Intervention de Charles Guené

Mission commune d'information sur la taxe professionnelle — Réunion du 26 juin 2012 : 1ère réunion
Examen du rapport

Photo de Charles GuenéCharles Guené, rapporteur :

Je m'associe aux compliments de notre présidente et remercie chacun d'entre vous pour son implication et sa participation à nos travaux.

Malgré la jeunesse de la réforme, notre mission a dégagé un certain nombre de conclusions, qui mettent en évidence points positifs et faiblesses, lesquelles font l'objet de vingt-cinq propositions.

Quelles conséquences la réforme a-t-elle eues sur les entreprises, principal acteur concerné par l'entrée en vigueur de la nouvelle contribution économique territoriale (CET) ? Elle a d'abord eu pour effet un allègement des charges de leur fiscalité globale évalué entre 7,5 milliards, selon le ministère de l'économie, et 8,2 milliards, selon le ministère de l'industrie. Cette économie représente la différence entre la charge que les entreprises auraient dû supporter avec la TP et la CET effectivement acquittée. Environ 60 % des entreprises, soit quelque 2 millions d'entre elles, sont gagnantes. En revanche, environ 20 %, soit 845 000 entreprises, sont perdantes, tandis que la contribution des 20 % restantes demeure stable.

Comme cela était attendu, le secteur industriel est le principal bénéficiaire de la réforme, avec un allègement fiscal de 2,2 milliards par an. En revanche, les entreprises de prestation de services ont, dans leur grande majorité, vu leur contribution économique augmenter, dans des proportions parfois importantes. La hausse moyenne de la charge fiscale est évaluée à 20 % pour les banques et à 10 % pour les sociétés d'assurance. Toutefois, certains secteurs ont vu leur contribution économique exploser - plus 700 % pour l'intérim. En dépit des difficultés rencontrées par certains secteurs, la mise en place de dispositifs spécifiques, comme l'allongement de la mise en oeuvre de la réforme, ne me semble pas devoir être privilégiée, sauf à retomber dans les travers de la TP, rendue illisible et complexe par la multiplication de dispositifs dérogatoires.

En outre, pour apprécier l'importance de la variation de la charge fiscale, il importe de disposer de données sur les taux d'imposition moyens de la valeur ajoutée par secteur d'activités, que l'administration fiscale ne nous a pas transmises, malgré nos demandes répétées.

Cette appréciation optimiste mérite toutefois d'être tempérée, car la diminution de la fiscalité économique des entreprises a été contrebalancée par une hausse simultanée d'autres fiscalités pesant sur elles. Nous avons relevé quatre facteurs concourant à la hausse de la fiscalité des entreprises en dehors de la réforme : la création, il est vrai attendue, des IFER (impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux), tout d'abord - c'est d'ailleurs pourquoi je ne suis pas favorable à la création de nouvelles IFER sauf si l'on constatait dans quelques années un effet d'aubaine élevé dans certains secteurs économiques ; la hausse des impôts sur le revenu et des sociétés, ensuite, en raison de la différence entre l'assiette de la CET et celle de la TP - notons, à cet égard, que ne plus l'intégrer dans les frais généraux des entreprises amoindrirait les effets de la réforme ; la création, enfin, de nouvelles taxes ou redevances qui ont pesé sur certains secteurs économiques, tels que l'industrie pharmaceutique, ou pour les entreprises d'Île-de-France dans le cadre du Grand Paris.

Des difficultés techniques ont accompagné la réforme et alourdi les charges des entreprises. Il en est ainsi de la déclaration des effectifs sur laquelle repose la répartition du produit de la CVAE entre les collectivités. Pourquoi l'administration fiscale ne retient-elle pas le système des DADS (déclarations annuelles des données sociales) ? Nous proposerons d'en revenir à cette source.

Notre mission s'est également interrogée sur les questions liées au ciblage de la CET sur les seules entreprises délocalisables. Selon les données qui nous ont été fournies, elles en ont bénéficié... ainsi que certains secteurs non délocalisables, tels que le BTP. La réflexion en ce domaine mérite d'être poursuivie.

L'un des objectifs de la réforme, enfin, était de prendre en compte la taille des entreprises. Les principales bénéficiaires sont les PME et les TPE, en raison notamment de la progressivité du taux effectif de CVAE et de l'abattement de cotisation due à hauteur de 1 000 euros pour les entreprises réalisant moins de 2 millions de chiffre d'affaires. Je suis très attaché à ces mesures qui ne doivent pas être remises en cause par souci de rendement.

En revanche, notre mission se doit d'alerter le Gouvernement sur les conséquences des règles relatives à la cotisation minimale de CFE, mal comprises des collectivités territoriales. Certaines en ont fait application sans être en mesure d'en évaluer les conséquences, on l'a vu notamment à Toulouse. L'Etat devrait expliciter les différentes options par voie de circulaire, fournir les éléments statistiques nécessaires à l'évaluation des conséquences de leurs décisions et aller vers plus de souplesse.

Enfin, sur la question des auto-entrepreneurs, une sortie en sifflet du dispositif dérogatoire pour entrer dans le droit commun me paraît indispensable.

On manque de moyens de suivi de cette réforme encore jeune. Son impact économique sur les entreprises reste donc difficile à évaluer. Si la fiscalité économique est souvent réputée peser sur l'attractivité de notre pays, nous avons constaté, au cours de nos déplacements, notamment à Dunkerque, que la réforme de la TP ne constituait pas une préoccupation centrale des entreprises et que d'autres enjeux plus importants influent sur leur dynamisme, leur compétitivité ou leurs décisions d'investissement.

La forte contrainte qui pèse sur les finances publiques nous a naturellement conduits à nous interroger sur le coût de la réforme pour l'Etat, et la manière dont il a été évalué en amont. En rythme de croisière, il est aujourd'hui estimé à 4,5 milliards. Il est globalement conforme aux prévisions initiales, une fois mis à part l'impact de la décision du Conseil constitutionnel intervenue au lendemain de son adoption. La censure du régime de taxation spécifique des titulaires de bénéfices non commerciaux de moins de cinq salariés a entraîné une perte de recettes supplémentaire pour l'Etat aujourd'hui estimée entre 830 et 840 millions. A l'époque, le Gouvernement avait pris acte de cette décision, sans proposer de mesure alternative. Cette position ne me paraît pas pertinente : dans le cadre budgétaire qui est le nôtre, et dès lors que les capacités contributives de ces contribuables sont différentes, nous ne pouvons faire l'impasse sur une telle rentrée de recettes. A notre sens, les possibilités de taxation différenciée des titulaires de bénéfices non commerciaux doivent être réexaminées, dans le respect de la décision du Conseil constitutionnel.

Le coût de la réforme pour l'année 2010 a, en revanche, été revu à la baisse de manière significative, passant de 11,7 milliards en prévision initiale, à 7,8 milliards selon les dernières estimations. Ce décalage a fait l'objet d'une attention particulière de la Cour des comptes. Or, malgré une enquête approfondie menée à ce sujet en 2011 et au début de l'année 2012, la Cour n'a pas su apporter d'explication satisfaisante, du fait du manque de lisibilité du compte d'avances aux collectivités territoriales. Il convient donc d'appuyer sa demande d'une meilleure traçabilité des opérations de ce compte.

De manière générale, les analyses réalisées par la Cour des comptes, de même que les contacts que nous avons pu avoir avec les différents ministères, laissent à penser que le suivi de la réforme par les administrations concernées est perfectible. Or, il conditionne l'évaluation d'une réforme dont le coût n'est pas anecdotique. Pourtant, grandes furent nos difficultés à obtenir des données chiffrées cohérentes, permettant d'en mesurer précisément les impacts. Situation regrettable. J'estime donc nécessaire de formaliser l'obligation pour l'administration de fournir au Parlement une évaluation claire et validée par la Cour des comptes du coût de la réforme, ainsi qu'une série d'indicateurs précis pour en évaluer les effets, que ce soit au niveau des entreprises, de l'Etat ou des collectivités.

Pour important qu'il soit, il me semble toutefois indispensable de mettre en perspective le coût de la réforme. Il est de fait comparable à celui de réformes fiscales visant le même objectif, telle que la suppression de la part salaires de la taxe professionnelle, estimée entre 3 et 4 milliards par an.

Ensuite, la réforme ne se résume pas, pour l'Etat, à un impact budgétaire : elle a été l'occasion d'une clarification de ses relations financières avec les collectivités, qui a considérablement renforcé la lisibilité de l'imposition économique locale. Elle s'est en effet traduite par une réduction significative de la part des remboursements et dégrèvements pris en charge par l'Etat au titre de l'impôt économique local : de 2009 à 2012, celle-ci devrait passer de 13,5 à 5,6 milliards, soit une diminution de près de 60 %. Les recettes que perçoit l'Etat au titre de l'impôt économique local ont également été réduites : la cotisation nationale de péréquation et la cotisation minimale de taxe professionnelle, accusées de perturber le lien fiscal entre les collectivités et les entreprises, ont été supprimées. En outre, les frais de gestion perçus par l'Etat au titre du recouvrement des impôts locaux ont été ramenés de 8 % à 3 %. Il me semble primordial, et c'est le sens de deux des vingt-cinq propositions, que cette clarification des relations financières entre l'Etat, les collectivités et les contribuables, se poursuive, notamment par une réévaluation régulière et complète des frais de gestion perçus par l'Etat au titre des impositions directes locales.

Nous nous sommes particulièrement attachés aux conséquences de la réforme pour les collectivités territoriales. Conçue pour les entreprises, elle n'en a pas moins modifié en profondeur les finances locales, laissant les collectivités dans l'incertitude quant à leurs ressources fiscales et budgétaires.

D'un montant de 30,3 milliards en 2009, la TP, principal impôt direct local, représentait près de 18 % des recettes de fonctionnement des collectivités territoriales. Son remplacement par la CET s'est accompagné de plusieurs autres modifications de la fiscalité locale : une plus grande spécialisation, tout d'abord, la cotisation foncière des entreprises, la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés non bâties étant réservées au bloc communal ; une perte d'autonomie fiscale pour les collectivités territoriales, ensuite, puisque le taux de CVAE est fixé au niveau national ; un renforcement, enfin, des outils de péréquation, avec la création de plusieurs nouveaux instruments, qui constituent à mes yeux le second pilier de la réforme.

Moins d'un an après l'annonce du président de la République, la taxe professionnelle avait disparu, non sans que le Parlement eût réécrit profondément le projet de loi initial. Cette rapidité conjuguée à l'ampleur de la réforme n'ont pas permis à l'Etat de produire des simulations fiables sur les conséquences effectives pour les collectivités, d'autant que les lois de finances suivantes ont continué d'apporter des ajustements. Enfin, nous n'avons pu que constater, au cours de nos auditions, que la mise en oeuvre de la réforme avait révélé de nombreuses conséquences qui n'avaient pu être initialement appréhendées.

Premier sujet d'importance, le mode de compensation des pertes de recettes subies par les collectivités territoriales. Comme l'ont souligné plusieurs de ceux que nous avons entendus, certains mécanismes ont pu conduire les collectivités à subir, malgré le dispositif de compensation à l'euro près, des pertes de recettes entre les exercices 2010 et 2011. La compensation ne prenant en compte que le panier des ressources fiscales modifiées par la réforme de la taxe professionnelle, aucun dispositif n'empêche donc les collectivités de subir les effets de la baisse d'une ressource non comprise dans ce panier. Ensuite, la compensation est fondée sur la comparaison des ressources avant et après réforme, mais celles-ci sont toujours prises en compte au titre de l'année 2010. Par conséquent, le dispositif ne compense par les diminutions des nouvelles impositions entre les années 2010 et 2011.

A plus long terme, le caractère figé des dotations de compensation de la réforme accentuera les inégalités territoriales. En effet, les collectivités qui y ont gagné bénéficieront intégralement de la croissance du produit fiscal sur leur territoire : le montant du FNGIR (Fonds national de garantie individuelle de ressources) qu'elles reversent ne sera pas modifié. A l'inverse, si les collectivités perdantes sont bien compensées en 2011, elles ne profiteront plus de la croissance de leurs ressources que sur la part qui n'est pas constituée par la DCRTP (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) et le FNGIR. Ce renforcement des inégalités sera d'autant plus marqué que, d'après nos premières informations, la CVAE est beaucoup plus concentrée sur le territoire national que ne l'était la TP : un tiers de la CVAE nationale se situe en Ile-de-France alors que seuls 13,3 % de la TP s'y trouvaient.

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