Intervention de Bernard Jomier

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 10 février 2022 à 10h30
« le variant omicron et après ? » — Audition du pr. éric caumes infectiologue à l'hôpital de l'hôtel-dieu à paris de Mme Vittoria Colizza épidémiologiste directrice de recherche à l'institut pierre louis d'épidémiologie et de santé publique inserm

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Nous nous réunissons ce matin - plusieurs de nos collègues et l'un des deux rapporteurs, M. Jean-Michel Arnaud, participerons à nos travaux en visioconférence - dans le cadre de la mission commune d'information sur la crise du covid-19. Il nous a semblé utile de faire le point avec plusieurs experts sur les perspectives d'évolution de l'épidémie à moyen et à long terme, afin que nous puissions avoir à l'esprit ses éventuelles implications en France dans les mois à venir.

Notre pays subit encore la vague Omicron. Les services d'hospitalisation sont toujours très chargés du fait de la cinquième vague. Depuis plusieurs semaines, les services de réanimation sont occupés à 70 % par des patients covid. En outre, des déprogrammations continuent à avoir des répercussions sur la chaîne de soins. Cela étant, il semble que le pic de l'épidémie soit en forte décroissance. À quoi faut-il s'attendre pour les mois à venir ? Pouvons-nous désormais espérer entrevoir, si ce n'est la sortie de crise, tout au moins une période d'accalmie ? Ou, au contraire, le risque d'un ralentissement du reflux ou de l'apparition de nouveaux variants est-il encore élevé ? Dans quelle mesure le niveau actuel de couverture vaccinale et l'immunité qui découle du haut niveau de contaminations des dernières semaines nous mettent-ils à l'abri ? Quels enseignements pouvons-nous tirer pour l'avenir des crises sanitaires passées et des modèles actuellement en cours d'élaboration ?

Pour nous éclairer sur ces différents enjeux, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin trois personnalités qui ont des points de vue différents du fait de leurs pratiques professionnelles : le Professeur Éric Caumes, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris ; Mme Vittoria Colizza, épidémiologiste, directrice de recherche à l'institut Pierre-Louis d'épidémiologie et de santé publique, qui dépend de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de la Sorbonne-Université ; et le Professeur Bruno Lina - également en visioconférence -, virologue, chef de service à l'Institut des agents infectieux du Centre hospitalier universitaire de Lyon, et membre du Conseil scientifique.

Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et de nous faire partager le fruit de vos réflexions. Je vous cède à chacun la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, avant que les rapporteurs et nos collègues vous posent leurs nombreuses questions. En notre qualité de responsables politiques, nous avons en effet beaucoup d'interrogations sur la suite de cette épidémie et les mesures à prendre pour protéger nos concitoyens.

Je vous précise enfin que notre réunion fait l'objet d'une captation vidéo et est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Pr. Éric Caumes, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris. - Merci de la confiance que vous me témoignez en faisant appel à mon expertise. Je me présente en toute modestie, sachant que le professeur Bruno Lina est en France le plus grand expert concernant les virus respiratoires et les coronavirus. Comme je ne vois pas dans une boule de cristal, ma boussole est historique depuis le début de l'épidémie. Et je suis très étonné qu'elle ait ainsi été négligée par les politiques et les scientifiques. En réalité, l'histoire n'intéresse plus personne. C'est malheureusement un fait en médecine depuis dix ou vingt ans. Les médecins que nous formons sont de bons scientifiques, compétents en mathématiques, physique et chimie - certains seront prix Nobel -, mais ils n'ont plus la fibre humaniste, historique, hippocratique. En 1890, s'était déjà produite une pandémie de coronavirus appelée « la grippe russe ». Celle-ci était très certainement due au coronavirus OC43. Nous vivons de façon endémique en toute harmonie avec quatre coronavirus. Ceux-ci sont apparus voilà très longtemps, comme le montre l'horloge moléculaire - je ne parle pas du MERS, cantonné à la péninsule arabique, ou du SRAS, qui a disparu.

Le coronavirus OC43, quant à lui, est arrivé bien plus tard et a été décrit par les médecins comme différent de la grippe. La première vague épidémique est arrivée en décembre 1889 et en janvier 1890, faisant 500 morts par jour à Paris. Plusieurs vagues épidémiques se sont alors succédé, aussi bien l'hiver que l'été. Puis, elles sont devenues de plus en plus espacées et de moins en moins hautes, aboutissant à une immunité collective. Aujourd'hui, le coronavirus OC43 est partout. Il y a encore un an, un adulte de 40 ans l'ayant attrapé s'est retrouvé en réanimation. Mais comme ce virus circule largement dans les écoles, il est généralement moins virulent à l'âge adulte. Et en principe, les infections virales sont moins graves chez l'enfant que chez l'adulte. C'est le cas de la rougeole et d'autres maladies infantiles. Aux États-Unis, certains parents avaient organisé il y a une vingtaine d'années des varicelle parties afin que leurs enfants soient contaminés durant leur enfance.

Autre principe général sur les maladies infectieuses : quand un virus mute, ce qu'il gagne en transmissibilité, il le perd en pathogénicité comme on le voit pour Omicron. La population française est en train de s'immuniser.

En résumé, ce sont l'histoire et les connaissances que j'ai acquises en tant qu'infectiologue qui me guident. Je ne suis pas orienté sur une maladie particulière, telle que le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou autre. Je revendique à cet égard une vision très large de ma spécialité. Cette pandémie de la fin du XIXe a duré de trois à cinq ans, d'où mes prévisions à moyen et à long terme pour le covid, qui devrait aller en s'atténuant, avec quelques résurgences hivernales comme les quatre autres coronavirus. Je n'adhère pas aux scénarios catastrophes à ce sujet.

Merci beaucoup de votre propos introductif. Je vous propose de poursuivre sur les agents infectieux avant de passer à l'épidémiologie.

Pr. Bruno Lina, virologue, chef de service à l'Institut des agents infectieux du Centre hospitalier universitaire de Lyon et membre du Conseil scientifique Covid-19. - Je vous donnerai une analyse et des perspectives sur l'évolution du virus, selon une focale très virologique à la lumière des propos d'Éric Caumes. Ce coronavirus doit sa dénomination à son aspect « en couronne » si on le regarde au microscope. Ses spicules sont peu nombreux à la surface du virus, mais extrêmement performants pour entrer dans les cellules. L'épidémie présente quatre phases évolutives successives.

La première phase est l'émergence, c'est-à-dire la transmission du virus à partir d'un réservoir animal. Elle peut être située au mois de novembre ou de décembre 2019. Des séquences des virus chez les premiers patients ont montré une homologie très forte avec des virus de chauve-souris. Cette transmission s'effectue en général par un autre animal intermédiaire. Ce n'est pas le pangolin, mais cette notion est importante, car le virus ne peut passer directement à l'homme. Un adaptateur est indispensable, qui existe dans la faune.

La deuxième phase juste après l'émergence est la diffusion, qui date de février-mars 2020. Elle résulte d'une évolution du virus dans une région particulière. La protéine de spicule a permis au virus de s'attacher au récepteur cellulaire ACE2. La forme de la molécule spicule a changé à partir de la fin du mois de février ou au début du mois de mars, tout simplement du fait d'une mutation survenue dans cette protéine. Cela a favorisé la capacité d'attachement de l'ensemble des molécules présentes à la surface du virus, devenues plus infectieuses. Cette plus grande infectiosité s'est doublée d'un gain potentiel de transmissibilité. Le génogroupe G est ainsi devenu majoritaire.

La troisième phase d'évolution a été observée à l'échelle planétaire, de façon presque concomitante en Europe, en Afrique et en Amérique du Sud. Elle a correspondu à une convergence des virus, qui ont gagné du fitness. Ce terme recouvre une capacité de transmission et d'infection. Les virus ont effectivement amélioré leurs habiletés en la matière, avec trois premiers variants - Alpha, Bêta, Gamma -, puis un quatrième - Delta. Ces variants sont passés par les mêmes processus évolutifs, en changeant quelques éléments de composition de cette protéine de spicule. Il s'est ensuivi une meilleure qualité de l'attachement du virus à son récepteur.

La quatrième phase est l'apparition du variant Omicron, dont l'évolution est différente. Elle résulte probablement de la nécessité d'un échappement immunitaire. Cette version est extrêmement transmissible ; elle a acquis ce potentiel de transmission en faisant en partie la même chose qu'Alpha, Bêta, Gamma et Delta, mais aussi en installant un système d'échappement immunitaire. On peut le représenter sur une cartographie antigénique : on voit le virus initial, et les premiers variants qui ont émergé à partir de celui-ci, évoluant sur le mode génétique et d'échappement immunitaire. Ce dernier est au départ marginal compte tenu de la faible pression immunitaire liée au grand nombre de personnes non infectées. Peu à peu, ces virus ont développé cet échappement immunitaire. Omicron est ainsi positionné très à distance des virus situés dans les cercles concentriques initiaux. On voit alors le remplacement massif d'un virus qui combine l'augmentation du potentiel de transmissibilité du fait de mutations intrinsèques à un échappement immunitaire. Cela signifie que, même s'il ne donne pas des formes graves, ce virus échappe à certains anticorps. Cela entraîne un mécanisme de remplacement extrêmement rapide, augmentant très fortement son niveau de circulation. Omicron a ainsi chassé les autres virus en s'éloignant de l'immunité qui avait commencé à s'installer. Faire disparaître tout ce qui est à l'intérieur des premiers cercles est le principe de l'évolution moléculaire des virus.

Imaginons un arbre généalogique des virus initiaux, dont la racine se trouve en Chine. Progressivement, sont apparus les virus du groupe G, dont tous les virus actuels sont des descendants. À l'intérieur de ce groupe, trois événements sont survenus précocement, à savoir l'émergence d'Alpha, Bêta et Gamma, puis de Delta. Enfin, les racines d'émergence de l'ensemble de ces virus reviennent toutes sur la base. Il en va de même pour Omicron, très proche des virus apparus au tout début de l'épidémie. Toutefois, il a généré une descendance, le BA.2, qui, pour la première fois, n'apparaît pas au niveau de la racine du groupe des virus ayant déjà circulé. Le fait que le virus Omicron ait échappé à la pression immunitaire préexistante permet d'imaginer la possibilité de générer une descendance.

Si l'on replace ces données dans la logique d'évolution d'un virus émergent, on voit bien que des mutations interviennent, selon le calendrier, en fonction du fitness. Cet effet s'amenuise ensuite pour céder la place à la pression immunitaire. Supposons que la vaccination a entraîné une immunisation collective beaucoup plus rapidement que par le biais des infections naturelles. Cette logique évolutive provoquerait alors sur l'évolution des différentes étapes du virus SARS-CoV2 un impact tel qu'il pourrait devenir un virus banal aux infections de moins en moins importantes. Un échappement est possible au niveau de l'immunité humorale, mais beaucoup moins pour l'immunité cellulaire, laquelle protège contre tous les virus en circulation.

Aujourd'hui, il est probable à court terme que l'on se trouve dans une logique d'évolution par dérive moléculaire et antigénique depuis le BA.1. En particulier, le BA.2 appartient au groupe génétique de l'Omicron initial. Néanmoins, nous restons plutôt dans une logique de coévolution, à la fois de dérive antigénique et moléculaire et d'une capacité importante de fitness susceptible de conférer une meilleure transmissibilité ou d'autres mutations avantageuses à des descendants d'Omicron. C'est l'hypothèse la plus favorable, mais ces virus nous ont déjà pris par surprise de nombreuses fois. Et cela ne cessera pas. Ce virus peut recombiner, c'est-à-dire mélanger des gènes du Sars-CoV2 avec d'autres coronavirus humains, comme OC43. Cela pourrait conférer un changement de tropisme, de capacité de transmission et de pathogenèse. D'où l'importance de la surveillance moléculaire d'un séquençage.

Autre hypothèse : la capacité de rétrozoonose. Ce virus, sorti du réservoir animal, est rentré chez l'homme, mais ce dernier peut infecter des animaux d'élevage. De tels exemples ont été constatés dans des élevages de hamsters, de visons, chez des cervidés, des animaux de zoo et de compagnie. Dans ce cas, le virus reprend une capacité évolutive de gain de fitness et de pression immunitaire, enclenchant un nouveau processus susceptible d'être dangereux. Soyons extrêmement vigilants, car un virus modifié pourra ressembler à celui d'une nouvelle racine, à l'instar de ce qui a émergé de la chauve-souris en 2019.

Merci beaucoup de toutes ces explications passionnantes. Je passe la parole à Vittoria Colizza, que le Sénat a déjà sollicitée récemment sur le passe vaccinal.

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