Intervention de Isabelle de Gaulmyn

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 6 février 2019 à 16h30
Audition conjointe de mmes isabelle de gaulmyn rédactrice en chef au journal la croix catherine bonnet ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'église soeur véronique margron théologienne présidente de la conférence des religieuses et religieux en france corref père stéphane joulain père blanc psychothérapeute spécialisé dans le traitement des abus sexuels père pierre vignon prêtre du diocèse de valence

Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix :

Mesdames, messieurs, si j'ai écrit le livre intitulé Histoire d'un silence, c'est parce que j'ai été scout dans la troupe de Saint-Luc, dans la commune de Sainte-Foy-lès-Lyon. Ce qui m'a surprise, quand les choses ont été révélées publiquement, en 2015, c'est de constater que je n'étais pas seule au courant, beaucoup de personnes de la commune l'étant également.

J'étais au courant en tant que petite fille, beaucoup de bruits circulant autour du Père Preynat. Plus tard, en 2005, un prêtre de cette commune m'avait dit qu'il existait un gros dossier contre le père Preynat. C'est à ce moment que j'en ai parlé au cardinal Barbarin. Ce qui m'a bouleversée, c'est de me dire que beaucoup de personnes savaient entre les années 1980 et 2015. Que savaient-elles ? C'est le problème... Elles ne savaient pas forcément des choses très précises, mais on connaissait cette histoire.

En tant qu'ancienne scout, je n'ai pas du tout été étonnée. Pourquoi un tel silence de la part de la hiérarchie de l'Église, des prêtres, mais aussi de toute la communauté catholique de la commune, des parents et des victimes, qui n'ont pas parlé avant 2015 ? C'est pour essayer de le comprendre que j'ai écrit ce livre.

Pourquoi personne n'a-t-il rien dit ? Je ne réponds finalement pas complètement à cette question, mais il me semble qu'il existe en premier lieu, dans l'Église catholique, une peur du scandale très intériorisée qui n'est pas simplement le fait de la hiérarchie. Je pense que l'ensemble des catholiques ont la volonté de « laver leur linge sale en famille », sans en parler à l'extérieur. Je crois en avoir moi-même été victime, puisque je ne l'ai pas dit non plus quand j'ai commencé à le savoir de manière précise, peut-être parce que, en tant que catholiques, notre première réaction est de considérer qu'il ne faut pas que cela sorte.

Il y a, dans le droit canon, même si je ne suis pas spécialiste, beaucoup d'allusions au scandale, qui est très mal vu dans l'Église. C'est presque une faute de créer un scandale. Ceci est très fort chez les catholiques.

En second lieu, ce qui m'a marquée, c'est le rôle du prêtre dans une communauté et la manière dont on le place sur un piédestal. On ne le remet pas en cause, il est en quelque sorte considéré comme une personne sacrée. Beaucoup de parents en étaient victimes. C'était une sorte de « gourou » qu'on n'osait pas remettre en question. Même la gestion du groupe de scouts par ce prêtre n'était pas très claire, mais personne n'a osé le lui dire. Un prêtre, dans une communauté catholique, est quelqu'un de très important, qu'on ne critique pas.

Il existe également une peur par rapport à tout ce qui vient de l'extérieur. Je caricature les choses à dessein pour mieux vous les faire comprendre. Tout n'a certainement pas joué à plein, mais lorsque vous êtes accusé, vous avez tendance à dire que la faute vient finalement de ceux qui vous accusent. Dans toutes les affaires, quand les premières victimes ont commencé à parler, la hiérarchie a d'abord évoqué un complot anticatholique émanant d'ennemis du catholicisme. La méfiance par rapport à ce qui vient de l'extérieur peut expliquer tout le mur qui s'est bâti entre les victimes d'un côté et l'institution ecclésiale de l'autre mur, qui est heureusement en train de s'écrouler.

Par ailleurs, le lien très étroit entre un évêque et ses prêtres a, me semble-t-il, beaucoup joué. Un prêtre, pour un évêque, c'est son fils. Pour le prêtre, l'évêque, c'est son père. Il s'agit d'un lien filial. Un évêque m'avait expliqué que, pour eux, apprendre qu'un prêtre est pédophile, c'est un peu comme apprendre que son fils aîné est un criminel. Je lui avais fait remarquer que les victimes faisaient également partie de l'Église et étaient aussi ses enfants, mais l'évêque fera toujours porter sa préférence sur son prêtre, qu'il considère comme son fils spirituel. L'évêque ne peut être objectif.

On trouve aussi une sorte de confusion théologique chez les catholiques. Pour beaucoup, on ne peut remettre en cause une institution sainte par définition, d'où la difficulté d'exercer une autocritique. Or, quand on parle de « sainte Église », il ne s'agit pas du tout de l'institution ecclésiale.

Pour le reste, on connaît la culpabilité des évêques qui, dans le cas du père Preynat, ont caché les choses durant des années et choisi de lui faire confiance, avant de finalement le déplacer sans prendre aucune sanction.

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