Intervention de Isabelle de Gaulmyn

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 6 février 2019 à 16h30
Audition conjointe de mmes isabelle de gaulmyn rédactrice en chef au journal la croix catherine bonnet ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'église soeur véronique margron théologienne présidente de la conférence des religieuses et religieux en france corref père stéphane joulain père blanc psychothérapeute spécialisé dans le traitement des abus sexuels père pierre vignon prêtre du diocèse de valence

Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix :

Il s'agissait d'une grosse communauté de la région lyonnaise, plutôt privilégiée. Je pense que beaucoup de prêtres de l'ouest lyonnais étaient au courant et refusaient d'accuser l'un des leurs. C'est un monde qui vit beaucoup entre soi. Je parle là d'une autre époque : dans les années 1980-1990, je pense qu'on ne voyait pas du tout les choses comme maintenant. Pour la génération de mes parents, on disait qu'un prêtre « tripotait » un garçon. C'est terrible à reconnaître aujourd'hui, mais il ne faut pas juger cela avec le regard d'aujourd'hui.

Père Pierre Vignon, prêtre du diocèse de Valence. - Je suis très heureux de témoigner en tant que citoyen français, mais aussi en tant que prêtre.

Je me propose de relire les questions qui m'ont été adressées pour que chacun puisse comprendre mes réponses, car j'ai pesé mes mots...

Première question : « Vous êtes l'auteur de l'ouvrage Plus jamais ça , présenté comme le cri du coeur du prêtre qui dénonce l'omerta . Vous avez également lancé un appel à la démission du cardinal Barbarin dans le cadre de l'affaire Preynat. Pouvez-vous nous présenter les raisons de votre démarche et votre diagnostic concernant l'attitude de l'Église dans les affaires de pédophilie ? »

Le livre, tout d'abord... C'est M. François Jourdain de Muizon, professeur émérite de l'université, écrivain, qui m'a téléphoné très rapidement après l'annonce de ma lettre ouverte, le 21 août, pour me proposer de publier ensemble un livre sur la couverture de la pédophilie dans l'Église. Connaissant son sérieux, j'ai accepté de suite, car j'ai pensé que c'était une bonne occasion de m'expliquer devant l'opinion publique. La publication de l'ouvrage était décidée avant que ne soit confirmée la tenue du procès du cardinal Barbarin au début du mois de janvier 2019. La sortie du livre avant le procès n'était donc pas un calcul comme certains me l'ont reproché.

Concernant l'appel à la démission du cardinal Barbarin, je n'ai pas été étonné, quand l'affaire Preynat a éclaté dans les médias, en 2015, grâce à l'association « La parole libérée ». J'avais entendu une fois une allusion aux « casseroles » du père Preynat, grâce à l'abbé Joseph Chalvin, aujourd'hui décédé. J'étais à Lyon à ce moment-là. Il avait été le secrétaire du cardinal Villot, et il travaillait à l'officialité. Joseph Chalvin avait ses entrées à l'archevêché, ce qui n'était pas mon cas, et il savait tout ce qui s'y passait.

Devant mon interrogation, il refusa de m'en dire plus, mais je compris que c'était lié au groupe de scouts Saint-Luc, et que Bernard Preynat en avait été écarté en raison de plaintes des familles. Si Joseph Chalvin connaissait ce qui concernait Bernard Preynat, c'est que tout l'archevêché le savait, sans qu'on puisse en douter. C'était un homme toujours très bien renseigné.

J'ai tout de suite apporté, dès février 2016, mon soutien à l'association « La parole libérée ». J'estimais que leur combat était juste et qu'ils devaient se sentir soutenus par des prêtres. J'ai été très surpris de me retrouver quasiment seul par la suite. À l'époque, il avait été décidé, par prudence, que mon nom ne serait pas révélé. La raison en était que je pouvais être amené à aider concrètement des victimes, et qu'il ne fallait pas tout mélanger.

Voici les extraits du mail que j'ai envoyé à François Devaux, président de « La parole libérée », en avril 2016, à la suite de la lettre envoyée aux prêtres de Lyon : Chers amis, un grand merci pour l'envoi de cette lettre magnifique de justesse et de vérité. (...) Là où j'ai été franchement contrarié, c'est quand j'ai vu le cardinal se laisser plus ou moins sciemment prendre en otage pour une fausse guerre de religion à son sujet. Je ne comprends pas qu'on accepte à cause de soi de diviser un peu plus la société française. Un vrai pacifique aurait demandé de se retirer le temps que la lumière soit faite, pour ne pas créer le trouble, quitte à revenir grandi après un non-lieu de la justice. J'ai été encore plus contrarié quand j'ai vu notre cardinal se constituer à grands frais une défense digne d'un homme politique. (...) N'aurait-il pas été plus simple d'aller de Fourvière à Sainte-Foy pour parler avec vous ? Et je suis certain que si le cardinal vous avait expliqué personnellement ce qui s'était passé, et même s'il y avait erreur de sa part, vous auriez accepté cela comme une réponse.

C'est une évidence pour moi que le cardinal Barbarin et ses collaborateurs, dont mon évêque de Valence, qui a été sept ans son vicaire général, ne disent pas la vérité. Comment accepter l'idée que monseigneur Barbarin n'ait pas été informé lors de la visite pastorale de la paroisse de Bernard Preynat en 2002 ? Comment comprendre que monseigneur Michel, dans un communiqué, fin 2018, ait nié avoir connu au moins sept cas d'abus, alors qu'il l'a avoué à une de ses victimes, devant témoin, en avril 2016 ? Il a même ajouté qu'il n'avait pas interdit à Bernard Preynat de faire le catéchisme parce qu'il le faisait tellement bien !

Comment comprendre que le cardinal Barbarin, si méfiant envers les propos des victimes, ait cru sur parole Bernard Preynat quand ce dernier lui a dit qu'il n'avait plus commis de crimes depuis 1990 ? Pourquoi une telle ignorance et un tel déni face à la pédophilie, alors que les évêques français prétendent avoir étudié le phénomène à fond depuis les années 2000 ?

Connaissant la déontologie des journalistes Céline Hoyeau et Isabelle de Gaulmyn, je les crois quand elles écrivent que le cardinal était au courant en 2007, et même en 2002. Je cite Histoire d'un silence : « Sa réponse est sans détour : il le savait avant. Il l'a su assez tôt en réalité, après son arrivée à Lyon, en 2002. »

Ce qui est particulièrement incompréhensible, c'est que le cardinal Barbarin, pasteur du diocèse, ait considéré les victimes comme des agresseurs plutôt que des souffrants qui avaient besoin de sa présence. Pourquoi s'est-il mis tout de suite sur le terrain de la défense juridique et de la communication, en s'assurant les conseils du cabinet de gestion de crise Vae Solis ? N'aurait-il pas été plus simple de leur parler ? Pourquoi avoir voulu impliquer avec lui toute l'Église de France plutôt que de se retirer le temps de l'examen judiciaire ? Pourquoi se laisser mettre en position de « victime des victimes », comme l'a dit récemment un prêtre de Lyon, relayé avec le plus mauvais goût par un hebdomadaire catholique, qui a osé présenter le cardinal en Saint-Sébastien martyr ?

Monseigneur Barbarin, comme l'a noté l'académicien Jean-Marie Rouart dans un article récent de Paris Match, en se défendant ainsi, a perdu sur le plan des valeurs humaines et de la première des vertus chrétiennes, la charité. Pour ma part, je ne me reconnais pas dans cette posture qui n'est pas celle de l'Église, et c'est aussi le sens profond de mon appel à sa démission.

Avant moi, le 21 novembre 2016, le courageux prêtre de Lyon Patrick Royannais a demandé publiquement la démission de son cardinal. On peut le lire sur internet : « Monseigneur Barbarin vient de reconnaître ses torts et de demander pardon pour sa gestion de l'affaire Preynat lors d'une célébration, le 18 novembre 2016 (...) Tout ça pour ça ! (...) Deux ans de mensonges, de roueries, où il promet d'agir et diffère sans cesse l'action, où il se moque des victimes et laisse son avocat les insulter. (...) Deux ans à être la cause de ce que l'Église sainte soit traînée dans la boue pour défendre un siège et une carrière. (...). Deux ans à ranger l'Église dans le camp du bourreau, et non au côté des victimes. Deux ans à se prétendre soutenu par le Pape et sans doute à le manipuler. Deux ans que des prêtres, des laïcs du diocèse et d'ailleurs, tentent d'interpeller le cardinal, de le conseiller, et que, comme d'habitude, il n'écoute pas, car il n'écoute que ceux qui le courtisent. (...) C'est la faillite d'une personne. C'est la faillite d'un système. (...) S'il s'est vraiment trompé et qu'il en est enfin convaincu, l'archevêque devrait présenter sa démission au Saint-Père. »

Quelles sont les raisons de ma démarche, et quel est mon diagnostic ? C'est cet exemple patent d'omerta au sein de l'institution qu'il est de mon devoir de dénoncer. Le diagnostic du secret est remarquablement formulé par Mme Anne Philibert dans son livre Des prêtres et des scandales dans l'Église de France, aux éditions du Cerf.

Je la cite, pages 327 et 328 : « Par une instruction du 20 février 1866, le pape Pie IX a posé la règle du secret dans le traitement de ces affaires. (...) Le 9 juin 1922, le préfet du Saint-Office confirma la règle du secret (...). Ce document, approuvé par Pie XI, fut tenu secret (...) et fut envoyé aux évêques. » Il fut complété par « le document pontifical Crimen Sollicitotionihus, envoyé secrètement par le Saint-Office aux évêques en l962. » Ce document reprenait celui de 1922. Mme Philibert synthétise remarquablement le tout aux pages 401-402 : « Le Saint-Siège voulait la sanction et le secret. La pratique semble avoir été le secret sans la sanction. Une sanction sans secret aurait sans doute fait moins de dégâts... ».

Deuxième question : « Quelles sont vos attentes à l'égard de l'Église, s'agissant de la prévention et du traitement des violences sexuelles commises sur des enfants par des clercs ? À cet égard, que pensez-vous des annonces de la Conférence des évêques de France en novembre 2018 ? ».

J'attends désormais la protection des victimes et la sanction des prêtres plutôt que le secret. Les mesures prises depuis vingt-cinq ans par les évêques de France sont souvent bonnes, mais on peut se demander si elles sont correctement appliquées. J'attends beaucoup du travail de la commission Sauvé. On ne connaît toujours pas sa composition. J'aimerais un peu plus de communication à ce sujet.

Je résumerai mon attente par la profonde pensée de Saint Grégoire le Grand, au début du VIIe siècle, reprise par Saint Bernard : « Melius est ut scandalum oriatur quam veritas relinquatur ». « Mieux vaut s'exposer à scandaliser quelqu'un que d'abandonner la vérité ».² C'est avec la vérité connue de tous que l'Église et la société s'en sortiront.

Troisième question : « Quelles seraient selon vous les mesures à mettre en place pour éviter les violences sexuelles au sein de l'Église et pour garantir la plus grande transparence sur ces situations et sur les réponses qui y sont apportées ? »

Je recommande le projet de réforme sur la prise en charge des victimes d'actes de pédophilie commis par des clercs, qu'on trouve sur le site de « La parole libérée », qui n'a pas été pris en compte par la Conférence des évêques de France. Il pose entre autres les questions essentielles relatives à l'indemnisation des victimes, à la mise en place d'un tribunal indépendant pour juger les prêtres, et au droit des victimes dans le cadre des procédures canoniques, etc.

Quatrième question : « La lettre du pape François au peuple de Dieu, du 20 août 2018, appelle à réagir pour éradiquer une culture de l'abus au sein de l'Église catholique. Dans cet esprit, faudrait-il selon vous faire évoluer l'organisation de l'Église catholique, notamment en ce qui concerne la place des femmes et certaines règles de droit canon ? ».

Jusqu'à présent, la réaction à laquelle invite la lettre du pape François n'est pas très grande. L'émotion et la colère suscitées par les funestes révélations ne sont pas assez fortes. Les mentalités au sein de l'institution ont du mal à évoluer. J'aimerais que l'on s'indigne un peu plus ! J'en veux pour seul signe le fait que tout ce que les évêques de la région Auvergne-Rhône-Alpes, à l'instigation du cardinal Barbarin, ont trouvé comme réponse est de me destituer de ma charge de juge ecclésiastique par un décret du 30 novembre 2018. Je demande les mêmes égards de traitement que Bernard Preynat !

J'ai déposé un recours canonique contre ce décret et, s'il n'est pas révoqué, je vais prochainement porter plainte devant les tribunaux français. En effet, la loi européenne et celle de notre pays protègent les citoyens de l'arbitraire et les défendent dans leur réputation. Depuis peu, la loi intervient en faveur des lanceurs d'alerte face à l'organisation qui voudrait les faire taire.

À travers ce qui m'arrive, la hiérarchie catholique fait passer un message négatif et inquiétant, qui doit interpeller, à savoir que les prêtres et les fidèles n'ont pas intérêt à réagir. Comme c'est une question de principe, j'irai jusqu'au bout.

La réorganisation de l'Église est un sujet trop vaste pour moi. Je me permets cependant de faire une suggestion personnelle qui permettrait à mon sens, une fois mise en oeuvre, un bien meilleur fonctionnement du clergé.

J'avais juste vingt-six ans quand j'ai été ordonné prêtre. J'étais un bon jeune homme, bien formé, mais je peux considérer aujourd'hui que j'étais immature par rapport au monde réel dans lequel nous vivons. Jusque dans les années 1950, il existait une communauté qui accompagnait les jeunes prêtres. J'étais quant à moi totalement seul. C'est toujours le cas. Je propose donc qu'avant d'ordonner quelqu'un prêtre, on le maintienne diacre pendant cinq ans. Durant ce temps, il pourrait entreprendre un travail psychologique de fond afin d'éradiquer en lui ses angoisses inconscientes et de ne pas avoir à les projeter sur les autres une fois devenu prêtre.

À ceux qui s'étonneraient de cette mesure, je me contente de rappeler que toute personne qui ouvre un cabinet de psychanalyse est tenue de faire ce travail auparavant pour ce motif. De la même façon, en raison de l'accroissement de la longévité, je préconise qu'on soit nommé évêque plus tard, afin que ne se retrouvent pas seulement des hypercérébraux arrivistes à la tête des diocèses, mais des hommes équilibrés par l'expérience de la vie.

Pour la participation des femmes à la marche de l'Église, la prise de conscience est désormais faite. On attend cependant toujours les actes concrets. Le pape François en parle beaucoup, c'est acté, mais il n'y a aucune mesure concrète. J'ai des idées à ce sujet - mais il est préférable que ce soit les femmes qui en parlent.

Enfin, pour le droit canon, ayant enseigné son évolution sur deux mille ans comme professeur d'histoire des sources, il est évident qu'il doit constamment s'adapter à la vie selon le principe antique de sagesse : le moins de lois possible pour le plus de vie possible.

Cinquième question : « Le pape François a convoqué une réunion exceptionnelle sur la protection des mineurs au mois de février, à laquelle seront présents tous les présidents des conférences épiscopales du monde. Pensez-vous que cette initiative pourra déboucher sur de réelles avancées sur la question de la pédophilie dans l'Église ? »

Il est impensable que cette réunion ne débouche pas sur de réelles avancées. C'est l'assemblée de la dernière chance. Si la hiérarchie de l'Église catholique la manque, sa crédibilité sera compromise pour longtemps. Il faudra s'attendre à une chute colossale de l'Église catholique dans notre pays, et vraisemblablement la disparition d'au moins un tiers des diocèses dans les vingt ans à venir. J'ose espérer que ce sera un grand moment où souffle l'Esprit, afin que les plus hauts responsables crèvent enfin la bulle par laquelle ils se protègent du monde où nous avons la chance de vivre.

Cette assemblée est apocalyptique au sens profond du terme. Le mot « apocalypse » signifie « révélation » en grec, révélation de la lumière face aux ténèbres. La question de la pédophilie est apocalyptique non seulement dans l'Église, mais dans toute notre société. Face à cette révélation insoutenable des abus de toutes sortes, la délimitation entre ténèbres et lumière devient manifeste. Mon souhait profond, en dénonçant l'omerta, est qu'advienne pour tous cette entrée dans la lumière, la société civile aidant l'Église catholique à faire ce qu'elle n'arrive pas à faire seule, l'Église, ayant réalisé finalement ce passage, aidant à son tour la société à le faire.

Je viens de répondre aux questions. Si vous me permettez, j'ajoute ceci, en raison de l'attente du délibéré du tribunal correctionnel de Lyon du 7 mars. Si le tribunal reconnaît la faute du cardinal Barbarin, la lutte contre l'omerta dans l'Église connaîtra une avancée. Si le tribunal ne la reconnaît pas, la lutte restera entière.

Si le cardinal savait, il fallait demander sa démission. S'il ne savait rien, il faut continuer à la demander. Il n'est malheureusement pas le seul évêque à avoir couvert un prêtre dont il savait qu'il avait commis ce genre de crimes. À quoi bon avoir comme responsables des hommes qui voudraient nous faire croire, avec un air ingénu, qu'ils ne savent rien sur des sujets aussi graves !

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