Intervention de Dominique de Villepin

Commission d'enquête Concessions autoroutières — Réunion du 9 juillet 2020 à 14h00
Audition de M. Dominique de Villepin premier ministre de 2005 à 2007

Dominique de Villepin, Premier ministre de 2005 à 2007 :

Le prix minimum qui avait été fixé par la Commission des participations et des transferts était de 47 euros et nous en avons obtenu 51 euros. Nous sommes donc dans les clous. On ne peut pas faire n'importe quoi. Ces procédures ont leurs règles, lesquelles ont été entièrement respectées. Un certain nombre d'idées reçues pèsent d'ailleurs lourdement sur ces questions. Je pense en particulier au prix. En 2008-2009, la Cour des comptes nous a reproché de ne pas avoir mis suffisamment de conseils autour de la table car nous aurions eu un seul banquier. En fait, nous avions deux banquiers, Goldman Sachs et BNP Paribas.

On nous a reproché un prix trop bas. J'ai entendu devant votre commission le plaidoyer fait par Gilles Carrez, qui estimait qu'il aurait fallu faire travailler le Commissariat au Plan, lequel aurait défendu un prix très supérieur à celui qui a été obtenu. Il faut se rappeler ce que dit le Conseil d'État dans sa décision du 27 septembre 2006, par laquelle il a rejeté le moyen lancé par François Bayrou et deux associations de défense des usagers, qui soutenaient que la valeur minimale de cession avait été sous-évaluée par la Commission des participations et des transferts, notamment du fait d'un taux d'actualisation supérieur à celui préconisé par le Commissariat général du Plan. Le Conseil d'État a démontré qu'augmenté pour prendre en compte l'inflation et la légitime prise de risque, le taux d'actualisation suggéré par le Plan aurait en réalité conduit à une valeur des titres inférieure à celle évaluée par la Commission des participations et des transferts. Le Conseil d'État a par ailleurs souligné que la valorisation retenue était supérieure, tant aux cours de bourse constatés sur les mois ayant précédé le transfert qu'aux estimations effectuées par les experts. Les deux sources majeures de polémique, sur ce dossier, dans les années qui ont suivi 2005-2006, concernant le prix (qui aurait été trop faible) et un taux d'actualisation (qui aurait été trop élevé) ne correspondent donc pas à la réalité. Partant de là, l'opinion publique ne comprend pas et a le sentiment qu'on a bradé les intérêts de l'État. Cela n'a pas été le cas.

La Cour des comptes revient aussi sur l'idée selon laquelle nous aurions obtenu un meilleur prix si nous avions au préalable désendetté les sociétés (dont l'endettement était compris entre 18 et 20 milliards d'euros). Ce n'était ni possible ni souhaitable : il aurait alors fallu injecter plus de fonds publics, pour quel bénéfice ? Les actionnaires privés ont fait le contraire en augmentant le levier financier des sociétés et donc leur endettement. Il existe ainsi un certain nombre d'idées reçues, de serpents de mer, sur ces dossiers, qui méritent d'être corrigés.

Quant à l'avenir, la première règle qui me paraît importante est la nécessité, pour l'État, de renforcer sa capacité de régulation économique des monopoles naturels. Je souscris pleinement aux propos que vient de tenir Ségolène Royal devant votre commission : il n'y a pas de fatalité. La question ne se posait pas du tout, en 2006-2008, depuis les termes qui doivent être considérés aujourd'hui, à la lumière du paquet vert de 2010 et du plan de relance autoroutier de 2015, corrigé par le plan d'investissement de 2018. Les choses se présentent aujourd'hui différemment.

Dans les années qui ont suivi la privatisation des sociétés autoroutières, l'État disposait de tous les moyens pour se faire respecter. Les propos de Jean-Louis Borloo que j'ai cités figurent dans le rapport de la Cour des comptes et montrent bien que nous avons la capacité administrative - pourvu que nous ayons aussi la volonté politique. Ségolène Royal a eu raison de dire que malheureusement, trop souvent, dans ces années-là, la volonté politique a pu faire défaut. Néanmoins, face à trois sociétés concessionnaires, vous ne m'expliquerez pas que l'État n'est pas capable d'assurer sa fonction de régulateur, alors qu'il serait un formidable mainteneur. Vous ne m'expliquerez pas davantage que remettant ces sociétés dans le giron public, tous les problèmes disparaîtraient. C'est absurde. Si l'État n'est pas capable d'être un bon régulateur, il ne sera pas un bon mainteneur. Il faut donc remettre les pendules à l'heure.

Pour autant, le sujet des autoroutes, en France, est bien plus que le sujet des autoroutes : il a une valeur symbolique et politique. Trop souvent, il a été traité au sein du ministère sous le seul angle technique. Il existe un rapport de forces avec les sociétés d'autoroutes. Ceci existe dans tous les grands secteurs de l'État. Lorsque celui-ci discute avec les constructeurs automobiles ou aéronautiques, les arbitrages ne sont pas pris dans les ministères techniques. Il n'y a pas de raison pour que, s'agissant des autoroutes, la sous-direction chargée du réseau se retrouve en première ligne dans la négociation. Cela me paraît un aspect important et un élément à corriger dans la loi.

Par ailleurs, la Cour des comptes, le Conseil de la concurrence et l'Autorité de régulation des transports (ART) ont éclairé un certain nombre de voies importantes de renforcement de la fonction de régulation. J'en retiendrai trois idées.

La première a trait au haut niveau de compétence et de professionnalisme requis. Beaucoup de ceux qui se sont présentés devant la commission l'ont rappelé : il faut une compétence technique et une compétence juridique. Gilles de Robien a eu raison de le dire. Il faut être à armes égales en termes de capacités, face aux sociétés d'autoroutes.

Il y a aussi une exigence de transparence. Elle n'a pas toujours existé au fil des années. Elle me paraît essentielle, notamment sur l'information des autorités publiques et la motivation des décisions. Dans le mandat qu'avait Dominique Perben en 2005-2006 pour renforcer les atouts de l'État dans les cahiers des charges, il y avait cette exigence de transparence et d'information, avec des clauses extrêmement exigeantes qui n'ont malheureusement pas été appliquées au cours des années suivantes.

Une troisième nécessité est une pratique rigoureuse dans la gestion des contrats et de leurs avenants, en particulier en ce qui concerne les allongements de la durée ds concessions. Nous ne parlons pas de la même chose suivant que l'on se place du point de vue de 2006 ou d'aujourd'hui car les durées ne sont pas du tout les mêmes. On a beaucoup cédé à travers l'allongement des concessions et malheureusement ces allongements ne sont pas soumis à une mise en concurrence, alors que celle-ci est souvent nécessaire à la protection des intérêts de l'État. L'ART a utilement mis en oeuvre un principe de rigueur dans la définition des investissements et de leurs modalités de prise en compte dans les avenants autoroutiers issus du plan de relance 2015.

Trop souvent, toutefois, parce que l'État n'est pas capable de trouver l'argent nécessaire, il achète en quelque sorte par du temps les travaux à réaliser, sans toujours vérifier (Ségolène Royal l'a redit) que ces travaux ne sont pas déjà prévus dans son cahier des charges. De ce point de vue, l'État régulateur s'est montré faible et cet allongement de la durée des concessions a modifié - parfois même perverti - le regard que nous portons sur elles. Ce fut une erreur. Lorsque nous avons signé, en 2006, les premières fins de concession devaient intervenir en 2027. Nous parlons aujourd'hui de durées beaucoup plus longues.

Dans un monde qui évolue extrêmement vite, comme nous le voyons, il peut exister des risques extrêmement importants. Nous l'avons vu avec la crise de 2008-2009. Nous le voyons aujourd'hui avec la crise sanitaire. Ces risques sont majeurs et peut-être ont-ils vocation à s'amplifier au cours des prochaines années. Nous n'avons pas intérêt, dans ce contexte, sans clauses de rendez-vous et sans durées raisonnables, à nous lancer dans une aventure au long cours qui joue nécessairement contre les intérêts de l'État.

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