Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir invité un représentant de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, l'ANODE, à venir témoigner devant votre commission d'enquête. M. Xavier Caïtucoli, président-directeur général de la société Direct Énergie, membre de l'ANODE, ne pouvait être présent parmi vous aujourd'hui et vous prie de bien vouloir l'en excuser.
L'intitulé de votre commission d'enquête nous semble très judicieux, notamment en raison de la nécessité de déterminer l'imputation des coûts réels de l'électricité aux différents agents économiques. En effet, on s'interroge souvent sur le niveau de ces coûts, mais plus rarement sur la manière de les imputer aux agents économiques. Or vous pourrez constater, en prenant connaissance des questions posées par l'ANODE et des solutions qu'elle propose, que cette problématique est vraiment centrale de notre point de vue.
Permettez-moi tout d'abord de présenter en quelques mots l'ANODE. Cette association a été créée en septembre 2006, sous le nom d'Association nationale des opérateurs détaillants en électricité, dans le contexte du débat parlementaire sur le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, qui a notamment abouti à la création du tarif réglementé transitoire d'ajustement au marché, le TARTAM, afin de promouvoir la création, en France, d'un marché libéralisé de l'électricité qui permette au consommateur de bénéficier pleinement de la concurrence, d'une part, et des avantages de la politique énergétique française, d'autre part. Autrement dit, l'ANODE a été créée pour faire en sorte que les Français puissent bénéficier du développement de la concurrence ainsi que des avantages résultant de la politique française en faveur de l'énergie nucléaire. L'ANODE est devenue l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie en 2010, date à laquelle elle a également accueilli des opérateurs actifs dans le secteur du gaz. Elle réunit aujourd'hui Altergaz, Gaz de Paris, Direct Énergie, Planète Oui et Poweo, c'est-à-dire les fournisseurs qui alimentent près de 90 % des clients ayant quitté les deux opérateurs historiques, EDF et GDF-Suez.
Je vais répondre à vos questions, monsieur le rapporteur, en essayant de les relier à un certain nombre de sujets qui nous préoccupent particulièrement.
La première porte sur l'évolution de la concurrence face aux tarifs réglementés de vente et sur le prix de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, l'ARENH.
Je procéderai tout d'abord à un rappel historique. En 2006, lors de la création de l'ANODE, nous étions en présence d'un « effet de ciseaux » tarifaire. De nombreuses voix se sont élevées pour dire que cette situation était due à l'existence de tarifs réglementés calés sur le coût de production de l'énergie nucléaire. Telle n'a pas été la position adoptée par l'ANODE à l'époque. En effet, nous considérons, comme je vous l'ai expliqué tout à l'heure, que le consommateur doit pouvoir bénéficier, en France, de la concurrence dans le domaine de la fourniture d'électricité, mais aussi de l'avantage résultant du choix politique national de créer un parc de centrales nucléaires. Pour cette raison, l'ANODE a proposé, dès 2006, la création d'une « offre de gros nucléaire ». En effet, en présence d'un effet de ciseaux, on peut essayer d'agir sur la branche supérieure ou sur la branche inférieure : beaucoup déclaraient que les tarifs réglementés étaient trop bas, nous estimions quant à nous que le problème était dû à l'absence d'une « offre de gros » représentative de la politique nucléaire.
Cette proposition n'a malheureusement pas été retenue en 2006. Toutefois, à la suite de la publication du rapport Champsaur et de la promulgation de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi NOME, cette « offre de gros nucléaire » existe désormais, sous la forme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique, que vous connaissez bien. La question principale est de savoir si le niveau de l'ARENH et celui des tarifs réglementés permettent à la concurrence de se développer.
Tout d'abord, il faut bien comprendre que le législateur - du moins, c'est ainsi que nous l'interprétons - a décidé d'intégrer à terme dans le prix de l'électricité nucléaire, et donc dans les tarifs réglementés de vente, des éléments qui n'avaient pas été retenus initialement, notamment les coûts futurs résultant de la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. À cet égard, nous ne disposons que de très peu d'informations, qu'il s'agisse des conséquences de cette décision sur le niveau des prix ou des méthodes de calcul employées. Le tarif de 42 euros par mégawattheure est-il satisfaisant ? Nous ne sommes pas capables de répondre à cette question, parce que nous ne disposons pas des paramètres qui nous permettraient d'évaluer ce prix et que nous ne connaissons pas non plus la méthode de calcul utilisée. Je rappelle que la loi NOME prévoit qu'un décret en Conseil d'État définira celle-ci, mais pour l'heure nous ne la connaissons pas, non plus que les paramètres retenus, et nous pouvons seulement affirmer - cela a été souvent répété - que ce niveau de prix, aujourd'hui, toutes choses égales par ailleurs, ne permet pas le développement de la concurrence sur le « segment bleu » : cela est très clair !
La loi NOME a posé le principe de la convergence du prix de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique et des tarifs réglementés - à l'horizon de 2015 -, auxquels s'ajoute le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, le TURPE. Le niveau de ces trois éléments va déterminer l'espace économique où les opérateurs fournisseurs pourront se développer.
Plusieurs dispositions de la loi sont très rassurantes pour nous. En effet, celle-ci prévoit de confier à terme à la Commission de régulation de l'énergie la responsabilité de fixer les trois éléments que je viens d'évoquer : elle le fait déjà pour le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité, elle le fera bientôt, à la fin de 2013, pour l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et, à la fin de 2015, pour les tarifs réglementés de vente. Aujourd'hui, pour l'ANODE et les producteurs alternatifs, il importe avant tout de rendre très rapidement cohérents ces trois éléments, afin que la concurrence puisse se développer - puisse survivre, ai-je envie de dire. Par conséquent, il est essentiel que les évolutions à venir du TURPE et de l'ARENH permettent d'atteindre cet objectif le plus rapidement possible.
J'insiste particulièrement sur cette notion de cohérence : pour nous, depuis que nous avons obtenu ce que nous souhaitions, à savoir une offre de gros nucléaire, la cohérence est désormais prioritaire. Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, à ce que le prix de l'ARENH soit plus élevé que ce que l'on pouvait espérer l'année dernière, pour permettre d'accroître la sûreté du parc nucléaire. Maintenant, il faut assumer les conséquences des choix relatifs au développement du parc nucléaire, à la fois dans la fixation du prix de l'ARENH et dans celle des tarifs réglementés. Si ces choix ne sont pris en compte qu'au travers du prix de l'ARENH, on ne donne pas à EDF les moyens de réaliser les investissements correspondants, puisque les tarifs réglementés sont aujourd'hui malheureusement très largement majoritaires sur notre marché.
Vous posez la question de l'incidence du niveau de l'ARENH sur les tarifs réglementés. Effectivement, à partir du moment où le coût de la production nucléaire augmente, les tarifs réglementés en subissent les conséquences, mais leur hausse devrait être limitée à 10 % pour les cinq ans qui viennent. Si cette augmentation doit permettre à la fois de sécuriser davantage le parc nucléaire et de prolonger de dix ou vingt ans le bénéfice économique que les Français tirent aujourd'hui de l'existence d'un parc nucléaire performant, nous estimons qu'elle est évidemment tout à fait souhaitable. Pour que cela fonctionne, il faut des évolutions tarifaires - je viens d'évoquer une augmentation de 10 % en cinq ans uniquement pour la part de la production nucléaire, j'évoquerai plus tard les autres parts. L'important est de ne pas rater les premières marches, car si nous attendons trop, les suivantes seront d'autant plus élevées et nous aurons du mal à les franchir.
Cette augmentation tombe mal, parce qu'elle se conjugue avec l'évolution des tarifs réglementés de vente rendue nécessaire par celle des autres composantes de ces derniers, à savoir l'accès au réseau, la contribution au service public de l'électricité, ou CSPE, et le coût de la commercialisation, qui doit évoluer significativement pour tenir compte du mécanisme d'économies d'énergie.
Pour répondre à votre question sur notre estimation de ces trois éléments, monsieur le rapporteur, j'indiquerai qu'elle est relativement cohérente avec celle qu'a présentée le président de la Commission de régulation de l'énergie. On pourrait ouvrir un débat sur la hausse des tarifs réglementés : celle-ci devrait s'établir autour de 20 %, plutôt que de 30 %, sur les cinq prochaines années, parce que la CSPE n'est pas incluse dans les tarifs réglementés, dans la mesure où elle s'applique à toutes les offres, libres et réglementées. Pour nous, l'essentiel n'est pas de savoir si les prix vont augmenter ni de combien ; nous en aurons une idée à mesure que nous obtiendrons des informations, notamment sur les investissements dans le réseau ou sur les investissements effectifs en vue de la prolongation de la durée de vie du parc de centrales nucléaires. En revanche, il est capital de savoir qui doit payer et selon quelles modalités - c'est la question judicieuse qui est posée par votre commission d'enquête - et comment rendre la facture le plus acceptable possible. Je rappelle que le montant de cette facture dépend de deux éléments : le prix et la consommation ; nous devons nous intéresser non seulement au niveau de cette dernière, mais aussi à sa forme.
De notre point de vue, la tendance haussière des prix de l'énergie, notamment de l'électricité, justifie plus encore que l'on développe la concurrence. La concurrence est source de modération tarifaire ; j'ai bien dit « modération tarifaire », et non pas « baisse des prix » - toutes choses égales par ailleurs, on peut souhaiter que les prix baissent grâce à la concurrence, mais vous savez que la conjoncture est telle que cela ne sera pas possible. La concurrence doit aussi favoriser les innovations en matière d'offres et de services, pour consommer moins et pour consommer mieux. Dans la situation où nous sommes, nous estimons que la concurrence doit plus que jamais être encouragée.
À cet égard, nous craignons énormément que cette conjoncture très défavorable n'incite à une « politisation des tarifs », c'est-à-dire au maintien des tarifs à un niveau très bas. Telle est la situation actuellement en Belgique. L'Espagne a aussi choisi de recourir à cette politique, il y a plusieurs années : pour information, elle connaît aujourd'hui un « déficit tarifaire », c'est-à-dire une dette de l'État espagnol envers les opérateurs énergétiques, de 23 milliards d'euros environ, ce qui contribue évidemment aux difficultés budgétaires que rencontre le gouvernement de ce pays. Pour régler le problème, les Espagnols devraient augmenter leurs tarifs non pas de 30 % sur les cinq prochaines années, mais de 37 % dès maintenant ! Ils se trouvent donc dans une situation très inconfortable, que la France doit à tout prix éviter de connaître.
Ces mauvaises nouvelles nous obligent à nous poser un certain nombre de questions sur la manière dont on consomme l'énergie en France. En particulier, la précarité énergétique augmentant forcément avec la croissance des prix, nous devons refonder globalement notre vision de cette problématique, et je vous présenterai les propositions de l'ANODE sur ce point. Par ailleurs, la maîtrise de la demande devient un enjeu de plus en plus important ; je distinguerai la maîtrise de la demande d'énergie de la maîtrise de la demande de puissance.
En ce qui concerne la précarité énergétique, nous pensons qu'il faut revoir de fond en comble les tarifs sociaux, notamment en termes de périmètre - la hausse des prix provoque une augmentation du nombre de clients en situation de précarité énergétique, c'est-à-dire qui consacrent plus de 10 % de leur budget au paiement de leurs factures d'énergie - et en termes de niveau. Il faut sans doute coupler ces tarifs sociaux à des politiques de soutien à une meilleure maîtrise de la consommation ; j'y reviendrai.
Les membres de l'ANODE demandent avec insistance qu'on les autorise, comme les opérateurs historiques, à proposer à leurs clients le tarif social de l'électricité, ce que la loi ne permet pas actuellement. Il est fort regrettable que les clients en situation de précarité ne puissent pas bénéficier à la fois des avantages du tarif social de l'électricité et de ceux des offres compétitives des opérateurs alternatifs, alors que cela est possible dans le secteur du gaz, par exemple. Cette demande a donné lieu à une polémique dans le cadre de la préparation du décret en vue de l'automatisation des tarifs sociaux : l'Autorité de la concurrence et la Commission de régulation de l'énergie, dans leurs avis respectifs, ont estimé qu'il était urgent de faire évoluer le tarif social de l'électricité pour que l'ensemble des fournisseurs puissent le proposer à leurs clients, dans l'intérêt même des consommateurs concernés.
En ce qui concerne la maîtrise de la demande d'énergie, je voudrais tout d'abord exposer notre vision du dispositif des certificats d'économie d'énergie, dont les objectifs étaient louables mais que nous estimons aujourd'hui très insatisfaisants.
À l'heure actuelle, sur le marché des certificats d'économie d'énergie, le prix du mégawattheure cumulé actualisé est d'environ 4 ou 5 euros, ce qui représente plusieurs centaines de millions d'euros pour l'ensemble du dispositif. Nous estimons qu'à peine 20 % de cette dépense revient effectivement à ceux qui investissent dans les systèmes destinés à améliorer l'efficacité énergétique. Le reste est capté, par pur effet d'aubaine, par des intermédiaires ou par de nouveaux opérateurs créés en réponse à la lourdeur administrative du dispositif. Cette organisation n'est absolument pas efficace, d'autant que le dispositif est très peu sélectif : il oriente les obligés que nous sommes vers les actions qui rapportent le plus de mégawattheures cumulés actualisés, et pas forcément vers les actions les plus rentables du point de vue de celui qui investit dans l'efficacité énergétique. La raison en est simple : ce dispositif est très opaque. Nous n'avons pas fait de sondage, mais je pense que les consommateurs français ne le connaissent quasiment pas, voire pas du tout, ce qui est regrettable.
L'autre motif d'inquiétude tient à nos yeux au financement du dispositif. Aujourd'hui, il est prévu, notamment dans le contrat de service public, que les tarifs réglementés de vente doivent intégrer le coût du dispositif pour les opérateurs historiques, or tel n'est manifestement pas le cas. Aucune des évolutions tarifaires récentes n'a répercuté ce coût qui, pour nous, pourrait être à l'origine d'un effet de ciseaux tarifaire très inquiétant. En effet, il va croissant et fait partie des éléments qui vont entraîner une augmentation des tarifs réglementés, si l'on suit le contrat de service public et la logique consistant à faire payer au consommateur, par le biais du prix de l'énergie, le coût du dispositif d'efficacité énergétique. Nous pensons que ce n'est pas une bonne chose, parce qu'il n'y a pas de corrélation, aujourd'hui, entre la quantité d'énergie électrique consommée et l'efficacité énergétique : un foyer qui dispose d'une habitation très bien isolée et a fait le choix d'avoir une voiture électrique pour des raisons écologiques aura une consommation d'électricité importante et sera amené à verser une contribution très élevée au dispositif d'économies d'énergie, alors qu'il est déjà très vertueux dans ce domaine.
L'ANODE propose donc de modifier radicalement le système, puisqu'il n'est pas satisfaisant. Notre première suggestion est de faire supporter le coût du dispositif par les responsables de l'inefficacité énergétique de l'habitat, qui sont également les décideurs en matière d'investissements, à savoir les propriétaires - je ne m'intéresse pas à la partie du dispositif relative aux transports -, et non par les locataires qui acquittent les factures d'électricité. Notre proposition est simple : il s'agit de créer une contribution, payable avec la taxe foncière, établie en fonction d'un diagnostic de performance énergétique, qu'il faut généraliser et sans doute améliorer. Ce dispositif serait assez lourd, mais, de notre point de vue, les enjeux sont colossaux en France, notamment du fait du niveau de développement du chauffage électrique : il faut faire évoluer la situation.
Nous pensons que la mise en oeuvre du dispositif que nous préconisons aurait des effets vertueux, parce que le propriétaire disposera de tous les éléments lui permettant de faire évoluer son bien et pourra rentabiliser les investissements consentis en matière d'amélioration de l'efficacité énergétique de trois manières : premièrement, il pourra réduire le montant de la taxe dont il doit s'acquitter, selon un schéma similaire à celui de la taxe écologique pour les voitures, s'il améliore le diagnostic de performance énergétique de l'habitat ; deuxièmement, il pourra répercuter sur le loyer une partie du coût de ces investissements, comme le prévoit la loi, dans la mesure où le locataire bénéficie de ces derniers sous forme d'une réduction de sa facture d'électricité ; troisièmement, il pourra bénéficier du fonds qui sera alimenté par cette contribution.
Nous proposons que les fournisseurs restent au centre du dispositif, parce qu'ils sont en mesure de définir ce que le locataire va pouvoir économiser sur sa facture électrique, en termes à la fois de consommation et d'offres tarifaires. Les fournisseurs ont donc un rôle important à jouer. Je n'entrerai pas davantage dans le détail, mais il me semble que traiter ce sujet est crucial pour permettre enfin une évolution dans le domaine de l'efficacité énergétique de l'habitat en France.
La maîtrise de la demande en pointe et en puissance constitue un enjeu majeur pour la France. Je rappelle que la surconsommation de notre pays due à sa « thermosensibilité » représente la moitié de celle de l'Europe, avec environ 2 300 mégawatts de consommation électrique supplémentaire pour une baisse de température de 1°C, soit deux fois la consommation d'une ville comme Marseille. Cela oblige à mobiliser des moyens de production utilisés assez rarement et en outre particulièrement polluants : l'enjeu est donc crucial tant sur le plan économique que du point de vue écologique.
L'ANODE a sensibilisé très tôt les différentes parties prenantes à la question de la pointe électrique, notamment le Sénat dans le cadre de la mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, lors d'une audition en date du 22 février 2007. Depuis sa création, l'ANODE est favorable à l'instauration d'un dispositif de rémunération de la capacité de production : nous pensons qu'un marché qui ne rémunère que l'énergie n'est pas efficace pour rentabiliser les moyens de production de pointe, mais surtout - et c'est le plus important - pour valoriser à leur juste niveau les effacements de consommation qui permettront de lisser cette dramatique pointe de consommation en période de froid.
À cette fin, nous soutenons la mise en place de deux dispositifs fondamentaux. Le premier est d'ordre économique : il s'agit du mécanisme de capacité, qui est prévu par la loi NOME. Le second est d'ordre technique : il s'agit du « compteur intelligent », c'est-à-dire du projet Linky.
En ce qui concerne le dispositif économique, des discussions ont lieu en ce moment même sur un projet de décret qui sera présenté par l'administration au Conseil supérieur de l'énergie la semaine prochaine. Ce projet nous inquiète assez fortement, parce que nous estimons que le mécanisme prévu n'est pas cohérent avec l'objectif visé, à savoir permettre une rentabilité correcte des moyens de production d'énergie ou d'effacement, en complément de ce que ces moyens de production vont rapporter sur le marché de l'énergie. Sur ce marché, lorsqu'il y a des tensions dues à des sous-capacités de production, les prix sont élevés, donc la rémunération de la capacité doit être faible pour que le complément se fasse de manière constante. A contrario, en présence d'une surcapacité de production, il n'y a pas de tensions sur les prix, donc les producteurs ne récupèrent pas de « valeur puissance » : il est alors nécessaire que la rémunération de la capacité soit importante.
Nous estimons donc que la rémunération de la capacité doit être inversement corrélée avec les tensions du système. Je reconnais que ce raisonnement est contre-intuitif, mais le mécanisme qu'il sous-tend permettrait d'assurer une rentabilité stable aux producteurs d'énergie et d'effacement. Il est également nécessaire pour garantir le financement des investissements correspondants, qui sont assez lourds.
Or tels ne sont pas les principes qui fondent le dispositif qui nous est proposé aujourd'hui, car il opère une corrélation directe entre la rémunération de la capacité et les tensions du système, donc les périodes de sous-capacité. Cette perspective nous inquiète, parce que les producteurs seront clairement incités à maintenir une sous-capacité. Ils récupéreront ainsi beaucoup d'argent sur le marché de l'énergie grâce à la fois aux pointes de prix et au mécanisme de rémunération des capacités. Il ne nous paraît pas souhaitable de mettre les opérateurs en situation de maintenir une sous-capacité de production en France, or le mécanisme aggrave fortement la volatilité du prix de la capacité et de la rémunération des producteurs d'énergie et d'effacement. Cette forte volatilité n'étant pas favorable à l'investissement, il convient de l'éviter. Par ailleurs, en cas de sous-capacité effective, le consommateur va payer très cher l'énergie complémentaire à l'énergie nucléaire en cas de pointe de prix, de même qu'il paiera très cher la rémunération de la capacité, parce que la loi NOME prévoit de l'intégrer aux tarifs réglementés : il va subir les conséquences de l'insuffisance des moyens de production...