Intervention de Nicolas Colin

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 4 mars 2014 à 16h30
Audition de Mm. Nicolas Colin et henri verdier coauteurs de l'âge de la multitude. entreprendre et gouverner après la révolution numérique

Nicolas Colin :

Je ne suis pas sûr que l'on puisse se rassurer avec les médailles décrochées par les entreprises françaises au Consumer Electronic Show ou le coeur artificiel, où l'on n'en est encore qu'à une expérimentation pilote. Car on est loin d'un déploiement industriel à grande échelle. Il me paraît dangereux d'applaudir trop vite nos prouesses technologiques. L'essentiel reste à faire : prendre position sur le marché. Ce sont les frères Lumière qui ont inventé le cinéma, mais c'est l'Amérique qui a créé Hollywood... Il nous reste à transformer nos prouesses technologiques en modèles d'affaires capables d'une expansion à échelle globale, pour attraire la valeur sur le territoire, retrouver des recettes fiscales et des emplois, redistribuer, développer l'économie nationale. Certes, des entreprises françaises sont à l'honneur dans Wired, mais pendant ce temps, Google rachète Nest pour plus de 3 milliards de dollars et prend ainsi des positions industrielles majeures sur un secteur très prometteur... Ce que nous ne savons pas faire.

Amazon, entre son entrée en bourse et le premier exercice 2003, a « brûlé » 3 milliards de dollars. Il est vrai que c'était au temps de la bulle spéculative, mais voyez plus récemment Facebook : entre sa création et son entrée en bourse, elle a « brûlé » 1,5 milliard de dollars. C'est ce que coûte la transformation d'une très petite entreprise en un géant industriel, c'est à dire moins que le bénéfice annuel d'une entreprise comme Orange, mais beaucoup plus que ce que nos entreprises qui se créent parviennent à lever. Nous manquons des investisseurs patients, des marchés financiers profonds qui permettent de prendre ces positions industrielles. On peut donc craindre que les entreprises américaines ne rachètent nos technologies innovantes au bon moment. Les opportunités passent vite. Il a suffi à Google de racheter, pour 3 milliards de dollars, une entreprise qui fabrique un thermostat intelligent, pour mettre un pied dans le secteur du bâtiment et de l'énergie, prenant position en aval avant de remonter pour évincer les acteurs traditionnels ; elle commence aussi à s'intéresser de près à l'automobile. Une telle entreprise, quand elle entre sur un marché grâce à une acquisition, dispose d'un énorme capital, d'un important savoir-faire logiciel et d'un lien privilégié avec des utilisateurs dans le monde entier ; de quoi creuser rapidement l'écart. Cela étant, il n'y a pas de raison de penser que toutes les filières sont soumises à cette fatalité.

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