Intervention de Georges Patient

Réunion du 9 décembre 2009 à 14h30
Consultation des électeurs de la guyane et de la martinique sur le changement de statut de ces collectivités — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Georges PatientGeorges Patient :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation de la Guyane est singulière au sein de la République française, et à ce plusieurs titres.

En premier lieu, la Guyane est de loin le plus vaste département français, avec un territoire continental de près de 90 000 kilomètres carrés, ce qui le distingue des outre-mer insulaires.

En deuxième lieu, les communes de Guyane ont une superficie moyenne très supérieure à celle des communes de la métropole, puisqu’elle est de 3 932 kilomètres carrés, contre une superficie moyenne de 15 kilomètres carrés à l’échelon national, ce qui engendre forcément des coûts et des besoins plus importants, tant pour le fonctionnement général que pour les investissements.

En troisième lieu, la population de la Guyane s’élevait à 221 500 habitants au 31 décembre 2008, mais il faut savoir que son taux de croissance est l’un des plus élevés au monde : 3, 9 % par an en termes réels, contre 2, 2 % en moyenne nationale. En cinquante ans, la population guyanaise a été multipliée par huit, alors que celle de la France métropolitaine progressait de 4 %. Selon toutes les prévisions, la Guyane comptera plus de 400 000 habitants en 2020.

La Guyane dispose de réels atouts, dont l’intérêt est manifeste pour la France : son positionnement géographique en fait un site exceptionnel pour ses activités spatiales ; sa forêt amazonienne fait partie des quinze derniers grands massifs forestiers recensés dans le monde et contribue à améliorer le bilan carbone de la France qui, grâce à cet apport, peut pleinement jouer son rôle en matière de lutte contre le réchauffement climatique et se positionner, au sommet de Copenhague, comme un pays leader en la matière. Je souligne, au passage, que nous n’avons pas été invités à ce sommet ! En outre, la Guyane dispose de nombreuses ressources peu exploitées, mal exploitées ou volontairement inexploitées.

Pourtant, tous les indicateurs économiques sont au rouge : tout d’abord, le produit intérieur brut guyanais par habitant n’est plus que de 47 % du PIB français, soit, de loin, le plus faible des quatre DOM ; 25 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit le pourcentage le plus élevé des DOM ; le chômage est trois fois plus important qu’en métropole, touchant près du quart de la population, et même près de la moitié des jeunes, contre 20 % à l’échelon national ; enfin, le taux de couverture des importations par les exportations, en constante dégradation, n’est que de 9, 2 %.

Il s’agit donc d’un véritable décrochage, qui dénote la faillite d’un système reposant exclusivement sur les transferts publics en provenance de la métropole. La diminution des dépenses publiques ne peut immanquablement qu’entraîner des conséquences graves, et c’est précisément ce qui se passe actuellement.

Une telle dépendance, à quelque niveau qu’elle se situe, ne peut pas être porteuse d’avenir et d’espoir.

Après avoir été successivement une colonie de plantation, une colonie de peuplement – sans aucun succès, il est vrai ! –, une colonie pénitentiaire, une colonie de consommation, imagine-t-on que la Guyane se contentera aujourd'hui de devenir une sorte de colonie spatiale, doublée d’un conservatoire de la biodiversité – autrement dit, un simple pion sur un échiquier, engagée dans un jeu qui la dépasse et dont elle ne peut rien maîtriser ?

Nous ne pouvons plus nous en remettre éternellement à d’autres pour construire la Guyane. D’ici à 2020, la population guyanaise doublera : cela suppose la création dès maintenant de 5 000 emplois nouveaux par an, contre 1 000 aujourd’hui. Or cet objectif semble impossible à atteindre, sauf à prendre des mesures propres à assouplir les rigidités qui empêchent la population locale de prendre en main les ressources guyanaises.

La première de ces mesures consiste à renforcer les pouvoirs locaux de décision économique afin de rendre les richesses plus accessibles à la population. Le développement endogène est une nécessité inéluctable, mais il ne sera possible que si l’on parvient à faire sauter certains verrous.

C’est pour cette raison que je choisis le régime de l’article 74 de la Constitution, qui nous offre davantage de possibilités que celui de l’article 73 pour nous approprier et exploiter à notre profit nos propres ressources.

Prenons l’exemple des richesses minières, qui sont abondantes en Guyane.

La Guyane dispose d’un potentiel aurifère élevé, douze fois plus que celui du Surinam, selon les opérateurs miniers du département, soit plus de 120 tonnes selon le BRGM, le Bureau de recherches géologiques et minières. Or la production déclarée atteint à peine trois tonnes et est en chute libre depuis que le Gouvernement a décidé de faire élaborer un schéma minier qui s’impose, de surcroît, à notre propre schéma d’aménagement régional.

Nous, parlementaires guyanais, avions tenté d’obtenir, lors de l’élaboration de la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer, que les collectivités locales soient associées à l’élaboration de ce schéma minier. Notre démarche fut vaine : ce schéma n’est que l’œuvre d’un fonctionnaire d’État à la retraite et, dans sa formulation actuelle, il constitue une entrave au développement de la Guyane, une « mise sous cloche », selon les propres termes du rapport de la mission commune d’information sénatoriale. Voilà un exemple, et ce n’est pas le seul, d’une activité porteuse d’emplois – 2 000 emplois directs et 8 000 emplois indirects, selon les opérateurs miniers – verrouillée sur l’initiative de l’État, et ce au détriment de l’intérêt local !

Oui, je choisis l’article 74, et j’appelle à voter en sa faveur, car il dispose que les collectivités d’outre-mer qu’il régit « ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République ». En optant pour ce régime, nous pourrons penser notre développement en fonction de nos réalités et de notre environnement propres.

Trop souvent, trop facilement, en raison du régime d’assimilation de l’article 73, la Guyane est purement et simplement assimilée aux petites économies insulaires de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Réunion. Il en résulte que les mesures et les dispositions prises en leur faveur lui sont calquées, alors que le contexte global de la Guyane ne présente que peu de similitudes avec celui de ces îles. La LODEOM en est un exemple frappant : elle a été façonnée, revue et corrigée en fonction essentiellement de la situation antillaise, qui, il est vrai, paraissait à l’époque plus brûlante que celle des autres outre-mer.

Oui, je choisis l’article 74, car les collectivités régies par celui-ci bénéficient, contrairement à certaines allégations, des mêmes garanties constitutionnelles en termes de dotations financières de l’État. D’ailleurs, nos collègues Marc Massion et Éric Doligé, rapporteurs spéciaux des crédits de la mission « Outre-mer », n’ont pas manqué de relever dans leur rapport que « les dotations budgétaires de l’État sont à peu près équivalentes que le territoire soit un département d’outre-mer ou une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution ».

Oui, je choisis l’article 74, car il nous permet, en cas de transfert de la compétence fiscale, d’améliorer le niveau de nos recettes et d’obtenir une plus grande liberté d’utilisation de l’outil fiscal comme instrument d’une politique de développement, en particulier au regard des contraintes du droit communautaire.

Oui, je choisis l’article 74, car il est sans incidence sur l’appartenance à l’Union européenne. En effet, l’élément qui détermine le statut d’une collectivité, en droit européen, est le champ de compétences qui lui est transféré. Ainsi, celle qui choisit de se faire transférer la compétence douanière sort automatiquement du statut de région ultrapériphérique, ou RUP. La Guyane a souhaité garder son statut de RUP et n’a pas demandé le transfert de compétences en matière douanière ; elle continuera ainsi à bénéficier des fonds réservés à ces régions.

De même, le passage du statut de département et région d’outre-mer à celui de collectivité d’outre-mer n’implique pas automatiquement et nécessairement la remise en cause des lois et des droits sociaux dont bénéficie aujourd’hui la population. C’est en effet la loi organique portant statut de la collectivité qui déterminera les domaines dans lesquels la législation nationale s’appliquera sur le territoire. Tout dépendra donc du statut défini par la législation organique. Le congrès des élus de Guyane a opté pour la sanctuarisation de la compétence d’application des lois sociales dans les attributions de l’État, se plaçant sur ce point en situation d’identité législative, tout comme Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui sont passées du régime de l’article 73 à celui de l’article 74 de la Constitution.

Chers collègues, il me tenait à cœur d’insister sur ces différents points. Prononcés devant vous, à la tribune de la Haute Assemblée, mes propos revêtent un caractère plus solennel, et leur authenticité est réaffirmée. Cette authenticité est nécessaire pour contrer les craintes infondées, attisées à des fins essentiellement politiques, par les détracteurs de l’article 74, qui n’hésitent pas à recourir à des arguments fallacieux pour ajouter de la confusion à un débat qui paraît déjà technique à la population. À ce sujet, je souligne d’ailleurs que les membres de la mission commune d’information sénatoriale sur la situation des départements d’outre-mer, qui s’en sont rendu compte lors de leur passage en Martinique et en Guyane, ont proposé que soit organisée une véritable campagne d’information en vue d’éclairer véritablement le choix des électeurs.

Madame la ministre, vous allez vous rendre en Guyane demain : il vous appartient d’apporter une information objective sur l’évolution proposée.

L’article 74, tout comme l’article 73, sont des outils prévus par la Constitution française. Autrement dit, soyons bien clairs : si le choix se porte sur l’article 74, la collectivité unique de Guyane qui en découlera demeurera toujours dans la République française. Dites-le bien aux pourfendeurs de l’article 74 – très souvent vos compagnons de Guyane –, et dites-leur surtout de respecter la Constitution. On ne peut se déclarer plus Français que ceux qui défendent l’article 74 et tenir des propos contraires à la Constitution ! Dites-leur de ne pas transformer la consultation référendaire du 10 janvier en première étape des régionales de mars. Enfin, dites-leur d’être en harmonie avec les propos du chef de l’État quand il déclarait, le 6 novembre :

« Vous avez aussi fait part, lors des états généraux, de votre volonté de pouvoir trouver en vous-mêmes les ressorts de votre propre développement économique.

« Vous savez combien je tiens, moi aussi, à ce que l’État accompagne les outre-mer dans cette démarche. Il s’agit, bien sûr, d’une préoccupation économique, mais aussi d’une question de fierté. Une volonté de prendre en main son propre développement. L’État sera à vos côtés. »

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