-t-il pas le résultat inverse de favoriser le transport de transit par la voie routière plutôt que ferroviaire ou fluviale ? Enfin, je voudrais connaître votre avis sur l'idée de réserver l'écotaxe poids lourds aux véhicules étrangers au moyen d'une vignette qui ne serait imposée qu'à eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Plus j'écoute vos interventions, plus je deviens libéral.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Doligé

Je me rappelle les négociations pour les classements des routes : l'État avait alors déclassé les routes nationales pour les transférer aux départements. Toutes les routes nationales parallèles à une autoroute ont été ainsi déclassées : nous demandions bien sûr l'application de l'écotaxe sur ces routes-là.

Au sujet des retards, il serait intéressant de reprendre le texte de certaines auditions conduites à l'époque par la commission des finances. J'avais alors systématiquement interrogé le ministre des transports et le directeur des routes sur la date d'application de l'écotaxe, pour savoir quand nous pourrions l'inscrire dans nos budgets. À chaque fois, on nous annonçait un nouveau retard. Cela a duré jusqu'au début de 2012, mais nous espérions recevoir les premières recettes d'écotaxe dans le courant de 2012. Nous avons donc déjà un an et demi de retard, bientôt deux. Ce sont près de deux milliards d'euros de perdus.

J'en viens aux raisons pour lesquelles je deviens de plus en plus libéral : étant donnée cette succession de reports et de difficultés, ne vaudrait-il pas mieux favoriser des partenariats privé-privé ? Quant aux fonctionnaires, dont notre rapporteur évoquait le recrutement, sachez que si l'État en avait embauché 100 pour les affecter à la mise en oeuvre de l'écotaxe, il aurait fallu les payer chacun pendant quarante ans, plus vingt ans de retraite.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Voilà beaucoup de questions pour Mme la ministre. Permettez-moi d'en ajouter une : quelle a été votre appréciation sur la décision de la suspension de l'écotaxe, et quelles conséquences en tirez-vous ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Le classement, monsieur Teston, avait lui-même été établi au terme d'analyses très fouillées, associant toutes les expertises présentes dans l'administration. Ce classement a été transmis à la commission consultative, qui réunissait elle aussi différentes compétences, et qui l'a validé. Je ne vois pas quelle analyse complémentaire aurait pu être menée. J'ai donc naturellement validé ce classement, qui mettait en avant sans ambigüité l'un des candidats. Du reste, si j'avais choisi un autre ordre que celui retenu par la commission consultative, que n'aurait-on pas dit ! Vous me demandiez, monsieur Grosdidier, si nous avions eu vent des polémiques en amont. La réponse est non. L'écotaxe était l'une des propositions du Grenelle les plus plébiscitées. Tout le monde était d'accord sur l'idée de faire payer aux poids lourds les dommages faits aux routes, et de financer du même coup le report modal.

Le fait que le dialogue compétitif ait été remporté par un consortium italien a été l'un des motifs de la Sanef pour faire un recours. Outre que cet argument n'est pas recevable en droit européen, Autostrade était associé à plusieurs partenaires français, tandis que ses concurrents l'étaient à des étrangers : tous ces consortiums associaient en réalité des Français à d'autres Européens.

La question du coût du recouvrement, maintenant très critiqué, n'avait pas été mise en avant à l'époque. La polémique sur ce sujet est excessive : le consortium retenu était de loin le moins cher ; si d'ailleurs on rapporte ce coût aux véhicules par kilomètre, on constate qu'il est dans la moyenne européenne, alors que notre système est meilleur parce que conçu plus récemment, et surtout interopérable, comme le demande aujourd'hui l'Union européenne.

Rapporté au produit de la taxe, le coût du recouvrement est évidemment important. C'est, d'une part, parce que la base taxable est moins importante en France qu'elle ne l'est par exemple en A1lemagne ; d'autre part, parce que le montant de la taxe a été fixé à un niveau modeste, inférieur à ce qu'il pourrait être au regard des externalités environnementales. Le choix du seuil de 3,5 tonnes plutôt que de 12 tonnes a été fait avant mon arrivée au ministère. Je n'en connais pas les tenants et les aboutissants. La généralisation des 44 tonnes n'est pas à mon avis une bonne chose pour l'environnement. C'est là un arbitrage que j'ai perdu.

Quant à l'idée de réserver la taxe aux véhicules étrangers, c'est une tentation évidente, puisqu'ils ne payent pas la TIPP, et ne sont pas astreints aux mêmes normes sociales que nous. Mais le droit européen n'autorise pas une telle différence de traitement. Le recours à une vignette ne constituerait pas, de toute façon, une incitation environnementale efficace.

Un retard important a été pris au moment du dialogue compétitif, tenant au besoin d'affiner les conditions de mise en oeuvre. Le calendrier établi ensuite n'a guère été modifié pendant la période où j'étais au ministère. Il est vrai que le temps administratif fait que certains projets arrivent à échéance alors que le souffle initial s'est épuisé. Ce décalage a été particulièrement pénalisant pour l'écotaxe.

J'en viens à la question de Mme la présidente sur la décision de suspension. Je reste persuadée que l'écotaxe est une bonne chose, pour des raisons environnementales comme pour des raisons financières. Où prendra-t-on l'argent nécessaire pour refaire les routes et pour développer les modes de transports alternatifs ? Il faudra un milliard d'euros par an. S'il ne vient pas de l'écotaxe, ce sera de la poche des contribuables. Mais pour que la taxe soit bien comprise, il fallait mettre en face des nouvelles recettes fiscales de nouveaux investissements : ceux du plan de relance, des investissements d'avenir, et ceux du Grenelle lui-même en matière d'infrastructures.

La polémique actuelle pose un problème de crédibilité des acteurs dans la durée : crédibilité de l'État, qui s'était engagé dans ce dispositif ; crédibilité des élus qui, tous participants au Grenelle de l'environnement, avaient voté quasi-unanimement la loi Grenelle I, et qui en Alsace demandaient la taxe. J'ai été navrée, à l'automne dernier, de voir l'attitude de certains d'entre eux : ils n'étaient plus au courant de rien. C'est enfin un problème de crédibilité des acteurs économiques, parce que certains de ceux qui protestent aujourd'hui étaient assis autour de la table du Grenelle de l'environnement et avaient négocié les conditions de la mise en oeuvre de l'écotaxe. C'est le cas des transporteurs bretons. On constate, depuis des années, un processus de concentration des transporteurs routiers, qui met en péril la survie des petites structures, mais qui n'est pas lié à l'écotaxe. Celle-ci a servi de bouc émissaire dans les difficultés économiques que traverse la Bretagne. Tous y trouvaient leur compte, les responsables de la concentration des transports routiers comme ceux de l'industrie agro-alimentaire, engagée dans un processus massif de délocalisation vers l'Est.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Pensez-vous que l'on a suffisamment pris en compte les rapports de force entre les transporteurs et les distributeurs ?

Debut de section - Permalien
Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne secrétaire d'État chargée de l'écologie

Je me suis posé la question mais je ne sais vous répondre. Fallait-il une répercussion en pied de facture ? J'ai un doute mais je ne puis trancher.