Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs

Réunion du 6 février 2019 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Mes chers collègues, après avoir entendu Christine Pedotti, de Témoignage chrétien, et l'association « Notre parole aussi libérée », nous poursuivons nos auditions sur le thème des infractions sexuelles sur mineurs commises au sein de l'Église de France sous la forme d'une table ronde en recevant :

- Mme Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix, auteure de l'ouvrage, Histoire d'un silence, paru en 2016, qui revient sur l'affaire du père Preynat à Lyon, qui nous fera part de son témoignage et de ses réflexions sur le sujet qui nous occupe ;

- Mme Catherine Bonnet, pédopsychiatre, ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église, qui nous dira pourquoi elle a quitté cette commission en 2018 et quelles sont les mesures qui mériteraient, selon elle, d'être prises au sein de l'Église pour mieux protéger enfants et adolescents ;

- Soeur Véronique Margron théologienne, présidente de la conférence des religieux et religieux en France, qui milite depuis des années contre les abus sexuels et la pédophilie dans l'Église et qui nous relatera son expérience et nous communiquera ses propositions, qui s'appuient sur une grande connaissance de l'Église catholique ;

- le père Pierre Vignon, qui officie dans le diocèse de Valence, qui suit de nombreuses victimes d'abus sexuels et qui est à l'origine d'une pétition demandant la démission du cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, à la suite de l'affaire Preynat. Il nous dira les conséquences de ses prises de position ;

- enfin, le père Stéphane Joulain, psychothérapeute, spécialisé dans le traitement des abus sexuels sur mineurs qui, après nous avoir présenté son parcours, nous fera part de ses réflexions concernant notamment la prévention de ces abus sexuels et l'accompagnement des victimes.

Je remercie chacun d'entre vous d'avoir accepté notre invitation pour cette audition, qui revêt une grande importance pour notre mission. À l'origine de nos travaux se trouve en effet une demande de nos collègues du groupe socialiste, qui avaient réclamé la constitution d'une commission d'enquête sur les abus sexuels dans l'Église. Notre mission d'information a finalement un champ d'investigation plus large, puisqu'elle s'intéresse à toutes les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions, mais nous souhaitons aussi faire toute la lumière sur les infractions sexuelles sur mineurs commises au sein de l'Église catholique de France.

Les premières auditions auxquelles nous avons procédé nous laissent penser que l'Église présente d'ailleurs de vraies particularités par rapport à d'autres institutions, ne serait-ce qu'en raison de son organisation très hiérarchisée et parce qu'elle est régie par un droit canon distinct de notre droit civil.

Nous recevrons la semaine prochaine la Conférence des évêques de France, et nous avons également prévu de recevoir les représentants des cultes musulman, protestant et israélite. Nous entendrons « La parole libérée » et M. Sauvé demain matin.

Nos rapporteures vous ont adressé un questionnaire pour vous aider à préparer cette audition. Nous allons procéder à un premier tour de table, de façon que chacun puisse présenter les préoccupations relatives aux fonctions que vous avez exercées. Nos rapporteures et les collègues ici présents vous poseront ensuite des questions complémentaires.

Vous avez la parole.

Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix

Mesdames, messieurs, si j'ai écrit le livre intitulé Histoire d'un silence, c'est parce que j'ai été scout dans la troupe de Saint-Luc, dans la commune de Sainte-Foy-lès-Lyon. Ce qui m'a surprise, quand les choses ont été révélées publiquement, en 2015, c'est de constater que je n'étais pas seule au courant, beaucoup de personnes de la commune l'étant également.

J'étais au courant en tant que petite fille, beaucoup de bruits circulant autour du Père Preynat. Plus tard, en 2005, un prêtre de cette commune m'avait dit qu'il existait un gros dossier contre le père Preynat. C'est à ce moment que j'en ai parlé au cardinal Barbarin. Ce qui m'a bouleversée, c'est de me dire que beaucoup de personnes savaient entre les années 1980 et 2015. Que savaient-elles ? C'est le problème... Elles ne savaient pas forcément des choses très précises, mais on connaissait cette histoire.

En tant qu'ancienne scout, je n'ai pas du tout été étonnée. Pourquoi un tel silence de la part de la hiérarchie de l'Église, des prêtres, mais aussi de toute la communauté catholique de la commune, des parents et des victimes, qui n'ont pas parlé avant 2015 ? C'est pour essayer de le comprendre que j'ai écrit ce livre.

Pourquoi personne n'a-t-il rien dit ? Je ne réponds finalement pas complètement à cette question, mais il me semble qu'il existe en premier lieu, dans l'Église catholique, une peur du scandale très intériorisée qui n'est pas simplement le fait de la hiérarchie. Je pense que l'ensemble des catholiques ont la volonté de « laver leur linge sale en famille », sans en parler à l'extérieur. Je crois en avoir moi-même été victime, puisque je ne l'ai pas dit non plus quand j'ai commencé à le savoir de manière précise, peut-être parce que, en tant que catholiques, notre première réaction est de considérer qu'il ne faut pas que cela sorte.

Il y a, dans le droit canon, même si je ne suis pas spécialiste, beaucoup d'allusions au scandale, qui est très mal vu dans l'Église. C'est presque une faute de créer un scandale. Ceci est très fort chez les catholiques.

En second lieu, ce qui m'a marquée, c'est le rôle du prêtre dans une communauté et la manière dont on le place sur un piédestal. On ne le remet pas en cause, il est en quelque sorte considéré comme une personne sacrée. Beaucoup de parents en étaient victimes. C'était une sorte de « gourou » qu'on n'osait pas remettre en question. Même la gestion du groupe de scouts par ce prêtre n'était pas très claire, mais personne n'a osé le lui dire. Un prêtre, dans une communauté catholique, est quelqu'un de très important, qu'on ne critique pas.

Il existe également une peur par rapport à tout ce qui vient de l'extérieur. Je caricature les choses à dessein pour mieux vous les faire comprendre. Tout n'a certainement pas joué à plein, mais lorsque vous êtes accusé, vous avez tendance à dire que la faute vient finalement de ceux qui vous accusent. Dans toutes les affaires, quand les premières victimes ont commencé à parler, la hiérarchie a d'abord évoqué un complot anticatholique émanant d'ennemis du catholicisme. La méfiance par rapport à ce qui vient de l'extérieur peut expliquer tout le mur qui s'est bâti entre les victimes d'un côté et l'institution ecclésiale de l'autre mur, qui est heureusement en train de s'écrouler.

Par ailleurs, le lien très étroit entre un évêque et ses prêtres a, me semble-t-il, beaucoup joué. Un prêtre, pour un évêque, c'est son fils. Pour le prêtre, l'évêque, c'est son père. Il s'agit d'un lien filial. Un évêque m'avait expliqué que, pour eux, apprendre qu'un prêtre est pédophile, c'est un peu comme apprendre que son fils aîné est un criminel. Je lui avais fait remarquer que les victimes faisaient également partie de l'Église et étaient aussi ses enfants, mais l'évêque fera toujours porter sa préférence sur son prêtre, qu'il considère comme son fils spirituel. L'évêque ne peut être objectif.

On trouve aussi une sorte de confusion théologique chez les catholiques. Pour beaucoup, on ne peut remettre en cause une institution sainte par définition, d'où la difficulté d'exercer une autocritique. Or, quand on parle de « sainte Église », il ne s'agit pas du tout de l'institution ecclésiale.

Pour le reste, on connaît la culpabilité des évêques qui, dans le cas du père Preynat, ont caché les choses durant des années et choisi de lui faire confiance, avant de finalement le déplacer sans prendre aucune sanction.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Les rumeurs sur ce prêtre dépassaient-elles les limites de la communauté paroissiale ?

Debut de section - Permalien
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix

Il s'agissait d'une grosse communauté de la région lyonnaise, plutôt privilégiée. Je pense que beaucoup de prêtres de l'ouest lyonnais étaient au courant et refusaient d'accuser l'un des leurs. C'est un monde qui vit beaucoup entre soi. Je parle là d'une autre époque : dans les années 1980-1990, je pense qu'on ne voyait pas du tout les choses comme maintenant. Pour la génération de mes parents, on disait qu'un prêtre « tripotait » un garçon. C'est terrible à reconnaître aujourd'hui, mais il ne faut pas juger cela avec le regard d'aujourd'hui.

Père Pierre Vignon, prêtre du diocèse de Valence. - Je suis très heureux de témoigner en tant que citoyen français, mais aussi en tant que prêtre.

Je me propose de relire les questions qui m'ont été adressées pour que chacun puisse comprendre mes réponses, car j'ai pesé mes mots...

Première question : « Vous êtes l'auteur de l'ouvrage Plus jamais ça , présenté comme le cri du coeur du prêtre qui dénonce l'omerta . Vous avez également lancé un appel à la démission du cardinal Barbarin dans le cadre de l'affaire Preynat. Pouvez-vous nous présenter les raisons de votre démarche et votre diagnostic concernant l'attitude de l'Église dans les affaires de pédophilie ? »

Le livre, tout d'abord... C'est M. François Jourdain de Muizon, professeur émérite de l'université, écrivain, qui m'a téléphoné très rapidement après l'annonce de ma lettre ouverte, le 21 août, pour me proposer de publier ensemble un livre sur la couverture de la pédophilie dans l'Église. Connaissant son sérieux, j'ai accepté de suite, car j'ai pensé que c'était une bonne occasion de m'expliquer devant l'opinion publique. La publication de l'ouvrage était décidée avant que ne soit confirmée la tenue du procès du cardinal Barbarin au début du mois de janvier 2019. La sortie du livre avant le procès n'était donc pas un calcul comme certains me l'ont reproché.

Concernant l'appel à la démission du cardinal Barbarin, je n'ai pas été étonné, quand l'affaire Preynat a éclaté dans les médias, en 2015, grâce à l'association « La parole libérée ». J'avais entendu une fois une allusion aux « casseroles » du père Preynat, grâce à l'abbé Joseph Chalvin, aujourd'hui décédé. J'étais à Lyon à ce moment-là. Il avait été le secrétaire du cardinal Villot, et il travaillait à l'officialité. Joseph Chalvin avait ses entrées à l'archevêché, ce qui n'était pas mon cas, et il savait tout ce qui s'y passait.

Devant mon interrogation, il refusa de m'en dire plus, mais je compris que c'était lié au groupe de scouts Saint-Luc, et que Bernard Preynat en avait été écarté en raison de plaintes des familles. Si Joseph Chalvin connaissait ce qui concernait Bernard Preynat, c'est que tout l'archevêché le savait, sans qu'on puisse en douter. C'était un homme toujours très bien renseigné.

J'ai tout de suite apporté, dès février 2016, mon soutien à l'association « La parole libérée ». J'estimais que leur combat était juste et qu'ils devaient se sentir soutenus par des prêtres. J'ai été très surpris de me retrouver quasiment seul par la suite. À l'époque, il avait été décidé, par prudence, que mon nom ne serait pas révélé. La raison en était que je pouvais être amené à aider concrètement des victimes, et qu'il ne fallait pas tout mélanger.

Voici les extraits du mail que j'ai envoyé à François Devaux, président de « La parole libérée », en avril 2016, à la suite de la lettre envoyée aux prêtres de Lyon : Chers amis, un grand merci pour l'envoi de cette lettre magnifique de justesse et de vérité. (...) Là où j'ai été franchement contrarié, c'est quand j'ai vu le cardinal se laisser plus ou moins sciemment prendre en otage pour une fausse guerre de religion à son sujet. Je ne comprends pas qu'on accepte à cause de soi de diviser un peu plus la société française. Un vrai pacifique aurait demandé de se retirer le temps que la lumière soit faite, pour ne pas créer le trouble, quitte à revenir grandi après un non-lieu de la justice. J'ai été encore plus contrarié quand j'ai vu notre cardinal se constituer à grands frais une défense digne d'un homme politique. (...) N'aurait-il pas été plus simple d'aller de Fourvière à Sainte-Foy pour parler avec vous ? Et je suis certain que si le cardinal vous avait expliqué personnellement ce qui s'était passé, et même s'il y avait erreur de sa part, vous auriez accepté cela comme une réponse.

C'est une évidence pour moi que le cardinal Barbarin et ses collaborateurs, dont mon évêque de Valence, qui a été sept ans son vicaire général, ne disent pas la vérité. Comment accepter l'idée que monseigneur Barbarin n'ait pas été informé lors de la visite pastorale de la paroisse de Bernard Preynat en 2002 ? Comment comprendre que monseigneur Michel, dans un communiqué, fin 2018, ait nié avoir connu au moins sept cas d'abus, alors qu'il l'a avoué à une de ses victimes, devant témoin, en avril 2016 ? Il a même ajouté qu'il n'avait pas interdit à Bernard Preynat de faire le catéchisme parce qu'il le faisait tellement bien !

Comment comprendre que le cardinal Barbarin, si méfiant envers les propos des victimes, ait cru sur parole Bernard Preynat quand ce dernier lui a dit qu'il n'avait plus commis de crimes depuis 1990 ? Pourquoi une telle ignorance et un tel déni face à la pédophilie, alors que les évêques français prétendent avoir étudié le phénomène à fond depuis les années 2000 ?

Connaissant la déontologie des journalistes Céline Hoyeau et Isabelle de Gaulmyn, je les crois quand elles écrivent que le cardinal était au courant en 2007, et même en 2002. Je cite Histoire d'un silence : « Sa réponse est sans détour : il le savait avant. Il l'a su assez tôt en réalité, après son arrivée à Lyon, en 2002. »

Ce qui est particulièrement incompréhensible, c'est que le cardinal Barbarin, pasteur du diocèse, ait considéré les victimes comme des agresseurs plutôt que des souffrants qui avaient besoin de sa présence. Pourquoi s'est-il mis tout de suite sur le terrain de la défense juridique et de la communication, en s'assurant les conseils du cabinet de gestion de crise Vae Solis ? N'aurait-il pas été plus simple de leur parler ? Pourquoi avoir voulu impliquer avec lui toute l'Église de France plutôt que de se retirer le temps de l'examen judiciaire ? Pourquoi se laisser mettre en position de « victime des victimes », comme l'a dit récemment un prêtre de Lyon, relayé avec le plus mauvais goût par un hebdomadaire catholique, qui a osé présenter le cardinal en Saint-Sébastien martyr ?

Monseigneur Barbarin, comme l'a noté l'académicien Jean-Marie Rouart dans un article récent de Paris Match, en se défendant ainsi, a perdu sur le plan des valeurs humaines et de la première des vertus chrétiennes, la charité. Pour ma part, je ne me reconnais pas dans cette posture qui n'est pas celle de l'Église, et c'est aussi le sens profond de mon appel à sa démission.

Avant moi, le 21 novembre 2016, le courageux prêtre de Lyon Patrick Royannais a demandé publiquement la démission de son cardinal. On peut le lire sur internet : « Monseigneur Barbarin vient de reconnaître ses torts et de demander pardon pour sa gestion de l'affaire Preynat lors d'une célébration, le 18 novembre 2016 (...) Tout ça pour ça ! (...) Deux ans de mensonges, de roueries, où il promet d'agir et diffère sans cesse l'action, où il se moque des victimes et laisse son avocat les insulter. (...) Deux ans à être la cause de ce que l'Église sainte soit traînée dans la boue pour défendre un siège et une carrière. (...). Deux ans à ranger l'Église dans le camp du bourreau, et non au côté des victimes. Deux ans à se prétendre soutenu par le Pape et sans doute à le manipuler. Deux ans que des prêtres, des laïcs du diocèse et d'ailleurs, tentent d'interpeller le cardinal, de le conseiller, et que, comme d'habitude, il n'écoute pas, car il n'écoute que ceux qui le courtisent. (...) C'est la faillite d'une personne. C'est la faillite d'un système. (...) S'il s'est vraiment trompé et qu'il en est enfin convaincu, l'archevêque devrait présenter sa démission au Saint-Père. »

Quelles sont les raisons de ma démarche, et quel est mon diagnostic ? C'est cet exemple patent d'omerta au sein de l'institution qu'il est de mon devoir de dénoncer. Le diagnostic du secret est remarquablement formulé par Mme Anne Philibert dans son livre Des prêtres et des scandales dans l'Église de France, aux éditions du Cerf.

Je la cite, pages 327 et 328 : « Par une instruction du 20 février 1866, le pape Pie IX a posé la règle du secret dans le traitement de ces affaires. (...) Le 9 juin 1922, le préfet du Saint-Office confirma la règle du secret (...). Ce document, approuvé par Pie XI, fut tenu secret (...) et fut envoyé aux évêques. » Il fut complété par « le document pontifical Crimen Sollicitotionihus, envoyé secrètement par le Saint-Office aux évêques en l962. » Ce document reprenait celui de 1922. Mme Philibert synthétise remarquablement le tout aux pages 401-402 : « Le Saint-Siège voulait la sanction et le secret. La pratique semble avoir été le secret sans la sanction. Une sanction sans secret aurait sans doute fait moins de dégâts... ».

Deuxième question : « Quelles sont vos attentes à l'égard de l'Église, s'agissant de la prévention et du traitement des violences sexuelles commises sur des enfants par des clercs ? À cet égard, que pensez-vous des annonces de la Conférence des évêques de France en novembre 2018 ? ».

J'attends désormais la protection des victimes et la sanction des prêtres plutôt que le secret. Les mesures prises depuis vingt-cinq ans par les évêques de France sont souvent bonnes, mais on peut se demander si elles sont correctement appliquées. J'attends beaucoup du travail de la commission Sauvé. On ne connaît toujours pas sa composition. J'aimerais un peu plus de communication à ce sujet.

Je résumerai mon attente par la profonde pensée de Saint Grégoire le Grand, au début du VIIe siècle, reprise par Saint Bernard : « Melius est ut scandalum oriatur quam veritas relinquatur ». « Mieux vaut s'exposer à scandaliser quelqu'un que d'abandonner la vérité ».² C'est avec la vérité connue de tous que l'Église et la société s'en sortiront.

Troisième question : « Quelles seraient selon vous les mesures à mettre en place pour éviter les violences sexuelles au sein de l'Église et pour garantir la plus grande transparence sur ces situations et sur les réponses qui y sont apportées ? »

Je recommande le projet de réforme sur la prise en charge des victimes d'actes de pédophilie commis par des clercs, qu'on trouve sur le site de « La parole libérée », qui n'a pas été pris en compte par la Conférence des évêques de France. Il pose entre autres les questions essentielles relatives à l'indemnisation des victimes, à la mise en place d'un tribunal indépendant pour juger les prêtres, et au droit des victimes dans le cadre des procédures canoniques, etc.

Quatrième question : « La lettre du pape François au peuple de Dieu, du 20 août 2018, appelle à réagir pour éradiquer une culture de l'abus au sein de l'Église catholique. Dans cet esprit, faudrait-il selon vous faire évoluer l'organisation de l'Église catholique, notamment en ce qui concerne la place des femmes et certaines règles de droit canon ? ».

Jusqu'à présent, la réaction à laquelle invite la lettre du pape François n'est pas très grande. L'émotion et la colère suscitées par les funestes révélations ne sont pas assez fortes. Les mentalités au sein de l'institution ont du mal à évoluer. J'aimerais que l'on s'indigne un peu plus ! J'en veux pour seul signe le fait que tout ce que les évêques de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à l'instigation du cardinal Barbarin, ont trouvé comme réponse est de me destituer de ma charge de juge ecclésiastique par un décret du 30 novembre 2018. Je demande les mêmes égards de traitement que Bernard Preynat !

J'ai déposé un recours canonique contre ce décret et, s'il n'est pas révoqué, je vais prochainement porter plainte devant les tribunaux français. En effet, la loi européenne et celle de notre pays protègent les citoyens de l'arbitraire et les défendent dans leur réputation. Depuis peu, la loi intervient en faveur des lanceurs d'alerte face à l'organisation qui voudrait les faire taire.

À travers ce qui m'arrive, la hiérarchie catholique fait passer un message négatif et inquiétant, qui doit interpeller, à savoir que les prêtres et les fidèles n'ont pas intérêt à réagir. Comme c'est une question de principe, j'irai jusqu'au bout.

La réorganisation de l'Église est un sujet trop vaste pour moi. Je me permets cependant de faire une suggestion personnelle qui permettrait à mon sens, une fois mise en oeuvre, un bien meilleur fonctionnement du clergé.

J'avais juste vingt-six ans quand j'ai été ordonné prêtre. J'étais un bon jeune homme, bien formé, mais je peux considérer aujourd'hui que j'étais immature par rapport au monde réel dans lequel nous vivons. Jusque dans les années 1950, il existait une communauté qui accompagnait les jeunes prêtres. J'étais quant à moi totalement seul. C'est toujours le cas. Je propose donc qu'avant d'ordonner quelqu'un prêtre, on le maintienne diacre pendant cinq ans. Durant ce temps, il pourrait entreprendre un travail psychologique de fond afin d'éradiquer en lui ses angoisses inconscientes et de ne pas avoir à les projeter sur les autres une fois devenu prêtre.

À ceux qui s'étonneraient de cette mesure, je me contente de rappeler que toute personne qui ouvre un cabinet de psychanalyse est tenue de faire ce travail auparavant pour ce motif. De la même façon, en raison de l'accroissement de la longévité, je préconise qu'on soit nommé évêque plus tard, afin que ne se retrouvent pas seulement des hypercérébraux arrivistes à la tête des diocèses, mais des hommes équilibrés par l'expérience de la vie.

Pour la participation des femmes à la marche de l'Église, la prise de conscience est désormais faite. On attend cependant toujours les actes concrets. Le pape François en parle beaucoup, c'est acté, mais il n'y a aucune mesure concrète. J'ai des idées à ce sujet - mais il est préférable que ce soit les femmes qui en parlent.

Enfin, pour le droit canon, ayant enseigné son évolution sur deux mille ans comme professeur d'histoire des sources, il est évident qu'il doit constamment s'adapter à la vie selon le principe antique de sagesse : le moins de lois possible pour le plus de vie possible.

Cinquième question : « Le pape François a convoqué une réunion exceptionnelle sur la protection des mineurs au mois de février, à laquelle seront présents tous les présidents des conférences épiscopales du monde. Pensez-vous que cette initiative pourra déboucher sur de réelles avancées sur la question de la pédophilie dans l'Église ? »

Il est impensable que cette réunion ne débouche pas sur de réelles avancées. C'est l'assemblée de la dernière chance. Si la hiérarchie de l'Église catholique la manque, sa crédibilité sera compromise pour longtemps. Il faudra s'attendre à une chute colossale de l'Église catholique dans notre pays, et vraisemblablement la disparition d'au moins un tiers des diocèses dans les vingt ans à venir. J'ose espérer que ce sera un grand moment où souffle l'Esprit, afin que les plus hauts responsables crèvent enfin la bulle par laquelle ils se protègent du monde où nous avons la chance de vivre.

Cette assemblée est apocalyptique au sens profond du terme. Le mot « apocalypse » signifie « révélation » en grec, révélation de la lumière face aux ténèbres. La question de la pédophilie est apocalyptique non seulement dans l'Église, mais dans toute notre société. Face à cette révélation insoutenable des abus de toutes sortes, la délimitation entre ténèbres et lumière devient manifeste. Mon souhait profond, en dénonçant l'omerta, est qu'advienne pour tous cette entrée dans la lumière, la société civile aidant l'Église catholique à faire ce qu'elle n'arrive pas à faire seule, l'Église, ayant réalisé finalement ce passage, aidant à son tour la société à le faire.

Je viens de répondre aux questions. Si vous me permettez, j'ajoute ceci, en raison de l'attente du délibéré du tribunal correctionnel de Lyon du 7 mars. Si le tribunal reconnaît la faute du cardinal Barbarin, la lutte contre l'omerta dans l'Église connaîtra une avancée. Si le tribunal ne la reconnaît pas, la lutte restera entière.

Si le cardinal savait, il fallait demander sa démission. S'il ne savait rien, il faut continuer à la demander. Il n'est malheureusement pas le seul évêque à avoir couvert un prêtre dont il savait qu'il avait commis ce genre de crimes. À quoi bon avoir comme responsables des hommes qui voudraient nous faire croire, avec un air ingénu, qu'ils ne savent rien sur des sujets aussi graves !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je rappelle que nous attendons le délibéré du tribunal de Lyon et que nous sommes là pour écouter les témoignages, sans intervenir sur ce sujet.

Debut de section - Permalien
Catherine Bonnet, ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église

Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre confiance. Je vais tenter de répondre aux quatre groupes de questions que vous m'avez adressées, deux sur le Vatican, une sur l'Église de France et une sur la France.

J'ai été nommée par le pape François parmi les premiers membres de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église. Nous avons dû réfléchir à la manière de constituer cette commission, ses statuts, la méthode, l'étendue de notre travail géographique. Beaucoup de personnes n'ont pas compris que nous n'étions pas une mission d'investigation de cas individuels - ce n'est toujours pas le cas. C'est essentiellement une mission de stratégie afin de conseiller le pape François sur ce qu'il conviendrait de faire pour mieux protéger les enfants.

Au bout d'environ six mois, le pape François a désigné dix-sept membres faisant partie des cinq continents. Un site a été ouvert, dont vous pouvez prendre connaissance, sur le rôle et les actions de la commission. Il s'agit de www.protectionofminors.va.

La première proposition de la commission était très importante pour nous. Il s'agissait de renforcer la responsabilité des évêques en demandant qu'un tribunal puisse les juger en cas de non-signalement. Cette proposition a été acceptée par le pape François et son gouvernement, le groupe des neuf cardinaux, en juin 2015. Un an plus tard, le pape a promulgué un motu proprio intitulé « Comme une mère aimante », instituant une sorte de commission de discipline avec plusieurs congrégations. Ce motu proprio devait être mis en place à partir du 5 septembre 2016. À ma connaissance, il n'y a pas eu de jugement.

Nous avons formulé des recommandations de bonnes pratiques. Beaucoup de formations et de séminaires ont eu lieu. Parmi nos dernières propositions, deux ont été rendues publiques. Je peux donc les citer. Il s'agit tout d'abord de l'abolition de la prescription qui, dans le droit canon, est actuellement de vingt ans et comporte des dérogations au cas par cas, ce qui pose problème.

Nous avons par ailleurs proposé une exception au secret pontifical en cas de violences sexuelles à l'encontre des mineurs. Je précise que les mineurs, dans le droit canon, ce sont à la fois les enfants de zéro à dix-huit ans, ainsi que les personnes vulnérables. Cette exception permettrait de rétablir le droit d'information des victimes - comme l'a demandé « La parole libérée » dans un document que j'ai soutenu - et de lever les freins concernant les signalements.

À ma connaissance, ces deux dernières propositions n'ont pas eu de suite. Il se trouve qu'en juin 2017, j'ai présenté ma démission au pape François, ne parvenant pas à convaincre les membres de la commission sur deux points. Il s'agit d'une initiative personnelle, afin d'aider les victimes, le pape François et d'autres membres de l'Église. Il m'a semblé essentiel d'insérer dans le droit canon une obligation de signalement aux autorités civiles pour tous les évêques et les supérieurs religieux.

Alors que je suis psychiatre de formation, j'ai découvert, au milieu des années 1980, que je ne savais pas dépister les violences sexuelles. Cela s'est produit dans une circonstance tout à fait particulière : des collègues qui prescrivaient des antidépresseurs m'ont demandé de recevoir des adultes en psychanalyse chez qui les symptômes ne bougeaient et qui avaient des idées de suicide.

À l'époque, j'étais une jeune pédopsychiatre encore influencée par la psychanalyse. Je recevais cependant des adultes. Je me suis aperçue que la technique psychanalytique ne convenait pas. En effet, à l'époque, on nous demandait de ne pas poser de questions. Or, face à un patient qui refuse de continuer, la première réaction est de lui demander des explications afin de l'aider.

C'est à ce moment de la thérapie qu'ont été dévoilés les incestes ou autres violences sexuelles subies durant l'enfance, qui n'avaient reçu pour réponse des psychanalystes qu'une minimisation ou un déni, renforçant la colère et les symptômes des patients. On a continué à m'envoyer d'autres victimes. J'ai donc fait asseoir toutes les personnes qui étaient allongées, et j'ai complètement changé de technique, en disant haut et fort qu'on ne pouvait continuer ainsi.

Suite à un certain nombre de poursuites à mon encontre, j'ai quitté la France. J'ai trouvé énormément de documents à la bibliothèque de Londres, où je me suis aperçue que l'on recense très peu d'allégations intentionnellement fausses, comme les appellent les Américains. Elles représentent entre 0,1 % et 0,2 % du total des signalements. Il faut le dire haut et fort, car on ne voit pas l'intérêt pour les victimes de dévoiler de tels faits.

On trouve en France une étude spécifique sur l'inceste. Les chiffres du professeur Viaux parlent de 0,5 % à 0,7 % de cas. Il existe par ailleurs dans notre pays une récurrence gênante de la théorie du mensonge chez l'enfant. Nous avons pourtant été les premiers au monde, grâce au professeur Ambroise Tardieu, à décrire toutes les situations de violences sexuelles chez les enfants. Le professeur Tardieu a publié au XIXe siècle un livre recensant 934 cas, réédité sept fois. Cependant, à sa mort, certains médecins ont publié des observations de mensonges d'enfants. On peut admettre qu'on n'écoutait guère les enfants au XIXe siècle, mais il est étonnant que cela ait duré cent ans !

On a ensuite décrit, au début du XIXe siècle, les enfants pervers. Freud, dans ses théories, s'est d'ailleurs inspiré des enfants menteurs et des enfants pervers. Il y a de bonnes choses dans la psychanalyse. Je crois à l'inconscient. Je pense qu'il ne faut pas en nier les mécanismes, mais il ne faut pas voir partout les enfants pervers polymorphes décrits par Freud.

Lors de l'affaire Dutroux, en 1996, la frontière n'a pas arrêté le discrédit jeté sur les victimes, et la France s'est inspirée de fausses statistiques affirmant que 30 % à 70 % des allégations relevaient du soi-disant syndrome d'aliénation parentale (SAP), selon lequel les enfants pourraient être manipulés par leurs parents et mentir. Ce sont deux Américains qui ont décrit ce syndrome, les professeurs Underwager et Richard Gardner. Ce qu'on n'a pas dit en France, c'est qu'ils tenaient des propos pédophiles ! Cela fait longtemps qu'on le sait aux États-Unis.

Il faut cesser d'entretenir l'ignorance : cela met les victimes en péril. Un travail de prise en charge est nécessaire.

Ce que je demandais à mes collègues de la commission vaticane, c'était de lancer un appel à toutes les victimes à travers notre site, de les recevoir et d'en tirer les leçons. Je ne suis pas parvenue à les convaincre. C'est pourquoi je n'ai pu rester. Je l'ai expliqué au pape François, qui n'a pas accepté ma démission, mais je n'ai pas été renommée à la dernière commission. J'en ai alors parlé dans la presse.

Vous me posez une deuxième question : « En tant que pédopsychiatre, les dispositifs de recueil de la parole de l'enfant, tant dans un cadre médico-psychologique que dans un cadre judiciaire, vous paraissent-ils suffisants ? » Il existe deux cas de figure. Quand le mineur dévoile les faits dans les 72 heures après la survenue de l'acte, il doit être accueilli en urgence dans une unité d'accueil médico-judiciaire (UMJ), car les éventuelles lésions anales et génitales ne peuvent être observées que durant ce laps de temps après une agression sexuelle, les tissus se réparant ensuite. Ceci a été décrit dans une étude américaine portant sur 2 384 enfants de zéro à dix-huit ans.

On compte très peu de faits avérés, faute de retrouver l'ADN de l'auteur des faits. Dans ce cas, un signalement doit être effectué auprès du procureur de la République, qui est joignable 24 heures sur 24, afin que ces enfants puissent être examinés.

Il n'existe pas assez d'UMJ en France. Je recommande qu'il en soit créé de nouvelles. J'espère que cela pourra se faire et que ces unités seront attenantes à un service de pédiatrie. Les pédiatres peuvent se faire aider par des collègues, et l'enfant peut être hospitalisé. Certains ont parfois des idées de suicide. J'ai vu des enfants de quatre ans dans ce cas. Ils le disent à leur façon. Ces UMJ pédiatriques, à raison d'une par département, doivent également comporter un centre de victimologie, avec des thérapies spécifiques.

Lorsque l'enfant a été auditionné et examiné, le signalement est la clé du parcours de soins. J'ai rédigé un gros dossier à ce sujet, à la demande de la revue Le Concours médical. Je vous le ferai parvenir. Le docteur Picherot, que vous avez auditionné, en a écrit un excellent chapitre. Le docteur Gilbert Vila, directeur du Centre de victimologie de Trousseau, m'a dit qu'il était le seul pédopsychiatre du Centre et qu'il ne disposait que de deux psychologues. Plus de centres et plus de personnel : c'est vraiment une urgence !

Dans la majorité des cas, les enfants ne dévoilent pas les faits ou ne le font que tardivement. On le voit bien quand on entend tous ces adultes qui parlent si longtemps après ! Une détection précoce est donc nécessaire. Selon moi, elle n'est possible que s'il y a obligation de signalement.

En 1962, ce sont des médecins qui ont alerté le législateur américain en lui demandant si on pouvait laisser un enfant maltraité retourner dans sa famille ou dans le milieu où il a été agressé, physiquement ou sexuellement. Nous nous sommes posé la même question : peut-on rester sans rien faire en sachant que cela va recommencer ? Le signalement est indispensable. Or, on ne peut signaler qu'une suspicion, puisqu'on n'a pas été témoin direct. En France, les médecins ne font pas suffisamment de droit.

En France, des médecins se font encore poursuivre et sanctionner sur le plan disciplinaire depuis 2015. Depuis que j'ai écrit L'enfance muselée, je suis parfois contactée à ce sujet. J'essaie d'être disponible. Certains médecins subissent non seulement des poursuites et des sanctions, mais ils sont également victimes de menaces physiques, d'intimidations, de contrôles fiscaux ou de la sécurité sociale, lorsqu'ils ne sont pas soumis à des expertises psychiatriques.

Je m'adresse ici au Conseil de l'Ordre : soutenez les médecins, suivez les recommandations des experts de l'ONU et aidez-nous à inscrire dans la loi une obligation de signalement !

Quand un médecin a été sanctionné, l'agresseur va s'empresser de le lui faire savoir. Que va penser un enfant qui a eu le courage de parler ? L'agresseur lui dit bien qu'on ne le croira pas, et l'enfant pense que le plus méchant, le plus fort, a encore gagné. Cela ne peut continuer ! C'est une double peine pour les enfants, et une triple peine lorsqu'ils sont de plus placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE) parce qu'ils sont soi-disant manipulés.

Bien évidemment, la formation et les recommandations sont nécessaires, mais ce n'est pas suffisant. Ce que le Sénat a fait au mois de juillet en introduisant l'obligation de signalement dans la loi est formidable ! Quel espoir pour les enfants. Je suggère donc des réunions entre les procureurs, les médecins, les UMJ afin que chacun prenne ses responsabilités.

Par ailleurs, quand les procureurs prennent une ordonnance provisoire de placement (OPP), pourquoi ne pas en profiter pour placer l'enfant dans un service de pédiatrie durant quelques jours, en relation avec les UMJ, afin de savoir, s'il faut le placer à l'ASE, trouver quelqu'un de sa famille pour l'accueillir, ou lui chercher une famille d'accueil ? On ne peut continuer ainsi.

Le rôle de la PMI est essentiel dans la prévention. Mon premier travail était de poser des questions systématiques aux femmes enceintes et, si possible, à leur conjoint, pour savoir s'ils avaient eu des antécédents violents dans l'enfance. Des parquets ont été créés contre le blanchiment d'argent. Pourquoi pas des parquets pour lutter contre les violences sexuelles ? Les enfants ne valent-ils pas davantage que l'argent ?

Concernant l'abolition de la prescription, je voudrais vous alerter sur le fait que l'État de New-York, il y a quelques jours, a ouvert une fenêtre avec la suspension de la prescription pendant un an pour toutes les victimes quelles qu'elles soient. Je vous communiquerai l'adresse du site, car je trouve cette idée formidable.

Soeur Véronique Margron, théologienne, présidente de la Conférence des religieuses et religieux en France. - Mesdames et messieurs, je ne reviendrai pas sur les documents que je vous ai communiqués. En un mot, la Conférence des religieux et religieuses en France regroupe 30 000 religieuses et religieux. C'est une association qui, dans l'Église, a cette particularité d'être profondément mixte, à tous les niveaux, y compris du côté des supérieurs majeurs, c'est-à-dire les responsables de tous les instituts religieux au coeur de la société, comme des moines et moniales vivant dans les monastères.

Nous savons tous l'extrême gravité du sujet. La Conférence que je préside n'est pas en meilleure posture, me semble-t-il, que l'ensemble de l'Église de France, au sens où, chez les religieux comme ailleurs, nous nous sommes tus, nous n'avons rien vu, nous avons dénié les faits, nous les avons minimisés. Les religieux ont été changés de province, de région, déplacés.

Le travail que vous accomplissez est très important, et celui qu'a entamé l'Église de France, et la Conférence des religieuses et religieux en son sein, est fondamental. Ce n'est pas le moment que nous fassions la leçon à quiconque. Il faut plutôt que nous prenions en compte ce que fait l'ensemble de la société et que nous agissions désormais de notre côté.

Au cours de ces deux dernières années, nous avons organisé un certain nombre de sessions de formation pour l'ensemble des responsables des congrégations religieuses, en laissant amplement la parole à des victimes.

C'est peut-être une évidence, mais c'est aussi une forme d'injustice : tant qu'on n'a pas entendu les victimes, on ne comprend rien des ravages que ce crime provoque dans une existence, durant des décennies et des décennies. On a longtemps porté un regard froid et minimisant sur les faits, sans comprendre que ces faits, souvent bien plus graves que ce qu'on disait à l'époque, avaient des conséquences sur toute une vie. C'est pourquoi il est important d'entendre des récits d'hommes et de femmes qui, des décennies et des décennies après, racontent avec la même émotion ce qui leur est arrivé et qui a bouleversé leur vie.

Nous avons organisé ces formations à plusieurs reprises. Nous venons de le refaire il y a quelques jours. Nous sommes entrés dans une autre phase où nous essayons de travailler avec les victimes, afin qu'elles soient présentes dans tous les groupes de travail, au même titre que les responsables religieux, et qu'elles prennent la parole quand elles le souhaitent, participent aux ateliers sur des sujets aussi divers et nécessaires pour la vie religieuse que les premières années de formation, ce qu'on appelle les protocoles, lorsque des religieux vont d'une région du monde à une autre, les précautions à observer, les obligations à honorer, ou le traitement à réserver aux auteurs de ces méfaits.

À la suite de la Conférence des évêques de France du mois de novembre, nous avons tenu notre assemblée générale, qui regroupe environ 400 supérieurs majeurs responsables d'institut. Nous avons approuvé à l'unanimité les décisions des évêques de France, et en particulier la création de la commission Sauvé.

Sur quelles spécificités travailler ? Ce qui se passe dans d'autres milieux a sans doute été longtemps renforcé par un sens de l'institution, et c'est malheureusement encore un peu le cas aujourd'hui. Le silence, le rapport au pouvoir, une forme d'omnipotence de l'agresseur se rencontrent dans tous les milieux, mais l'institution catholique a approuvé le rapport au secret, une autorité souvent très verticale, le silence par rapport au scandale. Le seul scandale, c'est évidemment d'attenter à la vie des plus vulnérables, à commencer par les enfants.

Il existe malheureusement partout des agresseurs, mais comment les institutions - diocèses, congrégations religieuses, etc. - ont-elles pu laisser ces crimes impunis, les minimiser, les laisser se reproduire, parfois sur de bien longues et tragiques périodes ? L'Église catholique doit démanteler ce type de rapport au sacré et le lien entre le sacré et le pouvoir. Lorsqu'on a le pouvoir au nom du sacré, on est en effet intouchable. On le voit dans les situations d'inceste. Si c'est au nom de Dieu, il n'y a plus rien à dire ni à faire. Il s'agit d'une problématique très particulière à l'Église catholique et, plus globalement, aux religions.

La deuxième problématique, c'est le rapport entre les différents abus que dénonce le pape François dans sa Lettre au peuple de Dieu - abus de pouvoir, abus de confiance, abus de conscience et abus sexuels. 99 % des abus sexuels dans l'Église sont commis dans le cadre d'une relation de confiance, elle-même exacerbée par le fait que cet homme - ou cette femme, même s'il s'agit le plus souvent d'hommes - est un homme de Dieu. On peut donc encore moins remettre en cause ce qu'il fait, sa parole, ce lien. Ceci constitue une forme de double emprisonnement, du fait de la puissance de l'agresseur, de sa stratégie, mais aussi de la confiance qui est accordée au nom du sacré, du rapport à Dieu.

Le travail à mener est donc important et concerne toute la vie religieuse, qu'il s'agisse des phénomènes d'emprise, d'abus de pouvoir, qui ne mènent pas tous à des abus sexuels, mais qui doivent être dénoncés et sont particulièrement scandaleux en ce qu'ils portent atteinte à la conscience et à la liberté. On voit donc combien il faut prendre ce travail à bras-le-corps. Ceci ne se fera pas sans réformes profondes de nos institutions et de l'Église.

Pour le dire d'un mot et conclure, le plus gros problème de l'institution catholique - je crains qu'elle ne soit pas la seule - est qu'il existe en son sein peu d'altérité. On est beaucoup dans l'entre-soi dans la vie religieuse, ce qui n'est pas anormal au sein d'une communauté ou d'une institution. C'est assez logique, mais qui peut en fin de compte demeurer lucide, sans forcément être soupçonneux, ce qui serait tragique pour la relation de confiance que nous entretenons les uns et les autres ? Comment avoir un lien de confiance en demeurant vigilant ? Pour moi, cela ne peut se faire sans tiers ayant partie prenante à la vie de nos institutions et de l'Église.

Ces tiers, ce sont les femmes, les laïcs et la sphère catholique elle-même. On sait bien que cette problématique dépasse la seule sphère des clercs et des religieux et touche aussi des catholiques qui, eux-mêmes, n'ont pas pu, pas su, pas voulu parler. C'est donc à tous les niveaux qu'il faut se poser la question de savoir comment introduire l'altérité, les tiers qui vont pouvoir dire ce qui ne va pas. Merci de faire partie de ces tiers.

Père Stéphane Joulain, père blanc, psychothérapeute spécialisé dans le traitement des abus sexuels. - Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, la question de la pédocriminalité vous concerne en premier lieu. Vous ne pouvez être dessaisis au bénéfice d'une commission dont on ne saurait pas ce qu'elle fait.

Formé à la victimologie, j'ai commencé dans l'univers de l'accueil des victimes. C'est de là qu'est partie mon expérience. Il m'a ensuite été demandé par mes supérieurs de me pencher davantage sur le traitement des pédocriminels, l'accompagnement des hommes et parfois des femmes qui abusent ou agressent des enfants.

En écrivant le livre Combattre l'abus sexuel des mineurs, j'ai voulu montrer que, derrière ce que l'on appelle encore communément en France « pédophilie », la réalité était bien plus complexe, puisque les motivations à l'abus vont bien au-delà du seul diagnostic de pédophilie tel qu'il est décrit par les livres, manuels et diagnostics. Ce qu'ont en commun tous les auteurs de ces agressions sur mineurs, c'est la dimension criminelle de leur acte. C'est un élément important qui donne un aspect bien spécifique à cette problématique de santé mentale, mais aussi de criminologie.

C'est pourquoi au Canada, où j'ai fait une grande partie de mes études et travaillé, nous faisons du traitement de délinquants sexuels ce qui, pour un monde francophone marqué par la psychanalyse, peut sembler très étrange. Que veut-on dire par là ?

Je rejoins Catherine Bonnet dans ce qu'elle dit sur la psychanalyse en France : je pense que nous sommes malheureusement les victimes de la psychanalyse, qui a une domination extrêmement forte dans l'explication, mais qui n'a pas apporté la preuve de sa pertinence en termes de soins. Si elle permet d'être un outil conceptuel qui peut aider à comprendre certaines réalités pour des gens atteints de névroses à peu près ordinaires - j'ai fait moi-même une psychanalyse de sept ans et j'en ai tiré bénéfice -, la psychanalyse est totalement inefficace en ce qui concerne la pédocriminalité.

Vous ne pouvez imager ce que peut être le traumatisme d'une victime d'abus sexuels adulte à qui on demande de s'allonger sur un divan sans qu'elle puisse poser le regard sur celui qui va l'analyser. Certains collègues psychanalystes pourraient dire qu'on a évolué et qu'on est passé au face-à-face, mais il n'en reste pas moins qu'il existe une sorte de soumission un peu perverse supposée encourager la libre association.

Pour un auteur d'abus sexuels, la psychanalyse est une promenade de santé. Il n'y a pas plus manipulable qu'un psychanalyste ! C'est vraiment un plaisir pour un pédophile ou pour quelqu'un qui souffre d'un trouble du comportement antisocial.

Cela étant, mon ouvrage voulait ouvrir à d'autres dimensions, et je suis heureux que se développent en France les fameux centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS), qui sont des pôles de compétences avec des hommes et des femmes qui veulent réfléchir autrement et faire avancer la prise en charge et le traitement des hommes et des femmes qui commettent ce genre de crimes.

S'il n'y avait que moi, je dirais qu'il faut même en créer davantage, car si l'on ne peut pas toujours prévenir le premier passage à l'acte, on peut quand même réduire de manière significative les risques de récidives. C'est une des grandes leçons que j'ai apprise au Canada, qui est l'un des pays qui a le plus faible taux au monde de récidives en matière de délinquance sexuelle. Cela dépend certes des provinces, mais dans certains cas, on est à moins de 10 %, parfois sans que celles-ci soient de nature sexuelle.

Les Canadiens ont développé une vraie pratique qui n'a pas toujours plu au pouvoir politique, il faut bien dire ce qui est. Du temps de M. Stephen Harper, Premier ministre conservateur, les choses étaient un peu plus compliquées : il aurait préféré qu'on les enferme et qu'on jette la clé, mais des psychiatres ont réussi à le convaincre qu'en investissant dans le traitement de ces hommes et ces femmes ayant commis des abus, on créerait une société plus sûre pour les enfants.

Autant il faut travailler en victimologie, dimension à laquelle je crois beaucoup, autant il ne faut pas oublier que le traitement de ces hommes et de ces femmes qui ont commis ces abus est une clé importante pour créer une société plus sûre.

J'ai également voulu aborder dans mon ouvrage d'autres univers conceptuels concernant le traitement, venant d'autres champs disciplinaires de la psychologie et de la psychiatrie. J'ai essayé de montrer que l'on pouvait parler de spiritualité en santé mentale, chose qui fait très peur aux Français. On considère en effet ici qu'il faut scinder les deux, au nom de la laïcité, et enlever son costume de croyant à l'entrée de la clinique.

Cependant, quand vous travaillez avec des hommes qui ont commis des abus dans un cadre religieux, vous ne pouvez en faire abstraction. Cela fait partie du processus de grooming, ce procédé de séduction que va utiliser le délinquant sexuel pour s'approcher de l'enfant qu'il veut agresser. Un prêtre, par exemple, dira à l'enfant qu'au moment où il a célébré l'eucharistie, il lui a donné la plus grosse part de l'hostie. On retrouve la même pratique chez les autres délinquants qui vont expliquer à la petite fille qu'elle est leur princesse, qu'elle est spéciale, différente de ses soeurs, etc. On crée un lien particulier avec l'enfant. Le prêtre ou le religieux qui va abuser de l'enfant, pour sa part, va utiliser des éléments qui relèvent de l'univers sacré.

L'abus sexuel commis par un prêtre est aussi un abus de confiance, un abus de pouvoir, un abus spirituel, qui attaque directement les fondamentaux anthropologiques profonds de la structuration spirituelle, en particulier la notion que le monde a du sens, que la bienveillance existe, et que l'autre me veut du bien. Ce sont trois notions fondamentales que l'on retrouve au niveau de l'anthropologie des religions, dans tous les courants. L'agression sexuelle d'un enfant met tout cela à plat. C'est fondamental à comprendre.

Dans mon ouvrage, j'ai aussi travaillé sur les distorsions cognitives, ces justifications qu'utilisent les auteurs lorsqu'ils sont questionnés sur leurs actes. Un certain nombre de distorsions cognitives sont spécifiques aux prêtres. Un prêtre pourra dire que Dieu savait comment il était et que, s'il avait voulu, il aurait empêché son ordination. Il peut également demander ce que représente le peu de mal qu'il n'a commis qu'une fois par rapport à tout le bien qu'il a fait dans le monde.

Mon ouvrage veut également aider les professionnels du soin à accepter l'idée que leur patient puisse leur parler de la relation à Dieu, leur dire qu'ils n'arrivent plus à prier, à aller à la messe, qu'ils ont envie de vomir les hosties. Certains thérapeutes ne veulent pas en entendre parler, considérant que cela ne les regarde pas. Il ne faut pas fuir devant ce genre de choses. Quand cela sort, il faut pouvoir l'accueillir.

La prise en compte de la parole des victimes ne fait que commencer. C'est tout le défi. À Lourdes, à l'automne dernier, les victimes ont pu être écoutées, et c'est une bonne chose, mais c'est la Conférence des évêques qui a fixé les règles du jeu. Il n'y a pas eu d'auditions en assemblée plénière, mais de simples groupes de travail. Quand on reçoit une victime, on lui donne l'espace pour parler.

Bien sûr, le cléricalisme, est une chose importante. Il s'agit de ce corporatisme qui fait que des hommes et des femmes occupant une fonction particulière se serrent les coudes. Le cléricalisme n'est pas particulier à l'Église catholique, mais on en a fait un art, à un certain niveau. C'est un des freins importants qu'il faut changer dans la culture catholique. Ce n'est pas pour rien que le pape François répète que le cléricalisme est un de nos grands ennemis. C'est le cléricalisme qui va faire dire que le sacerdoce d'un prêtre est plus important que la santé et la sécurité d'un enfant.

Un autre frein que certains ont déjà mentionné, c'est la peur du scandale : dans l'Église catholique, s'il y a scandale, il y a perte de pouvoir et d'autorité au sein de la société française. Ce n'est pas pour rien que l'Église teste ses troupes à propos de certains sujets : on voit qui descend dans la rue et sur qui on peut compter. La fille aînée de l'Église qu'était la France craint de perdre son pouvoir et son autorité.

Un autre frein important me semble être l'absence de maturité affective de trop nombreux clercs, et en particulier de nombreux évêques. Le père Vignon a utilisé l'expression d'« hypercérébraux ». Il existe parmi les évêques et les prêtres des hommes extrêmement intelligents. Certains ont trois doctorats, mais ne sont pas mûrs sur le plan affectif. Bon nombre de femmes diront que les hommes ne sont jamais assez mûrs, mais c'est particulièrement marquant et marqué chez de nombreux prêtres qui n'arrivent pas à entretenir des relations saines avec les femmes et parfois même avec des hommes adultes. C'est problématique. Je ne veux pas faire de caricature : certains sont très matures, mais ce n'est pas le cas de beaucoup de ceux qui ont commis des abus.

Jusque dans les années 1990 environ, on ne parlait pas des questions de sexualité ou d'affectivité durant la formation des prêtres ni dans les séminaires. Quand on a commencé à en parler de manière sérieuse, les choses ont quelque peu changé. Auparavant, ceux qui étaient à peu près équilibrés suivaient leur formation sans problème, mais ceux qui avaient des problèmes de maturité n'y trouvaient pas d'éléments pour les aider à mûrir et à grandir. À partir du moment où ils priaient bien et répondaient bien aux questions de théologie et de morale catholique, tout allait bien.

Ce qui me choque profondément, comme prêtre et comme psychothérapeute, c'est le manque d'empathie de certains clercs et le fait de penser que les victimes peuvent être des ennemis. Ce mécanisme qui fait de la victime un ennemi est épouvantable. On dit parfois que les victimes veulent se vanter. On rencontre ce manque d'empathie pas uniquement chez les clercs, mais aussi dans la communauté chrétienne. On a voulu préserver l'image d'une Église sainte et d'une société parfaite, ce concept canonique développé au XIXe siècle, époque où le rôle de l'État devenait un peu intrusif dans le fonctionnement de l'Église. Pour que l'Église puisse avoir son droit propre et ses prérogatives, on a forgé le concept de « société parfaite » auquel certains ont cru. La société parfaite était capable d'édicter ses lois, d'avoir son propre code, etc. Cela ne veut pas dire qu'elle est sans faute, sans crime et sans problème.

L'église connaît une résistance homéostasique à tout changement profond. Elle représente 1,5 milliard de personnes, et compte plus de 150 cultures différentes et autant de rites. En Afrique, par exemple, on est loin de ces préoccupations. Quand on veut aller trop vite d'un côté, on fait tout de l'autre pour ralentir. Emmener toute l'institution sur cette voie ne se fera pas du jour au lendemain. Il ne faut pas entretenir trop d'espoir au sujet du sommet de Rome, où vont se retrouver 150 présidents de conférences épiscopales.

Quant à la Conférence des évêques de Lourdes, j'aimerais que l'on dépasse le stade du voeu pieux et que les souhaits se concrétisent.

Vous m'avez demandé, madame la présidente, ce que j'attends de la commission Sauvé. Je ne veux pas dire quoi que ce soit avant qu'elle ne voie le jour. On devrait connaître demain la liste de ses membres. Cette commission me pose un problème : nous sommes face à une question de pédocriminalité. Ce n'est pas de la prérogative de l'Église d'établir la vérité, madame la présidente, mais de la responsabilité du législateur, de l'exécutif et du pouvoir judiciaire s'agissant d'une problématique de pédocriminalité. Faisons-le dans le cadre de la loi de la République.

Qu'une commission essaye d'établir la vérité, est une bonne chose, mais Anne Philibert, dans l'ouvrage qu'elle vient de publier, dit toutes les difficultés qu'elle a eues pour accéder aux archives. On sait en outre que le ménage y a été fait après l'affaire Pican et l'affaire Barbarin. Je m'adresse donc à l'État : allez-y ! N'ayez pas peur !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Il s'agit d'une audition extrêmement riche, chacun d'entre vous ayant apporté beaucoup d'éléments constructifs. Le père Joulain nous donne envie de lire son livre ! L'ouvrage du Père Vignon nous pose quelques questions. Il « titille » les sénateurs en leur reprochant d'être trop frileux, et d'avoir choisi de recourir à une mission d'information...

Père Pierre Vignon. - Il n'y a là rien de méchant...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Vous pensiez que l'Assemblée nationale allait faire quelque chose : il n'en est rien. Mais vous pouvez compter sur les sénateurs ! Notre mission d'information élaborera des préconisations et permettra peut-être des ouvertures législatives.

Dans votre livre, vous écrivez : « Disons-le clairement : les pédophiles ont trouvé, au sein de l'Église, une structure favorable pour développer leur activité criminelle. » Vous n'y allez pas par quatre chemins. Vous affirmez : « Le système a permis le développement de tels comportements. Si cela n'avait pas été le cas, les pédophiles ne se seraient pas réfugiés en si grand nombre dans une organisation où ils se sentent en sécurité ». Vous le répétez page 95. Lors de différentes auditions, on a bien compris qu'un pédocriminel n'est pas franchement différent suivant qu'il soit dans l'Éducation nationale, les milieux sportifs ou l'Église. Certes, il peut se sentir plus en sécurité au sein de cette organisation où il existe une quasi-omerta que vous dénoncez dans votre livre mais, malheureusement, les pédocriminels se retrouvent dans d'autres systèmes. Ce ne sont pas que des célibataires. Nous avons bien évidemment étudié tout cela. J'aurais donc voulu recueillir l'éclairage du docteur Bonnet à ce propos.

Ma soeur, vous parlez de froideur, de non-empathie et d'une forme d'égoïsme, puisque l'autre n'existe pas pour un pédocriminel. Ne pensez-vous pas qu'il s'agisse là de l'organisation d'une forme de survie ?

Père Pierre Vignon. - Mon évêque, à qui l'on demandait pourquoi il avait laissé Bernard Preynat en place lorsqu'il était responsable de la catéchèse, a répondu qu'il ne pouvait l'évincer car il faisait trop bien le catéchisme. On peut tenir le même raisonnement pour un professeur d'histoire ou de gymnastique. Il s'agit d'une forme de sex-appeal. Ils repèrent leur proie et la fascinent.

En Allemagne, le clergé est encore payé par l'État, qui collecte l'impôt religieux. Il a donc de bons traitements, dont je ne suis pas jaloux, mais on trouve selon les statistiques plus de pédophiles dans l'Église allemande qu'ailleurs. Non seulement ils peuvent avoir accès aux enfants, mais ils sont en outre payés. Cette institution est donc formidable pour eux ! Mon propos consiste à demander pourquoi notre encadrement n'a pas fait son travail. C'est contre le manque de vigilance que je peste !

Debut de section - Permalien
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix

La question que vous posez est intéressante : y a-t-il quelque chose de spécifique dans l'Église ? Véronique Margron a commencé à y répondre. Je pense que la commission Sauvé est utile. C'est à l'Église de changer elle-même. On a évoqué la confusion entre le pouvoir et le sacré. L'Église est constituée ainsi. J'ai passé quatre ans comme journaliste à Rome à n'interviewer que des hommes. Pour avoir une autorité dans l'Église, il faut en effet être ordonné. Il y a donc une confusion totale entre la personne sacrée qu'est le prêtre et la personne qui incarne l'autorité. C'est un vrai problème. Pourquoi ne pas avoir des cardinales femmes, des femmes responsables de congrégation, responsables du diocèse, etc. ? Tant que le prêtre détiendra l'autorité, il y aura confusion.

Autre problème : pourquoi n'y a-t-il pas eu plus de vigilance ? Cela vient d'un problème interne à l'Église : l'évêque, notamment depuis Vatican II, a beaucoup de pouvoirs. Chaque diocèse manque de mécanismes de régulation comme il en existe dans toutes les entreprises et toutes les institutions aujourd'hui. Lorsqu'un dirigeant commet une erreur, le conseil d'administration est là pour le lui faire remarquer.

Il faut mener une réflexion au sein de l'Église pour savoir pourquoi il n'existe pas de système de régulation interne dans les diocèses, où tout dépend de l'évêque. Si l'évêque est très sensible à la pédophilie, il ira voir les victimes, comme c'est parfois le cas. En revanche, quand l'évêque ne veut pas agir, on ne peut rien faire. Il y a là un vrai problème d'organisation, mais il concerne plutôt l'Église. C'est pourquoi j'attends beaucoup de la commission Sauvé.

Debut de section - Permalien
Pierre Vignon

Le cardinalat repose sur une fiction juridique. Le cardinal représente l'Église tout entière, et le pape prend conseil auprès des hommes qui l'élisent. C'est là qu'il existe une subtilité théologique. On est prêtre in personna Christi - « en la personne du Christ ». La formule exacte est in personna Christi capitis - « dans la personne du Christ-Tête », c'est-à-dire par rapport à un corps. On a trop considéré la tête, et pas assez le corps.

Une deuxième fiction juridique existe pour le cardinalat, où l'on pourrait admettre tous les membres du corps, dont des femmes. Si l'on interdit aux cardinaux d'être pape, ils pourront choisir en toute liberté la personne idoine qui pourra succéder à Saint-Pierre, sans qu'il soit question de campagne électorale. Il faut donc reconsidérer l'ensemble du corps, et pas seulement la tête.

Debut de section - Permalien
Catherine Bonnet, ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église

Je voudrais revenir sur le droit canon. J'ai écrit une tribune dans Le Monde à ce sujet.

Certains prêtres, comme le père Thomas Doyle, aux États-Unis, qui a déposé en Australie devant la commission royale sur les abus institutionnels, ont joué le rôle de lanceurs d'alerte. À l'époque, les évêques et les prêtres ne savaient pas s'il fallait signaler les faits ou non. L'obligation de signalement existait déjà pour les médecins, mais non pour les prêtres. Le père Doyle a également expliqué que ceux qui avaient accompagné les victimes s'étaient retrouvés isolés.

En Irlande, à la même période, des évêques et des religieux ont demandé que tous les membres du clergé soient soumis à une obligation de signalement. Soit le pape en prend la décision, soit on recourt à l'article 455 du droit canon, ce qui avait été réclamé en 1996. Cela a été refusé. On a réessayé en 2000, mais cela a également été refusé. Durant toutes ces années, le nombre de victimes a été considérable. Le procureur de Boston a indiqué que le croit canon présentait des problèmes.

Le droit canon ne comporte pas d'exception en cas de violences sexuelles à l'encontre des enfants, comme dans la plupart des législations. Le procureur général Thomas Reilly, à Boston, la juge Yvonne Murphy, en Irlande, comme la commission royale en Australie, ont tous demandé la levée du secret pontifical et l'insertion d'une obligation de signalement dans le droit canon. Certains progrès ont été accomplis, comme aux États-Unis, où l'Église observe désormais les lois civiles qui comportent une obligation de signalement pour le clergé comme pour tous les citoyens. La Congrégation pour la doctrine de la foi a fini par le réclamer également, mais que se passe-t-il lorsque certaines lois ne le prévoient pas ?

Ce qui m'impressionne, c'est le nombre de victimes. Il faut vraiment prendre des mesures, et j'espère que le pape décidera d'actions concrètes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Un autre sujet a été abordé lors de l'audition d'Olivier Savignac et de ses avocats, celui du secret de la confession. Soeur Véronique, pouvez-vous en dire quelques mots rapidement ?

Soeur Véronique Margron. - Les prêtres étant seuls dépositaires de la confession, je ne veux pas me substituer à eux, mais je peux en dire un mot en tant que théologienne, d'un point de vue éthique. Le droit canon est une chose - et cela vaut pour la question plus large du signalement -, le droit français en est une autre. Je pense qu'il est légitime que, dans des situations criminelles, le droit français s'impose aux confesseurs comme à quiconque. Je ne sais comment ceci peut être régi conjointement par ces deux droits, mais nous sommes avant tout des citoyens français. Tout au plus sommes-nous des « citoyens du ciel », pour reprendre les termes chrétiens.

Je ne sais s'il faut que le secret de la confession soit plus fort que le secret professionnel, qui connaît des exceptions. Je ne suis pas capable d'aller plus loin sur cette question, mais je pense qu'il y a là un vrai souci éthique. Ceci concerne une toute petite minorité de situations. L'immense majorité de celles dont ont connaissance des évêques, des prêtres, des religieux, des supérieurs, ne relèvent pas du secret de la confession. Quoi qu'il en soit du droit canonique, le droit du pays où nous vivons s'impose. La loi française nous impose une obligation de signalement. À vrai dire, cela me suffit, car je n'imagine pas une seconde que je pourrais mettre les deux en concurrence.

Les jugements spécifiques à l'Église sont cependant très importants eu égard à la place de l'état clérical. Un pédocriminel peut-il encore se revendiquer de Dieu et de l'Église catholique ? C'est à l'institution catholique de répondre à ces questions, mais c'est d'abord le droit du pays où nous vivons qui s'impose.

Tout le problème est de savoir comment cette institution, que j'aime par ailleurs évidemment, compte instaurer des contre-pouvoirs. Je ne voudrais pas faire preuve d'un optimisme béat, mais je veux croire que la commission Sauvé peut y contribuer. C'est un peu comme si nous avions décidé de faire la lumière et d'établir des préconisations. Tout ceci doit être constitué de façon indépendante, avec des moyens adéquats. Cette commission n'a ni pouvoir d'enquête ni pouvoir de police, et nous sommes obligés de nous fier à la bonne volonté des uns et des autres ainsi qu'à l'implication de tous. J'y crois personnellement, étant donné les décisions des deux conférences, qui ont été extrêmement larges, pour ne pas dire unanimes. Quoi qu'il en coûte, il faut aller le plus loin possible, pour autant que ce soit possible.

C'est d'ailleurs ce que demandait le pape François, ainsi que le pape précédent. Il en va aussi de l'avenir de l'Église.

Soeur Véronique Margron. - Absolument, mais il en va avant tout de l'avenir des victimes et de leur dignité !

Père Pierre Vignon. - S'agissant du secret de la confession, le pédocriminel est selon moi un pervers, insensible à la souffrance de l'autre. En 39 ans de sacerdoce, je n'ai jamais entendu quelqu'un se confesser en me disant qu'il avait « tripoté des petits garçons ».

D'après ce que j'ai pu lire dans les témoignages des victimes, le pédocriminel n'a pas conscience qu'il fait le mal. Pour lui, c'est un acte d'amour. La société dit qu'il fait le mal, mais il n'y croit pas. Ces gens-là sont par définition dans le déni.

Le père Preynat « s'offrait un petit garçon », et célébrait ensuite la messe. Cela ne lui posait aucun problème. Il n'allait pas se confesser. Il en va de même pour tous les autres - du moins est-ce ce que j'ai cru comprendre.

Père Stéphane Joulain. - Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec Pierre, d'un point de vue de clinicien, mais aussi en tant que prêtre, car j'ai reçu plusieurs confessions de délinquants sexuels.

C'est une des choses qui m'a mis en route : je me suis trouvé « coincé », sans savoir quoi faire. Je me souviens, tout jeune prêtre, avoir donné l'absolution à un père qui venait de m'annoncer qu'il avait abusé de sa fille. C'est pourquoi je me suis orienté vers la psychologie, afin de trouver d'autres solutions, puisqu'en tant que psychologue et psychothérapeute, je suis obligé par la loi - du moins dans les pays où j'exerçais - de signaler aux autorités des problématiques de cet ordre.

Le délinquant sexuel sait que ce qu'il fait n'est pas correct. Les dénégateurs sont très rares, d'où la présence des distorsions cognitives. Il n'y a distorsion cognitive que parce qu'ils savent que ce qu'ils ont fait est incorrect, et ils cherchent à s'en justifier. D'ailleurs, le déni est aussi une forme de distorsion cognitive.

Paul Ricoeur disait : « Il faut aller au lieu du conflit éthique chez la personne quand on fait le soin ». Quand on travaille avec des délinquants sexuels, on remonte les choix qu'ils ont faits et on leur demande quand ils ont cessé de regarder leur fille comme leur fille, et ce qui se passait avant. On remonte ainsi dans le temps, puis on redescend avec eux pour voir à quel moment ils ont opéré les mauvais choix et ce qu'ils auraient pu prendre comme autre direction.

Ils savent que ce qu'ils ont fait n'est pas correct. On se fait souvent « balader », et c'est pour cela que ni les prêtres ni les psychologues qui ne sont pas formés ne sont pas efficaces en la matière. Un pédocriminel - je n'utilise pas le mot de « pervers », parce qu'il vient de la psychanalyse - sait que son acte est mauvais pour l'enfant, mais il a dû éteindre en lui ce sentiment et le neutraliser.

Il y a quatre étapes dans l'abus sexuel d'un enfant. La première est la motivation. Ce peut être la pédophilie, mais cela peut être aussi un comportement antisocial, un désir incestueux, ou un tas d'autres choses.

En second lieu, il faut que la personne qui va commettre l'abus se convainque elle-même que ce qu'elle va faire est acceptable. Si elle n'y parvient pas, elle va ajouter un peu d'alcool ou de drogue pour lever les inhibitions encore davantage.

Il faut ensuite supprimer les inhibitions externes et arriver à dépasser la protection qui existe autour de l'enfant, neutraliser les parents, le système, etc.

Enfin, il faut neutraliser la résistance de l'enfant. On peut voir alors des hommes se dissocier pour pouvoir passer à l'acte.

On connaît les dissociations traumatiques. Il en existe aussi une forme de dissociation chez l'auteur d'abus sexuels sur un enfant, qui va jusqu'à neutraliser l'empathie qui est en lui. Le manque d'empathie existe, mais il n'est pas totalement éteint, puisqu'on le retravaille en thérapie. Pour cela, ils se racontent des histoires : ce n'était que des caresses, je ne lui ai pas fait de mal, je l'ai juste masturbé... Celui qui commet un abus sexuel sur un enfant sait que ce qu'il a fait n'est pas correct et réprimé par la société, même s'il affirme que c'était possible au temps des Grecs... C'est une distorsion cognitive, mais il faut être formé à la reconnaître et à la travailler.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Merci à chacune et à chacun pour la force de vos interventions et la franchise de vos propos.

Je voudrais revenir sur un aspect qui n'a pas encore été abordé ici, mais qui fait partie du sujet, si on prend la définition de l'OMS : la sexualité fait partie de la santé. Qu'avez-vous à dire par exemple sur la question du célibat des prêtres ? Pensez-vous qu'il pourrait s'agir d'une piste ? Pensez-vous que l'Église soit prête à évoluer à ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

La fédération des CRIAVS nous a indiqué avoir été sollicitée par les diocèses de Bordeaux et de Montpellier pour des formations. L'Allemagne, quant à elle, a mis en place un numéro d'appel pour les enfants, sur le modèle du 119 en France.

Debut de section - Permalien
Catherine Bonnet, ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église

Je partage tout à fait l'avis du père Joulain. Le père Vignon est trop bon !

Les violences sexuelles sont intentionnelles. Certaines, brutales, provoquent une forme traumatique. L'un de mes livres, L'enfant cassé, traite des victimes d'un prêtre qui était le meilleur enseignant de la classe de CP. Tout le monde le réclamait. Il était extraordinaire.

Nous n'avons pas, en France, une bonne traduction du terme grooming. Il s'agit de « faire le gentil », comme disent les enfants, avant « d'être méchant ». L'un de mes petits patients de dix ans me disait : « Il est très méchant et, en même temps, il nous fait des chatouilles ». L'érotisation des enfants est terrible. Les enseignants m'envoyaient des enfants qui commettaient des agressions sexuelles sur d'autres enfants. En l'espace d'une ou deux consultations, l'enfant dévoilait qu'il en avait été victime.

L'adolescence est une période extrêmement importante. C'est pourquoi la prévention est essentielle. Faute de détection précoce, il existe en effet un risque de fixation.

Quant au célibat des prêtres, je rappelle que 85 % des agressions sexuelles en France relèvent de l'inceste et qu'elles sont donc commises majoritairement par des hommes mariés...

Quand une agression a lieu dans un milieu institutionnel, il faudrait procéder à des enquêtes dans la famille. Dans l'Église, certains prêtres ont également agressé des membres de leur famille. Il faut que les procureurs travaillent sur cet aspect des choses.

Père Pierre Vignon. - Laëtitia Saavedra-Cherel, journaliste à Radio France, a enquêté sur un prêtre de Paris, aujourd'hui très âgé, qui a saccagé trois générations de sa famille, sans compter le reste...

Père Stéphane Joulain. - La problématique du célibat n'est pas nécessairement là où on désire la voir. Il est vrai qu'un style de vie qui se veut et se dit asexuel est toujours un peu suspect dans les sociétés où la sexualité est importante, mais ce qui « allume » un pédophile, ce n'est pas une femme, ni un homme, c'est le corps d'un enfant. Vous pourrez mettre dans son lit toutes les femmes que vous voudrez, il ne se passera rien. Cela ne réglera donc pas le problème, même si cela peut combler un vide affectif chez certains.

La question du célibat est la clé d'accès au pouvoir dans l'Église catholique. La problématique de l'institution, c'est de savoir qui encadre quoi, et à qui ceux qui exercent et qui sont détenteurs du pouvoir rendent des comptes. On peut, par exemple, désirer plus de femmes dans l'Église catholique, mais il ne faut pas se faire d'illusions : on sait par la recherche que le nombre des agressions sexuelles commises par des femmes augmente, non pas seulement en tant que complices d'un homme violent, mais aussi comme seule auteure de l'agression sexuelle. Dans les universités américaines, par exemple, les femmes qui sont en position d'autorité dans les universités, comme doyenne ou chef de service, sollicitent de plus en plus leurs étudiants pour du sexe. C'est donc l'encadrement du pouvoir qui est problématique. À qui rendons-nous des comptes ?

Une fois le prêtre catholique ordonné prêtre, c'est un « missile autoguidé » : il rend compte de temps en temps à son évêque, et c'est tout. L'accompagnement spirituel pouvait être considéré comme un garde-fou, mais certains prêtres n'en ont bénéficié qu'une seule fois, en sortant du séminaire ou à l'occasion d'une grande retraite. En tant que psychothérapeute, je dois rendre des comptes à un superviseur. J'aimerais que l'Église catholique prévoie un superviseur pastoral pour ses prêtres, quelqu'un face à qui ils iront s'asseoir une fois par mois ou une fois tous les deux mois pour faire le point sur leurs pratiques pastorales, leur vie, etc.

Sans ces garde-fous, on place un pouvoir absolu dans les mains du prêtre - sans parler des évêques - et cela pose problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Notre mission doit essayer de dégager des solutions concrètes, même si vos réflexions sont évidemment fondamentales.

Selon moi, l'origine du problème réside dans le secret. Nous avons tendance à considérer que le droit français s'applique quoi qu'il arrive. Je crois d'ailleurs que le pape lui-même a dit des choses de cet ordre il y a quelques mois. Vous l'avez dit de manière très claire, et de façon assez courageuse, madame : cela ne sait peut-être pas assez, mais l'obligation de signalement existe. Ne faut-il pas explique que le secret de la confession n'est pas intangible et ne peut dispenser de révéler les crimes ?

Père Joulain, vous avez reçu en confession des pédophiles à qui vous avez dû donner l'absolution, et vous vous êtes orienté vers la psychologie pour vous dégager de tout ceci. N'avez-vous pas révélé les faits ? Je ne veux pas vous mettre en difficulté, mais je pense que les choses évoluent : sans doute est-il possible d'apprendre à la communauté religieuse que le secret de la confession ne prime pas sur le droit et qu'il faut révéler les actes criminels.

Père Stéphane Joulain. - Le cas que je citais est intervenu dans un pays qui n'applique pas les mêmes lois que la France. En tant que sénateurs, vous pouvez vous demander si l'arrêt rendu par la Cour de cassation au début du XIXe siècle a encore sa pertinence dans le projet de société dans lequel on s'inscrit.

Cet arrêt définit le droit des ministres du culte au secret professionnel. Il a été élargi pour dépasser le seul cadre sacramentel et couvre toutes les activités pastorales d'accompagnement. La question pour le législateur est de savoir ce que la société peut faire pour rendre le signalement obligatoire. C'est selon moi une vraie question juridique.

Cela étant, je suis sûr que l'Église, en tant qu'institution, aura son mot à dire, et je lui laisse ce privilège. Pour l'instant, c'est ainsi que cela fonctionne en France.

Soeur Véronique Margron. - Les canonistes eux-mêmes réfléchissent pour savoir comment suspendre le rite de la confession et intimer à une personne l'ordre de se dénoncer, en indiquant que le rite de la confession ne pourra reprendre qu'ensuite. Je ne veux pas contrevenir au droit de l'Église, mais on ne peut pas rester dans cette situation, même si les dénonciations de faits sont minoritaires.

Il y a une réflexion à mener en profondeur, y compris du côté canonique. Nombre de mes collègues théologiens et théologiennes travaillent sur ces questions. Je ne peux dire si l'Église y est prête - encore moins l'Église universelle -, mais étant donné la crise d'une gravité extrême que traverse l'Église catholique, qui touche aux plus vulnérables, je ne vois pas comment nous pourrions entretenir le statu quo.

La question du célibat me semble concerner le rapport à la responsabilité. La structuration de l'Église, dans sa hiérarchie, peut déresponsabiliser. C'est un vrai danger. Selon moi, la question porte plutôt sur l'immaturité et sur le refuge que peut constituer l'institution catholique pour certains. Comment s'assurer, dans le cadre de la formation, que les personnes sont suffisamment armées pour affronter toutes les épreuves de la vie ?

Debut de section - Permalien
Catherine Bonnet, ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'Église

Je crains de vous décevoir, ma soeur : selon des études américaines et canadiennes, seulement 0,1 % des délinquants sexuels se signalent d'eux-mêmes.

Soeur Véronique Margron. - Je parlais de l'injonction de se dénoncer pour recevoir le sacrement.

Il y en a quoi qu'il en soit très peu.

S'agissant de l'obligation de signalement, il existe en France des interprétations concernant le risque à ne pas signaler et la levée du secret professionnel. L'article 226-14 du code pénal parle d'autoriser ou d'imposer, sans dire à qui cela s'adresse. Il faut que le législateur clarifie les choses. Seul l'article 40 du code de procédure pénale impose aux autorités constituées, aux fonctionnaires, entre autres de l'Éducation nationale, de la PMI et de l'ASE, de dénoncer un crime dont ils pourraient avoir connaissance. Il ne s'applique toutefois pas aux médecins de la fonction publique hospitalière. C'est pourquoi on demande l'élargissement de cet article à tous les médecins.

Je crois que le clergé, en France, n'a pas l'obligation de signaler un crime. Vous avez parlé, lors de vos différentes auditions, de « trous dans la raquette » : il s'agit là d'un manque de clarté de la loi. Il faut vraiment qu'on comprenne qui fait quoi.

Par ailleurs, s'agissant des dérives sectaires dans l'Église, avez-vous pensé à auditionner Xavier Léger, lanceur d'alerte qui a créé un site intitulé « L'envers du décor » et écrit un ouvrage à ce sujet ? C'est un ancien légionnaire du Christ, qui décrit l'abus de pouvoir spirituel, qui peut parfois aller jusqu'à l'abus sexuel. On voit là des phénomènes d'emprise considérables. Il travaille avec Aymeri Suarez, président de l'Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et aÌ leurs familles (AVREF), ainsi qu'avec Yves Hamant. Il serait très utile que vous les receviez tous trois.

Père Pierre Vignon. - Ce serait très bien, en effet !

Debut de section - Permalien
Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix

On n'a pas parlé du pardon et de la confusion entre pardon et justice dans l'Église. Quand j'ai écrit mon livre, je suis allée voir monseigneur Barbarin pour discuter avec lui. Il avait employé le terme de miséricorde. Je lui avais fait remarquer qu'il fallait déjà que la faute soit sanctionnée par la justice. Il s'agissait là d'une mauvaise compréhension du pardon.

Concernant le célibat des prêtres, un élément me trouble : la pédocriminalité dans l'Église touche essentiellement des petits garçons. Il y a peut-être quelque chose à creuser par rapport à l'altérité et à la sexualité.

De manière plus générale, il faudrait travailler sur la sexualité dans l'Église. Les prêtres sont souvent très mal formés, et on n'en parle pas. Il existe une obligation de signalement dans l'Église depuis l'affaire Pican. Je crois que ce sera fait désormais. Souvent, les animateurs, dans les camps scouts, ne parlent pas du risque de pédocriminalité devant les parents, parce qu'on a affaire à des gens qui ne sont pas à l'aise avec la sexualité. Or plus on en parle avant, plus les grands enfants iront se plaindre, parce qu'ils sauront de quoi il retourne.

Le groupe Bayard a édité un fascicule pour les enfants en partant du principe que lorsque les enfants sont au courant, ils peuvent dénoncer les faits.

Père Pierre Vignon. - Un point rapide en matière de théologie morale : lorsque quelqu'un confesse avoir volé 500 000 euros, on ne lui donne pas automatiquement l'absolution. On veut d'abord avoir la preuve que l'argent a bien été rendu...

Par ailleurs, le secret de la confession a bon dos ! Je pense au cardinal Billé et à ses avocats concernant l'affaire Pican et l'histoire de l'abbé Bissey, en 2001. Les avocats ont plaidé le secret de la confession, de façon totalement irresponsable, alors qu'un évêque n'a pas le droit d'entendre ses subordonnés en confession. Maître Chevais, qui est un ami, n'a pas eu de peine à démontrer que c'était le cas et a finalement fait condamner monseigneur Pican.

Toute l'approche du secret de la confession est extrêmement fantasmatique, mais je répète que je n'ai jamais reçu de tels aveux en confession, et je pense que nombre de prêtres pourraient en dire autant.

Père Stéphane Joulain. - La recherche n'a aujourd'hui aucune certitude en matière d'orientation sexuelle des membres du clergé délinquants. On se base bien souvent sur la victimologie. Une étude réalisée en 2015 en Côte d'Ivoire à la demande du ministère de l'éducation nationale ivoirien a révélé qu'un enseignant sur deux avait eu des contacts sexuels avec l'un de ses étudiants, et que le groupe le plus à risque était celui des garçons de quatre à huit ans. Les auteurs de ces crimes ont reconnu que la peur des enfants d'être accusés d'homosexualité était tellement forte que ceux-ci étaient plus facilement manipulables...

Il faudrait recueillir la parole des auteurs pour savoir ce qu'il en est. Les États-Unis le font, et le Canada a commencé. D'après les conclusions qui ont été rapportées, les choses ne sont pas si simples.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Merci de votre franchise. L'objet final de notre mission est de faire en sorte que toutes les victimes soient entendues et protégées.

La réunion est close à 18 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.