Nous anticipons très clairement une récession technique aux États-Unis avant la fin 2022 ou le début 2023. La forte inflation rogne le pouvoir d'achat des ménages américains et la remontée rapide des taux d'intérêt entraîne un retournement assez spectaculaire du marché immobilier. Plus près de chez nous, les dernières enquêtes sur l'Allemagne et l'Italie indiquent aussi un ralentissement très fort, avec certainement une entrée en récession au quatrième trimestre 2022, du fait principalement du choc énergétique.
Nous avons aussi essayé de dresser un état du marché gazier européen à la suite des coupures russes. Nous importions 1 650 térawatts-heure (TWh) de gaz russe. En compensation, les offres alternatives représentent 550 TWh, essentiellement en provenance des États-Unis, du Qatar, de la Norvège et de l'Algérie, et la réactivation des usines à charbon permet de fournir 100 TWh supplémentaires, notamment en Allemagne.
La réduction spontanée de consommation des agents économiques face à la hausse vertigineuse des prix devrait, de son côté, se traduire par une économie de gaz de l'ordre de 600 TWh. En Allemagne, notamment, de nombreuses industries ont déjà commencé à réduire leur production.
Les pays européens ont par ailleurs des stocks de gaz à des niveaux très satisfaisants, qu'ils peuvent mobiliser. Dans l'hypothèse de stocks ramenés à 40 % - ils atteignent presque 90 % actuellement en France -, cela permettrait de fournir 400 TWh.
Selon la rigueur de l'hiver, nous pourrions donc avoir un manque de gaz compris entre 100 et 300 TWh, ce qui correspondrait tout de même à une baisse de PIB comprise entre 1 % et 2 %, et jusqu'à 3 % potentiellement en Allemagne selon le pire scénario.
Dans ce contexte, les États européens ont pris de nombreuses mesures de soutien aux ménages et aux entreprises. L'équivalent de 3 % du PIB a été mis sur la table en moyenne dans les pays européens, la France se situant plutôt au milieu du tableau, contrairement aux idées reçues, et l'Allemagne clairement en tête. Nous sommes vigilants sur ces mesures, qui réduisent certes l'inflation à court terme - 2 points en France en 2022 -, mais de quelle manière les États choisiront-ils d'y mettre un terme ?
L'une des origines de la grande inflation des années 1970 tient à la forte augmentation des dépenses publiques américaines sous l'administration Johnson entre 1962 et 1968, sans hausse de taxes concomitantes pour équilibrer le budget. Or, sur la période 2016-2022, on constate que les dépenses gouvernementales des grands pays européens ont également augmenté de façon importante, en particulier sous l'effet de la crise de la covid, notamment en Espagne.
Si le climat des affaires reste pour le moment plutôt bon en France, on constate un début de dégradation dans le secteur manufacturier, en raison notamment d'un fort ralentissement des industries les plus énergivores - chimie, métaux et papier.
L'indicateur de sentiment économique de la Commission européenne, qui porte à la fois sur les ménages et les entreprises, ralentit aussi fortement, mais reste compatible avec une croissance positive du PIB français au troisième trimestre 2022.
Allianz pense toutefois que l'économie française connaîtra une récession relativement modérée de l'ordre de 0,6 % en 2023, à cause de l'entrée en récession de nos principaux partenaires et d'une baisse des dépenses de consommation des ménages, qui devraient fortement ralentir dans les trimestres à venir. Le marché immobilier devrait lui aussi souffrir du resserrement monétaire très fort opéré par la BCE, la baisse des demandes de crédits immobiliers des ménages étant déjà très nette.
Notre prévision de déficit public diffère logiquement de celle du Gouvernement : nous l'estimons à 5,5 % du PIB pour 2023.
Les besoins de consolidation budgétaire sont par ailleurs très importants en France. Nous avons simulé l'effet d'une hausse de 100 points de base des taux d'intérêt d'emprunt sur la dette française : le coût supplémentaire pour les finances publiques serait à terme de 70 milliards d'euros, ce qui devrait peser sur la croissance des années à venir. C'est pourquoi nous sommes plus pessimistes que le Gouvernement sur les prévisions de croissance du PIB jusqu'en 2027.
Le taux de chômage structurel a en effet un peu baissé en France, mais cela s'explique avant tout par le vieillissement de la population active, les personnes âgées de plus de 49 ans, qui ont davantage de compétences techniques et d'expérience, ayant un taux de chômage plus faible que les personnes de moins de 25 ans.
Toutefois, il ne faut pas négliger non plus l'effet des réformes à venir. Nous avons retenu comme hypothèse l'adoption de la réforme de l'assurance chômage, et nous pensons qu'elle renforcera la tendance à la baisse du chômage structurel. Nous estimons son taux à 7,2 % d'ici à 2027, contre 8 % actuellement.
Le taux implicite de taxation à l'entrée en emploi d'un chômeur reste en effet élevé en France, de 75 %, contre 65 % en moyenne pour l'OCDE. Cela signifie que 75 % du surplus de salaire généré par la reprise d'activité est absorbé par des hausses d'impôt et des baisses d'aides diverses.
Les perspectives du chômage structurel sont donc plutôt orientées à la baisse : nous nous attendons à un taux de chômage structurel de l'ordre de 7,2 % en 2027, contre 8 % actuellement. Néanmoins, il nous paraît difficile de parvenir au plein emploi, sauf à combiner plusieurs réformes. Nous sommes en particulier plutôt pessimistes sur le niveau général de formation de la population. Dans tous les domaines - lecture, mathématiques, sciences -, la France affiche en effet un niveau bien plus dégradé que la moyenne de l'OCDE. Or si l'on en croit les dernières enquêtes, les choses ne devraient guère s'arranger.
Par ailleurs, le coin fiscalo-social, qui correspond au niveau des prélèvements, cotisations sociales et taxation des revenus en pourcentage du coût du travail, reste élevé en France. Tant que le salaire net n'augmentera pas, il sera difficile de stimuler l'offre de travail et d'inciter les chômeurs à retrouver un emploi. Comme la formation, la rémunération du travail est donc un facteur favorisant la recherche du plein emploi, que nous situons autour de 5 % de chômage structurel.
En matière d'investissement, les perspectives demeurent favorables en dépit de conditions financières de plus en plus dures. Ainsi, l'investissement total en pourcentage du PIB est en hausse très nette depuis 2015-2016. C'est une bonne nouvelle pour les perspectives de croissance. Le potentiel d'investissement dans les énergies renouvelables est par ailleurs important, compte tenu du retard qu'a pris la France - 30 % seulement de l'investissement privé total dans les énergies renouvelables dans la période post-covid, contre près de 60 % aux États-Unis par exemple - par rapport à ses voisins.
Nos prévisions de croissance s'établissent à 0,9 %. Elles divergent essentiellement de celles du Gouvernement - il table sur un taux de 1,35 % - sur la question de la croissance tendancielle de la productivité. En général, les chocs énergétiques entraînent en effet un ralentissement fort et brutal de la productivité - nous avons pu le constater en 1973 et 1979, la productivité n'ayant jamais retrouvé en France son niveau d'avant le choc pétrolier. Or le choc gazier actuel dû à la coupure des approvisionnements russes affecte la France - moins que ses voisins certes -, à hauteur de 2 % du PIB, soit un taux presque équivalent aux crises des années 1970. Dans ce contexte, nous pensons que si la crise énergétique dure, elle réduira les perspectives de productivité. Le tissu industriel connaît actuellement une forme de destruction ; or l'industrie est un des principaux facteurs de croissance de la productivité.