Plusieurs mesures adoptées par la Commission apparaissent, de fait, particulièrement volontaristes et interrogent sur le caractère réaliste et opportun de leur mise en application dans le contexte géopolitique actuel. En outre, en imposant des préférences technologiques pour certaines sources d'énergie à l'échelle de l'Union, la Commission néglige les spécificités nationales, notamment en termes de bouquet énergétique et d'adaptation de la structure des systèmes énergétiques des États membres aux enjeux de décarbonation.
De même, sans remettre en cause les objectifs de réduction des émissions de carbone et la trajectoire dessinée par l'Union européenne, force est de s'interroger sur le choix opéré par la Commission de rehausser davantage certains objectifs, plus particulièrement celui relatif aux énergies renouvelables, dont le relèvement était déjà proposé - je le rappelle - par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », plutôt que de sécuriser leur réalisation, au vu de la diversité des situations initiales de chaque État membre dans le domaine énergétique.
Cette proposition de directive est-elle conforme au principe de subsidiarité, qui est indissociable de celui de proportionnalité ? En vertu de ces principes et aux termes des traités, les règles proposées par la Commission doivent, en effet, laisser aux États membres suffisamment de marges de manoeuvre pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, dans le respect de la spécificité de leur bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergie.
La conformité à ces principes de la proposition de directive COM(2022) 222, telle qu'elle est présentée, semble à ce titre discutable.
Pour fonder en droit, via ce texte, une nouvelle révision des trois directives évoquées, la Commission européenne invoque deux bases juridiques :
- d'une part, l'article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui définit les compétences de l'Union européenne en matière énergétique. Il prévoit que l'Union peut agir, dans « un esprit de solidarité entre les États membres », pour assurer le fonctionnement du marché de l'énergie et la sécurité de l'approvisionnement énergétique, pour promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies renouvelables et l'interconnexion des réseaux énergétiques. Toutefois, les mesures prises au niveau communautaire ne sauraient affecter le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ;
- d'autre part, l'article 192, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit les procédures d'adoption par l'Union européenne des réglementations en vue de réaliser les objectifs de l'Union dans le domaine de l'environnement.
Depuis le traité de Lisbonne, en effet, ces dispositions spécifiques définissent clairement le cadre de l'intervention de l'Union européenne en matière énergétique et prévoient, pour cette intervention, la procédure législative ordinaire.
L'article 194 se borne par conséquent à définir les objectifs généraux de la politique énergétique de l'Union. Il prévoit, au service de ces objectifs, une compétence partagée entre l'Union européenne et les États membres, sans porter atteinte au droit d'un État membre de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies utilisées. Ce droit, qui reconnaît la souveraineté énergétique des États, exige aussi que l'Union européenne garantisse une neutralité technologique entre les procédés ou les technologies. La politique énergétique européenne doit donc s'inscrire dans le respect de ces dispositions des traités.
Le respect de la neutralité technologique revêt, d'ailleurs, une importance particulière pour les pays qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée : il ne peut leur être imposé d'objectifs de diversification inadaptés à la structure même de leur système énergétique. La sortie des énergies fossiles constitue, en effet, une priorité incontestée de l'Union européenne, qui a pris toute sa dimension avec la crise ukrainienne, mais la politique européenne dans le domaine de l'énergie doit tenir compte de l'ensemble des sources d'énergie bas-carbone. À ce titre, l'énergie nucléaire et l'hydrogène bas-carbone constituent des alternatives qui doivent pouvoir être intégrées dans le choix des bouquets énergétiques qui ressort de chaque État membre.
L'adoption de mesures par l'Union dans le domaine de l'énergie doit donc respecter un équilibre permettant d'assurer des marges de manoeuvres aux États membres. Par conséquent, l'objectif d'une « élimination progressive de la dépendance en augmentant la disponibilité d'une énergie abordable, sûre et durable dans l'Union », pour reprendre les termes de la Commission, ne peut s'entendre sans prendre en compte l'ensemble des sources d'énergies décarbonées et ne peut légitimer la fixation d'une part trop élevée d'énergies renouvelables dans la consommation énergétique, car cela conduirait à remettre en cause le libre choix des États membres à déterminer leur bouquet énergétique.
Il faut aussi souligner que l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, dans son paragraphe 2, insère une réserve - qui fait référence à l'article 192, paragraphe 2 - selon laquelle l'Union européenne ne pourra intervenir sur le choix des États membres en rapport avec leurs sources d'approvisionnement énergétique, sauf à l'unanimité et pour des raisons environnementales. Cette disposition renforce la souveraineté énergétique des États membres dans ce domaine. Or il apparaît que la Commission européenne n'a pas expressément retenu l'article 192, paragraphe 2, pour fonder sa proposition et que le texte présenté est soumis à la procédure législative ordinaire. Pourtant, le Tribunal de l'Union européenne a considéré, dans un arrêt du 7 mars 2013, que cet article est de nature à constituer la base juridique applicable dès lors que les mesures indiquées dans l'acte affectent « sensiblement le choix d'un Etat membre entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». Par conséquent, la procédure retenue par la Commission pour l'adoption de la présente proposition apparaît litigieuse et ne laisse pas suffisamment de flexibilités aux États membres dans l'exercice de leur souveraineté énergétique.
Nous voulons en outre souligner que cette proposition, pourtant jugée nécessaire et politiquement sensible par la Commission européenne, n'a donné lieu à aucune étude d'impact sur sa valeur ajoutée, notamment en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur sa faisabilité, ni enfin sur sa conformité au principe de subsidiarité. Pourtant, l'effort demandé à certains États membres en matière de déploiement des énergies renouvelables est considérable. Il implique un niveau d'investissements, d'ici à 2030, équivalent à ce qui a été réalisé au cours des trente dernières années. Cela semble donc disproportionné au regard de la structure générale existante de leur approvisionnement énergétique.
De même, au regard de l'objectif du texte qui doit s'inscrire dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe, aucune évaluation de l'impact carbone des technologies requises pour le développement des énergies renouvelables n'a été réalisée. Or, plusieurs de ces technologies sont produites en dehors du sol européen, à des conditions peu respectueuses de l'environnement, et leur importation nécessite un transport émetteur de carbone. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) indique ainsi, dans un récent rapport, que le monde dépendra presque entièrement de la Chine pour la production de panneaux solaires jusqu'en 2025.
Même si l'implantation de panneaux solaires sur les bâtiments présente un intérêt en termes de surface disponible et de conditions d'installations, cette disposition risque donc de favoriser de nouvelles dépendances européennes à l'égard de fournisseurs extra-européens de tels panneaux.
Par ailleurs, faute d'analyse d'impact, le seuil retenu de surface utile par la Commission pour le déploiement de ces installations sur les bâtiments neufs et existants ne fait l'objet d'aucune justification. Or, cette disposition tend à substituer une obligation de moyens à une obligation de résultats - à savoir, parvenir à ce que toutes les structures construites à partir de 2030 soient à émission zéro -, et donc cela revient à imposer aux États membres des choix technologiques. La décision d'y parvenir par l'implantation de panneaux solaires doit demeurer une option. La proposition de la Commission européenne ne respecte donc pas en l'état le principe de neutralité technologique prévu par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
En conséquence, plusieurs dispositions proposées par la Commission apparaissent disproportionnées au regard des objectifs de diminution de la dépendance aux combustibles fossiles importés et de réduction des émissions de CO2, et portent atteinte à la souveraineté des États membres dans la détermination de la structure générale de leur approvisionnement énergétique.
C'est dans cet esprit que nous vous soumettons la proposition de résolution portant avis motivé qui vous a été transmise.