Intervention de Philippe Crouzet

Mission d'information enjeux de la filière sidérurgique — Réunion du 25 juin 2019 à 17h45
Audition de M. Philippe Crouzet président du directoire de vallourec

Philippe Crouzet :

À peu près 600, y compris dans la R&D. Ce secteur représente les deux-tiers de notre chiffre d'affaires, tandis que le reste baisse : d'une part, la mécanique, assurée plutôt Outre-Rhin, se porte moins bien qu'auparavant puisque les producteurs de machines-outils allemands sont concurrencés par leurs homologues chinois. Si ce secteur de notre activité n'est pas d'une très grande rentabilité, il permet toutefois de charger nos usines. D'autre part, l'activité de fabrication du tube pour les centrales au charbon - désigné comme le Power Gen - qui représentait jusqu'à 15 % de notre chiffre d'affaires, était partagée entre notre aciérie de Saint-Saulve ainsi que notre usine allemande de Reisholz. Ce dispositif industriel, très rentable, a été concurrencé par les usines chinoises. Cependant, les motifs du déclin de cette activité résultent non pas tant de la compétitivité que de l'effondrement du marché. Si nous sommes encore capables de vendre en Chine, en utilisant de l'acier européen, la transition énergétique, amorcée par la COP de Copenhague, a mis un terme au lancement de nouvelles centrales que nous équipions. La décision de mettre un terme à l'exploitation de l'aciérie de Saint-Saulve, qui produisait des aciers spéciaux destinés aux centrales thermiques super-critiques, - c'est-à-dire émettant le moins de CO2 par KWH produit-, fait suite à l'effondrement de ce marché. Si la mise en service de nouvelles centrales thermiques est abandonnée dans les pays qui suivent les prescriptions de la COP de Copenhague, ce marché subsiste encore en Asie. Certes, certaines applications, dans le pétrole et le gaz, consomment des aciers spéciaux, mais dans des volumes infimes comparés à ceux requis par ces centrales à charbon. En outre, ce marché, déjà mort dans les pays développés, a perduré jusqu'au milieu de 2017 en Chine, où le programme d'installation de ces centrales thermiques a été divisé par deux, tandis qu'il a été interrompu en Corée du Sud. Les débouchés ont alors chuté, ce qui a conduit à l'arrêt de notre atelier chaudière à l'usine de Saint-Saulve et à mettre en vente, voire, en cas d'absence de repreneurs, à mettre un terme, à l'exploitation de notre usine allemande de Reisholz. Ce sera donc la fin d'une époque, très longue et très profitable pour Vallourec, avec la disparition du marché des centrales thermiques. Il est essentiel d'avoir conscience que si Vallourec est, encore aujourd'hui, plus compétitif que les Chinois sur ce marché, celui-ci n'existe plus.

En outre, le marché chinois tend à se fermer ; Pékin vient de nous imposer des mesures totalement injustifiées d'anti-dumping à hauteur de 59 %, sur le peu qui nous restait. Il s'agit bel et bien d'une forme de guerre commerciale face à laquelle l'Organisation mondiale du commerce est impuissante et nos sollicitations, tant diplomatiques qu'auprès de Bruxelles, n'ont guère porté leurs fruits. Néanmoins, la Chine, où nous disposons d'unités de production auxquelles ne s'appliquent pas ces mesures anti-dumping, ne représente pas un très gros débouché pour le pétrole et le gaz, même si notre activité de fabrication de tubes pour l'industrie nucléaire, localisée à Montbard, en Côté d'Or, en est impactée.

La trajectoire de Vallourec, d'un point de vue stratégique, peut bel et bien être comparée à une forme de médecine d'urgence à partir de 2014 ; date où la crise de l'acier a été rejointe par celles du pétrole et du gaz. En effet, entre 2014 et 2017, cette crise a durement frappé notre activité, déjà très intense en capital. Nous ne sommes pas passés loin de la réanimation. Dans notre cas, si nous n'avions pas anticipé l'intensité de cette crise, nous étions en revanche conscients de notre problème majeur de compétitivité. Nos investissements au Brésil et aux États-Unis nous ont sauvés, puisque c'est grâce au redémarrage des marchés d'abord américain depuis 2017, puis de celui de l'Afrique du Nord, du Moyen-Orient, puis de l'Afrique de l'Ouest que nous avons amélioré notre situation.

L'opération de recapitalisation des coûts, qui s'est déroulée en 2016, s'inscrivait dans une démarche commune à de nombreux acteurs du secteur touchés par la même crise. L'augmentation d'un milliard d'euros du capital était nécessaire, bien qu'intervenant alors que les secteurs gazier et pétrolier étaient en crise. L'État actionnaire a joué son rôle. Loin des 750 millions d'euros évoqués, la souscription de l'État dans le capital de Vallourec, en février 2016, s'élevait à 150 millions d'euros. Notre partenaire japonais Nippon Steel a, quant à lui, investi 350 millions d'euros. Au total, avec 500 millions d'euros supplémentaires provenant des marchés boursiers, la recapitalisation de Vallourec a bénéficié du financement de l'État ; celle-ci qui renforçant notre crédibilité auprès de notre partenaire japonais qui accepta, malgré ses réticences initiales, d'investir dans notre outil. Lorsque j'ai expliqué aux équipes dirigeantes de Nippon Steel, - partenaire technologique de notre groupe depuis une cinquantaine d'années - que nous allions conduire une restructuration en profondeur en France et en Allemagne, l'apport de l'État aura permis d'achever de les convaincre. Nous avons ainsi pu recapitaliser, de manière suffisante, notre groupe. L'État actionnaire, qui a joué son rôle, m'a demandé de traiter, le plus socialement possible, l'ensemble de cette restructuration. J'ai alors pris publiquement l'engagement qu'il n'y aurait aucun départ contraint dans l'ensemble des restructurations conduites en France qui se sont avérées très substantielles. Si toutes nos instances de décision et la totalité de la R&D ont été conservées en France, nous avons réduit nos capacités en France et en Allemagne dans les mêmes proportions.

Le dispositif industriel auquel nous avons abouti est devenu assez simple à présenter. Alors que celui-ci comprenait historiquement un certain nombre de doublons, du fait du rachat, par Vallourec, de son concurrent historique, la spécialisation s'est faite en tenant compte de l'ADN des deux sociétés : côté allemand, où le procédé Mannesmann permet de réaliser des tubes à partir de blocs d'acier, la production a été conservée, tandis que leur finition, qu'il s'agisse des connections ou du traitement thermique, est réalisée en France, soit à Saint-Saulve ou à Déville-Lès-Rouen. Notre dispositif implique le déplacement sur plusieurs sites de nos produits, à l'inverse de ceux de notre concurrent mexicain Tenaris qui a regroupé toute sa production sur un seul site. Les coûts de transport ne sont cependant pas dirimants, compte tenu de la valeur de nos produits, et les autres contraintes logistiques peuvent être aisément surmontées. Notre dispositif a ainsi été simplifié : nous faisons des tubes en Allemagne et nous les terminons en France.

Nous recueillons à présent les fruits de cette restructuration qui a également touché les autres pays, y compris le Brésil, où 800 postes ont été supprimés, et les États-Unis. Cette crise, qui a touché l'ensemble du groupe Vallourec, n'avait pas de précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et a duré cinq années. Lorsque j'ai rejoint Vallourec en 2009, j'ai vécu une crise qui a duré moins d'un an. Cette toute dernière crise a duré, quant à elle, de 2014 à 2017 aux États-Unis et jusqu'à la fin de l'année 2018 pour le reste du monde. Désormais, le retour de la croissance se fait étape par étape, comme en témoigne l'évolution de nos performances. À nos partenaires syndicaux qui nous ont interrogés sur d'éventuelles difficultés à venir, je réponds par la négative, au-delà des nécessaires ajustements conjoncturels et des difficultés actuelles de la filière nucléaire qui pourraient faire l'objet d'une mission comme la vôtre. Nos autres sites sont plutôt bien chargés, comme à Déville et à Aulnoye-Aymeries, et dans une moindre mesure à Saint-Saulve ; unique site de notre groupe dans sa spécialité, suite à la fermeture de son équivalent allemand.

Si nos résultats ne sont pas encore satisfaisants, leur tendance reste en ligne avec nos objectifs. Nous ne sommes plus dans le traitement de l'urgence ; l'essentiel des restructurations est derrière nous et celles qui doivent encore être conduites concernent nos sites allemands et concernent entre 600 et 700 personnes, sans compter la fermeture de l'usine de Reisholz, si nous ne trouvons aucun repreneur. Ces restructurations font à présent l'objet de négociations, sans aucune intervention externe ni contentieux.

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