Nous vous remercions.
La réunion est close à 15 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Franck Menonville, président -
La réunion est ouverte à 17 h 45.
Mes chers collègues, nous achevons avec M. Philippe Crouzet nos auditions qui ont débuté en février dernier, puisque nous examinerons le projet de rapport mardi 9 juillet.
M. Philippe Crouzet, major de l'École nationale d'administration (ENA) en 1981, a commencé sa carrière au Conseil d'État puis a bifurqué vers le privé en intégrant en 1986, Saint-Gobain en tant que directeur de plan, puis après 1989, les papeteries de Condat. En avril 2008, vous rejoignez le conseil de surveillance de Vallourec avant d'être nommé à la présidence du directoire de l'entreprise un an plus tard. Vous avez également siégé au conseil d'administration d'EDF de 2009 à 2014. Vous avez également présidé l'Association pour l'Insertion Économique et Sociale et êtes investi dans l'aide aux sans-abris. Il est important de souligner vos engagements humanistes et citoyens. Vallourec a été cité à de très nombreuses reprises au cours de nos déplacements et auditions, mais je laisse Mme la Rapporteure, qui connaît mieux que moi cette entreprise, poser les problématiques de votre audition, y compris la cession d'Ascoval.
À mon tour de vous remercier de vous être prêté aux travaux de notre mission. M. Crouzet, lorsque vous avez pris les commandes de Vallourec en 2009, vous « pensiez venir faire de la stratégie mais vous avez dû faire de la médecine d'urgence », selon vos déclarations au Monde dans un article qu'il vous a consacré le 9 décembre 2014, l'activité de l'entreprise, concentrée dans le pétrole et le gaz, ayant chuté de 50 % en quelques mois. Le chiffre d'affaire de Vallourec qui s'élevait ainsi en 2008 à 6,437 milliards d'euros s'est rétracté jusqu'à 2,965 en 2016 pour remonter à 3,750 milliards en 2017 et à 3,921 milliards en 2018. L'an dernier, votre résultat brut d'exploitation s'est amélioré de façon significative, à 150 millions d'euros, contre 2 millions d'euros en 2017, avec un fort rebond au 4ème trimestre, grâce sans doute à des économies brutes cumulées de 445 millions d'euros depuis 2016 ; « l'objectif initial étant ainsi dépassé, avec deux ans d'avance sur le calendrier » selon votre communication, et avec une dette s'élevant à environ 2 milliards d'euros.
Malgré cette extrême fragilité, Vallourec demeure leader mondial des solutions tubulaires premium destinées principalement aux marchés de l'énergie, ce qui est sans doute sa faiblesse compte-tenu de leur volatilité.
Vous pourrez dans un premier temps nous donner des nouvelles de la santé de votre groupe et de vos investissements majeurs : la construction d'une nouvelle usine intégrée à Jeceaba au Brésil et la construction d'une nouvelle tuberie à Youngstown, aux États-Unis, servant les forages d'hydrocarbures non-conventionnels aux États-Unis. Le rebond de l'activité pétrolière, notamment au Brésil, semble laisser entrevoir le bout du tunnel, mais les incertitudes géopolitiques demeurent fortes.
Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur les déboires d'Ascoval qui traumatise le valenciennois alors même que ce site a fait, historiquement, la fortune de Vallourec, et menait grand train, avec une gestion que certaines personnes auditionnées ont qualifiée de dispendieuse. Alors que Vallourec a créé ce site, pourquoi n'y croyez-vous plus, alors même que ce site a été fortement modernisé ces dernières années ?
Face à vos difficultés, l'aide de l'État a été massive : 750 millions d'euros en dix ans, selon certains, dont une souscription en capital de 250 millions par BpiFrance en avril 2016, portant sa participation au capital à 15 %, soit autant que votre partenaire japonais Nippon Steel. Quelle a été la contrepartie de ces aides publiques ? Au vu de votre expérience, comment percevez-vous le rôle de l'État ? Celui-ci vous a-t-il demandé des efforts particuliers ?
Selon des syndicalistes que nous avons auditionnés la semaine dernière, votre groupe « a pris des décisions stratégiques qui ont durablement affaibli son dispositif industriel français avec la concentration de la production d'acier en Allemagne, et des sites français cantonnés à une part d'un process très éclaté entre les laminoirs et les lignes de parachèvement ». Dans ces conditions, vous comprendrez que la principale interrogation est de savoir si votre entreprise n'envisage pas d'abandonner la France voire l'Europe pour d'autres horizons. Pouvez-nous rassurer sur ces interrogations ?
Troisième question, quelles sont vos perspectives de développement ? Lors du débat à l'Assemblée nationale du 13 janvier 2016, le ministre de l'Économie de l'époque estimait que « nous devons avoir un plan offensif sur le volet industriel, pour redonner des perspectives à Vallourec et faire en sorte que toutes les décisions capitalistiques soient prises : diversification, consolidation industrielle, partenariat, en France et sur les autres marchés ». Si le Président de la République vous rend visite demain, lui présenterez-vous des mesures de diversification de votre entreprise ou avez-vous persisté dans le marché de l'énergie ?
Dans un dernier temps nous souhaitons savoir comment vous voyez le futur de la filière sidérurgique en France, et notamment celui des marchés des aciers spéciaux. Faut-il que la France se spécialise dans le haut de gamme et délaisse les commodités ? L'organisation en filières verticales au sein des comités stratégiques de filières est-elle pertinente ? Merci pour les éclairages que vous voudrez bien nous apporter, au cours de cette audition dont je viens de vous dresser le cadre. Vous avez la parole.
M. Philippe Crouzet, président du Directoire de Vallourec. - Je suis très sensible, au nom de Vallourec, à l'honneur que vous nous faites de nous recevoir à la toute fin de vos travaux. Je ne peux vous donner que le point de vue d'un producteur de tubes en acier, avec une technologie particulière, et non d'un sidérurgiste généraliste comme peut l'être Arcelor Mittal. Les tubes sans soudure, produits à partir de blocs d'acier percés par un processus de centrifugation, sont une niche dans ce secteur des tubes qui ne représente que 1 % de l'industrie sidérurgique. Pour autant, nos problèmes sont représentatifs de ceux rencontrés par la sidérurgie.
Aussi présenterai-je à la fois les points communs et les particularités de Vallourec avec le reste de l'industrie sidérurgique. Quels sont les points communs actuels du monde de l'acier ? Tout d'abord, une énorme surcapacité mondiale, et tout particulièrement en Chine où, encore aujourd'hui, des usines de tubes sont créées. Notre industrie est très intensive en capital, ce qui en rend son pilotage difficile lors de cycles baissiers. Nous sommes dépendants du coût de l'énergie et des matières premières. Ce poste s'avère davantage problématique que celui des coûts de la main d'oeuvre pour la filière sidérurgique en France et en Europe. Nous sommes également confrontés aux fermetures des frontières de certains pays.
La première particularité de la filière des tubes par rapport à d'autres est d'être mondiale, à l'inverse des aciers plats et des produits longs qui restent plutôt cantonnés dans des zones régionales. Vallourec exporte ainsi près de 70 % de sa production et ses concurrents, qui ne sont pas nécessairement européens, ne bénéficient pas des mêmes de production. Vallourec s'est donc construit comme une société exportatrice à partir de la France et de l'Allemagne. Lorsque j'ai rejoint le groupe en 2009, il était clair que notre stratégie était dangereuse : nous étions à la fois confrontés à une concurrence par les coûts de l'Argentine et du Mexique, dont la devise connaissait alors une forte déflation, et aux dangers, pendant cinq ans, d'un euro fort. La conciliation de ces deux facteurs augurait de la fin de notre groupe. C'est pourquoi, entre 2009 et 2014, sans sacrifier la qualité de nos actifs européens, nous avons investi dans deux pôles de production : l'un au Brésil, où les coûts sont bas et notre groupe fabrique lui-même de la matière première, et l'autre aux États-Unis, pour profiter de l'opportunité du pétrole de schiste. C'est grâce à ces investissements que nous existons encore. Si nous étions demeurés à 70 % européens, notre société aurait aujourd'hui cessé d'exister. Cette particularité nous différencie ainsi des autres secteurs sidérurgiques, que vous avez dû auditionner, dont l'horizon d'activités est plus régional ; leur confrontation s'exerçant selon les mêmes facteurs de coûts et de devises.
Seconde particularité : nous sommes exposés à des cycles spécifiques, à savoir ceux du pétrole et du gaz. Historiquement, le portefeuille d'activités de Vallourec est à dominante pétrolier et gazier ; le coeur de savoir-faire de Vallourec, qui a racheté Mannesmann, étant localisé dans le Valenciennois, et notamment à Emery, où se trouvent nos plus gros actifs européens de fabrication de connexion ainsi que notre recherche-développement (R&D)...
À peu près 600, y compris dans la R&D. Ce secteur représente les deux-tiers de notre chiffre d'affaires, tandis que le reste baisse : d'une part, la mécanique, assurée plutôt Outre-Rhin, se porte moins bien qu'auparavant puisque les producteurs de machines-outils allemands sont concurrencés par leurs homologues chinois. Si ce secteur de notre activité n'est pas d'une très grande rentabilité, il permet toutefois de charger nos usines. D'autre part, l'activité de fabrication du tube pour les centrales au charbon - désigné comme le Power Gen - qui représentait jusqu'à 15 % de notre chiffre d'affaires, était partagée entre notre aciérie de Saint-Saulve ainsi que notre usine allemande de Reisholz. Ce dispositif industriel, très rentable, a été concurrencé par les usines chinoises. Cependant, les motifs du déclin de cette activité résultent non pas tant de la compétitivité que de l'effondrement du marché. Si nous sommes encore capables de vendre en Chine, en utilisant de l'acier européen, la transition énergétique, amorcée par la COP de Copenhague, a mis un terme au lancement de nouvelles centrales que nous équipions. La décision de mettre un terme à l'exploitation de l'aciérie de Saint-Saulve, qui produisait des aciers spéciaux destinés aux centrales thermiques super-critiques, - c'est-à-dire émettant le moins de CO2 par KWH produit-, fait suite à l'effondrement de ce marché. Si la mise en service de nouvelles centrales thermiques est abandonnée dans les pays qui suivent les prescriptions de la COP de Copenhague, ce marché subsiste encore en Asie. Certes, certaines applications, dans le pétrole et le gaz, consomment des aciers spéciaux, mais dans des volumes infimes comparés à ceux requis par ces centrales à charbon. En outre, ce marché, déjà mort dans les pays développés, a perduré jusqu'au milieu de 2017 en Chine, où le programme d'installation de ces centrales thermiques a été divisé par deux, tandis qu'il a été interrompu en Corée du Sud. Les débouchés ont alors chuté, ce qui a conduit à l'arrêt de notre atelier chaudière à l'usine de Saint-Saulve et à mettre en vente, voire, en cas d'absence de repreneurs, à mettre un terme, à l'exploitation de notre usine allemande de Reisholz. Ce sera donc la fin d'une époque, très longue et très profitable pour Vallourec, avec la disparition du marché des centrales thermiques. Il est essentiel d'avoir conscience que si Vallourec est, encore aujourd'hui, plus compétitif que les Chinois sur ce marché, celui-ci n'existe plus.
En outre, le marché chinois tend à se fermer ; Pékin vient de nous imposer des mesures totalement injustifiées d'anti-dumping à hauteur de 59 %, sur le peu qui nous restait. Il s'agit bel et bien d'une forme de guerre commerciale face à laquelle l'Organisation mondiale du commerce est impuissante et nos sollicitations, tant diplomatiques qu'auprès de Bruxelles, n'ont guère porté leurs fruits. Néanmoins, la Chine, où nous disposons d'unités de production auxquelles ne s'appliquent pas ces mesures anti-dumping, ne représente pas un très gros débouché pour le pétrole et le gaz, même si notre activité de fabrication de tubes pour l'industrie nucléaire, localisée à Montbard, en Côté d'Or, en est impactée.
La trajectoire de Vallourec, d'un point de vue stratégique, peut bel et bien être comparée à une forme de médecine d'urgence à partir de 2014 ; date où la crise de l'acier a été rejointe par celles du pétrole et du gaz. En effet, entre 2014 et 2017, cette crise a durement frappé notre activité, déjà très intense en capital. Nous ne sommes pas passés loin de la réanimation. Dans notre cas, si nous n'avions pas anticipé l'intensité de cette crise, nous étions en revanche conscients de notre problème majeur de compétitivité. Nos investissements au Brésil et aux États-Unis nous ont sauvés, puisque c'est grâce au redémarrage des marchés d'abord américain depuis 2017, puis de celui de l'Afrique du Nord, du Moyen-Orient, puis de l'Afrique de l'Ouest que nous avons amélioré notre situation.
L'opération de recapitalisation des coûts, qui s'est déroulée en 2016, s'inscrivait dans une démarche commune à de nombreux acteurs du secteur touchés par la même crise. L'augmentation d'un milliard d'euros du capital était nécessaire, bien qu'intervenant alors que les secteurs gazier et pétrolier étaient en crise. L'État actionnaire a joué son rôle. Loin des 750 millions d'euros évoqués, la souscription de l'État dans le capital de Vallourec, en février 2016, s'élevait à 150 millions d'euros. Notre partenaire japonais Nippon Steel a, quant à lui, investi 350 millions d'euros. Au total, avec 500 millions d'euros supplémentaires provenant des marchés boursiers, la recapitalisation de Vallourec a bénéficié du financement de l'État ; celle-ci qui renforçant notre crédibilité auprès de notre partenaire japonais qui accepta, malgré ses réticences initiales, d'investir dans notre outil. Lorsque j'ai expliqué aux équipes dirigeantes de Nippon Steel, - partenaire technologique de notre groupe depuis une cinquantaine d'années - que nous allions conduire une restructuration en profondeur en France et en Allemagne, l'apport de l'État aura permis d'achever de les convaincre. Nous avons ainsi pu recapitaliser, de manière suffisante, notre groupe. L'État actionnaire, qui a joué son rôle, m'a demandé de traiter, le plus socialement possible, l'ensemble de cette restructuration. J'ai alors pris publiquement l'engagement qu'il n'y aurait aucun départ contraint dans l'ensemble des restructurations conduites en France qui se sont avérées très substantielles. Si toutes nos instances de décision et la totalité de la R&D ont été conservées en France, nous avons réduit nos capacités en France et en Allemagne dans les mêmes proportions.
Le dispositif industriel auquel nous avons abouti est devenu assez simple à présenter. Alors que celui-ci comprenait historiquement un certain nombre de doublons, du fait du rachat, par Vallourec, de son concurrent historique, la spécialisation s'est faite en tenant compte de l'ADN des deux sociétés : côté allemand, où le procédé Mannesmann permet de réaliser des tubes à partir de blocs d'acier, la production a été conservée, tandis que leur finition, qu'il s'agisse des connections ou du traitement thermique, est réalisée en France, soit à Saint-Saulve ou à Déville-Lès-Rouen. Notre dispositif implique le déplacement sur plusieurs sites de nos produits, à l'inverse de ceux de notre concurrent mexicain Tenaris qui a regroupé toute sa production sur un seul site. Les coûts de transport ne sont cependant pas dirimants, compte tenu de la valeur de nos produits, et les autres contraintes logistiques peuvent être aisément surmontées. Notre dispositif a ainsi été simplifié : nous faisons des tubes en Allemagne et nous les terminons en France.
Nous recueillons à présent les fruits de cette restructuration qui a également touché les autres pays, y compris le Brésil, où 800 postes ont été supprimés, et les États-Unis. Cette crise, qui a touché l'ensemble du groupe Vallourec, n'avait pas de précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, et a duré cinq années. Lorsque j'ai rejoint Vallourec en 2009, j'ai vécu une crise qui a duré moins d'un an. Cette toute dernière crise a duré, quant à elle, de 2014 à 2017 aux États-Unis et jusqu'à la fin de l'année 2018 pour le reste du monde. Désormais, le retour de la croissance se fait étape par étape, comme en témoigne l'évolution de nos performances. À nos partenaires syndicaux qui nous ont interrogés sur d'éventuelles difficultés à venir, je réponds par la négative, au-delà des nécessaires ajustements conjoncturels et des difficultés actuelles de la filière nucléaire qui pourraient faire l'objet d'une mission comme la vôtre. Nos autres sites sont plutôt bien chargés, comme à Déville et à Aulnoye-Aymeries, et dans une moindre mesure à Saint-Saulve ; unique site de notre groupe dans sa spécialité, suite à la fermeture de son équivalent allemand.
Si nos résultats ne sont pas encore satisfaisants, leur tendance reste en ligne avec nos objectifs. Nous ne sommes plus dans le traitement de l'urgence ; l'essentiel des restructurations est derrière nous et celles qui doivent encore être conduites concernent nos sites allemands et concernent entre 600 et 700 personnes, sans compter la fermeture de l'usine de Reisholz, si nous ne trouvons aucun repreneur. Ces restructurations font à présent l'objet de négociations, sans aucune intervention externe ni contentieux.
La R&D au sein de notre groupe s'inscrit sur deux axes. Le premier vise à améliorer notre savoir-faire actuel ; à savoir, la mise au point de tubes et de connections plus performants afin de faire face aux divers défis de demain de l'industrie pétrolière et gazière. Ces améliorations se font, du reste, dans nos installations françaises. Nous explorons, dans ce cadre, le digital, qui permet de rendre plus efficaces les processus de production et d'accélérer le développement technologique. Par ailleurs, l'exploration systématique de potentiels de marché nouveaux, suite à la transition énergique sur la durée, constitue notre second axe d'exploration, en liaison avec nos clients, comme les compagnies pétrolières. La quasi-totalité de la R&D se trouve d'ailleurs en France.
Malheureusement, non, en raison des sanctions. C'est le seul territoire sur lequel j'aurais aimé projeter Vallourec mais les sanctions ont eu raison de nos intentions.
Comment anticipez-vous l'évolution des coûts de l'énergie qui risque d'être significative sur votre activité ? Par ailleurs, estimez-vous efficace l'accompagnement de la Commission européenne, face aux mesures anti-dumping prises par Pékin ? Enfin, les effectifs du ministère en charge de l'industrie, dans notre époque complexe marquée par une profonde mutation industrielle, vous paraissent-ils suffisants pour assurer à la fois un soutien et une anticipation efficaces des Pouvoirs publics ?
L'absence de ministère intégralement dédié à l'industrie n'obère-t-elle pas notre capacité à définir une stratégie industrielle pertinente ?
Nous payons encore le prix de la destruction du ministère de l'industrie, depuis ces dix dernières années. Nous avons également aggravé la situation en regroupant dans un même ministère l'écologie et l'énergie. Ce sont là deux erreurs massives qui n'envoient pas de message positif au secteur industriel ! Désormais, les arbitrages politiques entre ces différents objectifs de transition énergique et de politique industrielle, qui peuvent s'avérer contradictoires, se font à des niveaux beaucoup trop bas. Or, lorsque de tels arbitrages sont avant tout politiques et doivent être rendus au bon niveau, afin de disposer d'une vision d'ensemble du système. Les responsables doivent agir en toute transparence et l'organisation actuelle ne permet pas d'y parvenir.
La question des effectifs est en corrélation, comme l'a rappelé lors de son audition M. Xavier Bertrand, avec la définition d'une réelle stratégie industrielle, dont le portage doit revenir à un ministère dédié.
La compétence importe davantage que le nombre et le ministère actuel compte de nombreux personnels compétents. L'organisation d'une administration est révélatrice des priorités et des niveaux d'arbitrage des pouvoirs publics.
J'en viens à vos questions sur l'énergie et la Chine. Pour moi, la filière sidérurgique européenne et française ne sera pas confrontée à une chute de la demande à terme, puisqu'il faudra toujours transporter des fluides dans des environnements agressifs et ce, alors que les débouchés des aciers plats s'avèrent, dans le même temps, plus problématiques, comme me l'ont indiqué mes partenaires japonais. En revanche, l'offre peut poser problème. Il me paraît possible de produire de l'acier en Europe, dans des conditions compétitives, tant pour les tubes que pour l'acier carbone, que nous produisons dans une coopérative allemande. À cet égard, l'aciérie de Saint-Saulve n'est pas confrontée à un problème de compétitivité, mais de débouchés. Je le dis aussi pour les aciers carbones, de bas de gamme, fabriqués, de manière également compétitive, dans une coopérative de production en Allemagne. Cependant, on ne peut être compétitif qu'à la condition que les usines, intenses en capital, soient chargées. Tel est le drame de l'aciérie de Saint-Saulve : comment charger de telles unités sen sortant des produits sur lesquels on gagne de l'argent ? Dès lors, il faut protéger les débouchés régionaux afin de garantir un minimum de charges ; tel est l'objet de la politique commerciale européenne, à l'instar de ce que font les Chinois et les Américains, via la réglementation 232 décidée par le Président Donald Trump : se protéger en fermant leur marché et en le réservant aux producteurs implantés sur leur territoire respectif. D'ailleurs, Vallourec, déjà implanté sur le territoire américain, bénéficie de cette réglementation. Je suis donc bien placé pour constater les réels effets de telles politiques. Cette vision diffère des principes de fondation de l'Union européenne reposant sur la primauté des principes du commerce international que le Président Donald Trump, depuis son élection, a remis nettement en cause. L'Europe ne doit pas être à la traine de telles pratiques et doit conduire la même politique que celle de la Chine et des États-Unis. Le constat est clair : historiquement, l'Europe est le plus grand pôle exportateur mondial et ses entreprises ont besoin d'exporter. Encore faut-il renforcer la compétitivité des coûts que représentent, pour 60 %, les matières premières - minerais de fer, coke ou ferraille selon les filières - dont les cours sont mondiaux. A ce stade, il n'y a pas de problème de compétitivité, puisque les coûts sont globalement les mêmes pour l'ensemble des acteurs de la filière. En outre, l'Europe produit également de la ferraille, dont elle pourrait sans doute limiter les exportations, à l'instar de ce que font les Russes, notamment vers la Turquie.
Quelles sont les motivations de cette exportation de ferraille, qui représente jusqu'à la moitié de sa production ?
Le bon paiement des clients turcs, qui ne disposent d'aucune matière première et privilégient la filière ferraille au détriment de la filière fonte. Leur localisation est également, pour ce marché, un atout : ils sont entre le premier gisement de ferraille que constituent les industries automobiles américaine et européenne et l'autre second grand gisement fourni par le démantèlement de l'ancienne industrie soviétique. D'ailleurs, les États-Unis limitent leur exportation de ferraille vers la Turquie. Il faut que l'industrie sidérurgique fasse attention à ne pas se départir de sa ferraille.
L'énergie représente le deuxième poste de dépenses. Entre la France et l'Allemagne, subsistent des différences en matière de productions et de coûts d'énergie. En effet, le prix, hors taxes, de l'énergie électrique est plus bas pour un industriel en Allemagne qu'en France. A l'inverse, une fois les différentes taxes nationales acquittées, le coût total de l'électricité s'avère supérieur Outre-Rhin. C'est là l'un des rares avantages comparatifs, avec la recherche, de la France par rapport à l'Allemagne. Les Allemands ont mis en place un certain nombre de dispositifs destinés à compenser leur handicap intrinsèque et il serait bon que cette question soit solutionnée par les pouvoirs publics.
Une différence de l'ordre de 30 % taxes comprises. Dans le système français bordé de taxes, les industries électro-intensives, parmi lesquelles est rangée la sidérurgie, bénéficient de remises sur la contribution au service public de l'électricité (CSPE) qui sont loin d'être négligeables et permettent à nos usines d'économiser une vingtaine d'euros par kilowatt-heure. Puisque la sidérurgie n'est pas l'industrie la plus électro-intensive, elle ne bénéficie pas du régime le plus favorable, à l'instar des alumineries ?
Quel est le montant moyen d'un kilowatt-heure dans votre secteur d'activité en France et en Allemagne ?
M. Philippe Crouzet. - On compare une usine à une autre, et les résultats ne peuvent être aisément généralisés. Au prix de l'énergie va bientôt s'ajouter au prix du carbone qui sera directement lié à celui de l'énergie. Jusqu'à présent, nous sommes sous le régime européen des Energy Trading System (ETS), qui est intelligent et complexe. Ce système permet de prendre en compte l'ampleur et l'intensité des besoins par rapport à l'ensemble des coûts et des technologies ; une société faisant l'effort de se doter des meilleures technologies est favorisée dans ce système. C'est notre cas : Vallourec, qui a équipé des meilleures technologies disponibles en matière environnementale l'ensemble de ses usines, dont celle de Saint-Saulve avant de la céder, dispose suffisamment de crédits-carbone pour couvrir l'ensemble de ses besoins.
Ce système devrait être durci en 2020, de manière à élever le prix du carbone. Il est prévu de réviser ce système à cette échéance, afin de le durcir et d'augmenter le coût du carbone. Au-delà de son effet-prix, il peut induire des effets pervers, faute d'une technologie assurant une réduction de l'empreinte carbone. De ce fait, en l'absence d'alternative, les coûts vont nécessairement augmenter et rendre ce dispositif plus pénalisant. Investir dans une technologie à des seules fins fiscales n'est pas, en soi, une démarche convaincante pour les entreprises du secteur, surtout lorsque leur situation financière est chancelante. Cette démarche est propre à l'Europe qui, si elle a raison, sur le fond, d'inventer de tels systèmes innovants, risque d'obérer la compétitivité de ses entreprises face à leurs concurrents étrangers qui n'ont pas à se conformer à une telle réglementation. Certes, la Chine a également lancé un système de crédits-carbone qui pourrait nous servir à calibrer le nôtre. La mise en oeuvre de tels systèmes ne doit pas générer des handicaps compétitifs pour les entreprises européennes, mais doit prendre en considération ce que les autres font.
Nous ne sommes pas aidés sur ce point par les Américains. Dans l'univers sidérurgique, la Chine est notre principal compétiteur. Puisque l'industrie européenne est fondamentalement exportatrice, il ne s'agit pas seulement d'être protégé sur le marché européen, mais aussi d'avoir accès aux marchés tiers où se déroule la bataille commerciale et ce, dans les mêmes conditions que nos autres concurrents. Je pense que c'est possible ; une telle démarche globale s'inscrivant dans l'esprit de la COP que n'aide guère le retrait américain. Dans les pays du Golfe, on se préoccupe également du réchauffement climatique. Ainsi, tous ces dispositifs doivent être mis en oeuvre de manière réaliste, en veillant à ne compromettre ni la charge de nos outils, ni la compétitivité de nos coûts. Je n'ai pas parlé du travail, car je suis réaliste ; nous n'allons pas payer les Européens au même salaire que celui des Chinois !
Enfin, les impôts de production - que le Conseil d'analyse économique considère désormais comme des « impôts contre la production » - sont une spécificité française à laquelle il convient de remédier au plus vite.
Je reviens enfin sur votre question sur la comparaison des coûts de l'énergie entre la France et l'Allemagne. Sans pour autant généraliser cette information qui provient de la comparaison de deux sites de production, le prix de base de l'électricité est, dans la région de Düsseldorf, de 47 euros du kilowattheure contre 52 en France. Une fois les dégrèvements et les taxes pris en compte, la tendance s'inverse avec un coût, en France de 85 euros le kilowattheure contre 125 en Allemagne ; de tels résultats impliquant également la neutralité des crédits carbone. Le coût de l'énergie représente ainsi jusqu'à 10 % de nos coûts totaux en Allemagne.
L'absence de prévisibilité sur le nouveau dispositif de crédits-carbone agite l'ensemble des industriels et obère leur capacité d'investissement. Les services de Bruxelles devraient néanmoins proposer un nouveau système progressif.
Quel est votre avis sur le dispositif des territoires d'industrie ? En outre, comme élue de Côté d'Or où se trouve votre usine de Montbard, j'ai bien compris que l'absence de débouchés remettait en cause l'avenir des activités, notamment nucléaires. Quelles seront également les incidences de la transition énergétique sur celles-ci ?
En tant qu'élue de la Nièvre, je souligne que le site de Cosne-sur-Loire a connu une restructuration, perçue comme très injuste et intervenue juste après une recapitalisation. Quel regard portez-vous lorsque la reprise se passe mal, comme c'est le cas à Cosne-sur-Loire, où le repreneur, en proie à de nombreuses difficultés et vicissitudes, s'avère incapable de faire redémarrer l'activité ? Dans quelle mesure vous sentez-vous concerné et quel est, selon vous, votre niveau de responsabilité ?
Votre intervention ne m'a guère convaincue. Le traitement d'Ascoval a été clinique, sinon chirurgical, et s'est avéré inapproprié pour ce site. J'en arrive à comprendre le sentiment d'abandon de la population locale par rapport à Vallourec et des syndicalistes, vous accusant de défaisance. N'y avait-il pas d'autres solutions et de réponses possibles à l'absence de marché pour les centrales thermiques que vous invoquez à l'appui de votre retrait de ce site ? Avec le recul, un tel argument n'est-il pas, au final, spécieux ?
Votre intervention donne matière à un débat qui ne peut être que nourri. Par exemple, vous fustigez l'impôt, mais celui-ci nous permet d'être compétitifs. C'est grâce à lui qu'un service public existe et que sont bien soignés et formés nos salariés. Contrairement à ce qui vient d'être dit, l'impôt est fondamentalement juste. La CSPE permet également de soutenir les familles les plus précaires à un moment où les tarifs réglementés ont été augmentés ! J'en viens à Vallourec-Ascoval. C'est l'enfer pour les salariés et leurs familles, qui représentent jusqu'à un millier de personnes sur le bassin d'emploi ! Ça fait des années que ça dure ! On a l'impression d'une absence de solution et d'une passivité face aux échéances ! Chaque reprise du site s'est avérée un coût pour les salariés, qui sont les premiers concernés. Les salariés y jouent leur vie ! J'entends votre discours, mais ne le comprends pas. Je ne vois pas d'issue positive destinée à assurer la préservation de ces emplois et de ce site. Je soutiens ainsi l'assignation au tribunal des salariés intervenue en juin dernier.
L'année où BpiFrance était mobilisé pour abonder le capital d'Ascoval et l'aider à refonder sa stratégie a également été marquée par la suppression de 900 emplois ; ce qui n'a pas empêché la distribution de dividendes aux actionnaires !
M. Philippe Crouzet. - Il n'y a pas eu de dividendes distribués aux actionnaires cette année-là.
Cette même année, 900 emplois ont été supprimés, y compris sur le site de Valenciennes. Pourquoi Vallourec a-t-elle choisi de se départir d'une aciérie intégrée à son unité au bénéfice d'une dévolution à une entreprise allemande extérieure au groupe, alors que les financeurs publics intervenaient dans le même temps ? L'impact financier d'une telle démarche était-il à ce point significatif ? Une telle démarche ne peut que nous interpeller ! Il nous reste un certain nombre de sites en France, dont une tuberie à Valenciennes. Nous nous battons tous pour obtenir une issue favorable pour l'aciérie. Quand bien même vous accompagnez financièrement cette transition, pourquoi avoir pris de tels choix que nous payons encore aujourd'hui ? Quelles sont vos ambitions et comment, avec l'État, doit-on anticiper les mutations à venir ? Nous avons eu, notamment avec M. Xavier Bertrand et moi-même, des échanges compliqués sur le terrain. On peut certes entendre qu'un secteur industriel soit obligé de muter, mais il faut pouvoir se parler en toute franchise et sincérité pour préparer ces mutations, au bénéfice des salariés et en concertation avec eux et les pouvoirs publics. Comment allez-vous continuer à prospérer, en évitant, en aval, des restructurations ? En d'autres termes, comment construire ensemble les évolutions futures ?
Je tiens à rétablir la vérité sur la situation d'Ascoval sur laquelle de nombreux propos erronés ont été tenus. Au point de départ, cette aciérie ne produisait que 500 000 tonnes d'aciers spéciaux. Sa taille s'avère tenue, comparée à celle de l'aciérie implantée en Allemagne que détient à 30 % par Vallourec qui représente 8 millions de tonnes. L'aciérie Ascoval n'est donc pas compétitive pour construire autre chose que des aciers spéciaux. Lorsque le marché a disparu, pour les raisons que je vous ai exposées, nous en avons recherché d'autres ! Or, seul le marché automobile a recours à ces aciers spéciaux. C'est pourquoi nous avions trouvé une entreprise repreneuse, conformément à notre engagement vis à vis de l'État. Cette société, Ascometal, qui produisait des pièces pour l'automobile en acier spéciaux et dont les deux usines - situées aux Dunes à Dunkerque et à Hagondange - n'étaient plus aux normes. Le plan industriel était absolument clair : Ascoval, qui avait fait l'objet d'investissements conséquents, était rachetée par Ascometal qui en faisait l'aciérie de production pour l'ensemble de ses usines. Toute cette opération s'est déroulée dans la plus grande transparence ; nous n'avons demandé aucun financement pour les aciers spéciaux pour les pièces automobiles. Le plan industriel était clair : les deux aciéries, qui n'étaient plus aux normes, étaient délaissées au profit d'Ascoval. Nous avions ainsi laissé une entité, après y avoir investi 100 millions d'euros, tout en nous engageant à nous approvisionner auprès d'elle, à hauteur de 20 000 tonnes par an. Le malheur a voulu qu'Ascometal ait connu une crise de trésorerie et déposé son bilan. Cette société a alors été placée sous administration judiciaire. Deux repreneurs se sont alors présentés : le groupe britannique Liberty et la société allemande Schmolz Bickenbach. Cette dernière, que seule la fabrication de pièces automobiles intéressait, a été transparente dès le premier jour : son offre de reprise ne concernait pas l'aciérie, en raison de l'existence d'autres aciéries en Allemagne en manque de chargements. À l'inverse, le groupe Liberty reprenait l'aciérie et demandait à Vallourec un certain nombre d'engagements, que j'ai pris. Ainsi, le tribunal de grande instance de Strasbourg, en charge du dépôt de bilan d'Ascometal, avait, en face de lui, deux solutions : l'une allemande, partielle puisqu'elle n'assurait pas la conservation de la totalité des sites, et l'autre, britannique, qui permettait de conserver 600 salariés supplémentaires. Or, l'autorité judiciaire, en présence de ces deux solutions financières équivalentes, a retenu la solution allemande ! Je n'en suis toujours pas revenu ! Telle est l'origine du problème d'Ascoval . Si le tribunal avait accordé l'ensemble des actifs au groupe Liberty, celui-ci ferait aujourd'hui tourner l'aciérie. Qu'on n'aille pas me dire que ce dernier, qui avait repris les 23 000 salariés d'Arcelor Mittal, n'était pas capable de reprendre Ascoval ! Nous sommes dans un pays où ce genre de décision, prise dans la précipitation, n'est susceptible d'aucun appel. À partir du moment où l'on retire à Ascoval ses débouchés, tant les centrales thermiques que l'automobile, que peut-on faire ? Altifort s'est alors présentée : treize jours après la décision de ce même tribunal de Strasbourg, cette société s'est déclarée incapable de financer ce projet ! Manifestement, il y a là un réel dysfonctionnement et aucune autre solution n'a pu être trouvée. Dans l'intervalle et pendant toute la période de recherche d'un repreneur, nous avons contribué, à hauteur de plusieurs dizaines millions d'euros, - je ne peux vous en révéler le montant exact puisqu'il s'agit d'une information boursière -, à nous approvisionner en acier, pour un prix qui n'était pas compétitif. Aussi, accuser les salariés de Vallourec d'avoir lâché Ascoval, alors que nous avons accepté de surpayer notre acier pendant trois ans et que notre restructuration n'a pas provoqué de départs contraints, est inepte ! Tous les salariés du Valenciennois ont reçu plusieurs offres de reclassement et il n'y a eu aucun contentieux ! Nous avons, de fait, outrepassé nos obligations juridiques. Vous connaissez cette histoire et les épisodes récents sont pathétiques.
Votre rappel des différents épisodes du dossier Ascoval est légitime. Cependant, cette réalité vient bel et bien d'un sujet interne à Vallourec dont plusieurs centaines de salariés des tuberies ont perdu leur emploi. La région, l'agglomération et la collectivité ont accompagné les restructurations nécessaires. Tous les plans de formation et d'accompagnement des salariés ont été élaborés par la Région. Cette action a été collective. Je suis bien placée pour le savoir ayant été pendant huit ans présidente de Valenciennes Métropole. L'ensemble des acteurs publics a ainsi investi quelque 150 millions d'euros dans la reconversion de la friche du premier site historique de Vallourec, qui représentait une surface de 27 hectares qu'il a fallu réaménager. Au-delà même de l'accompagnement des salariés dans leur avenir professionnel, il faut prendre en compte l'ensemble des actions des collectivités publiques sur plusieurs années dans le démantèlement des usines abandonnées et le développement de nouvelles activités économiques. Mon propos n'était pas une critique en soi. Comment travailler de concert sur l'anticipation des mutations et ne pas attendre ? J'ai le souvenir de proposition portant sur des sites libres que nous aurions pu aménager à des fins de développement économique pour retrouver des solutions professionnelles en l'absence de débouchés pour les infrastructures existantes. Ascoval est une aciérie propre, électro-intensive qui recycle de la ferraille. Or, pour trouver l'aval, il faut une stratégie portée par une administration compétente ; ce qui revient à poser la question de la pertinence d'un ministère dédié à l'industrie. Cet exemple souligne ainsi l'importance d'un travail plus en amont des acteurs publics avec les industriels, sous le pilotage d'un État stratège. Dès lors, il serait salutaire de travailler davantage de concert avec les industriels et les salariés bien plus en amont des problèmes !
J'apprécie effectivement votre action au sein de Valenciennes Métropole, à laquelle le groupe Vallourec va bientôt céder des terrains redevenus propres. Mon ambition initiale n'était pas de vous solliciter, puisque je considère que cette démarche nous incombait. Si Liberty avait été le repreneur, la collectivité ne l'aurait pas été ! Il faudrait ainsi s'interroger sur la légitimité de décisions aussi absurdes que celles réitérées par une formation non spécialisée du tribunal de grande instance, composée de trois personnes. En Allemagne, ça ne se serait pas passé comme cela ! Je ne peux que souscrire à votre idée d'anticipation. Telle est la raison pour laquelle je vous alerte sur la filière nucléaire dont la France et le Royaume-Uni, l'Inde et la Chine ; c'est à dire l'ensemble des pays où EDF investit. La filière française, dont l'expertise est considérable et unique au monde, subsiste. Or, le débouché chinois se ferme actuellement et il est de plus en plus difficile aux entreprises françaises d'y exporter. En outre, les perspectives de la filière nucléaire française demeurent, à tout le moins, obscures. Je suis persuadé qu'il n'y a pas d'alternative à la filière nucléaire française ; à retarder la décision inéluctable de la relance du programme nucléaire français, on crée un vide qui ne peut être supporté par les entreprises que sur une durée d'un an. On compromet ainsi l'existence même de cette filière française d'excellence, qui ne sera plus là lorsqu'on aura besoin d'elle !
Suite à ce qu'a rappelé Mme la Rapporteure, comprenez-vous que la mobilisation pendant quatre ans des élus, des salariés et de l'argent public - que ce soit pour Ascoval ou l'usine Ford de Bordeaux - pour assurer une restructuration efficiente et trouver de nouveaux débouchés, alors que vous aviez anticipé, par avance, l'inanité d'une telle démarche, est insupportable pour le plus grand nombre ? Quels sont désormais les débouchés ? Où va-t-on pour les 280 salariés qui ont besoin de réponse au-delà du pathétique que vous avez évoqué ? À aucun moment, vous n'avez eu un moindre mot pour ces salariés ! Les acteurs politiques, dont je ne partage pas toujours la sensibilité, sont extrêmement mobilisés. Quelle est votre responsabilité ?
On ne peut inventer les débouchés. British Steel, avec leur proposition de construire des rails spéciaux, ont astucieusement proposé une charge minimale avec des volumes substantiels. Il s'agirait d'agir sur une production en provenance de Grande-Bretagne. Ce débouché a l'air sérieux. C'est la seule solution, mais je ne sais où nous en sommes concrètement.
Rendez-vous est pris au tribunal le 19 juillet prochain puisque British Steel est en liquidation. Le fonds d'investissement qui se portait acquéreur d'Ascoval est-il en capacité d'assurer la reprise globale des entités de British Steel ou pourra-t-il n'acheter que certaines de ses sociétés afin de réaliser une filière intégrée en France ? En outre, le repreneur d'Ascoval dispose-t-il d'autres plans stratégiques pour l'aval ? Toutes ces questions doivent être appréhendées par le tribunal.
La question des débouchés est en effet fondamentale. En effet, une aciérie sans débouché ne peut perdurer.
Je tenais à vous remercier pour votre temps et la précision de vos réponses qui ponctuaient la fin des travaux de notre mission d'information. Surmonter une double crise pendant cinq ans n'est pas chose aisée et nous souhaitons que le redressement de votre groupe soit durable.
Merci, Monsieur Crouzet, de vous être rendu devant nous.
La réunion est close à 19 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.