Intervention de Henri Verdier

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 4 mars 2014 à 16h30
Audition de Mm. Nicolas Colin et henri verdier coauteurs de l'âge de la multitude. entreprendre et gouverner après la révolution numérique

Henri Verdier :

Je vous remercie de nous recevoir au titre de nos travaux communs. Il est judicieux, de fait, d'engager une réflexion sur la gouvernance en y intégrant, ab initio, la question industrielle. Jusqu'il y a une dizaine d'années, la gouvernance restait circonscrite à l'architecture de l'Internet - gestion de la racine, du nommage, etc - qui suffisait à assurer la neutralité du net. Aujourd'hui, alors qu'Internet fait la trame de nos existences et de pans entiers de l'économie, qu'il est la plate-forme de nombreuses innovations, la question va bien au-delà. Les stratégies industrielles, les manières de prendre le pouvoir sur l'Internet se sont diversifiées, si bien que la question de la gouvernance ne saurait se limiter aux seules infrastructures, à la couche profonde de l'Internet. Il y a désormais un Internet qui déborde l'Internet. On le voit avec des entreprises comme Facebook ou avec les magasins d'applications, au travers desquels peuvent se constituer des monopoles de fait ; avec l'apparition de nouvelles manières très fines de prendre des positions, via ce que l'on appelle l'expérience utilisateur, par exemple. Pour garantir le respect de la neutralité du net, il faut, au-delà de la seule question des infrastructures, penser le statut de ce curieux espace public qu'est devenu l'Internet.

Internet est comme un océan dans lequel nous baignons, en interface avec tout ce qui fait notre univers physique. Pierre Bellanger compare à juste titre, dans son ouvrage, ce qui se passe aujourd'hui avec la manière dont s'est constitué il y a quelques siècles le droit de la mer - sous emprise britannique. Avec le numérique, on a aussi le sentiment d'avoir affaire à un milieu interstitiel que l'on n'arrive pas très bien à penser.

On ne traite pas assez l'Internet comme un espace public, et l'on y sous-estime souvent certaines violations des libertés individuelles que l'on n'admettrait jamais dans l'espace public physique. Pour filer la métaphore océanique, je dirai que de même qu'il faut des vaisseaux pour dominer l'océan, de même on ne saurait exercer de contrôle de l'Internet sans moyens d'appropriation, faute desquels le risque est permanent d'une perte de souveraineté qui nous laissera dans l'incapacité d'assurer la protection de la vie privée ou d'empêcher la constitution de monopoles de fait. Les problèmes qui apparaissent aujourd'hui étaient connus depuis cinq ou dix ans de tous les acteurs du secteur, qui ont eu beaucoup de mal à se faire entendre. Faute de s'engager résolument dans la construction de cette nouvelle économie, nous risquons de nous voir reléguer au rang de colonie numérique aux marches de l'empire.

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